Cancers et infection par le VIH en Afrique

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Cancers et infection par le VIH en Afrique 5èmes rencontres Nord-Sud, Paris, 29 novembre 2010 Cancers et infection par le VIH en Afrique Dr Vincent Le Moing CHRU Montpellier UMR 145 « VIH et maladies associées », IRD/UM1

Plan de la présentation Epidémiologie actuelle: Nord-Sud Prévention et dépistage Traitement: quelques pistes

Epidémiologie actuelle

Cancer = maladie environnementale Epidémiologie varie dans le temps et dans l’espace / fréquence de certaines infections / conditions et modes de vie les 5 cancers les + fréquents en population générale: Pays développés: poumon, sein, colon-rectum, prostate, estomac Afrique de l’Ouest: col utérin, sein, foie, prostate, lymphome

Données GLOBOCAN 2002

VIH et cancer: données au Nord

Cancer = 1ère cause de décès (34%) des sujets infectés par le VIH France – Enquêtes Mortalité 2000 et 2005 LMNH = 1ère cause de décès sida n = 100 (30%) Kaposi: 38 DC, K du col 10 DC K non sida: 187 DC en augmentation par rapport à 2000 (Bonnet et al. CID 2009) Lewden C, et al. J AIDS 2008; 48: 590-8

Tumeurs chez les patients infectés par le VIH déclarés en France en 2006 D'après E Lanoy et al. BEH 1er décembre 2008, n°45-46:443-447. 9

A l’ère des antirétroviraux:  des cancers classant sida  des autres ?? Etude rétrospective 4500 vétérans américains VIH+ Effet du vieillissement de la population ?? Crum-Canfione N., et al. AIDS 2009; 23: 41-50

Comparaison à la population générale Croisement de registres VIH et cancers Etude Engels et al. (1) Dal Maso et al. (2) Grulich et al. (3) Bedimo et al. (4) Nbre de patients VIH+ 317 428 21 951 444 172 32 942 Pays USA Italie Méta-analyse Période 1990-1995 1996-2002 1997-2004 1980 à 2002 Ratio d’incidence standardisé (RIS) (IC 95%) des différents cancers selon les études Sarcome de Kaposi 22100 (21400-22700) 3640 (3330-3980) 572 (508-641) 3640 (3326-3976) 209.8 (99.6-441.8) LMNH 53.2 (51.5-55.2) 22.6 (20.8-24.6) 93.4 (83.9-104) 76.7 (39.4-149) 8.0 (6.8-9.4) Col de l'utérus 4.2 (2.9-5.8) 5.3 (3.6-7.6) 41.5 (28-59.3) 5.82 (2.9-11.3) 12.8 (2.9-57.3) Broncho-pulmonaire 3.3 (2.9-3.8) 2.6 (2.1-3.1) 4.1 (2.9-5.5) 2.7 (1.9-3.8) 2.0 (1.8-2.2) Hodgkin 8.1 (6.4-10.1) 13,6 (10,6-17,1) 20.7 (14.6-28.5) 11.0 (8.4-14.4) 4.9 (3.6-6.6) Cancer de l'anus 20.7 (15.5-27.0) 19.6 (14.2-26.4) 44.0 (21.8-78.9) 28.7 (21.6-38.3) 14.9 (10.1-22.1) Hépatocarcinome 4 (2.6-5.8) 3,3 (2-5.1) 6.4 (3.7-10.5) 5.2 (3.3-8.2) 2.8 (2.2-3.5) Engels et al. Trends in cancer risk among people with AIDS in the United States 1980-2002. Aids 2006,20:1645-1654 ; (2) Dal Maso et al. Pattern of cancer risk in persons with AIDS in Italy in the HAART era. Br J Cancer 2009,100:840-847 ; (3) Grulich et al. Incidence of cancers in people with HIV/AIDS compared with immunosuppressed transplant recipients: a meta-analysis. Lancet 2007,370:59-67.; (4) Bedimo et Al. JAIDS Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes: October 2009

VIH et cancer: données au Sud HBV HHV8

Cancer = cause de décès chez patients VIH+ sous ARV en Afrique Principales causes de décès: tuberculose cryptococcose sepsis aigu Kaposi = 14% des décès au cours de la 1ère année d’ARV dans une revue de la littérature de 2008 (1) Zambie: 99 décès au cours des trois 1ères années de CART: 7 Kaposi, 2 K du col utérin, 1 lymphome (2) Initiative sénégalaise (7 ans de suivi médian): 2 décès par Kaposi/93 (3) (1) Lawn SD. et al., AIDS 2008; 22: 1897-908, (2) Castelnuovo B. et al., Clin Infect Dis 2009; 49: 965-72, (3) Etard JF, et al. AIDS 2006; 20: 1181-9

Moins de sur-risque lié au VIH ? The Uganda AIDS-Cancer Registry Match Study (1): région de Kampala = seule étude de croisement de registres en Afrique; faible nombre de cas (12607 patients VIH+, population totale: 1 million) Les décès par autres manifestations liées au VIH expliquent probablement en grande partie ce moindre sur-risque Carcinome épidermoïde de la conjonctive: rare,  par exposition solaire (agriculteurs) mais lié très fortement au VIH, au Sud comme au Nord (rôle démontré des HPV oncogènes 16-18 (2)) Cancer Nb de cas chez VIH+ RIS (IC95%) Sarcome de Kaposi 212 5,7 (4,6-6,8) LMNH 8 3,6 (1,2-8,4) Col de l’utérus 51 2,7 (1,8-4,0) Hodgkin 3 5,7 (1,2-17) Conjonctive 14 3,7 (1,3-8,0) Rein 16 (1,8-5,8) Utérus 6 5,5 (1,5-14) Poumon 4 5,0 (1,0-15) Tableau: seulement les K avec sur-risque (1) Mbulaiteye SM., et al. Int J Cancer 2006; 118: 985-90, (2) Yu JJ et al. PLOS One 2010, 5: e10477

Soweto: données semblables Etude cas-témoin au sein de la population noire de Johannesburg et Soweto, 1995-2004 Estimation du risque d’être VIH+ lorsqu’on est atteint de certains types de cancer par comparaison à des sujets atteints d’autres types de cancer ou de maladies cardio-vasculaires (= groupe témoin; VIH+: 10%) Cancer N % VIH+ OR ajusté* (IC95%) Sarcome de Kaposi 333 89 47,1 (31,9-69,8) LMNH 223 44 5,9 (4,3-8,1) Col de l’utérus 1586 15 1,6 (1,3-2,0) Hodgkin 154 20 1,6 (1,0-2,7) Ano-génitaux autres 157 22 2,2 (1,4-3,3) Peau (spino-cellulaire) 70 21 2,6 (1,4-4,9) Tableau: seulement les K avec sur-risque * sexe, âge, année du diagnostic, niveau d’éducation, nb de partenaires sexuels Stein L., et al. Int J Cancer 2008; 122: 2260-5

Prévention et dépistage

L’immunodépression est la principale explication du sur-risque Cohorte ANRS CO4 (FHDH): 52 278 pts suivis en médiane 5 ans entre 1998 et 2006 Kaposi LMNH Hodgkin Poumon Foie (CHC) N 565 511 149 207 119 Niveau de CD4 associé à un sur-risque 500 350 Augmentation du risque avec la diminution des CD4 +++ ++ + - Autres FDR MSM CV* Hommes Europe VHB,VHC * ARN VIH plasmatique non contrôlé Guiguet M, et al. Lancet Oncology 2009; 10: 1152-9

La durée du déficit immunitaire est probablement importante Cohorte ANRS CO3 Aquitaine 4 194 patients, 251 cancers observés dont 142 cancers non classants SIDA Analyse multivariée (Cox) prenant en compte âge, sexe, durée CV > 500 c/ml ou > 10 000 c/ml, durée CD4 < 200/mm3 ou < 500/mm3, durée ARV Résultats similaires pour cancers classant avec un seuil de CD4 à 200/mm3 et un effet de la charge virale non contrôlée Toutefois, la prise en compte de la durée d’exposition n’apporte pas plus d’information statistique que la prise en compte de la dernière mesure de CD4 Cancers non SIDA RR 0,5 1 1,5 Pour 1 an de plus avec CD4 < 500/mm3 CV > 500 c/ml ajusté non ajusté Bruyand M, et al. Clin Infect Dis 2009; 49: 1109-16

Portage d’HPV oncogène et dysplasies cervicales en Afrique 4419 femmes examinées à Dakar (1) dont 433 (10,5%) VIH+ fréquence plus élevée de portage d’HPV oncogène, de dysplasies cervicales et de carcinomes in situ en cas d’infection par le VIH dysplasies associées à CD4 bas et ARN VIH plasmatique élevé Résultats similaires mais prévalences plus élevées au Nigéria (2), en Afrique du Sud (3) et en Zambie (4) L’augmentation du risque en cas d’infection par le VIH-2 avait déjà été suggéré par une autre étude chez des prostituées au Sénégal (5) VIH neg VIH-1 VIH-2 VIH-1+2 N 3686 335 69 29 HPV oncogène 15% 54% 41% 61% Dysplasie haut grade 1,4% 4,5% 10,5% 13,8% Cancer invasif 10 (0,3%) 6 (1,9%) 3 (4,5%) 2 (6,9%) (1) Hawes SE, et al. J Infect Dis 2003; 188: 555-63, (2) Agaba P. et al., Int J Gynaecol Obstet 2009; 107: 99-102 (3) Gaym A. et al. S Afr Med J 2007; 97:120-3, (4) Parham GP et al. Gynecol Obstet 2006, 103: 1017-22, (5) Langley CL, AIDS 1996; 10: 403-17

HPV et cancer du col utérin: stratégies de dépistage (1) K du col utérin: le plus fréquent des cancers viro-induits Sud >> Nord: 20% des décès par K du col surviennent en Afrique subsaharienne Le dépistage permet de détecter et de traiter des lésions pré-cancéreuses et les cancers au stade non invasif En France, K invasifs du col utérin observés principalement chez des femmes ayant échappé au dépistage Gold-standard = frottis cervical annuel (cytologie) recherche d’HPV oncogène en cas d’atypies de signification indéterminée (ASCUS) colposcopie en cas de dysplasie: biopsie(s), électrorésection conisation si CIN3

HPV et cancer du col utérin: stratégies de dépistage (2) Cette stratégie coûteuse et à haut risque de perte de vue pourrait être remplacée par une stratégie « see and treat »: au cours du même examen réalisé par une infirmière: détection des lésions suspectes à l’acide acétique et cryothérapie si lésion inaccessible à la cryothérapie (taille et aspect, visibilité imparfaite) => avis médical pour biopsie et électrorésection Expérience Zambienne: 2006-2008: 21010 femmes dépistées (VIH+: 31% dont 69% sous ARV) Parmi les VIH+: 54% dépistées + 46% traitées par cryothérapie (13% proposé mais non fait) 41% adressées pour avis médical dont 49% biopsiées 715 biopsies: 235 CIN 2/3; 79 cancers stade 1, 36 cancers stades 2 Nombre de dépistages pour 1 cancer invasif évité = 32,3 L’article de Pfaendler et al., libre d’accès, décrit en détail les obstacles rencontrés dans la mise en œuvre de cette stratégie. Pfaendler KS, et al. Gynecol Oncol 2008; 110: 402-7; Parham G et al., CROI 2010 abstract 29

Les ARV pourraient prévenir le cancer du col utérin Au Nord, le cancer du col utérin n’augmente pas depuis l’ère des CART malgré le vieillissement de la population et donc la prolongation de l’exposition aux HPV oncogènes Women’s Interagency HIV Study: cohorte féminine 2800 VIH+, 973 VIH- suivies dans les inner cities des USA depuis 1995 Chez les femmes traitées par CART et observantes:  prévalence (-40%) et incidence (- 50%) du portage génital d’HPV oncogène  prévalence (-60%) et incidence (- 40%) et doublement de la fréquence d’élimination des dysplasies intra-épithéliales Minkoff H M, et al. J Infect Dis 2010; 201: 681-90

Carcinome hépato-cellulaire et co-infection VHB/VHC L’infection par le VIH accélère l’évolution: vers la cirrhose en cas d’hépatite virale chronique vers le CHC en cas de cirrhose virale VHB = principale cause virale de CHC au Sud le contrôle de la réplication par un antiviral permet de ralentir l’évolution vers la cirrhose et donc probablement de prévenir le CHC ténofovir +/- lamivudine ou emtricitabine VHC: prévalence élevée de co-infection dans certaines régions d’Afrique = proche de celle observée au Nord (25%) au Nord: 1ère cause de CHC chez les patients VIH+ le traitement précoce par PEG- IFNa + ribavirine prévient le CHC La triple co-infection VIH-VHB-VHC est synergique…

Trois axes majeurs de prévention Prévenir le déficit immunitaire = débuter les ARV au-dessus de 350 CD4/mm3 Dépister les dysplasies cervicales Traiter les co-infections VHB… voire VHC

Traitement

Les ARV sont le principal traitement du Kaposi Cohortes au Nord: 70-80% des patients voient leurs lésions de SK régresser sous CART seule les IP auraient un effet plus favorable que les INNTI associés à évolution non favorable sous ARV: stade T1, CD4 < 200/mm3 (1) Essai randomisé ouvert KAART (Kwazulu-Natal): 89% stade T1; 58% CD4 < 200/mm3; 34% TB Amélioration de la qualité de vie dans les deux groupes, un peu meilleure dans le bras chimiothérapie mais différence non significative Triomune® Triomune® + ABV p N 59 53 Réponse partielle ou complète SK 39% 66% 0,005 Survie 74% 76% NS SK: -stade T0: lésions limitées à la peau et aux ganglions, lésions buccales minimes - stade T1: lésions ulcérées, œdème, lésions buccales nodulaires, atteinte viscérale (1) Boffi El Amari E. et al; AIDS 2008; 222: 1019-28; (2) Mosam A. et al., CROI 2010 abst 32

LMNH: la chimiothérapie est possible au Sud ARV essentiels au traitement des LMNH:  du risque myélotoxique de la chimiothérapie,  survie mais ils ne suffisent pas à guérir le LMNH (1) Chimiothérapie IV difficile d’accès mais faisable: expérience de l’Hôpital Universitaire de Nairobi: 207 LMNH (VIH+: 33%; Burkitt: 13%) CHOP ou COP: 146 (70%), moins de la moitié ont eu 6 cures  rémission complète: 56% survie non évaluable car seulement 15% des patients ont un suivi > 36 mois Des protocoles de chimiothérapie orale sont en cours d’évaluation (3): lomustine 50 mg/m2, etoposide 100 mg/m2, cyclophosphamide 50 mg/m2, J1=>J3,J22=>J26, toutes les 6 semaines 49 pts (Kenya, Ouganda); ARV: 37% mortalité due au traitement: 6% réponse: 78% médiane de survie: 13 mois; survie à 5 ans: 33% Référence 1: bonne revue sur LMNH et VIH avec point de vue du Sud, libre d’accès (1) Otieno MW, et al. J Natl Cancer Inst 2002; 94: 718-32, (2) Othieno-Abinya NA, et al. East Afr Med J 2004; 81: 450-8 (3) Otieno MW, et al. J Clin Oncol 2009; 27: 3380-8

Attention aux interactions entre chimiothérapie et ARV Les traitements ARV avec IP ou AZT majorent le risque myélotoxique et la mortalité par toxicité dans la chimiothérapie du cancer du poumon (Makinson et al., JNI 2010) AZT: myélotoxicité cumulée IP:  concentrations: alcaloïdes de la pervenche (vincristine du CHOP et de l’ABV) taxanes +++ (2ème ligne dans le Kaposi) INNTI:  concentrations: cyclophosphamide (CHOP) Mounier N. et al. Crit Rev Oncol 2009; 72: 10-20; Makinson A. et al., J Thorac Oncol 2010 5: 562-71

Perspectives Implémentation des ARV = principale solution applicable immédiatement pour lutter contre les cancers associés au VIH La généralisation du dépistage des cancers du col utérin est urgente et sera utile aussi pour les femmes séronégatives Surveillance nécessaire des cancers « émergents » sous ARV (cf. expérience du Nord) Chimiothérapie du Kaposi et des lymphomes: des pistes à explorer