Sémiologie des maladies infectieuses Généralités Pierre Tattevin Maladies Infectieuses et Réanimation Médicale, CHU Rennes
Objectifs de ce cours Module ‘de l’agent infectieux à l’hôte’ majoritairement théorique La plupart d’entre vous deviendront des soignants, cliniciens => nécessité d’outils pour la pratique Faire le lien entre la théorie et la pratique (ou ‘comment les données ingurgitées pourront vous servir à prendre en charge vos patients’) => exemples Vous aider à sélectionner les informations indispensables
‘ La sémiologie médicale est la partie de la médecine qui étudie les symptômes et signes et la façon de les relever et de les présenter afin de poser un diagnostic.‘ Littré, XIXè siècle
Au menu: 1. Sémiologie clinique Qu’est ce que le contage ? Intérêt de la connaissance des durées d’incubation Importance de la chronologie des symptômes Fièvre retour Tropiques Pneumopathie infectieuse Méningite Douleurs/fièvre/ictère Que rechercher face à une fièvre ?
Au menu: 2. Sémiologie biologique Anomalies de la formule sanguine Polynucléose neutrophile Hyperéosinophilie Syndrome mononucléosique Leucopénie Marqueurs de l’inflammation (VS, CRP, procalcitonine) Analyse du Liquide Céphalo-Rachidien (LCR)
Le contage Définition: Contage = Transmission d’agents pathogènes par exposition (=> adjectif ‘contagieux’) Importance majeure en pathologie infectieuse Sans contage, pas de maladie possible A l’inverse, le contage peut justifier une recherche diagnostique même en l’absence de symptôme
Importance du contage pour les hypothèses diagnostiques (ex. 1) Mr X, 25 ans: fièvre + diarrhée au retour du Sénégal Interrogatoire Maladies ‘vectorielles’ - protection moustiques - chimioprophylaxie paludisme - vaccin fièvre jaune Maladies liées à alimentation/boisson - précautions ‘usuelles’ (lavages mains) - repas et boissons sur place - vaccins typhoide, hépatite A 3. Infections sexuellement transmissibles (IST) - rapport(s) non protégé(s) avec partenaire(s) à risque ? - vaccin hépatite B
Importance du contage pour les hypothèses diagnostiques (ex. 2) Mr X, 25 ans: AEG, sueurs nocturnes, fébricule 2 mois Interrogatoire Contage BK - entourage (famille et amis proches, travail) - séjour en zone d’endémie Contage VIH - rapports homosexuels non protégés
Importance du contage pour les hypothèses diagnostiques (ex. 3) Me Z, 75 ans: fièvre + douleurs + inflammation hanche droite (PTH) Interrogatoire (contage infection PTH) 1. Voie hématogène - recherche infetcion récente autre site potentiellement bactériémique Contamination per-opératoire - date dernière intervention sur PTH - conditions de la chirurgie
Certains contages => enquête diagnostique même sans symptôme Enquête dans l’entourage d’un cas de TB 1. recherche cas ‘source’ = TB respiratoire active 2. recherche cas secondaires = toute infection tuberculeuse (latente, ou TB-maladie) Enquête partenaire ‘IST’: 3 règles d’or 1. Asymptomatiques aussi contagieux que symptomatiques (VIH, hépatite B, Chlamydophila sp.) 2. Une seule IST = FDR pour toutes les autres 3. Population IST = difficile à cerner (traitements minutes souvent systématiques)
Conséquences de l’importance du contage Retenez bien le(s) mode(s) de transmission de chaque pathogène ! Pas toujours intuitif: - transmission respiratoire des maladies éruptives (varicelle, rougeole) - maladies infectieuses ‘systémiques’ VIH, syphilis (IST) maladie de Lyme (exposition tiques) leptospirose (exposition urines de rats)
Durées d’incubation Délai habituel entre ‘contage’ et premier symptome Reflet de 2 phénomènes - vitesse de réplication de l’agent pathogène - réponse immunitaire Paramètre important en pratique, pour - hypothèses diagnostiques - recherche contage - application des mesures de prévention
Durées d’incubation: exemple 1 Mr X., fièvre aiguë + séjour tropical => Qs ‘clé’: Délai entre arrivée zone tropicale et apparition de la fièvre
Durées d’incubation: exemple 2 Recommandations prophylaxie après exposition Rage: incubation moyenne 40 jours (7 j à 7 ans) car dissémination voies nerveuses centripète => vaccin post-exposition même si consultation tardive 2. Rougeole: incubation 10 jours - on vaccine si consultation précoce (< 72 h post contact) - Ig polyvalentes si incubation entre 3 et 6 jours Varicelle: incubation 14 jours - Ig spécifiques si incubation < 4 jours Méningocoque: incubation toujours < 8 jours - prophylaxie seulement si dernier contact < 8 jours => Qs ‘clé’: Délai entre arrivée zone tropicale et apparition de la fièvre
Durées d’incubation: exemple 3 Toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) ‘Au moins 2 cas groupés, d’une symptomatologie similaire, en général digestive, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire’ Scénario: Repas collectif, multiples malades Enquête: QS n°1 = délai repas-1ers symptomes - très court (2 à 4 h) = staphylocoque (symptomes liés à une toxine) - rapide (12 à 36 h) = salmonelles (délai lié à réplication)
Détail et chronologie des symptômes: L’importance en maladies infectieuses Comme dans toute spécialité, mais encore plus ! Diagnostic de certitude rarement disponible lors de la prise en charge initiale (délai de documentation cultures) => traitement initial souvent empirique => basé en grande partie sur l’interrogatoire
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 1 Pneumopathie infectieuse aiguë Fièvre, douleurs thoraciques, dyspnée, expecto. purulentes Deux catégories selon la cinétique 1. Pneumopathie franche lobaire aiguë (PFLA) installation brutale des symptômes ‘coup de poignard’ ‘coup de tonnerre dans un ciel serein’ le patient peut déterminer l’heure du début
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 1 Pneumopathie infectieuse aiguë Fièvre, douleurs thoraciques, dyspnée, expecto. purulentes Deux catégories selon la cinétique 2. Pneumopathies atypiques installation progressive des symptômes le patient a du mal à dater le début de la maladie
PFLA PNP atypique
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 2 Méningite bactérienne Fièvre, céphalées, raideur méningée, troubles de la vigilance 1. Méningite ‘sur-aiguë’ sujet jeune, sans antécédent aucun symptôme 24 h avant l’admission en réanimation = tableau ‘fulminant’ – course contre la montre méningite à méningocoque
Chronologie des symptômes de Méningococcie chez l’enfant et l’adolescent MJ. Thomson et al. Lancet feb 2006 H 0 Début Etude rétrospective 1997-99 : 448 purpura fulminans ou méningite méningocoque Douleurs jambes Extrémités froides 72% Modif couleur peau H 8 Purpura Méningisme Alt vigilance H 13-22 H 19 Hospitalisation 51% hospitalisés après la 1ère consultation H 24 Décès
Chronologie des symptômes de Méningococcie chez l’enfant et l’adolescent MJ. Thomson et al. Lancet feb 2006 H 0 Début Etude rétrospective 1997-99 : 448 purpura fulminans ou méningite méningocoque Douleurs jambes Extrémités froides 72% Modif couleur peau H 8 Purpura Méningisme Troubles Conscience H 13-22 H 19 Hospitalisation 51% hospitalisés après la 1ère consultation H 24 Décès
Chronologie des symptômes de Méningococcie chez l’enfant et l’adolescent MJ. Thomson et al. Lancet feb 2006 H 0 Début Etude rétrospective 1997-99 : 448 purpura fulminans ou méningite méningocoque Douleurs jambes Extrémités froides 72% Modif couleur peau H 8 Purpura Méningisme Troubles Conscience H 13-22 H 19 Hospitalisation 51% hospitalisés après la 1ère consultation H 24 Décès
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 2 Méningite bactérienne Fièvre, céphalées, raideur méningée, troubles de la vigilance 2. Méningite ‘aiguë’ sujet plus âgé, co-morbidités installation des symptômes en 24-72 h = méningite à pneumocoque
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 2 Méningite bactérienne Fièvre, céphalées, raideur méningée, troubles de la vigilance 3. Méningite ‘sub-aiguë’ sujet encore plus âgé, co-morbidités majeures installation des symptômes en 3 à 5 jours = méningite à Listeria monocytogenes
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 2 Méningite bactérienne Fièvre, céphalées, raideur méningée, troubles de la vigilance 4. Méningite ‘chronique’ FDR de TB (sujet âgé, séjour zone d’endémie, IDP) installation des symptômes en plusieurs semaines = tuberculose neuro-méningée
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 3 Fièvre > 39°C et céphalées au retour des tropiques 2 diagnostics classiques 1. paludisme accès de fièvre/frissons/sueurs/sensation chaud et froid durée quelques heures période de rémission complète rechutes, d’intensité croissante
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 3 Fièvre > 39°C et céphalées au retour des tropiques 2 diagnostics classiques 1. fièvre typhoide incubation max 10 jours fièvre ‘en escalier’ la 1ère semaine puis fièvre ‘en plateau’ (T=39-40°C)
Chronologie des symptômes en maladies infectieuses: exemple 4 Douleurs ‘biliaires’ puis T=40°C puis ictère (sur 48 h) Triade de Charcot Tableau pathognomonique si chronologie respectée = lithiase voie biliaire principale
Conduite à tenir devant une fièvre aiguë Question redondante avec la QS ‘sémiologie de la fièvre’, M2 (Matthieu Revest)
Recherche de signes de gravité Examen clinique Objectifs Recherche de signes de gravité Trouver les signes orientant le diagnostic
Signes de gravité non spécifiques Examen clinique Signes de gravité non spécifiques Hémodynamique: Fréquence cardiaque Tension artérielle Signes d’hypoperfusion périphérique: Froideur des extrémités, temps de recoloration Marbrures Oligurie Respiratoire: Fréquence respiratoire Cyanose Signes de détresse respiratoire Neurologique: Troubles de conscience Syndrome méningé
Signes de gravité spécifique de la fièvre Examen clinique Signes de gravité spécifique de la fièvre Signes de déshydratation: Importance +++ chez personne âgée et nourrisson Majorée par les sueurs La fièvre: Pas de façon générale Evaluer le retentissement « dangereuse » dans certains cas: Convulsions hyperthermique du jeune enfant Chez certains insuffisants d’organe (cœur, respiratoire) Dans les pathologies neurologiques centrales Grave si > 41°C
Les urgences infectieuses à ne pas louper Examen clinique Les urgences infectieuses à ne pas louper Neurologiques: Méningites bactériennes purulentes Méningo-encéphalite herpétique Dermatologiques: Purpura fulminans avec ou sans méningite Dermo-hypodermite bactérienne nécrosante Abdominales: Rétention purulente d’urine Péritonite aiguë Fièvre au retour des tropiques: Paludisme à Plasmodium falciparum Syndrome méningé Examen clinique complet Palpation abdominale
Signes spécifiques d’organe Examen clinique Signes spécifiques d’organe Examen clinique complet Par ordre de fréquence: Infections ORL Infections respiratoires Infections urinaires Infections digestives, dont biliaires
Sémiologie biologique
Polynucléose neutrophile (1) Définition Polynucléaires neutrophiles (PN) > 7 giga/L Etiologies Infections bactériennes aiguës - surtout les ‘pyogènes’ (capable de provoquer une accumulation locale de PNN altérés => pus) = staphylocoques, streptocoques - mais aussi infections digestives, urinaires, pulmonaires, etc. NB: - l’absence de polynucléose (voire la neutropénie) est plutôt un facteur de mauvais pronostic dans ces maladies - beaucoup d’infections bactériennes donnent peu ou pas de polynucléose (endocardite, typhoide, tuberculose, Lyme, nombreuses infections intra-cellulaires)
Polynucléose neutrophile (2) Etiologies (suite) 2. Polynucléoses non infectieuses - maladies systémiques (maladie de Still ++) - hémopathies (syndromes myéloprolifératifs) - médicaments (corticoïdes, lithium) - tabac > 15 cig./j - grossesse - endocrinopathies (Cushing, thyroidite) - nécroses tissulaires (IDM, pancrétatite aiguë)
Hyperéosinophilie (1) Définition Polynucléaires éosinophile > 0,5 giga/L Etiologies Parasitoses (tableau 1) - seules les helminthoses (vers) causent des hyperéosinophilies - surtout en phase de migration tissulaire - les protozooses (paludisme, leishmaniose, amoebose, toxoplasmose) n’expliquent pas une hyperéosinophilie 2. Hypéréosinophilies non parasitaires (tableau 2)
Tableau 1. Hyperéosinophilie parasitaire
Tableau 2. Hyperéosinophilie non parasitaire
Syndrome mononucléosique (1) Définition - cellules mononucléées > 50% des leucocytes circulants - > 10% de lymphocytes T activés (grands, hyperbasophiles) Etiologies Viroses - EBV (mononucléose infectieuse) - CMV - VIH - dengue - rubéole - hépatites virales
Syndrome mononucléosique (2) Etiologies (suites) 2. Infections non virales - toxoplasmose - syphilis secondaire 3. Allergies médicamenteuses (y compris DRESS) NB: diagnostic différentiel = hémopathie maligne
Leucopénie (pas une QS pour infectiologue !) - Leucopénie = leucocytes circulants < 4 G/L - Neutropénie = Polynucléaires neutrophiles < 2 G/L Risque infectieux associé à neutropénie majoré si - profonde ( < 0,5 G/L), voire agranulocytose (< 0,1) - prolongée (> 7 jours) Etiologie = médicament ou hémopathie A part: leucopénie ‘ethnique’ du sujet noir (pas de risque infectieux, simple différence de démargination)
Marqueurs de l’inflammation (1) - VS: aucune utilisation en pathologie infectieuse - CRP: corrélée avec la nature du processus infectieux 1. Valeurs habituellement supérieures si bactéries (pyogènes > bactéries intra-cellulaires > viroses ou parasitoses) 2. Mais trop de ‘faux positifs’ (maladies systémiques, viroses, infarctus, chirurgie, etc... et de faux négatifs (purpura fulminans) Jamais suffisant pour éliminer ou poser un diagnostic NB. Informations apportées par la CRP 1. si valeurs très élevées (> 100 mg/l), nécessité d’explorer 2. intérêt certain, et documenté, pour le suivi évolutif (‘si la CRP va mieux, le patient ira mieux’)
Marqueurs de l’inflammation (2) Et la procalcitonine ? - Place mal définie pour l’aide au diagnostic, chez l’adulte, en 2013 (conférence de consensus en cours) 1. Valeurs habituellement supérieures si bactéries (pyogènes > bactéries intra-cellulaires > viroses ou parasitoses) 2. Mais ‘faux positifs’ (maladies systémiques, viroses, infarctus, chirurgie, etc...) et faux négatifs (purpura fulminans) Suffisant pour éliminer ou poser un diagnostic ? - Coût - Intérêts possibles: 1. aide au ‘tri’ des urgences, notamment chez l’enfant 2. pour interrompre une antibiothérapie plus tôt
Analyse du liquide céphalo-rachidien (LCR)
D’après Straus S et al. JAMA 2006
Repos alité après PL : Inutile D’après Straus S et al. JAMA 2006
Aiguilles atraumatiques
Intérêt probable des aiguilles atraumatiques - moins de céphalées post-PL - mais plus de tentatives… Intérêt seulement si expérimenté
Examen direct du LCR 60 à 90 % des examens directs sont positifs dans les méningites bactériennes La positivité de l’ED varie en fonction du germe S. pneumoniae : 90 % N. meningitidis : 75 % L. monocytogenes : < 50 % La culture est positive en 48 h en l ’absence d ’antibiothérapie préalable Si antibiothérapie antérieure, l ’examen direct reste positif dans 40 à 60 % des cas
Interprétation du LCR Méningite si > 5 éléments/mm3 Interprétation des LCR avec hématies Mise en culture, de toutes façons Rapport GB/GR ( ~1000, dans le sang) Hyperprotéinorachie si > 0,4 g/L Hors méningite Diabète déséquilibré Convulsions récentes Compression médullaire Maladie inflammatoire Hypoglycorachie si < 40% glycémie (rapport < 0,4) Laisser tomber Chlorurorachie, Lactates Antigènes solubles
Merci de votre attention ! Atelier 'migrants et VIH', 2012 HDR, 17/12/09 Journée IFR 140 - 19/09/2008 58