Physiologie du sommeil : applications à la médecine du travail Dr Régis LOPEZ Praticien hospitalier Unité des troubles du sommeil, CHU Gui de Chauliac Montpellier Centre de référence national Narcolepsie – hypersomnie idiopathique Unité INSERM 1061
L’organisation du sommeil 50% 20% 25% 5% Sommeil Lent Sommeil paradoxal Récupération physique, sécrétion d’hormones pensées Mémoire Rêve Tonus musculaire absent Tonus musculaire présent
L’organisation du sommeil 1er cycle 2ème cycle 3ème cycle 4ème cycle 23h 7h
Régulation veille-sommeil
Pourquoi a-t-on envie de dormir le soir ?
Modélisation du besoin de sommeil Modèle à 2 processus : Borbely 1982 Processus S (homéostatique) = pression de sommeil Processus C (circadien) = horloge biologique
Homéostasie du sommeil = Propension à s’endormir au cours du nycthémère en fonction des besoins de sommeil individualisés par la pression de sommeil La propension au sommeil augmente progressivement durant la veille et diminue durant le sommeil
Régulation homéostasique 6h 18h 6h 18h
Processus homéostatique L’activité à ondes lentes = Reflet de la profondeur du sommeil Dynamique de l’activité à ondes lentes au cours de la nuit Expérimentations : Privation de sommeil : Augmentation de l’activité à ondes lentes fonction de la durée veille précédant le sommeil de récupération Siestes : Plus d’AOL sur siestes de fin de journée vs matin Plus d’AOL sur sieste faisant suite à nuit courte Le sommeil lent est majoritairement déterminé par le processus homéostatique
Adénosine et homéostasie Produite par la dégradation de l’AMP (adénosine monophosphate) Plus le neurone est actif, plus il produit d’adénosine Inactivation : Incorporation dans l’AMP Dégradation par l’adénosine déaminase (ADA) Récepteurs : A1 : Action inhibitrice (largement réparti) A2 : Action excitatrice (NGC, VLPO) Caféine et théophylline sont des antagonistes A1 et A2
Système circadien 2 propriétés fondamentales caractérisent l’activité de l’horloge circadienne : La rythmicité de son activité est endogène et proche de 24h. Elle est sous-tendue par des boucles d’autorégulation positive et négative reposant sur l’activité rythmique d’une dizaine de gènes horloge (via la synthèse d’ARNm et de protéines) Elle doit être synchronisée, c’est à dire « remise à l’heure », par des synchroniseurs externes Noyaux supra-chiasmatiques
Système circadien Fonctions contrôlées par l’horloge Humeur Activité motrice Performances cognitives Mémoire SNA Sommeil Hormones Cycle cellulaire
Système circadien Anatomie des horloges Noyaux suprachiasmatiques = Horloge centrale = Chef d’orchestre Horloges périphériques cellulaires
Système circadien Bases moléculaires de la rythmicité circadienne Les protéines BMAL1 et CLOCK forment un hétérodimère qui active la transcription de gènes horloge : PER CRY RORγ REV-ERBα Lorsque les protéines PER et CRY s’accumulent jusqu’à un niveau critique, elles forment un complexe avec le dimère BMAL1-CLOCK et inhibent alors leur propre transcription Boucle additionnelle : RORγ = Inhibe transcription BMAL1 REV-ERBα = Active transcription BMAL1
Système circadien Bases moléculaires de la rythmicité circadienne
Système circadien Période endogène = Période de l’horloge en dehors de toute influence environnementale 24,2h en moyenne 95% entre 23h30 et 24h30 75% >24h et 25%<24h L’horloge a besoin en permanence d’être synchronisée sur les 24h
Système circadien Les synchroniseurs = Zeitgebers Synchroniseur photique = Alternance lumière/obscurité Synchroniseurs non photiques : Prise alimentaire Activité physique Rythmes sociaux Mélatonine
Système circadien Les synchroniseurs = Zeitgebers Rythmes sociaux Alimentation Activité physique Epiphyse = mélatonine NSC Information photique
Système circadien Photoréception circadienne 2 types de photorécepteurs : Rétine externe (cônes et bâtonnets) Rétine interne (cellules ganglionnaires à mélanopsine) 2 types de voies : Voie visuelle = conduit à la formation et la perception des images Corps genouillé latéral Cortex visuel occipital Structures d’analyse de l’image (voies dorsales et ventrales) Voie non visuelle = impliquée dans les mécanismes de synchronisation de l’horloge circadienne NSC VLPO
Système circadien Photoréception circadienne
Système circadien Photoréception circadienne L’effet de la lumière dépend de son intensité et de la durée d’exposition = l’exposition lumineuse nocturne pendant 6,5h à 10000 lux entraîne un retard de sécrétion de la mélatonine de 2h (indétectable à 10 lux, 1h à 100 lux)
Système circadien Photoréception circadienne L’effet de la lumière dépend de sa couleur = Le système circadien est maximalement sensible à une lumière de couleur comprise entre 460-480 nm (lumière bleue) L’effet de la lumière dépend de l’heure à laquelle elle est perçue :
Système circadien La mélatonine
Système circadien La mélatonine La détermination du profil plasmatique de mélatonine constitue le résultat le plus précis. Les dosages de l’aMT6s pratiqués sur les urines fractionnées (tranches de 4h) recueillies en ambulatoire Les dosages de mélatonine dans la salive sont les plus faciles à mettre en œuvre : Délai de sécrétion de la mélatonine (DLMO) : Dosages de la mélatonine salivaire toutes les heures entre 21h et 1h DLMO calculé entre le prélèvement supérieur à 3 pg/ml et le précédent
Système circadien La mélatonine
Système circadien Interaction NSC - épiphyse Epiphyse = glande pinéale NSC Ganglions cervicaux supérieurs Neurones sympathiques préganglionnaires
Système circadien Effets de la mélatonine Fonctions supérieures Synchroniseur du NSC Température Sécrétions hormonales Immunité
Régulation circadienne du sommeil 6h 18h 6h 18h
Interaction entre processus homéostasique et circadien 6h 18h 6h 18h
Autres facteurs influençant la propension au sommeil Processus ultradien : Baisse de la vigilance toutes les 90 minutes environ Organisation des cycles de sommeil Baisse de la vigilance vers 14h Inertie du sommeil : La propension au sommeil reste forte après le réveil du matin
Faire une sieste de 2h dans l’après-midi 6h 18h 6h 18h
Faire une sieste de 2h dans l’après-midi 6h 18h 6h 18h
S’exposer fortement à la lumière en fin de journée et en soirée 6h 18h 6h 18h
S’exposer fortement à la lumière en fin de journée et en soirée 6h 18h 6h 18h
Se rendre à Los Angeles en avion 6h 18h 6h 18h 6h 18h
Se rendre à Los Angeles en avion Phase de décalage horaire 6h 18h 6h 18h 6h 18h
Se rendre à Los Angeles en avion Phase de recalage 6h 18h 6h 18h 6h 18h
Diminuer fortement son activité physique diurne 6h 18h 6h 18h
Diminuer fortement son activité physique diurne 6h 18h 6h 18h
La somnolence
À 22 h 55, le Californian, alors pris dans la glace à 20 milles (environ 36 km) au nord du Titanic, envoie un message à tous les navires alentour, parmi lesquels le Titanic : à bord de ce dernier, Jack Phillips l'interrompt en lui demandant de se taire, ce qui pousse son correspondant à couper sa radio pour se coucher.
Catastrophes survenues de nuit et attribuées à des erreurs humaines Bhopal (Inde) Tchernobyl (Ukraine) L'expérience était initialement prévue dans la journée du 25 avril, mais une autre centrale électrique tomba en panne et le centre de régulation de Kiev demanda de retarder l'expérience car son énergie était nécessaire pour satisfaire la consommation électrique de la soirée. À 23 h 04, le centre de régulation de Kiev donna l'autorisation de reprendre l'expérience. L'accident s'est alors produit à la suite d'une série d'erreurs commises par les techniciens de la centrale en supprimant sous les ordres de leur supérieur, plusieurs sécurités. Three mile Island (USA)
Somnolence ? Besoin excessif de dormir Ce n’est pas : La fatigue : Sensation d’affaiblissement physique ou psychique, survenant le plus souvent à la suite d’un effort et qui en impose l’arrêt, réversible au moins partiellement avec la mise au repos La clinophilie : Rester allongé la journée en étant éveillé
Les mesures de la somnolence C’est une notion difficile à obtenir car sa mesure est complexe Deux types d’évaluation de la somnolence : Mesures subjectives Mesures objectives
Mesures subjectives de la somnolence 3 principaux outils : Echelle de somnolence d’Epworth Karolinska Sleepiness Scale (EVA à l’instant) Stanford Sleepiness Scale
Au cours du dernier mois
Echelle de somnolence d’Epworth Score établi sur 24 Un score supérieur à 10/24 indique une somnolence diurne excessive (SDE) Un score supérieur à 15/24 témoigne d’une SDE sévère
SDE : évaluation clinique Une évaluation en premier lieu clinique : Sévérité Retentissement Caractéristiques (guide la démarche étiologique)
SDE : évaluation clinique Circonstances initiales et modalités d’installation de la SDE Horaires de survenue de la SDE : Continue Fluctuante Amélioration progressive / aggravation progressive Accès de sommeil diurnes : Nombre d’accès par jour Caractère irrépressible Durée Caractère rafraichissant Circonstances de survenue (inactivité / activité) Activité onirique
SDE : évaluation clinique Qualité du réveil le matin : Sensation de sommeil réparateur ou non Inertie du réveil Retentissement : Fonctionnel Risque accidentogène Sommeil de nuit : Horaires Nombre d’éveil
SDE : démarche étiologique Cause iatrogène / toxique Prise de psychotropes, antiépileptiques, antihistaminiques, antalgiques opioïdes Prise de cannabis / OH / opioïdes Sevrage de cocaïne, amphétamines, caféine Cause médicale Traumatisme crânien Maladies neurologiques (Parkinson, Steinert, SEP) MNI Cause psychiatrique Dépression ++ (sujet jeune / femme / dépression saisonnière / dépression du trouble bipolaire)
SDE : démarche étiologique Insuffisance de sommeil = privation chronique de sommeil Somnolence volontiers plus forte en fin de journée Signes fonctionnels divers, notamment cognitifs En deçà de combien d’heures de sommeil considère-t-on qu’un sujet est en privation de sommeil ?
Exemple d’agenda de sommeil = Privation de sommeil
Aller plus loin ? En l’absence de facteurs étiologiques cliniques évidents, il va être important de s’intéresser au sommeil de nuit
Syndrome d’apnées du sommeil Indices cliniques Terrain (surpoids, rétromandibulie, benzodiazépines) Symptômes diurnes : SDE Céphalées matinales Troubles cognitifs Diminution de la libido Irritabilité Symptômes nocturnes : Ronflement / pauses respiratoires observées Polyurie Hypersalivation Sueurs nocturnes
Syndrome d’apnées du sommeil Confirmation diagnostique Pour des raisons d’accessibilité = polygraphie ventilatoire à domicile (polysomnographie en laboratoire de sommeil) SAS = IAH >5/h de sommeil Léger 5-15/h Modéré 15-30/h Sévère > 30/h 2 mécanismes (obstructif / central)
Reconsidérer le diagnostic de SDE Et si c’est pas un SAS ? Reconsidérer le diagnostic de SDE
Narcolepsie cataplexie Aspects cliniques : Tétrade narcoleptique: Somnolence diurne irrésistible Accès de cataplexie Hallucinations hypnagogiques Paralysies du sommeil Sommeil de nuit perturbé… mais restaurateur Epidémiologie 0,03 à 0,06% de la population (25000 en France) Début 2° et 3° décennies et stabilité au fil des ans Sex ratio M/F : 1/1 facteurs précipitants immunologiques (H1N1)
Narcolepsie cataplexie Diagnostic : Tests itératifs de latence d’endormissement Typage HLA : DQB1*0602 dans 98% des cas (attention >20% en population générale) Dosage de l’hypocrétine / Orexine (LCR) : effondré Traitement (purement symptomatique) : SDE : Psychostimulants (Modafinil, méthylphénidate) Cataplexies : antidépresseurs (venlafaxine), GHB
Mesures objectives de la somnolence (TILE) = Tests itératifs de latence d’endormissement (TILE) Test réalisé à visée DIAGNOSTIQUE, réalisés sans traitement pour objectiver la plainte de somnolence Mesure la propension à s’endormir
Mesures objectives de la somnolence (TILE) 5 tests diurnes réalisés après une polysomnographie 9h, 11h, 13h, 15h, 17h Le sujet est invité à tenter de s’endormir / ne pas résister au sommeil Durée : 20 minutes si le sujet ne s’est pas endormi ou 15 minutes après l’endormissement Mesures : Latence d’endormissement Délai d’apparition du sommeil paradoxal
Mesures objectives de la somnolence (TILE) Valeurs normatives : > 10 minutes : normal < 8 minutes : pathologique Une latence < 8 minutes + 2 tests avec sommeil paradoxal = Narcolepsie
Mesures objectives de la somnolence (TME) = Tests de maintien de l’éveil (TME) Test réalisé afin de contrôler l’efficacité d’une prise en charge de la somnolence Mesure la capacité du sujet à résister au sommeil
Mesures objectives de la somnolence (TME) 4 tests diurnes réalisés après une polysomnographie 10h, 12h, 14h et 16h Conditions standardisées : Sujet en position demi allongée Faible exposition lumineuse / 22°C Le sujet ne doit pas se stimuler Durée : 40 minutes si le sujet ne s’est pas endormi ou Arrêt du test immédiatement après l’endormissement Mesures : délai d’endormissement
Mesures objectives de la somnolence (TME) Valeurs normatives : < 19 minutes = pathologique Seul test objectif de somnolence qui a une implication médicolégale.
Aspects médico-légaux Arrêté du 21 décembre 2005 fixant la liste des affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée (6 mois). - La reprise de la conduite peut avoir lieu un mois après l’évaluation de l’efficacité thérapeutique (pression positive continue, chirurgie, prothèses, drogues éveillantes, etc.). Cette reprise sera proposée à l’issue d’un bilan clinique spécialisé et test électroencéphalographique de maintien de l’éveil (voir préambule). - Compatibilité temporaire de six mois. - Incompatibilité tant que persiste une somnolence malgré le traitement. L’évaluation clinique doit être complétée, dans ce cas, par un test électro-encéphalographique de maintien de l’éveil. - Avis spécialisé pour une éventuelle autorisation de la conduite nocturne. - Les risques additionnels liés aux conditions de travail seront envisagés avec la plus extrême prudence. - La reprise de la conduite pourra avoir lieu un mois après l’évaluation de l’efficacité thérapeutique (pression positive continue, chirurgie, prothèse, drogues éveillantes,...). Cette reprise sera proposée à l’issue du bilan spécialisé (voir préambule). - Compatibilité temporaire de un an. - Incompatibilité tant que persiste une somnolence malgré le traitement. Nécessité de l’avis du médecin ayant pris en charge le traitement de la somnolence, qui décidera des investigations nécessaires. 4.3.1. Somnolence excessive d’origine comportementale, organique, psychiatrique ou iatrogène. 4.3 Troubles du sommeil GROUPE LOURD GROUPE LÉGER
Sommeil et travail posté
Conséquences physiologiques du travail posté Le travail posté, de nuit n’est pas physiologique mais l’adaptation est liée à l’équilibre entre 3 facteurs. Facteurs chronobiologiques Facteurs domestiques Facteurs sommeil Si l’équilibre est rompu, il y a désadaptation
Facteurs chronobiologiques d’adaptation Chronotype « du soir » plutôt que « du matin » = Questionnaire de Horne et Otsberg Une plus grande adaptabilité de l’horloge biologique (Sujets jeunes > sujets âgés)
Facteurs sommeil d’adaptation Qualité du sommeil de base Courts dormeurs plutôt que longs dormeurs Capacité de récupération de dette de sommeil (sujets jeunes > sujets âgés)
Facteurs domestiques d’adaptation Vie et contraintes familiale Vie et contraintes sociales Environnement de sommeil propice (lumière, bruit, température)
Risques pathologiques liés au travail posté Tout type de travail de nuit ou de travail posté a des conséquences sur l’horloge biologique, avec : Troubles du sommeil et de la vigilance Risque accidentel Risque cardio-vasculaire Troubles métaboliques Risques de cancer Risques en terme de santé mentale
Travail posté et troubles du sommeil Difficultés d’endormissement (après poste de nuit) Réveil trop précoce (après poste du matin) Privation chronique de sommeil (après poste de nuit) = en moyenne réduction d’une heure de sommeil (4 nuits perdues par mois) Modifications de la proportion des stades de sommeil lent profond ou de sommeil paradoxal Fractionnement du sommeil diurne
Rôle du médecin du travail ? Repérer les sujets potentiel de désadaptation Repérer les sujets désadaptés Dépister les conséquences du travail posté et de nuit
Repérer la désadaptation Evaluer les rythmes et le temps de sommeil du sujet : Agenda de sommeil sur 3 semaines En condition de travail, en vacances Evaluer le chronotype du sujet : Questionnaire d’Horne et Otsberg Evaluer la somnolence Echelle d’Epworth Evaluer cliniquement les problèmes préalables de sommeil (insomnie, SAS …)