Du débat épistémologique aux implicites méthodologiques: la preuve par la méthode ? Vincent Dupriez Labo transversal GIRSEF, juillet 2010
Plan 1. Le débat épistémologique : un héritage positiviste 2. Les critiques à l’épistémologie positiviste 3. Les enjeux épistémologiques de choix méthodologiques
1. Le débat épistémologique : un héritage positiviste Projet positiviste (A. Comte, ): -la compréhension de l’univers doit reposer sur la science, et non plus sur la métaphysique ou la religion; -La science doit reposer sur l’observation et sur un projet méthodologique (priorité à la méthode expérimentale)
Hypothèses sous-jacentes au projet positiviste (Le Moigne, 1999) - hypothèse ontologique: la réalité possède une essence propre, indépendamment du chercheur qui l’observe -hypothèse déterministe: existence de formes de détermination présentes et observables (le monde n’est pas chaotique)
Comment produire de la connaissance, dans la perspective positiviste (cf. Le Moigne) ? – Principe de raison suffisante (Leibniz): « Rien n’arrive, sans qu’il n’y ait une cause, ou au moins une raison déterminante …. » – Principe de modélisation analytique: rendre compte de la réalité à partir d’un modèle simplifié, visant à faire apparaître des chaînes de causes et effets
Influencé par Popper ( ) Critique de l’induction: « la théorie vient avant les faits », les hypothèses précèdent et orientent l'observation Une théorie n’est jamais vérifiée; elle peut par contre être réfutée (par un seul cas) Nécessité d’exprimer des énoncés réfutables (falsifiability): c’est la possibilité de mettre en échec une théorie qui fait progresser les connaissances (principe de démarcation) Ces énoncés ont un caractère universel Monisme épistémologique
La connaissance scientifique repose sur des modèles nomologiques (des lois) et causalistes, susceptibles d’être soumis à l’épreuve empirique
G. De Landsheere: « Qu’est-ce que la connaissance scientifique ? C’est, à partir de procédures expérimentales, la combinaison progressive de concepts en une théorie qui explique, définit les causes des faits naturels et permet donc de les prévoir » (DL, Introduction à la recherche en éducation,1982, p. 12)
2. Les critiques à l’épistémologie positiviste (et à Popper) – Toute connaissance est celle d’un sujet connaissant (invention plutôt que découvertes, approches constructivistes) – La connaissance sur le monde social est une connaissance située (approches constructiviste, situationniste, interactionniste) – Au-delà du phénomène et du cpt observable, nécessité de prendre en considération les intentions et significations attribuées par l’individu (approches herméneutique et compréhensive) dans un agrégat de conduites – (In)déterminisme de l’humain, du social ? – L’intelligibilité par d’autres voies que la causalité ?
3. Les enjeux épistémologiques de choix méthodologiques 3.1. Priorité aux données ou priorité théorique ? 3.2. La preuve par la régression, ou les risques de surinterprétation des tests statistiques ?
3.1. Priorité aux données ou priorité théorique ? ACM vs MLG – Analyse de régression: Prob (Aspi) i = Bo + B 1 (Diplôme mère) + B 2 (Forme d’enseignement) + …. + r i - ACM
Diplôme du père : carré rouge ;Diplôme de la mère : rond rouge Forme d’enseignement en 3 ème : rond bleu ; Forme d’enseignement en 5 ème : carré bleu ; Nombre de redoublements en secondaire : vert Fréquentation expositions : orange; Fréquentation spectacles : bleu turquoise
Ajustement aux données vs primauté du modèle ? (stepwise)
3.2. La preuve statistique par la régression ? (inspiré de Rouanet et Lebaron, 2006) La méthode ne peut faire office de preuve. Attention : – aux inférences causalistes – à la spécification du modèle – à l’illusion de significativité (significance fallacy)
Inférences causalistes et Hyper- expérimentalisme Difficulté à établir des relations de causalité à partir de données d’observation, où les appellations indépendantes et dépendante sont « métaphoriques » : – Pas de distribution aléatoire – Circularité plutôt que linéarité ? Self concept, school mix, … – Prédiction ou explication ? Interprétation des effets conditionnels (ceteris paribus): une illusion statistique ?
Spécification du modèle L’omission d’une variable: – Dumay et Dupriez (cf. aussi IIPE): appréhension de l’effet de composition, sans prendre en considération le niveau académique des élèves Prise en compte des niveaux d’analyse La même variable peut avoir un effet différent à un niveau individuel et agrégé (ex.: rapport entre les compétences individuelles mesurées à partir d’un test standardisé –VI – et les points attribués par l’enseignant – VD-)
L’illusion de significativité Rappel: plus la taille d’un échantillon est élevé, plus, pour une même valeur de coefficient (non nulle), celui-ci est significatif Statistiquement significatif ne signifie pas significativement important Statistiquement non significatif ne signifie pas absence de relation Attention aussi à la multiplication des tests avec des seuils peu élevés Taille des effets (vs p-valeur ?)
Conclusion Intérêt et limites des modélisations nomologiques pour les sciences humaines ; attention aussi à la diversité des (paradigmes en) sciences humaines Risque d’un « ajustement mécanique » aux modes de penser et de chercher aux sciences de la nature Attention aux implicites épistémologiques incorporés dans des outils méthodologiques Intérêt de reconnaître une diversité de schèmes d’intelligibilité (Berthelot)
Références