Chapitre 2 Le temps des débats
1. Marx et la critique du capitalisme Karl Marx (1818 – 1883)
1.1 Les bases de la pensée marxiste Apparition d’une pensée critique autour du système industriel (socialisme utopique) critiqué par K. Marx Influence de la philosophie (Hegel) Critique des économistes classiques (en particulier Ricardo) Prise en compte du capitalisme industriel naissant (F. Engels) + action politique et syndicale
Matérialisme historique «Dans la pratique sociale de leur vie, les hommes entrent en rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un certain degré de développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle répondent des formes sociales et déterminées de conscience. » Karl Marx, Préface à la critique de l'économie politique, 1859
1.2 L’analyse du mode de production capitaliste Articulation entre un état des forces productives et de rapports sociaux de production Identification de 4 grands modes de production : asiatique, antique, féodal, bourgeois ou capitaliste Mode de production traversé par des tensions et une dynamique
Capitalisme selon Marx Mode de production structuré autour de la propriété privée des moyens de production, du développement des forces productives, caractère central de l’accumulation du capital (circulation A – M – A’) et de la distinction de deux grandes classes : capitalistes et prolétaires Dynamique du système liée à la plus value (émergence à partir du travail) et au processus d’exploitation
Capitalisme est traversé par des tensions : Tensions économiques autour de la question du profit et de la rentabilité (baisse tendancielle du taux de profit) qui débouche sur des crises récurrentes Tensions sociales et politiques autour du conflit entre capitalistes et prolétaires qui débouche sur la lutte des classes Principe de dépassement du capitalisme (socialisme ? communisme ?)
1.3 Les ambiguïtés de la pensée de Karl Marx Question de la dimension « prophétique » de la pensée de Marx : persistance du capitalisme Complexité de l’analyse : Articulation tendances (BTTP) et contre tendances Analyse des classes sociales (accent sur la polarisation dans les ouvrages théoriques, situation plus complexe dans les ouvrages historiques)
1.4 Les prolongements : de Marx au marxisme-léninisme Évolution de la pensée de Marx avec Lénine et la mise en œuvre du socialisme en URSS Mode d’organisation économique et social : Propriété collective des moyens de production Planification centralisée Stratégie de développement (priorité à l’industrie lourde) Double question : efficacité du système, cohérence avec la pensée de Marx
2. Marginalistes et néo-classiques Apparition : années 1870 Carl Menger : Principes d'économie (1871) accent sur l'individualisme méthodologique Stanley Jevons : Théorie d'Economie Politique (1872) importance de l'utilité Léon Walras : Eléments d'économie politique pure (1874) 10
Racines du courant néo-classique : inscription dans la pensée économique (en particuliers classiques « français ») cf. origine du terme néo-classiques : Veblen pour souligner la continuité avec les classiques Structuration et formalisation du courant autour du principe d’équilibre (partiel et général)
2. 1. Les racines du courant néo-classique 2.1.1 Le lien avec les pensées du 18ème siècle Condillac : référence à la valeur utilité « Je dis donc que, même sur les bords d’un fleuve, l’eau a une valeur, mais la plus petite possible, parce qu’elle y est infiniment surabondante à nos besoins. Dans un lieu aride, au contraire, elle a une grande valeur ; et on l’estime en raison de l’éloignement et de la difficulté de s’en procurer. En pareil cas un voyageur altéré donneroit cent louis d’un verre d’eau, et ce verre d’eau vaudroit cent louis. Car la valeur est moins dans la chose que dans l’estime que nous en faisons, et cette estime est relative à notre besoin : elle croît et diminue comme notre besoin croît et diminue lui-même. » Le commerce et le gouvernement considéré relativement l'un à l'autre - 1776
Bentham : la principe de l’utilitarisme « Par le principe d’utilité, on entend ce principe qui approuve ou désapprouve toute action quelle qu’elle soit, selon la tendance qu’elle semble présenter d’augmenter ou de diminuer le bonheur de celui ou de ceux dont l’intérêt est en jeu ; en d’autres termes qui reviennent au même, de promouvoir ce bonheur ou de s’y opposer. » Jeremy Bentham – Introduction aux principes de la morale et de la législation - 1789
La reprise de réflexions des classiques A. Smith : marché comme mode de régulation de l’économie J. B. Say : valeur utilité, réflexion sur les facteurs de production et le rôle de l’entrepreneur, marché comme facteur d’équilibre (loi de Say) N. B. : remise en cause de certaines dimensions de la pensée classique : principe de valeur travail + réflexion sur la croissance
2.1.2 Les économistes mathématiciens du 19ème siècle introduction d’une conceptualisation et d’une formalisation mathématique Augustin Cournot (1841) : analyse de l'équilibre de marché - notion de coût marginal Jules Dupuit (1844) : première formulation de l'utilité marginale décroissante – notion de surplus du consommateur
Johan Heinrich Von Thunen (1818) : réflexion sur la productivité marginale Réflexion sur l’utilisation optimale des terres disponibles Heinrich Gossen (1854) : identification du principe d’utilité marginale décroissante
2.2 Un « modèle » néo-classique 2.2.1 L’individu et la modélisation de son comportement Individualisme méthodologique Pour comprendre et expliquer les phénomènes humains, il est nécessaire de “remonter à leurs véritables éléments, aux économies individuelles dans la collectivité, et de rechercher les lois selon lesquelles l'économie sociale provient de lois individuelles.” Carl Menger - 1871
Le « modèle » de l’homo oeconomicus Construction théorique : modélisation du comportement individuel (J. S. Mill) – cf. Robinson Rationalité : principe opératoire Préférences Transitivité Calcul (référence au coût d’opportunité) Formalisation logique et mathématique du comportement : maximisation sous contrainte
2.2.2 Le marché et l’équilibre De l’individuel au collectif : l’agrégation Raisonnement construit autour du choix individuel Définition de l’économie selon Lionel Robbins « l'économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usage alternatif » Processus d’agrégation : construction des courbes d’offre et de demande
L’hypothèse de base : un marché de concurrence Principe de concurrence La liberté générale d’acheter et de vendre est donc le seul moyen d’assurer, d’un côté, au vendeur, un prix capable d’encourager la production ; de l’autre, au consommateur, la meilleure marchandise au plus bas prix. Ce n’est pas que, dans des cas particuliers, il ne puisse y avoir un marchand fripon et un consommateur dupe ; mais le consommateur trompé s’instruira, et cessera de s’adresser au marchand fripon ; celui-ci sera décrédité et puni par là de sa fraude ; et cela n’arrivera jamais fréquemment, parce qu’en général les hommes seront toujours éclairés sur un intérêt évident et prochain. Turgot – Eloge de V. de Gournay (1751) Formalisation de la Concurrence Pure et Parfaite (Knight – 1921) : 5 conditions (atomicité, homogénéité, libre entrée – libre sortie, transparence, parfaite mobilité des facteurs)
l’équilibre marchand Jeu de l’économie débouche sur l’équilibre (principe d’équilibre partiel de marché – A. Marshall) « Le mécanisme de la hausse et de la baisse des prix sur le marché (…) n’est rien d’autre chose qu’un mode de résolution par tâtonnement des équations de ces problèmes » Léon Walras – Eléments d’économie Equilibre est stable et optimal (maximisation du surplus des participants à l’échange, allocation efficace des ressources grâce au prix comme indicateur de coût et de rareté)
Question des modalités d’accès à l’équilibre Walras : rôle de la variation des prix (ajustement de la demande nette) interrogations sur la cohérence du modèle de tâtonnement + rôle du « secrétaire de marché » Marshall : ajustement par les quantités distinction court terme – long terme avec ajustement progressif de l’offre
2.2.3 A la recherche de l’équilibre général Walras et l’équilibre général Formulation mathématique du problème de la possibilité d’un équilibre simultané sur l’ensemble des marchés (effet de report)
Résolution du problème : Arrow et Debreu - 1954 Existence d’un vecteur de prix permettant l’ajustement des quantités sur l’ensemble des marchés Variation des prix est une procédure performante pour l’ajustement des marchés + efficacité de l’allocation des ressources
Équilibre et optimum Question du jugement porté sur le résultat de l’équilibre : optimum de Pareto Situation où la position d ‘un individu ne peut être améliorée sans détériorer celle d’au moins un autre (ensemble des échanges mutuellement avantageux ont été réalisés) Réflexion débouche sur les théorèmes de l’économie de bien être
Premier théorème : Tout équilibre général en concurrence pure et parfaite est un optimum de Pareto. Système de marché concurrentiel est un moyen efficace d’allouer les ressources Deuxième théorème : Sous certaines hypothèses, tout optimum de Pareto (distribution des ressources jugée optimale) est un équilibre général Question de la justice sociale : atteinte d’un objectif ne passe pas par la correction du jeu du marché mais par la modification des dotations initiales des agents
Le modèle de l’équilibre néo-classique : une économie normative ? Réflexion sur la nature des hypothèses de la CPP Modèle débouche sur le constat de l’efficacité du marché concurrentiel La supériorité de l'économie libérale est incontestable et mathématiquement démontrable, en utilisant des modèles informatiques, qui sont parfaitement maîtrisés. G. Debreu – Le Figaro Magazine - 1984 Mais interrogations : Paradoxes de la CPP (profit à long terme ?) Comment prendre en compte les « market failures » ? Stabilité de l’équilibre général (Sonnenschein) ? Principe du « Second Best » - Lancaster et Lipsey
2.2.4 Le relâchement des hypothèses Concurrence imparfaite : adaptation ou remise en cause ? Premières analyses de la concurrence imparfaite : montrer leur efficacité moindre par rapport à la concurrence (analyse de Cournot : aller du monopole à la concurrence) Prise en compte d’hypothèses plus conformes à la réalité des structures productives (concurrence monopolistique – Chamberlin)
Tableau de Stackelberg
Point commun des analyses : perte d’efficacité de la concurrence imparfaite par rapport à la CPP Charge morte du monopole
Coût de la concurrence monopolistique Complexité de l’analyse des marchés d’oligopole
Information imparfaite Yoram Bauman & Grady Klein, The Cartoon Introduction to Economics Texte fondateur : the market for « lemons » – G. Akerlof (1972)
Deux processus de base Sélection adverse (antérieure au contrat) : Dans une relation "principal"-"agent", le principal fait face à de l’antisélection si l’agent détient de l’information privée au moment de l’écriture du contrat entre les deux parties. Aléa moral (postérieur au contrat) : Dans une relation "principal"-"agent", le principal fait face à de l’aléa moral lorsque l’agent peut prendre des décisions "non observables". Ces décisions, du fait de la divergence d’objectifs entre ces deux protagonistes, peuvent ne pas être dans l’intérêt du principal. Équilibres en information imparfaite ne débouchent pas sur l’optimum (cf. analyse du marché du travail)
Comportements stratégiques Prise en compte des choix stratégiques des acteurs Cadre de réflexion : théorie des jeux (Von Neumann – J. Nash) Application : concurrence imparfaite
3. La naissance de l'institutionnalisme 3.1 Que faut-il entendre par « institutionnalisme » ? → économie no-classique pose un acteur « désocialisé » → institutionnalisme prend en compte le cadre social dans lequel s'inscrit le comportement économique → point de départ : école « historique » allemande
Je dirai simplement que l'organisation économique de chaque peuple n'est en somme que le régime économique de vie que l'on vient de décrire ; elle trouve sa principale expression dans les règles morales, dans les moeurs et le droit économique de chaque peuple. C'est pourquoi je considère comme tout à fait superficielle la doctrine de l'égoïsme ou de l'intérêt considéré comme le principe constant et uniforme de tous les faits économiques. L'égoïsme est naturellement l'un des pôles de la vie humaine, il est tout aussi légitime comme mobile que mon désir de manger de temps en temps ; mais on ne saurait en aucune manière le confiner dans la vie économique, car dans toutes les autres manifestations de la vie l'homme flotte entre ces deux extrêmes : rapporter tout à soi et à son intérêt, ou rapporter tout à l'ensemble, à la généralité. (…) Toute explication économique doit nous faire connaître d’abord le caractère du peuple dont il s'agit, les mœurs et les idées variant avec l'époque, la condition, la profession, le lieu dont on parle. Gustav Schmoller - LETTRE OUVERTE À M. HEINRICH VON TREITSCHKE - 1874
→ référence aux analyses de J. R. Commons (1862 - 1945) Définition des institutions : « les actions collectives dans le contrôle, la libération et l'expansion de l'action individuelle » → institution permet à la fois le contrôle des actions individuelles et leur expansion en garantissant un ordre coopératif → analyse de l'entreprise comme institution mais aussi réflexions sur un capitalisme « raisonnable »
Thorsten Veblen (1857 - 1929) 3.2 Entre économie et sociologie → critique pensée néo-classique : rejet conception hédoniste de l'individu Critique de l'équilibre comme débouché de l'activité économique proposée par le marginalisme, → double dépassement : perspective évolutionniste (prise en compte de la dynamique du système économique) importance des institutions (définition large : « habitude de pensée »)
→ théorie de la consommation ostentatoire « Pour s'attirer et conserver l’estime des Hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir : il faut encore les mettre en évidence, car c’est à l’évidence seule que va l’estime. En mettant sa richesse bien en vue, non seulement on fait sentir son importance aux autres, non seulement on aiguise et tient en éveil le sentiment qu’ils ont de cette importance, mais encore, chose à peine moins utile, on affermit et préserve toutes raisons d’être satisfait de soi. » Théorie de la classe de loisir - 1899 → point de départ de la sociologie économique