Nicolas Poulet Docteur en écologie aquatique Onema, chargé de mission Pourquoi les poissons ? Les poissons colonisent la quasi-totalité des eaux de surface, occupent différent niveau des chaines trophiques des écosystèmes aquatiques et montrent une importante diversité en terme d’exigence écologique. Ils intègrent ainsi les différents types de pressions anthropiques : fragmentation, eutrophisation, pollution chimique, altération hydromorphologique… et se révèlent être d’excellents auxiliaires pour l’évaluation de la qualité écologiques des milieux aquatiques, comme dans le cas de la DCE. Les poissons sont intimement liés aux développements des populations humaines en tant que ressource. Aujourd’hui encore, les poissons sont encore exploités mais sont aussi au centre de loisirs récréatifs comme la pêche sportive. Ce sont des organismes bien connus du grand public : si vous demandez aux gens dans la rue que trouve-t-on dans les cours d’eau, il y a de grandes chances qu’ils répondent « des poissons ». Tout ceci fait que les poissons ont fait l’objet de suivis spécifiques permettant la production d’un grand nombre de données qui ont pu être utilisés par les chercheurs pour répondre à des questions comme celles inhérentes aux effets du changement climatique. L’impact du changement climatique sur les poissons d'eau douce
Les projections pour les prochaines décennies : Truite N. Poulet - Onema Saumon A. Richard - Onema diminution de l’habitat favorable pour les espèces d’eau froide, Chevesne N. Poulet - Onema augmentation de l’habitat favorable pour les espèces d’eau plus chaude, Ces dernières années de nombreuses études scientifiques ont proposé des projections futures des populations de poissons, y compris en France. Globalement, les résultats convergent avec notamment une diminution des habitats favorables aux espèces d’eau froide comme la truite commune et inversement une augmentation des habitats favorables pour les espèces d’eau plus tempérée comme le chevesne, par exemple. Par ailleurs, les résultats suggèrent aussi une augmentation du nombre d’espèce au niveau local et plus particulièrement au niveau des cours d’eau de taille moyenne. Ces résultats sont obtenus via des modèles statistiques présentant un certain nombre de limites et il convient d’interpréter ces résultats avec un certain recul. Notamment, si les résultats en provenance de différentes études convergent, les processus en cause ne sont pas encore tout à fait élucidés. Ces études donnent donc des projections aux environs de 2070-2080, cependant… augmentation locale du nombre d’espèce Comte et Grenouillet, 2013 Buisson, 2008
Les effets du changement climatique sont déjà visibles : Truite Chevesne Les effets du changement climatique sont déjà visibles : contraction, expansion ou déplacement de l’aire de distribution selon les espèces, augmentation locale du nombre d’espèces mais diminution du nombre d’espèces dominantes … les effets du changement climatique sur les poissons de métropole sont déjà bien visibles. Des études récentes ont ainsi mis en évidence : La contraction, l’expansion ou le déplacement de l’aire de distribution selon les espèces. Si l’on reprend le cas de la truite, on observe déjà une diminution des habitats favorables (en bleu) entre les années 80 et le début des années 2000. Au contraire, on constate que les habitats favorables pour le chevesne ont augmenté. En fait, on constate que les poissons remontent en altitude de façon relativement rapide : pour la truite, cela s’accompagne d’une raréfaction de l’espèce dans les altitudes plus basses alors que pour le chevesne, il s’agit d’une colonisation. Mais malgré tout, cette vitesse de remontée qui est en moyenne de 13 m/an reste très inférieure au réchauffement climatique qui se traduit par une remontée des isothermes de 57m/an. Les poissons n’arrivent donc pas tous à suivre le changement climatique et cela a pour effet d’augmenter les risques d’extinction locale. Enfin, point important, il a été montré que les tendances observées chez de nombreuses espèces de poissons ne trouvaient pas forcément leur explication avec les modifications du climat mais plus probablement avec les pressions anthropiques s’exerçant sur les milieux aquatiques. Toujours en comparant la situation des années 80 à celle du début des années 2000, on contraste aussi une augmentation du nombre d’espèces et notamment aux altitudes moyennes. Il convient cependant d’interpréter ces résultats avec précaution. En effet, il a été montré que les extinctions se faisaient plus lentement que les colonisations. D’autant qu’il a été montré que certaines espèces persistaient dans des aires dont le climat ne leur étaient plus favorable. De fait, sur un même site, on peut voir cohabiter des espèces en voie de colonisation et d’autre en voie d’extinction donnant l’apparence d’une importante richesse spécifique alors qu’à terme, certaines espèces auront disparu. Enfin, chose que les projections futures n’avaient pas montrée, on observe une diminution de la taille moyenne des individus. Sur la figure, on voit clairement une augmentation de la part de poissons inférieur à 100mm augmenter sur les 25 années de suivi sur une station du Rhône. Sans rentrer dans les détails, cela s’expliquerait d’un point de vue métabolique, les petits individus profitant plus efficacement de la hausse de température que les petits, ce qui les rend plus compétitif que les gros. En définitif, le changement climatique est déjà à l’œuvre et son effet est bien marqué sur les poissons et il est attendu des bouleversements importants dans les années à venir. diminution de la taille individuelle Comte et Grenouillet, 2013 Daufresne et Boët, 2007
Quelles sont les actions possibles ? Avant Après H. Carmié - Onema Mesures « sans regret » visant à préserver/restaurer le fonctionnement naturel des écosystèmes et leur résilience via, p. ex. l’atteinte du bon état (DCE) Restaurer la continuité écologique, D. Bossot - Onema N. Poulet - Onema Respecter les régimes hydrologiques Est-il possible de limiter ces changements, de les atténuer ? Bien évidemment, s’attaquer aux causes du changement climatique relève plus d’actions concertées à l’échelle de la planète. Pour autant, cela signifie-t-il qu’il n’y ait aucune action à envisager au niveau local ou de considérer que ces changements interviendront quoiqu’il en soit et qu’il n’y a rien à faire ? Une des réponses possibles est de permettre aux poissons de s’adapter au mieux au changement climatique en favorisant la résilience des milieux aquatiques. Pour se faire, il convient de mettre en œuvre des mesures sans regrets qui permettront de préserver ou de restaurer le fonctionnement naturel des écosystèmes. Ces mesures correspondent à celles visant à atteindre les objectifs des différentes directives et règlements environnementaux comme la DCE, la DHFF, le plan de gestion de l’anguille, etc. Concrètement, il s’agit entre autre de : Restaurer la continuité écologique. En effet, on le sait certaines espèces de poissons ont besoin de migrer pour accomplir leur cycle de vie (en fait la majorité et pas que les amphihalins) mais il faut aussi tenir compte du fait que les obstacles à l’écoulement sont aussi des entraves empêchant les poissons d’atteindre les zones refuges. C’est d’ailleurs peut-être une des raisons qui explique que les poissons ne remontent pas assez vite en altitude. Respecter les régimes hydrologiques et maitriser les prélèvements. Il est non seulement évident que de la quantité d’eau dépend la survie des poissons mais la rythmicité des fluctuations des débits (les crues, les étiages…) conditionnent les habitats des poissons, notamment au travers du transit sédimentaire. Limiter le réchauffement des eaux est une évidence faute de pouvoir les refroidir. Pour se faire, il convient de limiter ou d’effacer les retenues d’eau ou encore de restaurer ou maintenir une morphologie naturelle des cours d’eau avec, par exemple, une ripisylve assurant l’ombrage. Le maintien de la qualité physicochimique des eaux est évidemment essentiel que ce soit en limitant la pollution organique qui influence négativement le taux d’oxygène dans l’eau (on citera par exemple des solutions techniques comme les zones de rejets végétalisés) ou en limitant les sources de micropolluants (PCB, pesticides, résidus médicamenteux…) Bien évidemment, cela ne constitue pas une liste exhaustive des actions à mener pour lutter contre le changement climatique. L’idée à retenir est d’abord que le changement climatique ne doit pas être pris comme un alibi pour ne rien faire; ensuite qu’il est essentiel de ne pas dégrader ou de restaurer le fonctionnement écologique des milieux aquatiques pour leur permettre d’atténuer autant que faire se peut les effets du changement climatique et pas que sur les populations piscicoles. Limiter le réchauffement de l’eau C. Lacourt - Onema Maintenir la qualité de l’eau
Vous pourrez retrouver l’ensemble de ces résultats et plus encore sur le « Comprendre pour Agir » « Les poissons d’eau douce à l’heure du changement climatique : état des lieux et pistes pour l’adaptation » disponible sur le site web de l’Onema.