EVALUATION DES RISQUES SANITAIRES LIES A L’UTILISATION PROFESSIONNELLE DES PRODUITS BITUMINEUX ET DE LEURS ADDIDITIFS Rapport d’expertise collective A.N.S.E.S. Septembre 2013
CONTEXTE ET OBJECTIF DE LA SAISINE DE L’A.N.S.E.S.
L’A.N.S.E.S. (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, Alimentation, Environnement, Travail) a été saisie, en date du 19 novembre 2008, par la Fédération nationale des salariés de la construction - Confédération générale du travail (FNSC-CGT) afin de synthétiser les enquêtes menées sur les produits utilisés pour la réalisation des routes et d’évaluer les risques sanitaires sur l’Homme.
Cette demande a été étendue par l’A.N.S.E.S. à tous les secteurs d’activité concernés par l’utilisation de ce type de matériau, en réalisant, ainsi, une évaluation des risques sanitaires liés à l’utilisation professionnelle des produits bitumineux et de leurs additifs.
La consommation moyenne annuelle française de bitume est estimée à plus de 3 millions de tonnes (entre 2000 et 2010), avec une part de plus de 90 % consacrée aux applications routières (majoritairement l’entretien des voies existantes), les 10 % restant concernant les applications industrielles (activités d’étanchéité et d’isolation).
De septembre 2011 à avril 2012, l’A.N.S.E.S. a procédé à de nombreuses auditions d’acteurs industriels (l’union des syndicats de l'industrie routière française (U.S.I.R.F.), l’association européenne des producteurs de bitumes (EUROBITUME), la chambre syndicale française de l’étanchéité (C.S.F.E), l’office des asphaltes, des syndicats (F.N.S.C.CGT), des organismes de prévention (La caisse d‘assurance retraite et de santé au travail (C.A.R.S.A.T.) des Pays de Loire, la médecine du travail du secteur du Bâtiment et des Travaux Publics, la faculté de médecine et santé au travail de Grenoble) ou encore des organismes techniques (l’institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (I.F.F.S.T.A.R.).
Des visites d’une centrale d’enrobage et de trois chantiers ont été organisées afin de visualiser les conditions pratiques liées à ces activités.
Plusieurs conventions de recherche et de développement (CRD) ont été contractées dans le cadre de ces travaux : avec l’Institut Universitaire Romand de Santé au Travail (IST) à LAUSANNE afin d’étudier l’interaction des H.A.P. du bitume et des ultra-violets (U.V.) sur la peau humaine et le risque de cancer de la peau. avec le centre hospitalo-universitaire (CHU) de GRENOBLE (Professeur A. MAITRE et coll.) afin d’évaluer les niveaux actuels (atmosphériques et biologiques) d’exposition professionnelle aux H.A.P. pendant la production et l’application des bitumes (routes et toitures) puis de comparer ces niveaux aux données plus anciennes publiées dans la littérature.
CONCLUSIONS DE L’A.N.S.E.S.
L’A.N.S.E.S. souligne que l’expertise a conclu à l’existence d’un risque sanitaire associé à une exposition aux liants bitumineux et à leurs émissions sans toutefois le quantifier en l’état actuel des connaissances.
EFFETS RESPIRATOIRES
exposition aigue: effets d’irritation respiratoire: irritations laryngées, pharyngées et toux. exposition chronique: -) accroissement du risque de développer un asthme ou une B.P.C.O. -) augmentation des marqueurs pulmonaires d’inflammation (interleukine 6 notamment).
EFFETS CUTANES
EFFETS NON CANCEROGENES
peu de données. Le contact de la peau avec les liants bitumineux peut provoquer une agression de type chimique: -) dans une première phase, la réaction de la peau est non immunologique, liée aux propriétés irritantes des produits considérés. -) dans une seconde phase, peuvent apparaitre des réactions de type allergique.
EFFETS CANCEROGENES
une analyse spécifique de la littérature n’a pas montré d’association statistiquement significative entre l’apparition de cancers cutanés chez les travailleurs et l’exposition aux émissions de bitumes. néanmoins, l’A.N.S.E.S. souligne qu’il n’est pas possible, en l’état actuel des connaissances, de tirer des conclusions définitives concernant l’existence ou non d’un risque cancérogène cutané en lien avec ce type d’exposition et que des données complémentaires sur cette question sont nécessaires.
concernant le risque de développement du cancer cutané en lien avec une exposition simultanée de la peau humaine aux émissions du bitume et aux rayonnements UV, aucune donnée n’a été recensée dans la littérature. les premiers résultats originaux au niveau international des travaux de recherche initiés avec l’Institut de Santé au Travail de Lausanne n’ont pas permis de conclure à l’heure actuelle.
RECOMMANDATIONS DE L’A.N.S.E.S.
évaluer la faisabilité de l’élaboration d’une proposition de classification harmonisée des bitumes selon les dispositions du règlement européen (CE) n° 1272/2008 « CLP/SGH ». développer des actions de recherche sur la question de l’existence ou non d’un risque cancérogène cutané en lien avec l’exposition aux fumées de bitume.
Importance de la mise en place d’une surveillance étroite des émissions potentiellement dangereuses générées lors des opérations de recyclage et de rabotage des anciens revêtements routiers. (dans le contexte économique actuel et dans une logique de réduction des coûts, la majorité des travaux routiers concernent aujourd’hui la rénovation et l’entretien du réseau existant).
MISE EN ŒUVRE D’UNE STRATEGIE PREVENTIVE
Les expositions professionnelles aux liants bitumineux et leurs émissions nécessitent l’organisation par l’employeur de moyens appropriés de prévention collective et individuelle. En terme de prévention en santé au travail, il est d’ores et déjà nécessaire aux vues des conclusions de l’expertise de réduire les expositions aux émissions de liants bitumineux et d’assurer un suivi médical approprié des travailleurs.
PREVENTION COLLECTIVE
encourager la mise en place sur le chantier de systèmes d’aspiration des fumées et/ou de systèmes de ventilation adéquats lors de travaux en espace confiné (tunnels, sous-sols) et préconiser l’utilisation d’engins de chantier avec systèmes intégrés de captage de fumées.
sélectionner les produits (bitumes, additifs, etc.) et procédés d’application les moins exposants (au regard des connaissances disponibles) : -) respecter les consignes de température propres à l’utilisation de chaque produit bitumineux. -) privilégier les émulsions de bitume permettant la réduction des fumées émises en travaillant « à froid » en dessous de 60°C. -) privilégier les températures d’application d’asphalte les plus faibles (inférieures à 200°C).
-) substituer les produits de nettoyage des outils et/ou des mains dangereux (par exemple les solvants de type gasoil). -) éviter de mettre en œuvre le procédé de collage au bitume oxydé fondu dans le cadre des travaux d’étanchéité et privilégier l’utilisation des membranes collées à froid (autoadhésives).
adapter l’organisation du travail : -) décaler les horaires plus tôt l’été de manière à réduire l’impact de la chaleur et minimiser la co- exposition entre le rayonnement solaire et les produits bitumineux. -) évaluer la faisabilité et la pertinence d’un système de rotation des postes de travail permettant aux travailleurs d’alterner différentes tâches.
PROTECTION INDIVIDUELLE
adapter le port des E.P.I. à la protection de la peau et de l’appareil respiratoire : -) vêtements de travail propres avec manches et jambes longues, port de visière ou lunettes, chapeau ou casque, etc… -) port de protection respiratoire en cas d’exposition potentiellement importante comme en milieu confiné ou lors des opérations de rabotage.
HYGIENE
Changement régulier ( quotidien si possible) de tous les vêtements en contact direct avec la peau, en particulier sous les vêtements de travail. Nettoyage fréquent des vêtements de travail. Faire appel à une entreprise spécialisée pour le lavage de ces vêtements dont le changement doit être fonction du degré de salissure.
Nettoyage soigneux ( avec lavage et rinçage abondant ) des parties découvertes à chaque fin de poste: prévoir sur le chantier: eau, savon adapté conforme aux normes ( NF T ), essuie-mains jetables. Douche quotidienne. Proscrire l’utilisation de solvants ou de fioul pour le nettoyage des mains.
SUIVI MEDICAL DES TRAVAILLEURS
lors de la surveillance médicale régulière des travailleurs exposés aux liants bitumineux, inclure la réalisation d’explorations fonctionnelles respiratoires et une surveillance dermatologique. Ceci implique une communication ciblée auprès des médecins du travail concernant ces éléments de surveillance complémentaires.
poursuivre et développer le suivi des expositions par métrologie et bio-métrologie afin d’assurer une traçabilité de l’exposition des travailleurs. encourager une veille active sur les effets sanitaires respiratoires mais également cardio- vasculaires, immunotoxiques, neurotoxiques, etc., en lien avec une exposition des travailleurs aux liants bitumineux.
MERCI POUR VOTRE ATTENTION