Altruisme et égoïsme (SSH5501, 2e séance) Photos: Olivier Culmann, Télé-Spectateurs

Plan de la séance Singer et la charité Une moralité non humaine? La psychologie morale D’où vient notre sens moral? L’expérience de Milgram et le situationnisme

Le dilemme de l’enfant de Singer Astra Taylor: Examined life (2008)

L’argument (rationnel) de Singer pour la charité 1) Les souffrances et les morts causées par la faim, l’absence de logement et de soins médicaux sont déplorables. 2) Si nous sommes en mesure d’empêcher que se produise une tragédie, sans rien sacrifier de presque aussi important pour soi, il est déplorable de ne pas le faire. 3) En donnant aux organisations caritatives, on peut empêcher les souffrances et les morts causées par la faim, l’absence de logement et de soins médicaux sans rien sacrifier de presque aussi important. En conséquence, le fait de ne pas donner aux organisations caritatives est tout à fait condamnable. Quel principe moral ancestral renforce l’argument? La règle d’or: “Traite autrui comme tu voudrais qu’on te traite.”

Pourquoi ne donne-t-on pas plus? Sommes-nous naturellement égoïste? Pas forcément: Cinq facteurs expliquent que nous ne donnions pas davantage: 1) Les victimes de la pauvreté ne sont pas identifiables (≠ Jessica qui suscite l’émotion) 2) Elles n’appartiennent pas à notre « tribu » = esprit de clocher: tsunami (2004) vs Katrina (2005 + sentiment d’une goute d’eau dans l’océan (biais de proportion) « Si je considère la masse, je n’agirai jamais. Si je regarde l’unique j’agirai. » Mère Teresa

(suite) 3) Le nombre de donateurs potentiels dilue notre sens de la responsabilité (cf. Kitty Genovese et l’effet témoin indifférent) 4) Nous trouverions injuste d’être les seuls à donner 5) Penser à l’argent nous rend moins coopératif, plus distant, moins serviable et généreux ATTENTION: Ces cinq points sont des explications, pas des justifications « L’évolution n’a pas de sens moral. Une vision évolutionniste de la nature humaine peut expliquer les instincts différents qui nous animent devant un individu, une multitude ou devant un groupe proche par rapport à un groupe éloigné, elle ne les justifie pas pour autant. » Peter Singer

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La théorie de l’évolution Charles Darwin, 1809-1882 1. Principe de variation Dans toute population, il se produit des mutations génétiques aléatoires, pouvant s’exprimer par des traits phénotypiques particuliers chez les individus porteurs de ces gènes mutants. 2. Principe de sélection Les individus porteurs de traits favorables par rapport au milieu de vie bénéficient d’un plus grand succès reproducteur au sein de leur population. 3. Principe de spéciation La scission d’une population en deux sous-populations isolées conduit au fil des générations à l’incompatibilité sexuelle entre ces sous-populations. (Donnant ainsi naissance à une nouvelle espèce.) Le concept de sélection sexuelle désigne le processus selon lequel la compétition entre les individus en vue de l'accouplement est un facteur de l'évolution de certains traits héréditaires. Il s'agit d'une compétition intraspécifique (entre individus d'une même espèce) et sexe-dépendante (elle s'exerce différemment sur les individus mâles et femelles d'une même population). La sélection sexuelle permet, par exemple, d'expliquer : * des phénomènes d'apparence contraire aux nécessités de survie, comme la queue majestueuse du paon * la variété de la faune des Galapagos, où existaient peu de prédateurs ; en un tel cas, la sélection de reproduction prend le pas sur la sélection de survie et peut conduire à l'émergence de nouvelles espèces par spéciation sympatrique * le dimorphisme sexuel, c'est-à-dire les différences qui existent entres les mâles et les femelles d'une même espèce Variations aléatoires + Contraintes de l’environnement = sélection écologique (lutte pour la survie) Sélection naturelle Contraintes interspécifiques liées à l’accouplement = sélection sexuelle (lutte pour la reproduction)

L’altruisme est-il naturel? Les fourmis se sacrifient pour leurs congénères = altruisme de parentèle Car ce sont les gènes et non les individus qui se répliquent Les chauves-souris vampires donnent du sang = altruisme réciproque C’est une stratégie gagnante à long terme car elles vont recevoir des dons en retour La tendance à mettre sa vie en danger pour sauver celle d'autrui ne risque-t-elle pas d'être rapidement éliminée par la sélection naturelle ? Franz de Waal

Un désintéressement naturel? Mozu, femelle macaque du japon, handicapée, est morte de vieillesse Restes fossiles d’infirmes humains La survie des moins aptes indique peut-être une forme de respect de l’autre Pourquoi faudrait-il que notre méchanceté soit le legs de notre passé simiesque et notre bonté, une caractéristique exclusivement humaine? Pourquoi ne pas chercher une continuité avec les autres espèces animales également au niveau de nos traits « nobles». S.J. Gould

La morale est-elle le propre de l’homme? Les grands singes (chimpanzé, bonobos) sont capables: d’empathie de suivre des règles sociales de résoudre des conflits On peut parler de proto-morale J'hésite certes à qualifier d'«êtres moraux» les membres d'autres espèces que la nôtre, mais je crois que nombre de sentiments et d'aptitudes cognitives qui sous-tendent la morale existaient déjà avant notre apparition sur cette planète. Franz De Waal.

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Qu’est-ce que la psychologie morale? C’est l’étude (descriptive et non prescriptive) du jugement et du comportement moral des gens. Quel est le rôle des émotions ou de la raison dans nos intuitions morales? Comment les enfants développent-ils un sens du bien et du mal? Pourquoi il arrive que, bien que nous sachions ce que nous devrions faire, nous ne le faisons pas (acrasie)? Que se passe-t-il dans la tête d’un psychopathe? Etc.

Quand comprend-t-on les normes morales? Expériences d’Elliot Turiel « Si le professeur autorisait qu’on porte une casquette en classe, est-ce que ce serait correct? » « S’il autorisait qu’on tire les cheveux, est-ce que ce serait correct?» Dès 4 ans, les enfants font la différence entre une norme morale et une norme conventionnelle = sens moral

Le dilemme de Heinz (Lawrence Kohlberg, 1963) En Europe, une femme était sur le point de mourir d’un cancer. Il existait un médicament qui pourrait la sauver, selon les docteurs. C’était une forme de radium qu’un pharmacien de la ville venait de découvrir. Le médicament était couteux à fabriquer, mais le pharmacien le vendait dix fois plus cher que son prix de revient. Il payait 200$ pour le radium et vendait 2000$ une petite dose de médicament. Le mari de la femme malade, Heinz, alla voir tous les gens qu’il connaissait pour emprunter de l’argent mais il ne réussit qu’à réunir environ 1000$, soit la moitié du prix. Il expliqua au pharmacien que sa femme était mourante et lui demanda de payer à crédit. Mais le pharmacien répondit : « non, j’ai découvert ce médicament et j’ai l’intention de faire de l’argent avec ». Alors, Heinz, désespéré, s’introduisit par effraction dans la pharmacie et vola le médicament pour sa femme. Le mari aurait-il dû agir ainsi ?

Les stades du développement moral de Kohlberg Niveau stade Age moyen description Pré-conventionnel 1- hétéronome 2- instrumental et individualiste 2-6 ans 5-9 ans Éviter la punition en obéissant aux autorités Recherche de l’intérêt personnel Conventionnel 3- normatif et interpersonnel 4- système social 7-12 ans 10-15 ans Préserver les règles/conventions du groupe Se conformer aux règles/conventions de la société Post-conventionnel 5- Droits humains et bien commun 6- principes universels dès 12 ans certains adultes Recherche de consensus librement choisi Suivre des principes moraux universels 1-

Qu’en disent les neurosciences? L’accident de Phinéas Gage (1848). Son attention, sa mémoire, sa perception sont intactes. Mais son comportement est altéré: il devient impulsif, irrévérencieux, grossier, formant des projets sans les suivre. Antonio Damasio parle de « sociopathie acquise », due à une lésion du cortex préfrontal (VMPFC) = zone liée aux émotions Les psychopathes comprennent les normes morales, mais ils ne ressentent pas d’empathie, de culpabilité ou de remord et leurs émotions sont superficielles. Le modèle de Kohlberg sous-estime le rôle des émotions dans nos réactions morales (intuitives ou rationnelles)

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Qu’est-ce que la psychologie évolutionniste? La psychologie évolutionniste est une approche de la psychologie dans laquelle les découvertes et les principes de la biologie évolutionniste sont utilisés pour découvrir la structure de l’esprit humain. Leda Cosmides & John Tooby. Le cerveau est un organe comme les autres. Il s’est adapté à son environnement (celui de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs). Exemple de la jalousie Notre esprit est en partie modulaire (J. Fodor) = mécanismes cognitifs spécialisés Illusions optiques et modules visuelles. Peur des araignées, des serpents. Y a-t-il des modules moraux? Par exemple, la différence dans le mode d'expression de la jalousie chez les hommes et les femmes sera expliquée par leur mode de reproduction respectif. Si les hommes sont plus sensibles à l'infidélité sexuelle de leur compagne qu'à son infidélité affective, c'est parce qu'un mâle n'est jamais assuré d'être le véritable géniteur de sa compagne. Cette forme de jalousie masculine a donc été sélectionnée par l'évolution. Par contre, la jalousie féminine est plutôt de nature émotionnelle : car l'infidélité affective de leur compagnon aurait des conséquences plus graves qu'une infidélité sexuelle : elle risque d'être délaissée, seule responsable de l'éducation de ses enfants. Modules are neural structures comprised of organised connections of brain neurons that “determine how the brain processes information” (Cosmides & Tooby, 1997). Each module metaphorically contains an algorithm (ie a set of instructions, or “rules”, or a “computer program”) that that enable it to perform a domain-specific function such as interpreting visual information (ie eyesight), auditory information (hearing) and emotions (Langs,1996,p.103). Furthermore each module functions as an independent domain-specific “computational unit” (Osaka, 2003, p.70) L ‘existence de modules moraux, par exemple un module altruiste paraîtrait bizarre: cela va à l’encontre du dessein de l’évolution: propager les gênes de l’individu.

Pourquoi l’évolution a-t-elle sélectionné une disposition morale? L’hypothèse « mutualiste » de Nicolas Baumard: Les groupes humains ont besoin de résoudre des problèmes d’action collective Pour cela, leurs membres doivent coopérer (= il y a un avantage évolutif à coopérer) La coopération est efficace si on est capable de repérer les tricheurs Et si on se comporte soi-même de façon honnête et altruiste Les individus qui seront perçus comme coopératifs seront davantage recrutés et ils auront un meilleur statut = bon pour la propagation des gènes Mais les individus qui se sacrifient trop (hyper-altruiste) pourront, eux, être désavantagés. Réponse déiste: parce que Dieu nous l’a dit. Problème d’action collective: il faut coopérer pour pousser le tronc d’arbre qui bloque l’accès à la grotte. Accords mutuellement avantageux. Mon intérêt individuel, c’est plutôt de faire semblant de pousser et de laisser les autres s’épuiser (j’aurais plus de chance de me reproduire si je suis en forme). Norme de conduite: ne pas faire semblant de pousser, respecter le contrat, ne pas mentir, ne pas tricher. Cela peut être vu comme un sacrifice de l’égoïsme. Les individus qui seront les plus recrutés par des groupes (de chasseur, de nourrice…) ont seulement besoin d’être PERÇU comme moraux. Mais la meilleur façon d’être perçu comme moral, c’est de l’être, de développer une disposition morale.

Sommes-nous seulement moraux par intérêt? Oui. Au niveau évolutionnaire car: nous = nos gènes. Mais quel est le meilleur moyen d’avoir l’air moral vis-à-vis de mon groupe? C’est de l’être réellement, spontanément, de façon désintéressée. Exemple du jeu du dictateur 20% gardent 10$; la moyenne des dons varie de 2 à 5$. Les gens coopèrent souvent au delà de leur intérêt rationnel Non. Au niveau psychologique

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Pourquoi sommes-nous (parfois) immoraux?

L’expérience de Stanley Milgram Université de Yale, 1960-63

Résultats de l’expérience

Interprétation des résultats Pas de sadisme La situation est plus importante que la personnalité (=situationnisme) Tendance des subalternes à se décharger de leur responsabilité Tendance au conformisme (esprit grégaire)

Quatre autres expériences Expérience de la cabine téléphonique (1972) = l’humeur affecte nos comportements moraux Expérience du vol dans le magasin de vin = + il y a de témoins – nous nous sentons responsables Expérience du bon samaritain (1971) Le fait d’être pressé affecte nos comportements moraux Expérience du bureau sale (2007) Le dégoût rend nos jugements moraux + sévères

Que retenir du situationnisme? Certains facteurs moralement arbitraires (= sans raisons morales) affectent nos comportements et nos jugements moraux. Nous faisons souvent des erreurs d’attributions: nous expliquons un comportement par le caractère de l’agent plutôt que par le contexte de l’action. En général, nous surestimons le rôle du caractère et nous sous-estimons le rôle de la situation.

L’expérience de Asch (1956)

Pour la prochaine séance Lire Jonathan Haidt et Joseph Craig: De l’unité des intuitions morales à la diversité des vertus. Rendre le plan du travail individuel

Deux expériences de pensées «Marc et Julie sont frère et sœur. Ils voyagent tous les deux en France pendant les vacances universitaires. Une nuit, ils sont seuls dans une cabine au bord de la mer. Ils trouvent que ça serait intéressant et drôle s'ils essayaient de faire l'amour. Ce serait une nouvelle expérience. Julie est sous pilule contraceptive et Marc utilise aussi un préservatif, par prudence. Ils ont tous les deux aimé faire l'amour ensemble, mais ont décidé de ne pas le refaire. Ils ont gardé le secret sur cet acte, ce qui les fait se sentir plus proches l'un de l'autre. Que pensez-vous de cela? Est-ce qu'ils pouvaient faire l'amour?» Peut-on se fier à nos intuitions morales = question normative, jugement de valeur.