La séparation de la médecine et de la philosophie La médecine comme objet pour la réflexion philosophique
Le dieu Esculape et son serpent
La santé objet de culte dans l’Antiquité
La première séparation : médecine et religion L’épilepsie : maladie sacrée ? « Sur la maladie dite sacrée, voici ce qu’il en est. Elle ne me paraît nullement plus divine que les autres maladies ni plus sacrée, mais de même que toutes les autres maladies ont une origine naturelle à partir de laquelle elles naissent, cette maladie a une origine naturelle et une cause déclenchante, les hommes cependant croient qu’elle est une œuvre divine du fait de leur incompétence et de leur étonnement devant (la) maladie (…). Or si par l’incapacité où ils sont de la connaître, son caractère divin demeure, en revanche, par la facilité qu’ils ont à trouver le mode de traitement par lequel ils la soignent, ce caractère divin disparaît (…) ». Maladie sacrée, dans Hippocrate, L’art de la médecine, trad. Jouanna, Paris, GF, 1999, p. 146. Comment la médecine s’est-elle séparée de la philosophie à tel point qu’aujourd’hui les nouages dont nous avons parlé entre médecine et philosophie nous apparaissent bien lointains ? Première séparation concerne sans doute le rapport de la médecine à la religion. Discours médical comme sce rationnelle des maladies % par opposition au discours sacré. Réflexion sur la médecine comme forme de connaissance et d’acquisition du savoir. Ici encore rôle central de la médecine grecque hellénistique. Le traité du corpus hippocratique sur La maladie sacrée (l’épilepsie) détermine ainsi un point de vue médical distinct de la perception religieuse des pathologies, et singulièrement à propos de la maladie qui était considérée par excellence comme d’origine sacrée : « sur la maladie dite sacrée, voici ce qu’il en est ; elle ne me paraît nullement plus divine que les autres maladies ni plus sacrée, mais de même que toutes les autres maladies ont une origine naturelle à partir de laquelle elles naissent, cette maladie a une origine naturelle et une cause déclenchante » (L’art de la médecine, tr. et prés. de J. Jouanna et C. Magdelain, Paris, Flammarion, 1999, p. 146-164). Cette conversion du regard sur la nature de la maladie, ici l’épilepsie, est ce qui donne son point de départ à une enquête sur les causes « naturelles » et partant, à la détermination des moyens d’intervenir médicalement sur la pathologie. Mais comme le souligne J. Pigeaud, la séparation de la médecine et de la philosophie relève surtout d’un discours tenu par la médecine elle-même, un discours mythique qui vise à rendre compte de son origine, à en retracer l’histoire et à en dégager la spécificité. Ce discours que les médecins tiennent sur la médecine existe depuis l’Antiquité, depuis Hippocrate et Galien. Mais on peut ici surtout renvoyer au médecin Celse qui au (1er siècle avant JC développe le thème de la séparation entre médecine et philosophie dans la Préface du De Medicina.
Celse (Ier s avant JC-Ier s après JC), la préface du De Medicina
Celse, De la médecine, Paris, Belles lettres, 1995, trad. G. Serbat Préface du De Medicina de Celse, Bibliotheca Helvetica Romana, Institut Suisse de Rome, 1982, trad. et commentaire de Ph Mudry.
La séparation de la médecine et de la philosophie selon Celse « Dans une première étape, l’art de guérir fut considéré comme une partie de la philosophie, de sorte que le traitement des maladies et l’étude de la nature ont eu à leur naissance les mêmes maîtres (Pythagore, Empédocle, Démocrite) ».
Mais c’est Hippocrate de Cos, un disciple de Démocrite selon certains, le premier de tous à être digne de passer à la postérité, qui, en homme dont la science médicale était aussi remarquable que le talent littéraire, détacha la médecine de la philosophie ». « a studio sapientiae disciplinam hanc separavit ». « uir et arte et facundia insignis ».
Les conséquences de cette séparation La médecine est un art dont la finalité est d’abord la guérison des malades Distance prise par rapport aux controverses spéculatives et aux approches théoriques de la maladie J. Pigeaud, « Pour une histoire de la médecine » (1994), dans Poétiques du corps, aux origines de la médecine, Paris, Belles Lettres, 2008, p. 5-6.
La médecine comme technè : Platon « (…) la cuisine, à mon avis n’est pas un art, mais un savoir-faire ; la médecine en revanche, examine la nature du patient qu’elle doit soigner, elle étudie les causes qui justifient ce qu’elle fait et peut rendre raison de chacun de ses gestes ». La cuisine cherche d’abord à procurer du plaisir : « c’est vers la plaisir qu’elle se dirige, sans le moindre recours à l’art, mais de ce plaisir, elle n’examine ni la nature, ni la cause (…), elle procède par routine et par savoir-faire ». Platon, Gorgias, 500d-501a, trad. M. Canto-Sperber, Paris, éd. GF, p. 256.
Quel type de savoir requiert la technique médicale ? Particulier / universel Galien, Méthode de traitement, l’impossibilité de définir une méthode de traitement universelle. « Dans ce passage de notre exposé, il devient patent, c’est clair, qu’il faut examiner la nature de la personne souffrante et que pour chaque individu, il existe une thérapie particulière ; et en outre, troisième constat patent, puisque ce qui est particulier à la nature humaine est inexprimable et inintelligible même pour qui a la science la plus rigoureuse, celui-là même serait le meilleur médecin de tous les états maladifs pris individuellement qui se donnerait une méthode grâce à laquelle il diagnostiquerait leur nature et aurait pour visée les médicaments propres à la particularité de chaque nature ».
Connaître la nature de chacun ce serait pour le médecin prétendre être l’égal des dieux / Mais le médecin n’est pas un dieu « ce n’est pas le genre humain en général qui reçoit une thérapie, mais chacun d’entre nous, avec bien évidemment des différences de crase et de nature ». « Pour ma part, si j’allais jusqu’à savoir exactement la nature de chacun, je serais personnellement l’égal d’Asclépios, tel que je le conçois ; mais, puisque c’est impossible, j’ai, en tout cas, décidé de m’exercer personnellement à m’approcher de cet idéal au maximum des capacités humaines ». Galien, Méthode de traitement, ch. 7, p. 196.
Aristote « personne ne devient jamais médecin par la simple étude d’un recueil d’ordonnances ». « les écrivains médicaux essayent bien d’indiquer non seulement les traitements, mais encore les méthodes de cure et la façon dont on doit soigner chaque catégorie de maladies, distinguant à cet effet les différentes dispositions du corps. Mais ces indications ne paraissent utiles qu’à ceux qui possèdent l’expérience, et perdent toute valeur entre les mains de ceux qui en sont dépourvus ». Aristote, Éthique à Nicomaque X, 10, 1181 b.
Aristote, la Métaphysique Art / expérience Le médecin ne soigne pas l’homme mais un individu : « Ce n’est pas l’homme que guérit le médecin traitant, sinon par accident, mais Callias ou Socrate, ou qqe autre individu ainsi désigné, qui se trouve accidentellement être un homme ».