L’émergence du « roi absolu » CATHERINE DE MÉDICIS ET LA SAINT-BARTHÉLEMY Leçon proposée par Fabien Grœninger
Textes officiels Au départ, une incertitude. La leçon pouvait tout à fait s’intégrer dans la séquence sur la crise religieuse (Thème 1 – Les bouleversements culturels et intellectuels (XVe-XVIIe siècles). Connaissances : Les confessions s’affirment et s’affrontent (catholiques, protestants). Démarches : La crise religieuse de la chrétienté : un événement. Mais dans les capacités, raconter une épisode significatif des réformes (dans les vies de Luther, de Calvin ou d’un réformateur catholique…) et expliquer ses conséquences paraissait plus éloigné du sujet.
Textes officiels En fait l’historiographie récente permet de résoudre le problème. La Saint-Barthélemy fut d’abord une crise politique. Aussi cette leçon s’inscrit parfaitement dans le thème 2, l’émergence du « roi absolu ». Connaissances : La monarchie française subit une éclipse dans le contexte des conflits religieux du XVIe siècle. […] Les rois revendiquent alors un « pouvoir absolu ». Démarches : L’étude est conduite à partir d’exemples au choix : de la vie et l’action d’un souverain (Catherine de Médicis et Charles IX) ; d’un événement significatif (la Saint-Barthélemy). Capacités : Raconter…
Textes officiels Deux recommandations ont guidé la construction de cette leçon : « La place de l’histoire des arts est importante dans chacune des parties du programme » « Au cours de cette seconde année de collège, les élèves continuent à se familiariser avec différents types de sources historiques » Par conséquent, l’utilisation du tableau réalisé par François Dubois, peintre parisien réfugié en Suisse après avoir échappé au massacre, s’imposait. De même, l’utilisation de courts extraits en ancien français qui peuvent rebuter des élèves de 5e a son utilité.
Introduction Accroche de la leçon : « Nous sommes le 24 août 1572, à Paris… »
Introduction « Des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants sont massacrés dans les rues. À gauche, la Seine. En arrière-plan quasiment au centre du tableau, le château du Louvre. Regardez bien, un personnage semble avoir joué un rôle plus important que les autres dans la tuerie. Qui est-ce ? » Il s’agit de guider les élèves vers le personnage en noir situé devant le château. Le nombre important de cadavres placés devant Catherine de Médicis doit attirer les regards. Mais à ce stade, compte tenu de la qualité de la reproduction, les élèves ne distinguent pas encore distinctement le personnage. « Nous avons besoin d’un agrandissement. Le voici :
Introduction « C’est Catherine de Médicis ! » Les élèves s’écrient : « C’est une femme ! ». La connaissez-vous ? Certains répondent « c’est une reine » . « C’est Catherine de Médicis ! »
Introduction « Si on se concentre sur ce personnage et sur cette journée particulière, quelle question peut-on poser ? » Plusieurs problématiques émergent facilement : « Quel est le rôle de Catherine de Médicis dans le massacre ? Pourquoi a-t-elle massacré tant de gens ? A-t-elle donné l’ordre du massacre ? »
Introduction Trace écrite : Le 24 août 1572, le jour de la Saint-Barthélemy, des hommes, des femmes et des enfants sont massacrés dans les rues de Paris. Un personnage semble avoir joué un rôle particulier : la reine mère Catherine de Médicis. Quel a été son rôle exact dans ce massacre ?
A) Il est temps d’analyser plus en détails la peinture de Dubois. Elle va permettre de rappeler certains aspects de la réforme protestante vus dans une séquence précédente. D’abord se focaliser sur les victimes. « Comment sont-elles habillées ? » Elles sont nues ou en chemise de nuit. Certaines sont habillées tout en noir « comme des curés ! » répondent certains élèves. Certains corrigent : « Mais non, ce sont des protestants ! »
A) Il faut s’interroger sur la violence de la scène (la femme enceinte de 8 mois éventrée, le nourrisson tiré par des enfants…). « Quelles émotions peuvent pousser des hommes à commettre de tels actes ? » Les élèves répondent la haine, la peur… « La peur de quoi ? » Un aspect essentiel du tableau -l’homme qui tente de s’échapper sur les toits mais qui est n’est déjà plus de ce monde - permet de rappeler que les populations à l’époque ont peur de la mort et craignent pour leur salut. Deux vérités s’affrontent : celle définie par Luther puis Calvin qui a convaincu près de deux millions de personnes dans le royaume de France face à une religion catholique qui entend se défendre.
A) La haine des protestants ? Une hypothèse est proposée alors par les élèves : Catherine détestait peut-être les protestants… Trace écrite : 1) Catholique contre protestants Les victimes sont protestantes. Des bandes catholiques les massacrent car elles ont peur de la nouvelle religion née en Allemagne (Luther). L’angoisse tourne autour du salut (aller au paradis).
A) La haine des protestants ? 2) Des tentatives de réconciliation Mise en activité : Édit de St-Germain, sur la pacification des troubles du royaume, 1570. « CHARLES, par la grâce de Dieu roy de France, à tous présens et à venir, salut. Considerans les grands maux et calamitez avenus par les troubles et guerres desquelles nostre royaume a été longuement, et est encore de présent affligé ; et prevoyans la désolation qui pourroit avenir, si par la grâce et miséricorde de nostre Seigneur lesdits troubles n’estoient promtement pacifiez. Nous pour à iceux mettre fin, remédier aux afflictions qui en procèdent, remettre et faire vivre nos sujets en paix, union, repos et concorde, comme tousjours a été nostre intention. Savoir faisons, qu’après avoir sur ce pris l’avis bon et prudent conseil de la royne nostre très-chère et très-honorée dame et mère, de nos très-chers et très-amez les ducs d’Anjou, nostre lieutenant général, et duc d’Alencon, princes de nostre sang, et autres grands et notables personnages de nostre conseil privé. […]» Qui est l’auteur de cet édit (loi) ? Quel est l’objectif du roi ? Quel personnage a encouragé le roi à prendre cette décision ?
La haine des protestants ? Conclusion de la première heure : Catherine de Médicis ne détestait pas les protestants. Un mariage entre sa fille et le chef protestant Henri de Navarre avait même été organisé quelques jours avant le massacre.
Deuxième heure : B) Rappel : Avant le carnage, une fête avait été organisée. Comment est-on passé en six jours d’un mariage heureux à ces scènes de tuerie. « Quel a été le rôle de Catherine de Médicis dans ce basculement ? » Certains élèves ont la même logique que les protestants à l’époque et proposent leur explication : « Le mariage [et les accords de "paix"] était un piège pour attirer les chefs protestants à Paris et les massacrer. Catherine a tout arrangé ».
B) Il est l’heure de découvrir un personnage central de ces journées : l’Amiral de Coligny. Mise en activité : L’amiral de Coligny, chef militaire des protestants, se serait adressé à Catherine de Médicis quelques jours avant la Saint-Barthélemy en ces termes : « Madame, […] le roi se refuse à entreprendre une guerre : Dieu veuille qu’il ne lui en survienne pas une autre dont il ne sera peut-être pas en son pouvoir de se retirer. » D’après un témoignage de Giovanni Michiel ambassadeur de Venise à Paris en 1572. Question : donnez des adjectifs pour qualifier le ton utilisé par l’Amiral de Coligny. Comment parle-t-il à Catherine de Médicis ?
B) Or, les élèves ont besoin de connaître un fait essentiel dans l’enchaînement des événements : l’Amiral de Coligny qui est détesté par les catholiques parisiens a échappé à un attentat le 22 août… Ne pas s’attarder sur les commanditaires de l’attaque (les Guises, l’Espagne ?) que les sources ne permettent pas de déterminer mais sur ses conséquences. C’est la paix qu’on a voulu assassiner. À partir du 22 août, la méfiance, l’agressivité des chefs protestants à l’égard du roi et de ses proches grandit…
B) Trace écrite : 1. La menace d’un coup de force protestant Après un attentat manqué contre le chef militaire des protestants, l’Amiral de Coligny, les responsables huguenots (nom donné aux protestants) étaient de plus en plus menaçants vis-à-vis de la famille royale.
B) Cours dialogué : Quel sort est réservé à l’Amiral de Coligny ? Quels sont ses agresseurs ? Que font-ils ? Les élèves découvrent enfin qu’il n’y a pas eu une mais « deux Saint-Barthélemy ». Les chefs protestants ont d’abord été exécutés par les hommes du duc de Guise, ce qui a déchaîné au petit matin la fureur de « bandes catholiques ».
B) Mais qui a donné l’ordre d’exécuter les chefs protestants et pourquoi ? Catherine, Charles IX, les Guises ? L’avis de l’historienne Arlette Jouanna est précieux : « Il est vain de chercher à démêler précisément les responsabilités individuelles, que les sources ne permettent pas d’établir avec précision. Tout au plus peut-on noter que Catherine de Médicis a revendiqué expressément, dans une lettre à Arnaud du Ferrier, la part qu’elle a prise dans les conseils donnés à son fils ; réfutant fermement les accusations selon lesquelles elle aurait agi contre Coligny par désir de vengeance, elle déclare que la voie choisie était légitime parce que l’amiral ne se reconnaissait plus comme sujet et se comportait en rebelle, qu’il avait fini par prendre un pouvoir égal à celui du roi […] » Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy, Les mystères d’un crime d’État, Paris, Gallimard, 2007, p. 139-140. Cours dialogué autour de ce document d’interprétation.
B) Un crime d’État Le titre du B) peut enfin être complété. Trace écrite : 2. Rétablir l’autorité du roi C’est le roi et son conseil qui ont pris la décision précipitée d’exécuter les chefs protestants pour éviter selon eux un coup d’État. Mais ils n’avaient pas prévu que des bandes catholiques massacreraient des milliers de personnes à Paris et en province (environ 10 000 morts).
Conclusion On peut enfin répondre à la problématique de départ. Toutes les dernières recherches sur Catherine de Médicis s’éloignent de la « légende noire ». Les élèves doivent comprendre que le tableau est une œuvre de propagande protestante qui a servi à construire la légende noire de Catherine de Médicis, reprise par l'historiographie ancienne, par Alexandre Dumas et ses successeurs cinématographiques (Les deux films La Reine Margot, de Jean Dreville, 1954 et de Patrice Chéreau, 1994). Il est possible face à une bonne classe d’évoquer en quelques mots comment d’autres historiens ont interprété la Saint-Barthélemy (Jean-Louis Bourgeon, Denis Crouzet…) mais la dimension politique de l’événement ne fait plus de doutes.
Conclusion Trace écrite : Conclusion : Catherine de Médicis n’a ni comploté, ni donné l’ordre de massacrer les protestants parisiens. Elle ne les détestait pas. Elle a accompagné la décision de son fils qui a eu peur d’un coup de force protestant et qui voulait déjà mettre en place une monarchie absolue.
Bibliographie Jean-Louis Bourgeon, L’assassinat de Coligny, Genève, Droz, 1992 ; Charles IX devant la Saint-Barthélemy, Genève, Droz, 1995. Denis Crouzet, Le Haut Cœur de Catherine de Médicis. Une raison politique au temps de la Saint-Barthélemy, Paris, Albin Michel, 2005 ; La nuit de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance, Paris, Fayard, 1994. Janine Garrisson, Tocsin pour un massacre, ou la saison des Saint-Barthélemy, Paris, Le Centurion, 1968 ; La Saint-Barthélemy, Paris, Complexe, 1987 ; Les derniers Valois , Paris, Fayard, 2001. Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’État, Paris, Gallimard, 2007. Robert Knecht, Catherine de Médicis, Bruxelles, Le cri Éditions, 2003. Pascal Le Berre, Le massacre de la Saint-Barthélemy, CDDP de l’’Eure, 1996. Jean-François Solnon, Catherine de Médicis, Paris, Perrin, 2003. Thierry Wanegffelen, Catherine de Médicis. Le pouvoir au féminin, Paris, Payot, 2005.
Illustrations Tableau sur la Saint-Barthélemy de François Dubois, conservé au musée cantonal des Beaux-Arts à Lausanne, réalisé entre 1576 et 1584. Portrait de Catherine de Médicis par François Clouet conservé au Musée Carnavalet, réalisé entre 1565 et 1575.