Empathie miroir et empathie reconstructive

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Transcription de la présentation:

Empathie miroir et empathie reconstructive Frédérique de Vignemont Institut Jean-Nicod, Paris

Une multitude d’empathies L’empathie a été étudiée par une grande variété de disciplines: la philosophie, la psychologie sociale, la psychothérapie, la psychologie développementale et plus récemment, les neurosciences cognitives. L’empathie est considérée à la fois comme un trait de personnalité et comme un évènement mental. Elle est aussi considérée dans ses aspects émotionnels (partager une émotion), motivationnels (aider les autres) et cognitifs (comprendre les autres).

Le quotient d’empathie (Baron-Cohen & Wheelwright, 2004) I can easily tell if someone else wants to enter a conversation. I prefer animals to humans. I try to keep up with the current trends and fashions. I dream most nights. I really enjoy caring for other people. Friendships and relationships are just too difficult, so I tend not to bother with them. I find it easy to put myself in somebody else’s shoes. I am good at predicting how someone will feel. Seeing people cry doesn’t really upset me.

Une certaine confusion… Leiberg and Anders, 2006

Une définition possible Emotion : Nous sommes dans un certain état émotionnel e. A la différence d’une compréhension abstraite de l’émotion de l’autre Similarité: e est isomorphe à l’état émotionnel d’autrui E. A la différence de la sympathie Processus : e est provoqué par E. A la différence d’une simple coïncidence Attribution : Nous savons que E est à l’origine de e, ce qui nous permet d’attribuer E à autrui. A la différence de la contagion émotionnelle A quel point? Directement?

De haut niveau ou de bas niveau? Cette définition ne précise pas les mécanismes à l’origine du partage émotionnel. S’agit-il d’un processus de haut niveau, assez cognitif? “Paradigm cases of empathy… consist first of taking the perspective of another person, that is, imaginatively assuming one or more of the other person’s mental states… The initial ‘pretend’ states are then operated upon (automatically) by psychological processes, which generate further states that (in favorable cases) are similar to, or homologous to, the target person’s states. In central cases of empathy, the output states are affective or emotional states”, Goldman (1993, p 371) Ou s’agit-il d’un processus de bas niveau, assez automatique? “attended perception of the object’s state automatically activates the subject’s representations of the state, situation, and object, and that activation of these representations automatically primes or generates the associated autonomic and somatic responses, unless inhibited.”, Preston & de Waal (2002, p 4)

Fractionner l’empathie Face à cette confusion, il est possible: Soit de nier le statut d’empathie à certaines formes de partage émotionnel Soit de faire une distinction entre deux types d’empathie Je propose ici de distinguer entre: l’empathie miroir qui est provoquée par la perception d’indices émotionnels Je vois un inconnu sourire, je me mets à sourire et je le pense heureux. l’empathie reconstructive qui est induite par la simulation de la situation émotionnelle de l’autre J’apprends qu’une amie est enceinte et je sais à quel point elle voulait un enfant, je la pense heureuse.

Empathie reconstructive

L’empathie reconstructive Le principe de l’empathie reconstructive repose sur un partage d’émotion. J’utilise mes propres ressources émotionnelles pour comprendre autrui. Je prends pour point de départ le contexte externe (ce que je sais de ce qui arrive à la personne) et le contexte interne (ce que je sais de la personne). L’empathie reconstructive repose donc sur une simulation de la situation émotionnelle de l’autre. L’empathie reconstructive est la plus accessible à la conscience.

La théorie de la simulation Comment comprendre et prédire autrui? Théorie de la théorie: utilisation de lois psychologiques tacites Théorie de la simulation: nous nous mettons à la place d’autrui, prétendons avoir ses états mentaux et nous imaginons ce que nous ferions à sa place. L’empathie reconstructive est une application de la théorie de la simulation pour les émotions.

Définition de l’empathie reconstructive L’empathie reconstructive se définit ainsi: Emotion : Nous sommes dans un certain état émotionnel e. Similarité: e est isomorphe à l’état émotionnel d’autrui E. Processus : e est provoqué par E. La simulation du contexte émotionnel provoque e Attribution : Nous savons que E est à l’origine de e. Difficultés et questions ouvertes A quel point e est isomorphe à E? Comment sélectionner les informations pertinentes? L’attribution d’émotion à autrui est-elle fiable?

Quel degré d’isomorphie? Distinction entre différents composants d’une émotion: la valence (négatif versus positif) le type d’émotion (e.g. joie, dégoût, colère, etc.) l’objet intentionnel (e.g. j’ai peur du meurtrier) la raison (contexte externe et biographique) l’aspect qualitatif (intensité, durée, etc.). le rôle fonctionnel (réponse émotionnelle et impulsions d’agir)

Une plus grande isomorphie L’empathie reconstructive repose sur l’appréhension du contexte. Par conséquent, elle donne accès, non seulement au type d’émotion et à sa valence, mais aussi à l’objet intentionnel de l’émotion et à ses raisons. En se mettant à la place du jeune faon, l’enfant ressent ainsi la même émotion et pour les mêmes raisons. L’enfant imagine l’effet que cela ferait de perdre sa mère et se sent très triste. L’émotion partagée peut même jouer en partie le même rôle fonctionnel, conduisant aux mêmes impulsions d’agir, même si elles sont probablement inhibées. En simulant l’autre dans son contexte, je découvre non seulement ses émotions, mais aussi les croyances, intentions et désirs qui leur sont associés. Perspective plus holistique.

Un problème de sélection L’empathie reconstructive s’illustre donc par une grande isomorphie, mais à quel prix ? Elle n’a rien d’un accès direct au ressenti de l’autre. Elle découle d’un processus élaboré qui consiste à déterminer les informations pertinentes qui serviront de point de départ au processus de simulation. Elle implique donc une certaine maîtrise du contexte et de la personne. La théorie de la simulation reste très floue sur cette première étape de sélection des informations. ? ?

Quels inputs ? De cette étape de sélection, tout dépend. Si je prends pour point de départ de mauvaises informations, qu’elles soient fausses ou non pertinentes, j’aurai une compréhension erronée de l’autre. Si je me mets à la place de Bambi pour comprendre ce qu’il ressent, dois-je prétendre que je suis un faon ? Non, cela n’est pas pertinent, mais comment choisir ce qui l’est et ce qui ne l’est pas ? Il est donc important d’effectuer une analyse correcte de la situation émotionnelle. Mais cela ne suppose-t-il pas d’avoir déjà une hypothèse préalable sur l’émotion, hypothèse qui guide la sélection ? Deux sources possibles d’information Information sémantique (e.g. garde suisse) Mais aussi empathie miroir.

L’empathie miroir

“For we certainly believe ourselves to be directly acquainted with another person’s joy in his laughter, with his sorrow and pain in his tears, with his shame in his blushing, with his entreaty in his outstretched hands, with his love in his look of affection, with his rage in the gnashing of his teeth, with his threats in the clenching of his fist, and with the tenor of his thoughts in the sound of his words.” (Scheler 1923, p. 254)

L’empathie miroir Très peu d’informations suffisent, juste quelques indices corporels. Que ce soit un sourire rêveur, une intonation de voix un peu abrupte, une posture affligée, une crispation fugitive, nous reconnaissons le bonheur, la colère, la tristesse, ou la douleur. Pour autant, la reconnaissance perceptive des émotions ne suit pas les mêmes principes que la reconnaissance perceptive d’objets. Je ne reconnais pas la peur de la même manière que je reconnaîtrais un zèbre par exemple. J’utilise ma notion naïve du zèbre comme animal qui ressemble à un cheval à rayures noires et blanches, description abstraite que j’applique pour identifier l’animal que je vois. Mais pour reconnaître la peur, j’utilise non pas une description en troisième personne du concept de peur, mais mon propre vécu de la peur en première personne.

Les systèmes miroirs Le débat concernant l’empathie a été récemment renouvellé par la découverte des neurones miroirs, pour l’action (Rizzolatti et al. 1996), puis pour les sensations corporelles (Keysers et al., 2004) et les émotions. Les mêmes aires corticales sont activées pour le dégout (Wicker et al., 2003) et pour la composante affective de la douleur (Singer et al., 2004; Morrison et al., 2004; Jackson, et al., 2004; Botvinick, 2005). Certains patients ayant une lésion cérébrale ne parviennent plus à éprouver des émotions très spécifiques, telles que le dégoût ou la peur. Ces mêmes patients deviennent aussi incapables de reconnaître soit le dégoût, soit la peur chez autrui. (Calder et al., 2000 ; Adolphs et al., 1994).

Pour une théorie de bas niveau Qui se base sur l’observation d’indices émotionnels simples: Vision de parties du corps blessées (Jackson et al., 2005), d’expressions faciales d’inconnus (Adolphs, 2002) ou même de « mains en colère » (Grosbras & Paus, 2005) Sans que le contexte soit donné et sans autre condition supplémentaire. La perception d’indices émotionnels est une condition suffisante pour provoquer l’empathie miroir de manière automatique et systématique. Sur le modèle de la perception de l’action.

Une théorie motrice de l’empathie “According to a motor theory of empathy, the same premotor neurons that are involved in the generation of facial expressions for the self-expression of emotion are also involved in recognizing that emotion in others.” Leslie et al., 2004, p. 602 “We understand what others feel by a mechanism of action representation that allows empathy and modulates our emotional content.” Carr et al., 2003, p. 5497 Version forte: vous éprouvez de l’empathie par un processus d’imitation motrice. Théodor Lipps (1903) propose ainsi que la perception de l’expression faciale de l’autre nous conduit à reproduire cette même expression sur notre visage, et par là même, à découvrir ce que l’autre ressent. L’empathie est automatique car l’imitation est automatique.

Une version plus faible “One can apply perception-action processes to social cognition without it necessarily being a motor theory of social cognition” Preston and de Waal, 2002, p. 55 Version faible: l’action est seulement un modèle explicatif. L’empathie miroir n’est pas un phénomène moteur même si elle est induite par l’observation d’indices émotionnels basiques, le plus souvent corporels.

Définition de l’empathie miroir L’empathie miroir se définit ainsi : Emotion : Nous sommes dans un certain état émotionnel e. Similarité: e est isomorphe à l’état émotionnel d’autrui E. Démontrée par les études en imagerie cérébrale Processus : e est provoqué par E. La perception d’indices de E provoque e Attribution : Nous savons que E est à l’origine de e. Qui sous-tend l’attribution d’émotions à autrui dans des taches comme la reconnaissance d’expressions faciales Difficultés et questions ouvertes A quel point e est isomorphe à E? Jusqu’où va le partage émotionnel? Le lien causal est-il direct? Peut-il être modulé? L’attribution d’émotion à autrui est-elle fiable?

Les limites des neurosciences Les études en imagerie cérébrale indiquent une activité similaire pour l’observation et l’expérience d’une émotion donnée. Mais elles ne permettent pas d’évaluer le degré d’isomorphie en détails. Quand je vous vois pleurer, est-ce que je partage votre désespoir intense ou est-ce que je me sens juste mal?

L’isomorphie dans l’empathie miroir L’empathie miroir repose sur le traitement d’un nombre d’informations très limité. Par conséquent, l’isomorphie est, elle aussi, limitée. Elle se situe au niveau de la valence de l’émotion perçue (agréable / désagréable), mais aussi au niveau du type d’émotion. Benuzzi et al. (2008): différentes activations pour l’observation de stimuli inspirant le dégoût et la douleur. Si l’intensité se traduit par des changements corporels, alors elle peut nous affecter, mais pour une moindre part. Dans l’empathie, nous ne souffrons jamais autant que celui dont nous partageons la peine.

Limite de l’isomorphie Par contre, l’empathie miroir ne donne pas accès aux causes et raisons de l’émotion perçue. « Let us suppose that Scheler is right and that certain contents of the other person’s consciousness, such as joy, sorrow, pain,shame, pleading, love, rage, and threats, are given to us directly through acts of inner perception and without any inferential process whatever. Does it follow that the subjective meaning of the other person is also given to us in this simple fashion? » Schutz (1932, p. 23) L’objet intentionnel de l’émotion ne peut donc être le même: je partage la peur de la personne, mais non ce dont elle a peur. Quel est alors mon objet intentionnel? Objet formel de l’émotion? L’émotion partagée ne joue pas non plus le même rôle fonctionnel. L’observation d’une main qui se brûle ne me conduit pas à retirer ma propre main. Si les raisons ne sont pas connues, on voit mal comment nous pourrions agir en conséquence.

Un accès direct? “For we certainly believe ourselves to be directly acquainted with another person’s joy in his laughter, with his sorrow and pain in his tears, with his shame in his blushing.” Scheler (1923, p. 254) “We will posit that, in our brain, there are neural mechanisms (mirror mechanisms) that allow us to directly understand the meaning of the actions and emotions of others by internally replicating (‘simulating’) them without any explicit reflective mediation.” Gallese, Keysers and Rizzolatti, ( 2004, p. 396) “In most intersubjective situations we have a direct understanding of another person’s intentions because their intentions are explicitly expressed in their embodied actions and their expressive behaviors.” Gallagher and Hutto, ( in press)

Une seule étape? Deux problèmes: Sans nulle médiation? Observation de E Attribution de E Analyse contextuelle Expérience de e Deux problèmes: Lien direct entre l’observation et l’attribution? Distinction entre la phase de partage émotionnelle et la phase d’attribution de l’émotion à autrui (Goldman, 2006) Lien direct entre l’observation et l’expérience? Mais ambiguité des indices et modulation de l’empathie miroir

Modulation de l’empathie miroir Features of emotions Relationship empathizer/target Context Empathizer Valence Affective link (Singer et al., 2006) Appraisal of the situation (Lamm et al., 2007) Gender Intensity Similarity Multiple cues emotions Personality Saliency Familiarity Mood Primary vs secondary emotions Self-implication (e.g. jealousy) Expertise (Cheng et al., 2007) Emotional repertoire

Une relation indirecte Un lien direct n’est possible que s’il existe une relation univoque entre l’observation des indices et l’expérience de l’émotion correspondante. si E, alors e Or les indices peuvent être ambigus. Si je rougis, comment pouvez-vous savoir si je rougis de honte ou de plaisir? Comment distinguer une émotion réelle d’une émotion feinte? Et le contexte peut influencer l’empathie si E & si x, y, z, alors e

Quelle fonction? A quoi me sert de savoir que vous êtes malheureux si je ne sais pourquoi et si je suis donc incapable de remédier à votre situation ? Malgré ses insuffisances, l’empathie miroir a cependant le mérite d’attirer notre attention. Une fois la souffrance remarquée, il nous est plus facile de chercher à en comprendre les raisons. En outre, dans un certain nombre de situations, nous possédons non seulement les indices primaires émotionnels, mais aussi une certaine maîtrise du contexte. L’empathie miroir est complémentaire avec l’empathie reconstructive. L’empathie miroir permet de poser les fondations de notre compréhension de l’autre, mais elle ne suffit pas à elle toute seule.

Pour résumer L’empathie miroir constitue un partage d’émotion induit par la perception d’indices émotionnels, le plus souvent corporels. Mais l’empathie miroir n’est pas totalement miroir. Le partage est principalement limité à la valence et au type d’émotion. Il ne donne pas accès aux raisons de l’émotion, à son objet intentionnel ou à son rôle fonctionnel. L’empathie miroir n’est pas non plus totalement automatique. Il ne s’agit pas juste de ‘lire’ l’émotion de l’autre indépendamment du contexte, la lecture est d’ors et déjà filtrée par un certain nombre d’informations.

Empathie reconstructive (ER) Pour résumer Empathie miroir (EM) Empathie reconstructive (ER) Information de départ Indices émotionnels limités Situation émotionnelle riche Processus Activation pseudo directe Simulation Similarité Valence, type, intensité + Raisons Compréhension Limitée Approfondie

The winner is… Soit l’empathie donne lieu à un accès presque direct à l’émotion d’autrui (influencée toutefois par un certain nombre de facteurs), mais n’en permet qu’une simple catégorisation. Soit elle permet une véritable appréhension du vécu émotionnel de l’autre, mais elle exige un processus complexe de sélection d’informations pertinentes et de simulation. Une manière de les évaluer consiste à regarder laquelle est la plus fiable et la plus féconde (Goldman, 2008).

Des rôles distincts Il faut en premier lieu noter que les deux formes d’empathie ne jouent pas le même rôle. Empathie reconstructive: fonction prédictive. A partir d’une situation donnée, je prédis la réaction émotionnelle d’une personne. On n’attend pas de voir Bambi pleurer pour se sentir triste Empathie miroir: fonction rétrodictive A partir des conséquences corporelles d’une émotion, je reconstruis l’état émotionnel de la personne. A moins qu’on ne considère que ce sont les expressions corporelles qui sont à l’origine des émotions (James, 1890)

Fiabilité et fécondité Pour Goldman (2008), l’ER est la plus féconde quant à la richesse de la compréhension d’autrui. Mais elle n’est pas fiable Suite à l’omission d’informations pertinentes Suite à des biais égocentriques. Au contraire, l’EM est la source la plus fiable sur le type d’émotion en raison de la lecture “directe” des indices. MAIS on peut tout autant imaginer des biais égocentriques pour l’EM. Exemple du masochiste qui observe la douleur d’une personne En raison de la modulation de l’EM, elle n’est pas “hautement fiable”. Néanmoins, il est plausible qu’elle soit plus fiable que l’ER.

Une question de degré? La distinction entre l’empathie miroir (EM) et l’empathie reconstructive (ER) a-t-elle réellement lieu d’être? Même EM semble impliquer des processus inférentiels d’analyse contextuelle, et en ce sens, ne diffère pas de ER. Inversement, même ER semble reposer sur l’observation d’indices émotionnels. En outre, aucune des deux n’est 100% fiable. La distinction serait alors purement quantitative: Plus d’isomorphie pour ER que pour EM Plus direct pour EM que pour ER

Maintenir la distinction Selon Goldman (2008), la modulation de l’empathie miroir n’est pas comparable au fait d’imaginer un scénario. Inhibition versus construction En outre, les conditions suffisantes respectives pour chacune ne sont pas les mêmes: EM: Indices perceptifs émotionnels ER: Simulation du contexte émotionnel Enfin, on peut imaginer être capable d’EM sans être capable d’ER. Syndrome d’Asperger?