Démences vasculaires : aspects historiques

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Transcription de la présentation:

Démences vasculaires : aspects historiques Philippe ALBOU XXXVIe Journées de la SGOC Les Sables d’Olonne – 5 juin 2004

Démence : premières définitions 1801 : Pinel  Sens médical de la démence 1814 : Esquirol  Précisions de la définition Pour Pinel et Esquirol, la démence était un stade terminal commun à toutes sortes d’états : mentaux, neurologiques et organiques.

La démence au XIXe siècle Puis fragmentation de la définition : Vers 1860 : la démence n’est plus une maladie mais devient un groupe de maladies avec « affaiblissement mental incurable » Par ex : démences sénile, précoce, aigue, paralytique, apoplectique, épileptique, vésanique, etc. Les tableaux les plus fréquents sont la démence sénile et la démence paralytique, qui étaient tous les deux supposées être liées à l’obturation des vaisseaux : Par artériosclérose dans la démence sénile Par mécanisme inflammatoire dans la paralysie générale

La démence sénile selon Ball (1882) «  La grande cause de la démence sénile est, peut‑être est‑il naïf de le rappeler, la vieillesse: mais où commence la vieillesse ? C’est là un point d’une détermination difficile, car, de même qu’au point de vue organique nous avons l’âge de nos artères, au point de vue intellectuel nous avons l’âge de notre cerveau. (…) La première faculté atteinte est généralement la mémoire : une amnésie progressive est souvent un symptôme prémonitoire de la démence et peut la faire pressentir longtemps avant que les autres facultés aient subi des altérations bien appréciables (…). Cette amnésie détruit successivement le souvenir des faits récents, des idées, des sentiments et des actes. » Benjamin Ball

La paralysie générale (1) XVIIIe s. : les anglais Haslam et Perfect en rapportent quelques exemples 1820 : Georget décrit la maladie et la nomme Paralysie musculaire chronique 1822: Bayle, interne à Charenton, décrit l’arachnitis ou méningite chronique, lésion retrouvée dans cette affection 1824 : Delaye nomme la Paralysie générale

Paralysie générale (2) 1854 : Baillarger précise la clinique (paralysies progressives, délires, évolution démentielle) 1890 : elle représente 12 % des hospitalisés en psychiatrie 1913 : l’origine syphilitique, suspectée dès le milieu du XIXe siècle, est prouvée par Noguchi et Moore 1917 : traitement par la « malaria-thérapie » par Von Jauregg (Prix Nobel en 1927) Le déclin de la paralysie générale ne se réalise qu’avec le contrôle de la syphilis par la pénicilline et disparaît dans les années 1950 Jules Baillarger Von Jauregg

Evolution des conceptions (1) Les démences séniles étaient initialement considérées comme vasculaires, avec : des lésions dégénératives diffuses essentiellement corticales et plutôt antérieures et frontales (avec la connotation de la « noblesse des neurones par rapport à la substance blanche ») Les « affections neurologiques pures » comportant plutôt quant à elles des lésions focales et cortico-sous-corticales

Evolution des conceptions (2) Les conceptions commencent à être bouleversées à la charnière entre le XIXe et le XXe siècle avec : La description de démences préséniles par Binswanger (1894), Pick (1894) et Alzheimer (1907), qui ébranlait l’idée classique de la Démence sénile liée à l’âge… et aux artères Klippel et Lhermitte montrent en 1905 que 40 % des démences échappaient aux facteurs vasculaires Alois Alzheimer (1864 – 1915)

Histoire des démences vasculaires 1) La maladie de Binswanger 2) L’artériosclérose cérébrale 3) « Démences vasculaires » (Hachinski) 4) CADASIL 5) Leucoaraïose

La maladie de Binswanger (1) Otto Binswanger : 1870 à 1874 : études à Heidelberg, Strasbourg, Zurich. 1880 : psychiatre à Berlin 1887 : psychiatre à Iéna (où il soigne Nietzsche en 1889) 1894 : publication sur l’encéphalite sous‑corticale chronique progressive Otto Binswanger (1852 – 1929)

La maladie de Binswanger (2) 1894 : Binswanger évoque l’encéphalite sous‑corticale chronique progressive, à partir de huit cas, dans un article intitulé « Les limites de la paralysie générale progressive » (Die abgrenzung der allgemeinen progressiven Paralysie)

La maladie de Binswanger (3) Principaux aspects histologiques :  Atrophie de la substance blanche, parfois limitée, dans différentes régions (en particulier occipitales et temporales)  Dans les cas sévères : la totalité de la substance blanche est affectée, associée à une dilatation ventriculaire  Atteinte artérioscléreuse cérébrale sévère  Selon Binswanger : cette perte myélinique sous-corticale résulterait d’une déficience en apport sanguin liée à l’artériosclérose

La maladie de Binswanger (4) Principaux aspects cliniques : touche surtout l’homme vers 50 ans progression lente sur plus de 10 ans évolution par poussées détérioration mentale + désordres moteurs et sensitifs (aphasie, hémianopsie, hémiparésie ou hémiparesthésie) en cours d’évolution : ± crises d’épilepsie, manifestations psychiatriques, hallucinations

La maladie de Binswanger (5) Alzheimer mentionne, dès 1898,  la description de Binswanger, en précisant certains aspects : le jugement s’affaiblit de plus en plus à partir de 40 ans  les patients se paralysent peu à peu, deviennent apathiques, ont des absences de mémoire de plus en plus grandes, leur corps s’avachit, la parole et le mouvement deviennent hésitants Alzheimer crée, en 1902, le terme Maladie de Binswanger pour désigner cette atteinte vasculaire sous-corticale

L’artériosclérose cérébrale (1) Vers 1833 : le mot artériosclérose est créé par le strasbourgeois Jean-Frédéric Lobstein (qui créa aussi le mot ostéoporose… et la « maladie des os de verre ») Artériosclérose, qui signifie « durcissement des artères », est un terme générique et imprécis qui a fini par désigner au fil du temps plusieurs types de lésions :  l’artériolo-sclérose (au niveau des petites artères)  l’athérome ou athéro-sclérose (au niveau des artères de gros et de moyen calibre)  la médiacalcose (calcification de la média)

L’artériosclérose cérébrale (2) L’artériosclérose cérébrale était définie par Régis, en1906, comme étant « l’ensemble des troubles psychiques qui relèvent de la dénutrition chronique et progressive de l’encéphale et particulièrement du manteau cortical » Elle peut être secondaire aux : artériopathies scléreuse, athéromateuse, graisseuse intoxications chroniques externes (alcoolisme, saturnisme, etc.) intoxications chroniques internes (arthritisme, diabète, goutte, etc.) infections chroniques (syphilis, tuberculose, etc.) à la sénilité

L’artériosclérose cérébrale (3) Toujours selon Régis (1906) l’artériosclérose cérébrale peut se présenter sous deux formes : Formes légères avec : céphalées, vertige, somnolence diurne, insomnie nocturne, troubles de mémoire, adynamie, hyper-émotivité, irritabilité, tristesse Formes graves : « Dans les formes graves décrites par Alzheimer sous le nom de dégénération artérioscléreuse grave progressive, et d’encéphalite chronique sub-corticale (Binswanger), aux troubles psychiques précédents s’en ajoutent d’autres, plus marqués : apathie, stupeur, agitation motrice, accès de confusion mentale hallucinatoire, parfois même démence. »

Les « démences vasculaires » (1) L’idée de l’origine vasculaire de la démence sénile perdura chez les médecins praticiens, jusque vers les années soixante, avec l’utilisation courante de termes tels que démence artériopathique ou encore insuffisance vasculaire cérébrale, alors même que : plusieurs études avaient établi que « les lésions d’artériosclérose n’étaient pas significativement différentes entre les sujets déments et les sujets témoins »  et que l’atteinte corticale était désormais reconnue comme prééminente dans la Maladie d’Alzheimer, tout autant que dans la Démence sénile de type Alzheimer.

Les « démences vasculaires » (2) Pour Hachinski en 1974 : « L’expression calcification des vaisseaux du cerveau pour décrire la déchéance mentale est sans doute l’une des erreurs les plus fréquentes que l’on rencontre dans le diagnostic médical » Alors que l’actualité était dévolue aux discussions autour de la nature de la maladie d’Alzheimer (et son « extension » aux formes séniles), Hachinski développa en 1974 la notion de Démence par infarctus multiples tout en proposant l’échelle qui porte son nom (échelle adaptée par Loeb et Gandolfo, en 1983, après l’avènement du scanner) Vladimir Hachinski

Les « démences vasculaires » (3) A noter une perplexité des praticiens à la fin du XXe siècle : « Si des lacunes multiples peuvent ne pas entraîner de démence, un infarctus cérébral de localisation thalamique ou frontale peut en être responsable. (…) Le diagnostic de démence vasculaire peut ne pas être évident s’il n’y a pas d’antécédent vasculaire. » « L’examen TDM est utile s’il visualise des images d’infarctus, mais les hypodensités périventriculaires de la leucoaraïose n’ont guère de valeur, car on les retrouve également dans 1/3 des cas de maladie d’Alzheimer et 10 % des sujets sains. Le diagnostic des démences mixtes, difficile cliniquement, n’est souvent fait qu’à l’examen anatomopathologique post-mortem. » (citations de Denise Strubel, in Gérontologie, Sauramps,1992)

Les « démences vasculaires » (4) Le domaine des « démences vasculaires » a été marqué, dans les quinze dernières années, par l’apparition de deux éléments tout à fait nouveaux :  la preuve, apportée en 1993, de l’origine génétique d’un type particulier de démence vasculaire : le CADASIL  développement de l’IRM et meilleure visualisation de la leucoaraïose (du grec leuko, «blanc» et araios «raréfaction»)

CADASIL (1) 1951 : Mutrux observe, au sein d’une même famille, des lésions cérébrales attribuées à une artériosclérose ; 1955 : Van Bogaert décrit les constatations neuropathologiques chez deux sœurs âgées de 37 et 47 ans, atteintes « d’encéphalopathie sous-corticale de Binswanger » A partir de 1970 : de nombreux cas similaires furent décrits. Au total, plusieurs centaines de familles furent identifiées, d’abord en Europe, puis en Afrique, en Asie et en Amérique

CADASIL (2) Plusieurs dénominations furent proposées :  Autosomal dominant syndrome with stroke‑like épisodes and leukoencephalopathy » (Tournier-Lasserve, 1991) Autosomal dominant leukoencephalopathy and subcortical ischemic strokes » (Boudrimont, 1993). CADASIL (Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Sub­cortical Infarcts and Leukoencephalopathy), proposé par Tournier-Lasserve, en 1993, à l’occasion de la localisation génétique de l’affection (chr. 19) et qui fut finalement adopté par tous.

« Histoire naturelle » du Cadasil

Exemple d’arbre généalogique CADASIL (4) Exemple d’arbre généalogique

Leuco-araïose (1) 1987 : Hachinski observe, sur le scanner de certains sujets âgés et/ou déments des hypodensités diffuses de la substance blanche hémisphérique, qu’il nomme leucoaraïose. Trois faits seront rapidement établis :  le scanner, puis l’IRM, ont montré que ces modifications (considérées comme spécifiques de la « Maladie de Binswanger ») étaient très fréquentes chez les sujets âgés seule une partie des patients présentant une leucoaraïose sont hypertendus des anomalies comparables sont fréquemment trouvées chez des sujets sains âgés et dans la démence de type Alzheimer

Leuco-araïose (2) Nouvelles données depuis 1987 : la leucoaraïose est bien visible en IRM (en séquence pondérée en T2) elle correspond à une micro-angiopathie sous-corticale et serait due à une atteinte des perforantes vascularisant la substance blanche, entraînant un hypodébit du lit d’aval Les facteurs de prédisposition sont : l’âge, l’HTA et les autres facteurs de risque cardio-vasculaires Si la physiopathologie des lésions de leucoaraïose est encore mal comprise, de nouvelles techniques devraient pouvoir nous éclairer dans l’avenir à la fois sur ses mécanismes sous-jacents et sur sa valeur pronostique

Leuco-araïose (3) Etat actuel de la question (Fredy et al., 2001) :  Les corrélations cliniques de la leucoaraïose ont fait l’objet de nombreuses études « dont les résultats sont restés assez flous et controversés car la leucoaraïose et les facteurs de risque vasculaires sont volontiers intriqués. ».  La présence d’une leuco-araïose « n’est pas aussi anodine qu’on le supposait »  Il pourrait exister « un continuum entre les formes asymptomatiques (purement radiologiques) et la maladie de Binswanger qui constituerait la forme extrême de cette micro-angiopathie touchant la substance blanche. »

Quelques réflexions pour conclure (1)  Depuis l’avènement du scanner et de l’IRM, nous redécouvrons donc les pathologies de la substance blanche, et… la maladie de Binswanger !  Les nouveaux types d’exploration (comme par exemple le PET-scan) vont permettre de mieux visualiser les hypo-perfusions localisées et donc, indirectement, les aspects fonctionnels du système vasculaire.

Réflexions pour conclure (2) Nous sommes en train de passer de l’image d’un cerveau isolé de sa circulation… à celle, en fin de compte, d’une circulation isolée de son cerveau…

Réflexions pour conclure (3) Après avoir été le domaine réservé des psychiatres (au XIXe siècle), puis celui des neurologues (au XXe siècle), l’approche des démences sera-t-elle gériatrique au XXIe siècle avec le retour vers la clinique et les questions pratiques de prise en charge... c’est-à-dire finalement une approche de la personne démente quel que soit son cerveau et quelle que soit sa circulation ?