Les troubles bipolaires du sujet âgé : description et traitements pharmacologiques Dr L. Glenisson CH C. Perrens
Le trouble bipolaire de l'humeur A remplacé le concept de „psychose” maniaco-dépressive Trouble de l'humeur Associe des épisodes dépressifs à des épisodes caractérisés par une humeur élevée (euphorie), augmentation de l'estime de soi, expansivité, hyperactivité, fuite des idées, conduites inadaptées...
Le trouble bipolaire de l'humeur Divisés en plusieurs catégories Troubles bipolaires de type 1 (TB 1) Troubles bipolaires de type 2 (TB 2) Age de début très variable, de la puberté à l'âge avancé S'oppose aux dépressions „unipolaires” Diagnostic reposant sur l'existence d'un épisode maniaque, hypomaniaque ou mixte
Le trouble bipolaire l'humeur du sujet âgé Intérêt récent Peu de travaux spécifiques Pauvreté des données méthodologiquement satisfaisantes (Depp CA, 2004)
Le trouble bipolaire du sujet âgé Catégorisation en fonction de l'âge d'apparition du premier épisode de manie (Shulman, 1999) Les troubles bipolaires „vieillis” La „bipolarisations tardive” d'un trouble jusque-là unipolaire dépressif Les troubles bipolaires d'apparition tardive
Epidémiologie Prévalence difficile à préciser Patients suivis en psychiatrie 2 à 8 % des PA en soins psychiatriques ambulatoires 4,7 à 18,5% des PA hospitalisées en psychiatrie, moyenne 8,7%, sous-estimation probable (Depp CA, 2004) Population générale Prévalence inférieure à celle du sujet jeune 0,1 % sur l'année (vs 1,4 %M en population générale, Etude ECA ) à 0,5 % après 65 ans (1,6% chez les 55-64 ans) Incidence augmentant avec l'âge contrairement à la prévalence
Eagles JM, Whalley LJ (BJP 1985) Premières hospitalisations entre 1969 et 1978 Dg de sortie ICD 8 Incidence annuelles des psychoses affectives par sexe et par tranches de 5 ans, de 15 à 74 ans Correction de 2% par tranche de 5 ans Augmentation SS de l'incidence des psychoses affectives avec l'âge pour tous les diagnostics Manies 25 et 59 ans : 3,86 à 4,63 (homme), 4,87 à 6,35 (femme) contre 4,41 à 7,44 (H) et 6,39 à 9,17 (F) après 60 ans pour 100.000 h Pic chez la femme autour de 50 ans
Epidémiologie : âge de début Début précoce et début tardif Difficile à étudier par manque de consensus sur un âge seuil Les troubles bipolaires à début précoce sont peu représentés chez les bipolaires âgés Mortalité élevée ? Recueil d'antécédents erroné ? Extinction de la maladie avec l'âge, spontanée ou sous traitement ? Mode de début Episode dépressif dans 60 % des cas, manie dans 17 à 22% des cas, forme mixte dans 8 à 13% des cas
Epidémiologie Benedetti A et al (Clin Pract Epidemiol Ment Health 2008) Retrospectif, manie DSM IV chez les hospitalisés en gériatrie entre août 1998 et 2003 11 femmes/9 hommes, âge moyen 74 ans +/-6,1 (65 à 88 ans) vs contrôles (TB, âge moyen 34, 6 +/- 11,7) Age début 48,9 (SD 23,6), dont 7 (35%) après 64 ans (vs 25,6 ans, SD 12 chez les contrôles) Caractéristiques psychotiques : 75% Début par EDM : 10 (50%), manie : 6 (33,3%), mixte : 4 (25%) ATCD familiaux : 6 (33,3%) vs 12 (66,7%)
Présentation clinique Pas de spécifité clinique pour les troubles de l'humeur du sujet âgé dans le DSM ou la CIM Intensité de la symptomatologie moindre? Varie selon les études Expansivité/hyperactivité émoussées Moins de préoccupations sexuelles ou religieuses? Présence de signes moins typiques Irritabilité plus fréquente que l'euphorie Moins de troubles du cours de la pensée Plutôt logorrhée
Présentation clinique Présence d'autres symptômes Symptômes dépressifs associés, voire véritables états mixtes Plus de dépression au décours d'un épisode maniaque Symptômes délirants Fréquents (64%) Plus de syndromes délirants non congruents à l'humeur Persécution, préjudice plus que mégalomanie Troubles cognitifs Tableaux d'aspect confusionnels
Pronostic et évolution Données anciennes : épisodes plus longs, rémission plus difficile à obtenir, intervalles libres plus courts, récidives plus fréquentes Etudes plus récentes plus nuancées mais résultats variables Fréquence des rechutes Chronicisation, troubles cognitifs, cycles rapides
Les troubles bipolaires d'apparition tardive Apparition des troubles (manie) après 65 ans en l'absence d'antécédent de trouble affectif Font évoquer une étiologie organique „Manies secondaires” (Krauthammer et Klermann, 1978) Troubles a priori clairement liés à une cause organique Lésions vasculaires Localisation : cortex orbitofrontal ou temporal droits, tête noyau caudé, thalamus... Tumeurs cérébrales Traitements En pratique imputabilité parfois difficile à affirmer
Les troubles bipolaires d'apparition tardive Manies tardive Constatation d'une prévalence élevée de lésions cérébrales en imagerie morphologique Problème de leur signification Troubles cardiovasculaires, facteurs de risque ? Une présentation clinique différente ? Pas de tableau spécifique Dépend en partie de l'affection causale Pronostic vital défavorable
Depp CA et Jeste DV 2004 (Bip Disorder) Donnée ayant un niveau de preuve important Diminution de la prévalence avec le vieillissement 8-10 % des personnes âgées hospitalisées Age de début tardif surtout Association entre âge de début tardif et troubles neurologiques Moins d'addiction Hétérogénéité
Traitements pharmacologiques Particularités influençant le traitement chez le sujet âgé Sujets souvent polypathologiques, polymédiqués Augmente le risque d'intolérance, effets secondaires, d'interactions Modifications avec l'âge Des espaces de stockage Augmentation de la masse graisseuse et diminution des protéines Modifications du fonctionnement des organes Foie, Rein...
Lithium chez le sujet âgé Pas d'étude contrôlée sur l'efficacité Diminution du volume de distribution, de la clairance rénale Augmentation de la demi-vie (dosage) Posologies inférieures nécessaires pour atteindre un taux thérapeutique
Lithium chez le sujet âgé Effets secondaires Troubles gastrointestinaux, prise de poids, tr cognitifs, troubles neurologiques (tremblement, troubles cérébelleux, ataxie), sy polyuropolydipsique, diabète insipide, tr thyroïdiens... Risque de troubles neurologiques plus important si ATCD neurologiques (manies secondaires) Moins bien toléré chez le sujet âgé Utiliser des taux sériques plus bas ? Dépend du terrain (état général, âge), de la pathologie, des comorbidités et des traitements en cours
Lithium chez le sujet âgé Interactions Antidépresseurs Risque de syndrome sérotoninergique Médicaments modifiant la pharmacocinétique En diminuant la natrémie Diurétiques, Autres Inhibiteur de l'enzyme de conversion, AINS...
Les anticonvulsivants : valpromide et valproate Efficacité sur la manie aigue : surtout études retrospectives Fixation importante aux protéines plasmatiques Augmentation de la ½ vie par augmentation du volume de distribution Effets secondaires Troubles cognitifs Troubles neurologiques (sy parkinsoniens, tremblements) Troubles hématologiques
Les anticonvulsivants : lamotrigine Profil pharmacodynamique favorable chez les personnes âgées Fixation modeste au protéines donc peu influencée par l'hypoalbuminémie et la fixation d'autres molécules Peu influencée par la modification de la fonction rénale Mais ½ vie d'élimination augmentée Profil favorable sur la cognition
Les anticonvulsivants : lamotrigine Effets secondaires Vertiges, céphalées... Rash cutanés bénins ou graves Prévalence identique à celle du sujet jeune Pas de spécificité chez le sujet âgé Nécessite une information patient/entourage et une surveillance Prévention : augmentation progressive Conduite à tenir
Les anticonvulsivants : carbamazépine Effets secondaires fréquents Neurologiques : sédation, ataxie, diplopie, nystagmus, troubles cognitifs... Ostéoporose par hypermétabolisme de la vit D Cutanés : rash Hématologiques (pas augmenté chez les personnes âgées) Hépatites (id) Troubles de la conduction (sinus et conduction AV) Hyponatrémie Plus chez la personnes âgée ? Diurétiques...
Les anticonvulsivants : carbamazépine Nombreuses interactions pharmacologiques Inducteur enzymatique Taux augmentés par de nombreux médicaments IRS Macrolides Hypolipémiants, Inhibiteurs calciques Autres : oméprazol, dextropropoxyphène, valproate...
Neuroleptiques et antipsychotiques Données d'efficacité par extrapolation à partir du cas général Intérêt des antipsychotiques/neuroleptiques Plus de risque de troubles neurologiques Syndromes parkinsoniens, dyskinésies tardives Syndrome métabolique
Les traitements pharmacologiques du trouble bipolaire chez le sujet âgé Pas de guidelines spécifiques Snowdown, 2000 Trois guidelines Aucun ne fait mention des manies secondaires Peu appropriés à la prise en charge spécifique NICE Données pour l'adulte, Quelques recommandations
Les traitements pharmacologiques du trouble bipolaire chez le sujet âgé Extrapolation prudente à partir des données du sujet jeune Lithium utilisable Moins efficace et plus à risque d'effets secondaires si bipolarité tardive Valproate : plus facile à utiliser que la carbamazépine Lamotrigine : profil favorable selon indication mais pas dans le traitement d'un trouble aigu Prudence avec les antidépresseurs a priori
Les traitements pharmacologiques du trouble bipolaire chez le sujet âgé Troubles bipolaires vieillis Maintien des traitements antérieurs tant qu'ils sont efficaces, bien tolérés et en l'absence de contre-indication Surveillance accrue et adaptation des taux Modification si besoin Bipolarisation tardive d'un trouble dépressif recurrent ancien Utilisation des traitements utilisés chez le sujet jeune, en adaptant aux particularités de l'âge Manie secondaire Extrapolation de la bipolarité „primitive”, éviter le Lithium
Conclusion Trouble probablement hétérogène, dans une population hétérogène Manque de données robustes Rend difficile pour le moment l'étude de sous- catégories spécifiques Intrications somatiques et particularités liées à l'avancée en âge imposant une prudence dans leur utilisation et une surveillance accrue dans la prise en charge thérapeutique
Broadhead et al (Intern J Geriatr Psychiatry, 1990) TB âgés (n=35), 72,5 ans (SD 7,4) vs 35 jeunes (34,4, SD 17,1) + 20 contrôles âgés appariés pour l'âge avec les PA Délai moyen entre premier EDM et manie : 17 ans (vs 3,5 groupe „jeune”) Plus de 3 EDM avant manie : 10/21 patients âgés dont le trouble a débuté par des dépressions vs 2/16 Age de début du trouble chez les personnes âgées 14 début précoce (37 ans, SD 9,91) 21 début tardif (73,4 ans, SD 7,2) ATCD familiaux 50% si début précoce vs 14% si début tardif