Le socle commun et les compétences sous l’éclairage international Séminaire socle commun UMR Education et Politiques (28 janvier 2009) Olivier Rey (Veille scientifique)
Deux notions en une Compétences et connaissances : enjeu des objets et démarches d’apprentissage Socle commun : enjeu de la place de la scolarité obligatoire (cf. N. Mons)
La compétence : un concept polysémique La compétence de sens commun : savoir de base, « skill », connaissance, jugement professionnel, droit à agir, habileté élémentaire… La compétence en ingénierie pédagogique : une approche globale et intégrée. Mots clés : autonomie, adaptation, situation inédite, mobilisation de ressources… Exemple Savoir disciplinaire : calculer le taux de glucide dans un aliment Compétence générale (peu scolarisable): maîtriser l’équilibre alimentaire Compétence complexe et concrète à enseigner : composer un menu équilibré en choisissant dans une liste d’aliments. Caractéristiques Coordination : mobilisation et articulation de savoirs, savoir faire, capacités et valeurs (SVT, culture et coutumes, médecine-diététique, bon sens…) Interdépendance (le tout est supérieur à la somme des différents savoirs et savoir faire : choisir bon dosage et pertinence, hiérarchiser…) Polarisation : vers un but concret (et non pas définition par les contenus du savoir)
Une unification partielle par des organisations internationales Une évolution inéluctable, générale et venue d’ailleurs ? Cadre européen de référence pour les langues (2001) Projet DESECO-OCDE (1997-2003) Commission européenne (depuis 2002) Stratégie de Lisbonne (2002-2010) Rapport Eurydice (2002) Cadre européen de référence des compétences clés (2004) Recommandation du parlement et du conseil (2006)
Le projet DESECO http://www.deseco.admin.ch « a competency in a given field is what makes people able to think, act and learn in an independant way transferring that knowledge to new domains and allowing them to look for solutions to new problems » (A. Tiana, 2004) Système d’action complexe incluant les aptitudes cognitives mais aussi les attitudes et autres éléments non cognitifs (affectif, motivation, comportement…) Mobilisation de ressources dans un contexte inédit Définir des compétences clés pour la formation tout au long de la vie (+ large que cadre scolaire) Les savoirs traditionnels sont nécessaires mais pas suffisants Identifier des compétences « holistiques »associées à un degré plus élevé de complexité et d’approche réflexive
Neuf compétences clés Agir de façon autonome Capacité à agir dans le contexte global Capacité à élaborer et réaliser des programmes personnels Capacité à défendre et à affirmer ses droits, ses intérêts, ses limites et ses besoins Se servir d’outils de manière interactive Capacité à utiliser le langage, les symboles et les textes Capacité à utiliser le savoir et l’information Capacité à utiliser les technologies Interagir dans des groupes hétérogènes Capacité à établir de bonnes relations avec autrui Capacité à coopérer Capacité à gérer et résoudre les conflits
UE : stratégie de Lisbonne http://ec. europa « adopter un cadre européen définissant les nouvelles compétences de base dont l’éducation et la formation tout au long de la vie doivent permettre l’acquisition : compétences en technologies de l’information, langues étrangères, culture technologique, esprit d’entreprise et aptitudes sociales » » (conseil européen de Lisbonne 2002) « The terms « competence » and « key competence » are preferred to « basic skills » (Saavala 2004) « Les compétences clés sont celles nécessaires à tout individu pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi » (Cadre de référence européen 2006) Trois exigences majeures à satisfaire : Capital humain : insertion professionnelle et employabilité Capital social : citoyens actifs et intégrés Capital culturel : épanouissement et développement personnel tout au long de la vie
Huit compétences clés Communication dans la langue maternelle Communication en langues étrangères Compétence mathématique et compétences de base en sciences et technologies Compétence numérique Apprendre à apprendre Compétences sociales et civiques Esprit d’initiative et d’entreprise Sensibilité et expression culturelles
Contenu de chaque compétence Connaissances (ex. vocabulaire, grammaire,interaction verbale, textes , styles de langage…) Aptitudes (ex. communiquer sous forme écrite ou orale, distinguer et utiliser différents styles de textes, argumentation…) Attitudes (conscience de l’impact du langage, utiliser la langue de façon positive et responsable, goût des qualités esthétiques du langage…) Thèmes communs : réflexion critique, créativité, initiative, résolution de problèmes, évaluation des risques, prise de décision et gestion constructive des sentiments Évolution vers des compétences plus facilement intégrables dans les programmes d’éducation nationaux Juxtaposition de compétences qui recouvrent des champs disciplinaires et de compétences plus transversales Mélange de connaissances, de capacités et de normes de comportement (valeurs)
Aux origines des compétences dans le monde professionnel (1) Passer d’un modèle d’ entreprise tayloriste à un modèle d’entreprise basé sur l’autonomie et la flexibilité (individualisation ?) Prendre en compte les compétences personnelles au delà des diplômes et qualifications : savoir mobiliser ses ressources (connaissances, savoir-faire…) et celles de son environnement dans une situation complexe
Aux origines des compétences dans le monde professionnel (2) Faire face à l’imprévu et pas seulement exécuter une opération/suivre une procédure Faire évoluer ses compétences dans le temps (employabilité) Pouvoir transférer ou mobiliser sa compétence dans d’autres contextes (mobilité) Prendre au sérieux le travail « réel » (professionnalisation) par rapport au « prescrit »
Une hypothèse d’évolution dans le monde éducatif… Renaissance – XX° siècle : la connaissance des grandes œuvres au centre (modèle du lettré) XX° siècle : humanités modernes (sciences) basées sur l’inventaire des connaissances Années 60- années 80 : taylorisme et behaviorisme (pédagogie par objectifs) Début XXI° : approche par compétences
Les compétences, qu’est-ce que ça change dans l’éducation ? Tradition scolaire : Connaissances et savoir-faire décontextualisés Cadres disciplinaires d’apprentissage Découpage des savoirs (objectifs intermédiaires) Compétences : savoirs finalisés et situés dans l’action Incarnées dans des activités les plus proches de la « vie réelle » Appréciation globale de la compétence (intégrité) En principe, l’introduction de l’approche par compétences dans l’éducation impliquerait aussi de déterminer les profils de sorties attendues, de façon générale pour un individu à un certain niveau (équivalent des profils de métiers), relatif à un niveau de performance dans un champ disciplinaire ou un domaine d’apprentissage.
Avantages et inconvénients Donner du sens aux connaissances Dépasser les frontières disciplinaires et intégrer dans l’apprentissage des ressources non académiques Construire les compétences plutôt que transmettre les savoirs Vision utilitariste des savoirs L’apprentissage en dehors des savoirs disciplinaires reste un phantasme Évaluation difficile dans un cadre scolaire Pédagogie invisible
Des conceptions plus ou moins exigeantes Compétence élémentaire exécuter une opération, procédure automatisée… Compétence avec cadrage interpréter une situation et choisir la compétence élémentaire qui convient Compétence complexe Choisir et combiner plusieurs compétences pour traiter une situation nouvelle et complexe (Rey, Carette, Defrance et Kahn 2006) Rien à voir avec les compétences de Sophie Morlaix
Le socle commun en France Socle commun de connaissances et de compétences (décret 11 juillet 2006) 7 piliers Maîtrise de la langue française Pratique d’une langue vivante étrangère Compétences de base en maths et culture scientifique et technique Maîtrise des techniques usuelles des TIC Culture humaniste Compétences sociales et civiques Autonomie et initiative « Connaissances fondamentales, capacités à les mettre en œuvre, attitudes indispensables tout au long de la vie »
Changer les programmes ou la façon d’apprendre ? Aborder la formation en terme de « curriculum » Considérer les démarches d’apprentissage au delà des programmes et contenus L’école actuelle est-elle compatible avec l’approche par compétences ?
Des approches pédagogiques plus ou moins adaptées Les approches traditionnelles Approche par transmission (enseignement frontal) Approche par application (Td-Tp) Des approches nécessaires pour les compétences Approche par problèmes (situation-problème, cas) Approche par projets (conception, réalisation, travail coopératif..) Importance du rôle actif joué par l’élève ou l’apprenant : enseignement centré sur celui qui apprend et devra mobiliser ses ressources. Enseignant « coach », organisateur de situations, tuteur ou médiateurs, plus que détenteur du savoir.
Le délicat problème de l’évaluation L’évaluation des compétences est à priori plutôt critériée que normative Elle ne peut se limiter à un simple contrôle de conformité ou à la restitution des savoirs appris en classe Elle s’accommode mal de la généralisation de tests standardisés Le caractère normatif d’une évaluation renvoie à un classement des individus les uns en fonction des autres, alors que le caractère critérié suppose une référence externe au groupe des apprenants. Si les tests s’inscrivent, par leur caractère en principe normé, dans une approche relative (normative donc), l’approche par compétence, se réfère quant à elle à une définition de la famille de tâches qu’un individu doit être capable de réaliser, y compris en sélectionnant dans son propre répertoire les moyens adéquats, sans aucune référence aux performances des autres individus. Besoin de critères précis, mutuellement exclusifs et en assez grand nombre, avec éventuellement des niveaux de compétence différents (crf. Tardiff) : Compétence marquée Compétence assurée Compétence acceptable Compétence insuffisante L’approche par standards met l’accent sur les résultats de l’apprentissage (« learning outcomes ») avec un souci de normalisation et de contrôle aux différents niveaux du système éducatif pour la lisibilité de l’employabilité (cf. en partie cadre européen des qualifications.
Priorités actuelles de la commission européenne Apprendre à apprendre (indicateurs à l’étude) Personnaliser l’apprentissage Innovation et créativité Évaluation formative « l’évaluation a trop souvent pour seul objectif de noter les élèves et non de les aider à s’améliorer; les contrôles n’évaluent pas toujours les compétences que les élèves sont capables d’utiliser, mais seulement les informations qu’ils ont retenues ». (Communication de la CE, juillet 2008)
Recommandations issues des « Peer Learning Activities » Des approches plus individualisées Une coopération et une articulation plus étroits entre domaines disciplinaires et transversaux Le développement d’un langage commun et d’une approche partagée entre acteurs éducatifs sur des objectifs explicites (« shared leadership ») Il est possible, comme en communauté flamande de Belgique, de traiter d’éléments d’apprendre à apprendre efficacement à l’intérieur des enseignements disciplinaires, si la formation des enseignants est de qualité et centrée sur les stratégies d’apprentissage à l’école. En Autriche, les élèves doivent réfléchir et résoudre des problèmes en binôme ou en petits groupes (discussion, argumentation, présentation aux autres, auto-évaluation …), ce qui permet de développer des compétences sociales de communication en même temps que la compréhension mathématiques, plutôt que d’apprendre « par cœur ».
Une lecture des travaux de Nathalie Mons L’école unique en Europe revisitée à l’aune des indicateurs internationaux
Brève généalogie Différents modèles d’école unique ou « comprehensive school »depuis le début du XX° siècle Adoption imparfaite et tardive en Europe Implantation lente et contestée en France à la fin du siècle Création de la commun school aux Etats Unis début XX° siècle (croissance économique, absorption des vagues de migration…) et exportation du modèls aux pays asiatiques vaincus après le deuxième guerre (Japon et Corée du Sud). École polytechnique soviétique mise en place dans tous les pays communistes Pays scandinaves à partir des années 50, Europe latine dans les années 70 Maintien des filières en Allemagne, Autriche, voire Suisse et Belgique
Un modèle remis en cause depuis les années 80 Différenciation des contenus : programmes adaptés pour les élèves en difficulté, groupes de niveau, options tubulaires… Création de réseaux parallèles : labels d’excellence, dérogations, partenariats publics-privés… Exemple des City Academies et Specialist Schools en Angleterre ou des Magnet Schools en Amérique du Nord Territorialisation des programmes (offre scolaire modulée)
Une recherche empirique sur les effets de l’école unique Mettre en relation les caractéristiques de l’école moyenne (organisation et formes de gestion de l’hétérogénéité) et les résultats scolaires à la fin de la scolarité obligatoire Échantillon d’une trentaine de pays Construction de variables qualitatives Mobilisation d’indicateurs d’efficacité et d’égalité scolaire Une vingtaine de variables par pays : durée du tronc commun, redoublement, enseignement individualisé, modalités d’organisation des classes, âge de la première sélection, présence de filières, programmes différenciés.. Aller au delà de l’opposition binaire orientation précoce/sélection différée, pour prendre notamment en compte les cultures pédagogiques antagonistes quant à la gestion de l’hétérogénéité. Utilisation des questions PISA aux chefs d’établissement : tutorat organisé pour l’ensemble des élèves par les enseignants, cours de remédiation pour les élèves faibles, classes d’approfondissement pour élèves avancés
Quatre modèles idéal-typiques de la scolarité obligatoire Modèle de la séparation (sélection orientation précoce, école des métiers) Allemagne, Autriche, Hongrie, cantons Suisses… Modèle de l’intégration individualisée (individualisation, abandons et sorties sans qualification très faibles, obligation de résultat…) Danemark, Finlande, Islande, Suède, Japon, Corée... Modèle de l’intégration uniforme (redoublements, rigidité des classes, individualisation-remédiation, sorties nombreuses…) France, Espagne, Portugal… Modèle de l’intégration à la carte (tronc commun long, regroupements pédagogiques, sorties sans qualification faibles…) Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Nouvelles Zélande…
Quels performances ? Séparation Intégration individualisée -performances faibles -inégalités scolaires et sociales fortes Beaucoup d’élèves en grandes difficultés, une élite scolaire peu développée : inefficace et inégalitaire Intégration individualisée -performances globales élevées -disparités scolaires et sociales faibles Enseignement individualisé qui profite à tous : performant et égalisateur Intégration uniforme -performances très faibles -disparités scolaires et sociales limitées Beaucoup d’élèves en difficultés, une élite scolaire réduite mais dans des sociétés relativement égalitaires : inefficace et sans effet social marqué. Intégration à la carte - performances élevées - disparités scolaires et donc sociales Excellence favorisée dans un niveau global correct mais avec fortes disparités : efficace et inégalitaire
Positionnement des modèles égalité Intégration individualisée Intégration uniforme efficacité Intégration à la carte séparation
Conclusion L’approche pédagogique reflète un choix de société au niveau des objectifs de contenus (programmes) mais aussi de résultats La remédiation séparée vers les élèves en échec produit des disparités Le modèle de personnalisation ou individualisation est important : effet système plus qu’addition de mesures isolées
Pour aller plus loin… Thèse de Nathalie Mons : http://tel.archives-ouvertes.fr/halshs-00005206/fr/ De la transmission des savoirs à l’approche par compétences (O. Rey) : http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/34_avril2008.htm L’évaluation au cœur des apprentissages (L. Endrizzi et O. Rey) : http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/39_novembre2008.htm Individualisation et différenciation (A. Feyfant) : http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/40_decembre2008.htm Forum Retz mars 2008 : http://www.editions-retz.com/forum-2008.html#