Le jugement de la nécessité d’accueil en centre d’hébergement et de réadaptation sociale par des travailleurs sociaux français : un effet paradoxal dans.

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Transcription de la présentation:

Le jugement de la nécessité d’accueil en centre d’hébergement et de réadaptation sociale par des travailleurs sociaux français : un effet paradoxal dans une situation de mise en concurrence SIMEONE, A. 1, MICHALOT, T. 2 & GARDOU, C. 2 1 Groupe de Recherche en Psychologie Sociale (EA 4163) – Université LYON 2 (FRANCE) 2 Education et Politique (UMR xx) – Université LYON 2 (FRANCE) Résultats : Des cinq facteurs présentés dans les scénarios, la plus grande amplitude de cotation est obtenue en moyenne par le facteur « Agressivité perçue » (m = 12,48 mm), suivi des facteurs « Etat d’alcoolisation apparent » (m = 11,49 mm ), « Disponibilité d’un lieu où dormir » (m = 6.21mm), « Sexe » (m = 4,89mm), et « Hygiène apparente » (m = 0,41 mm). L’analyse de variance multiple (MANOVA) appliquée aux données brutes correspondantes au plan principal (40 x 2 x 2 x 2 x 2 x 2) souligne toute fois que seuls les facteurs « Sexe » [ F (1,39) = 8,54; p<.005)], « Etat d’alcoolisation apparent » [ F (1,39) = 5,11 ; p<.05)], et « Agressivité perçue » [ F (1,39) = 7,81 ; p<.01)] présentent des effets principaux significatifs. Ainsi, une femme sera favorisée par rapport à un homme, une personne à jeun par rapport à une personne alcoolisée et une personne perçue comme paisible par rapport à une personne perçue comme agressive. Par contre, il n’y a pas d’effet significatif des facteurs « Hygiène apparente » et « Disponibilité d’un lieu où dormir ». L’analyse de variance indique aussi que deux interactions sont significatives : « Hygiène apparente » x « Etat d’alcoolisation apparent » [ F (1,39) = 7,55 ; p<.01)] et « Hygiène apparente » x « Etat d’alcoolisation apparent » x « Disponibilité d’un lieu où dormir » [ F (1,39)= 5,37 ; p<.05)]. Méthode : Elle se fonde sur la Théorie Fonctionnelle de la Cognition (Anderson, 1996), et la méthode de la mesure fonctionnelle qui lui est associée. Les participants sont 40 travailleurs sociaux, en poste dans des C.H.R.S. du sud-est de la France. A l’aide d’une échelle continue de 20 cm, ils devaient juger de la nécessité d’accueil en C.H.R.S. pour un individu fictif décrit dans un scénario. 42 scénarios (32 combinant cinq facteurs et 10 unifactoriels) sont ainsi présentés à trois reprises à l’ensemble des participants (une phase de familiarisation et deux phases expérimentales proprement dites). Ces scénarios sont élaborés à l’aide de cinq facteurs à deux modalités: le Sexe du demandeur (Homme / Femme), l’Hygiène apparente (Tenue négligée / Tenue soignée), l’Etat d’alcoolisation apparent (Alcoolisé(e) / A jeun), l’Agressivité perçue (Agressif / Paisible), et la Disponibilité d’un lieu où dormir (Logé(e) chez un tiers / Sans domicile fixe). Un questionnaire déclaratif vient compléter ce matériel. Objectif : Depuis plusieurs années, les activités des travailleurs sociaux ont connu des transformations considérables. De fait, elles les amènent de plus en plus fréquemment, non seulement 1) à réaliser une enquête sociale fondée sur des critères explicites et partagés (niveau des revenus, disponibilité ou non d’un logement, situation familiale, dettes etc.), mais aussi 2) à se faire un jugement sur la personne. Le secteur de l’hébergement et de l’insertion sociale fournit un exemple très concret de cette situation. Les Centres d’Hébergement et de Réadaptation Sociale (C.H.R.S.) sont des structures, publiques ou privées, mises en place pour accueillir, à leur demande et sur une longue durée, « les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale… » (article L345-1 du code de l’action sociale et des familles, 2002). Une de leurs principales caractéristiques est la sélection du public accueilli, ce qui les différencie radicalement de l’hébergement d’urgence, qui se définit comme un accueil inconditionnel. Ainsi, l’accès à un Centre d’Hébergement et de Réadaptation Sociale (C.H.R.S.) dépend d’une part de l’adéquation du demandeur à des critères d’admissibilité objectivables et définis par le droit (par exemple, l’absence de domicile fixe ou un niveau de revenus), et d’autre part de données plus subjectives, tels que la perception par un travailleur social d’une motivation de l’individu à se sortir d’une situation de précarité ou pour le moins d’une capacité à supporter les contraintes du centre. Le premier entretien, réalisé par un seul et unique travailleur social qui récolte les éléments décisionnels, reste de fait un moment important dans l’orientation des personnes. Ce travail d’évaluation est d’autant plus important que, d’une part les demandes d’entrées sont très supérieures aux nombres de places disponibles, et d’autre que la quasi-totalité des demandeurs répondent aux critères d’accès définis par le droit. De fait, même si la loi d’orientation de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 assure que l’accès à un logement décent et indépendant est un droit que la société doit garantir à tous, le dernier rapport de l’observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale (2004) souligne que ce droit n’a rien d’effectif. L’enquête menée par Brousse (2002a, b) observe ainsi qu’au mois de janvier 2001, adultes étaient privés d’un domicile propre et enfants de moins de 18 ans les accompagnaient, et la Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale affirme qu’il manque places en C.H.R.S. rien qu’en Ile de France (FNARS, 2003). Dans ce contexte de crise du logement, nous pouvons penser que, plus la demande est grande, plus les critères subjectifs prennent une place importante dans les choix posés, et que la formation d’impression lors du premier entretien joue un rôle capital dans l’attribution ou non de l’aide. L’existence de sélection effectuée sur la base des critères non écrits ou clairement explicités a déjà été remarquée. Par exemple, Pelège (2004) observe que les travailleurs sociaux de son échantillon répartissent empiriquement la population postulante en deux catégories distinctes : ceux qui sont qualifiés de « prêt » pour l’insertion et ceux qui sont perçus comme « pas prêts ». Cette terminologie est proche d’une classification traditionnelle auparavant constatée par Geremek (1987) : celle du pauvre « méritant » et du « non méritant ». Ce phénomène n’est pas sans conséquences pour les personnes en demande d’aide, et paradoxalement, il apparait que l’intervention sociale fragilise souvent les plus défavorisés, même si l’intervention leur est au départ destinée. Dans son ouvrage sur les Sans Domicile Fixe (SDF), Damon (2002) souligne que les actions ciblées pour les SDF ne bénéficient pas en général aux personnes les plus en difficulté mais à d’autres moins démunies. Il qualifie ce phénomène d’ « effet Matthieu ». Ce terme fait référence à une parabole paradoxale du Christ : « Car à celui qui a, l’on donnera et aura du surplus ; mais à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a ». Dans le contexte des politiques sociales, l’effet Matthieu est observé quand les résultats d’un dispositif ou d’une prestation aboutissent à donner plus à ceux qui ont déjà plus et moins à ceux qui ont déjà moins, alors qu’ils sont ciblés pour être les bénéficiaires. Il semble largement présent dans différents dispositifs d’aide aux personnes, tels que par exemple les Missions locales. Compte –tenu de l’ensemble de ces observations, la recherche présentée ici essayera d’établir 1) comment des travailleurs sociaux élaborent leur jugement de nécessité d’accès à un C.H.R.S., 2) dans quelle mesure les caractéristiques perçues ou attitudes d’une personne en demande d’aide influencent le travailleur social dans son évaluation, et 3) si la présence d’un éventuel « effet Mathieu » est observable dans les évaluations produites. Bibliographie ANDERSON N.H. (1996), A Functional Theory of Cognition, Mahwah (NH): Lawrence Erlbaum Associates Publishers. BROUSSE C., De la ROCHERE B. et MASSE E. (2002a) Hébergement et distribution de repas chauds : Le cas des sans- domicile, Paris, Insee première N° 823. BROUSSE C., De la ROCHERE B. et MASSE E. (2002b), Hébergement et distribution de repas chauds :Qui sont les sans domicile usagers de ces services, Paris, Insee Première N° 824. DAMON J. (2002), La question SDF, Paris, PUF. FNARS-IDF (2003), Les personnes hébergées en CHU d’Ile de France Profils et trajectoires, et Les personnes hébergées en CHRS d’Ile de France Profils et trajectoires, Synthèse de l’étude « une nuit donnée » enquête menée auprès des personnes hébergées en CHU. GEREMEK B. (1987), La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du moyen âge à nos jours, Paris, NRF, Gallimard. Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (2004), Le rapport , Paris, La documentation française. PELEGE P. (2004), Hébergement et réinsertion sociale : Les CHRS, Paris, DUNOD. La figure 01 présente l’interaction « Hygiène apparente » x « Alcoolisation perçue ». Les résultats moyens, et les tests de Duncan réalisés, soulignent que si une personne est perçue comme alcoolisée lors de l’entretien, alors son état apparent d’hygiène n’est pas pris en considération. Par contre, si cette personne est perçue comme étant à jeun lors de l’entretien, alors la personne avec une hygiène perçue comme négligée (119.41mm) sera jugée plus favorablement qu’une personne qui se présenterait avec une hygiène soignée (115.05mm). La figure 02 présente l’interaction « Hygiène apparente » x « Etat d’alcoolisation apparent » x « Disponibilité d’un lieu où dormir ». Les résultats moyens et les tests de Duncan effectués montrent que si une personne est perçue comme alcoolisée le jour de l’entretien, son hygiène n’est pas prise en considération et ceci quel que soit le niveau d’hébergement dont elle dispose. Par contre si la personne est perçue comme à jeun le jour de l’entretien, son hygiène ne sera prise en compte que dans le cas où elle est hébergée chez un tiers. Dans ce cas, l’apparence d’une hygiène négligée (117,46mm) sera valorisée par rapport à une personne perçue comme soignée (108,05mm). Ces interactions semblent montrer qu’un état apparent d’alcoolisation le jour de l’entretien est considérée comme un indicateur tellement négatif que les facteurs « Hygiène apparente et « Disponibilité d’un lieu où dormir » n’ont plus d’effet. Par contre, paradoxalement, une hygiène apparemment négligée sera prise en considération de manière positive si la personne est hébergée chez un tiers et qu’elle est à jeun, comme s’il fallait qu’elle ait au moins une difficulté pour justifier son intégration en CHRS. Discussion : Les résultats de cette étude indiquent que des facteurs les plus subjectifs (Etat d’alcoolisation apparent, Hygiène apparente et Agressivité perçues) sont aussi les plus pris en compte par les travailleurs sociaux pour élaborer leur jugement de nécessité d’aide, alors que le facteur le plus « objectif » (Disponibilité d’un logement) est négligé. Par ailleurs, la quasi absence d’interaction simple entre les facteurs laisse supposer que les informations mises à disposition sont intégrées sous la forme d’un modèle additif (probablement un modèle de moyenne). Enfin, les résultats des interactions semblent montrer qu’un état de grande difficulté sociale (Alcoolisation) est empêche quasiment d’accéder au dispositif d’hébergement et de réinsertion. La convergence de ces phénomènes pourrait contribuer à générer l’« effet Mathieu » supposé par Damon (2002) : en mettant en concurrence des individus classés dans une même catégorie de bénéficiaires, le dispositif de sélection laisserait de côté les plus faibles et les moins dotés. Pour tout renseignement concernant ce document, contactez le premier auteur : Arnaud SIMEONE – ISPEF Université LYON 2 Campus Berges du Rhône 86, rue PASTEUR – LYON Cedex 07 – FRANCE Courriel :