Vers un capitalisme raisonnable?

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Transcription de la présentation:

Vers un capitalisme raisonnable? Régime et politique monétaires selon Commons : cycle du crédit, déflation et banque centrale Philippe Adair ERUDITE, Université Paris 12 – Paris Est, France Vers un capitalisme raisonnable? La régulation économique selon J. R . Commons AUF 16-17 octobre 2008, Université Laval - Québec

Plan 1/ Genèse et analyse de la monnaie, de l’intérêt et du capital Les fonctions de la monnaie Les filiations : Böhm-Bawerk, Wicksell, McLeod, Knapp, Hawtrey 2/ La théorie du cycle monétaire  Monnaie endogène et cycles: Wicksell, Hawtrey et Fisher II La déflation par la dette selon Commons 3/ Banque centrale et instruments de la politique monétaire Coordination de l’autorité monétaire et choix des instruments 4/ Régime monétaire et mode de régulation Etalon-or, real bills doctrine, ou politique d’open market Commons et Fisher : un objectif commun, un monétarisme distinct Références J. R. Commons Articles : American Economic Review (1925), Annalist (1927) Institutional Economics (1934)

1. Théorie de la monnaie, de l’intérêt et du capital Contribution majeure et tardive (période 1922-1934) de Commons à l’analyse et la politique monétaires. Institutional Economics confère à la monnaie une place prépondérante, au cœur de la théorie institutionnaliste des transactions fondée sur la propriété et la dette. L’analyse monétaire relève de « transactions de marchandage » entre l’activité réelle et l’activité bancaire visant à la création de richesses, la politique monétaire relève de « transactions de rationnement » visant au contrôle de ces richesses (pouvoir d’achat) par une autorité légale.

1.1. Les fonctions de la monnaie (dans une économie de crédit) Selon Commons, la monnaie est : unité de compte (mesure des quantités figurant en crédit/débit) moyen de paiement qui dénoue les transactions relatives aux : - marché des biens (« propriété intangible » ou valeur actualisée du revenu net anticipé des ventes futures); - ux marchés du crédit et des titres (« propriété incorporelle » ou capital, valeur actualisée du remboursement des dettes); réserve de valeur. La monnaie n’est pas une marchandise mais une institution de règlement des dettes. Son attribut est sa fongibilité, elle n’a pas d’usage prédéterminé.

1.2. Les filiations Le théorie de la propriété de Locke (1690, 1695) : la reconnaissance de la monnaie comme créance (dette) suppose la séparation de la souveraineté (publique) et de la propriété (privée). McLeod (1856), précurseur de l’économie institutionnelle, est le premier à considérer la dette comme une quantité exprimant le droit de propriété présent sur des revenus futurs. Böhm-Bawerk (1881) défend la même approche à travers le concept de « futurité » ou de potentiel relatif à l’anticipation. Commons retient de la théorie quantitative de Hume (1752) que la monnaie est le facteur causal de l’activité réelle, mais l’ajustement monnaie-prix n’est pas instantané. La théorie monétaire  du capital et de l’intérêt esquissée par Turgot est prolongée par Böhm–Bawerk : l’intérêt est un taux d’actualisation (agio) qui égalise la valeur présente et la valeur future.

La théorie du cycle monétaire de Commons Sa théorie se distingue de celle d’autres institutionnalistes disciples de Veblen (1904) : Mitchell (1927), Copeland (1929), qui n’accordent pas la primauté aux chocs monétaires. Commons récuse la critique de la théorie quantitative de Fisher avancée par Copeland (1929) Il défend une théorie du cycle monétaire endogène qui s’inspire du processus cumulatif de Wicksell, du cycle du crédit de Hawtrey et de la déflation par la dette de Fisher (II). On ne voit pas bien comment cette théorie s’articule avec la suggestion de Commons d’une théorie du cycle du crédit à long terme (30 ans) fondée sur la récurrence des guerres qui engendre l’inflation du crédit puis la déflation.

Commons substitue à la productivité marginale de Wicksell la rentabilité financière (rendement des titres), dont la mesure est un rendement moyen pondéré des émissions (approximé par un portefeuille d’actions et d’obligations courantes de la bourse des valeurs de New York) qui détermine le taux à long terme. Si la rentabilité financière est faible (et les prix des titres sont élevés), le taux d’escompte à court terme doit être établi à un niveau inférieur afin de stimuler les emprunts à court terme et ainsi augmenter les prix. A contrario, si le taux d’escompte est établi à un niveau supérieur à la rentabilité financière les emprunts à court terme tendent à se contracter et le niveau des prix tend à chuter.

Là où Wicksell fusionne le taux à court terme et le taux à long terme en un seul taux (le taux du marché) qu’il confronte au taux naturel, Commons fait valoir qu’il y a 3 taux dont l’ajustement s’opère selon un rythme différent : l’écart entre le taux du marché monétaire (à court terme) ou taux bancaire et le taux d’escompte se réduit rapidement, tandis que celui entre le taux d’escompte et le taux de rentabilité financière (à court terme) se réduit plus lentement. Selon Commons, ce n'est pas variation (hausse) absolue du taux d'escompte bancaire, mais la variation (hausse) relative et donc l’écart du taux d'escompte bancaire comparé à la rentabilité financière qui affecte la variation des prix. La variation concomitante du taux à court terme et du taux à long terme doit permettre de stabiliser les prix.

Fisher II : monnaie non neutre et endettement déflationniste La théorie de la déflation par la dette de Fisher (1932, 1933) a peu d’écho parmi les économistes, hormis Commons qui y souscrit. Fisher soutient désormais la thèse d'un surendettement d'origine endogène et la demande de monnaie (la thésaurisation via la vitesse de circulation) tient un rôle majeur. Elle se démarque du cycle du crédit des périodes transitoires résultant d’une offre de monnaie exogène, selon la théorie quantitative de Fisher I (1911). Commons souligne que le déclencheur est l’actualisation du risque, expression de la confiance ou la défiance relative à l’activité réelle anticipée. Il présente brièvement la théorie de Fisher en débutant avec les transactions qui créent les dettes. Lorsque le risque est élevé, le remboursement des emprunts qui détruit la liquidité n’est pas contrecarré par de nouveaux emprunts qui reconstituent la liquidité.

La dépression déflationniste selon Commons (nos notations) 0) Ventes en catastrophe des actifs (en raison du risque élevé); 1) le volume des liquidités (Ms) diminue : δ2Ms <0 ; 2) le niveau des prix (P = π) diminue : δ2P <0; 3) la valeur nette de l’actif (A) et du passif (-A) diminue : δ2A <0  et |-δ2A| <0; 4) la marge bénéficiaire (α) diminue : δ2α <0; 5) la production (Y) diminue : δ2Y <0; 6) l’optimisme (ψ) s’efface devant le pessimisme (-ψ) : -ψ > ψ; 7) la rotation de la liquidité (V) diminue : δ2V <0 ; 8) le taux d’intérêt nominal (r) diminue et le taux d’intérêt déflaté (r-π) s’accroît : δ2r <0, δ2(r-π) >0

L’ordre de la séquence de Commons suggère la formulation de Cambridge, soit : δMs = δP.δY/ δV. Les variables financières influent sur les variables monétaires (δ2Ms <0) et réelles (δ2P, δ2α, δ2A, |-δ2A|) <0). Les variables réelles (-ψ > ψ) influent ensuite sur les variables monétaires (δ2V<0). Les variables monétaires (δ2r <0) influent enfin sur les variables réelles (δ2(r-π)>0). Le modèle de Commons repose sur l’interaction de 3 crises : une crise financière sur le marché des titres : baisse des prix des actifs (0 et 3) ; une crise bancaire sur le marché monétaire : réduction du volume de liquidité (1) ; une crise réelle sur le marché des biens : baisse des prix (2), de la marge (4) et de la production (5), pessimisme accru (6).

3. Banque centrale et instruments de la politique monétaire Coordination de l’autorité monétaire et choix des instruments Commons (1925) se prononce pour une stabilisation des prix à travers une politique monétaire activiste et discrétionnaire fondée sur les opérations d’open market, dont il est le premier à défendre l’usage. Il considère que la Banque centrale (Fed) doit incarner l’intérêt général contre les intérêts particuliers des banques, en assurant une fonction de coordination et de contrôle et plaide pour qu’elle dispose de tous les attributs d’une autorité indépendante en s’affranchissant de la tutelle du Trésor public. La Fed doit faire prévaloir l’indice des prix dont elle dispose sur les indices de prix spécifiques qui fondent la politique de crédit des banques. L’art de la politique monétaire est de lisser (sinon d’éviter) les fluctuations excessives mais Commons reconnaît que la question majeure est celle de la temporalité (le choix du moment) et du délai d’ajustement entre les interventions et les résultats obtenus.

La Banque centrale en action et la politique monétaire Entre fin 1929 et mi1930, la politique monétaire est fondée sur une erreur d’interprétation : le niveau des taux d’intérêt du marché est bas et il n’est donc pas jugé nécessaire de pratiquer une injection monétaire. L’absence de coordination entre les banques régionales et la banque centrale concernant la politique de l’escompte illustre les critiques exprimées par Commons (1925). Les prévisions conjoncturelles sont contradictoires et résultent d’indicateurs qui relèvent (implicitement) de théories ou d’approches largement distinctes : - la théorie quantitative de la monnaie qui n’inspire pas la politique de la Fed, - la théorie bancaire des effets de commerce (real bills doctrine) que récuse Commons, - la règle de l’étalon-or qui fonde l’émission sur les réserves d’or et que récuse également Commons.

Commons et Fisher : un objectif commun, un monétarisme distinct A l’instar de Fisher, Commons milite pour que le Congrès adopte une loi de stabilisation des prix. En 1923, il préside la National Monetary Association qui milite pour la stabilisation des prix en période d’inflation, et défend le recours à une politique monétaire active (open market). En 1928, il assiste James Strong, élu du Kansas, pour son projet de loi de stabilisation des prix débattu au Congrès et participe au titre d’expert aux auditions de la commission des questions monétaires. En 1934, il adresse avec Fisher un télégramme à Roosevelt qui contient des propositions de réformes monétaires.

Fisher défend des règles changeantes selon le régime monétaire Au cours de la décennie 1920, durant laquelle prévaut encore le régime d’étalon-or, Fisher considère que la stabilité du niveau des prix relève d’une politique de « dollar compensé » qui consiste à faire varier la parité-or de la monnaie. Après 1933 Fisher (1936) opte pour une autre règle, la politique d’ajustement du taux d’intérêt (opération d’open market) et la couverture à 100% des crédits par les réserves des banques. Commons est bien monétariste, mais il est plus « wicksellien » que « fishérien ».

4. Commons : « monétariste wicksellien » Commons récuse la théorie bancaire des effets de commerce, car elle néglige la fongibilité de monnaie qui ne permet pas de distinguer la demande transactionnelle et la demande spéculative. Commons ne défend pas la règle de l’étalon-or tel que la quantité d’or figurant en réserve détermine la quantité de monnaie émise laquelle détermine le niveau des prix, via la libre circulation du métal en règlement des importations. L’ajustement de la composante réelle de la balance des paiements ne permet pas de prendre en considération les flux financiers. Commons plaide pour des institutions monétaires fortes qui régulent par les taux d’intérêt et de manière concertée les réserves d’or, et qui mettent en œuvre une politique de stabilisation des prix à l’échelle des Etats-Unis (un grand Système de Réserve Fédéral), comme à l’échelle internationale (que la BRI semblait préfigurer).