© Pierre Vanhaverbeke – 4 décembre 2015 – www.dbblaw.eu Motivation du licenciement : Discrimination Secteur privé vs secteur public.

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Transcription de la présentation:

© Pierre Vanhaverbeke – 4 décembre 2015 – Motivation du licenciement : Discrimination Secteur privé vs secteur public

PLAN I.Préambule : Deux pans à l’obligation de motivation du licenciement : A.L’obligation de motivation formelle B.L’obligation de motivation substantielle II.Au 1 er avril 2014, deux régimes distincts suivant la nature de l’employeur : A.Employeurs relevant du champ d’application de la loi du 5 déc B.Employeurs ne relevant pas du champ d’application de la loi du 5 déc III.Analyse comparée des régimes de motivation (CCT 109 > < Régime analogue) IV.En l’absence de régime analogue, quelle motivation (formelle et substantielle) apportée aux licenciements des agents contractuels du secteur public ? V.Conclusion

I.Deux pans à l’obligation de motivation du licenciement Préambule : l’obligation de motivation du licenciement peut être : 1) formelle (obligation de communiquer, dans la lettre de rupture ou à première demande du travailleur, les motifs de son licenciement) - Avant 2014, pas d’obligation de motiver formellement le licenciement excepté : 1.l’article 35 de la loi du 3 juillet pour les agents contractuels du service public : controverse concernant l’application de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs - (...) malgré maintes invitations au niveau international - 10 Janvier 2012 : Arrêt KMC c. Hungary de la CEDH

2) substantielle (obligation de démontrer la matérialité des faits invoqués et le caractère adéquat/raisonnable du licenciement) - Avant le 1 er avril 2014 : Deux régimes distincts suivant que le travailleur soit un : 1.ouvrier (présomption de licenciement abusif - art. 63 de la loi du 3 juillet 1978) 2.employé (théorie de l’abus de droit – art C. civ.) - Contrôle de proportionnalité par le juge (Cass. 22 novembre 2010 – Cass. 27 novembre 2010) Ccl : Jusqu’au 1 er avril 2014, les régimes de motivation du licenciement étaient identiques pour les travailleurs du secteur privé et public (sous réserve de l’application controversée de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs) I.Deux pans à l’obligation de motivation du licenciement

Article 38, 2°, de la loi du 26 décembre 2013 « LSU » prévoit que : « L’article 63 (...) cesse de s’appliquer : 1° en ce qui concerne les employeurs qui relèvent du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires et leurs travailleurs, à partir de l’entrée en vigueur d’une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail, rendue obligatoire par le Roi, relative à la motivation du licenciement ; 2° en ce qui concerne les employeurs qui ne relèvent pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires et leurs travailleurs, à partir de l’entrée en vigueur d’un régime analogue à celui prévu par la convention collective visée au 1° ». => Deux régimes suivant que l’employeur «relève» ou «ne relève pas » du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 II.Au 1er avril 2014, deux régimes distincts de motivation suivant la nature de l’employeur

II.Depuis le 1er avril 2014, deux régimes distincts de motivation suivant la nature de l’employeur - Employeurs relevant du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 (art. 2, §1 er, de la loi) En règle générale, tous les employeurs du secteur privé Par exception, certaines institutions publiques entrent dans le champ d’application de la loi (art. 2, §3, 1° de la loi) ex. : Banque nationale de Belgique, Société fédérale de participations et d’investissement, CREDIBE, Loterie nationale, Vlaams Instelling voor Technologisch Onderzoek, « Brussels South Charleroi Airport-Security »,... - Employeurs ne relevant pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 (art. 2, §3, de la loi) « Etat, Communautés, Régions, Commissions communautaires, provinces, communes,... » Enumération pas limitative : également, les intercommunales, les régies communales autonomes, Belgacom, la Stib, TEC, SNCB, ONSS, Actiris, la Poste, ULB, Universités de la Communauté française, la Commission européenne et de l’Union européenne (C. trav. Bruxelles, 24 avril 2012)

Obligation de motivation formelleObligation de motivation substantielle Employeurs « relevant » - Secteur privé - Art. 3 de la CCT n°109 Obligation de communiquer, d’initiative ou à première demande du travailleur, les motifs de son licenciement Sanction : 2 semaines de rémunération + amende pénale (art. 189 Code pénal social) Art. 8 et suiv de la CCT n°109 «Licenciement manifestement déraisonnable» Et « employeur normal et raisonnable » Sanction : 3 -> 17 sem. de rémunération suivant l’appréciation par le juge Employeurs «ne relevant pas» - Secteur public - Absence de régime analogue - Avant-projet de loi (art. 39 quater) « la notification du congé doit mentionner par écrit les motifs concrets du licenciement » => Régime plus contraignant => Sanction : 2 semaines de rémunération => « la motivation remplace l’obligation de motivation régie par la loi du 29 juillet 1991» - Bloqué au stade des négociations (Comité A) - Objection de la CGSP « amende de 2 semaines trop faible pour assurer l’effectivité de cette obligation » Absence de régime analogue - Art. 63 n’a plus d’effets depuis le 1 er avril 2014 (C. const. 18/12/14) - Avant-projet de loi (art. 39 quater) « disposition analogue à la CCT n°109 » Ccl : Aucune protection en droit social belge contre un licenciement abusif/manifestement déraisonnable III.Analyse comparée des régimes de motivation du licenciement

IV.En l’absence de régime analogue, quelle motivation apportée aux licenciements des agents contractuels du service public ? A)Au niveau de l’obligation de motivation formelle du licenciement Application controversée de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs aux licenciements des agents contractuels du service public : - doctrine et jurisprudence majoritairement francophone : Oui - doctrine et jurisprudence majoritairement néerlandophone : Non Arrêt de la C. Cass. 12 octobre 2015 « il ne ressort pas de ces dispositions que l’autorité administrative qui informe un travailleur qu’elle rompt le contrat de travail ayant existé entre eux, doit formellement motiver ce licenciement »

IV.En l’absence de régime analogue, quelle motivation apportée aux licenciements des agents contractuels du service public ? A) Par rapport à l’obligation de motivation formelle du licenciement Les faits : - Le 11 mai 2009, le Collège des Bourgmestre et Echevins de la Ville d’Ostende a pris la décision de licencier («ontslagbeslissing») un de ses agents contractuels ; La délibération de licenciement faisait expressément référence à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs : « Gelet op de wet van 29 juli 1991 betreffende de uitdrukkelijke motivering van de bestuurshandelingen, inzonderheid op de artikelen 1,2 en 3, (...) » - Le 12 mai 2009, cette décision fut notifiée par courrier recommandé («ontslagbrief») à l’agent avec comme seule motivation une «beroepsongeschiktheid» ; - l’agent a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruges ; - Par jugement du 7 juin 2010, le Tribunal a débouté l’agent de sa demande d’indemnisation ; - Par arrêt du 24 avril 2012, la Cour du travail de Gand, section de Bruges, a réformé le jugement et a condamné la Ville à payer 2.500€ à l’agent en jugeant que «la lettre de licenciement n’est pas suffisamment motivée et ne remplit pas les obligations prévues par la loi sur la motivation formelle des actes administratifs» (et 2.500€ pour défaut d’audition préalable) ; - un pourvoi a été interjeté contre cet arrêt par la Ville d’Ostende.

Arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 : « 1-. En vertu de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, les actes administratifs adoptés par les administrations, repris à l’article 1, doivent être formellement motivés par celle-ci. L’article 1 de la loi définit l’acte administratif comme l’acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs administrés ou d’une autre autorité administrative telle que définie par l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. 2-. Comme en témoignent les travaux préparatoires, il ne ressort pas de ces dispositions que l’autorité administrative qui informe un travailleur qu’elle rompt le contrat de travail ayant existé entre eux, doit formellement motiver ce licenciement. 3-. L’arrêt qui décide que la lettre de licenciement par laquelle le demandeur notifie au défendeur sa décision de rompre le contrat de travail ne satisfait pas aux prescrits en matière de motivation formelle tel que prévu par la loi sur la motivation formelle des actes administratifs, et sur cette base conclu a une faute dans le chef de la demanderesse, ne justifie pas légalement sa décision. La branche est fondée. »

Deux remarques : 1) les travaux préparatoires de la loi ne font pas référence aux lettres de licenciement d’un agent contractuel du service public. nb. : la Cour s’est fiée aux conclusions de l’Avocat-Général Vanderlinden qui fait référence à un rapport de M. Flagothier et à une note jointe audit rapport. Or, ces documents parlementaires n’excluent nullement du champ d’application de la loi du 29 juillet 1991 les licenciements des agents contractuels. 2) En disant pour droit que « il ne ressort pas de ces dispositions que l’autorité administrative qui informe un travailleur qu’elle rompt le contrat de travail ayant existé entre eux, doit formellement motiver ce licenciement », il convient de distinguer : L’acte administratif détachable (décision Le congé de licenciement) adopté par l’autorité adm. via une « délibération, un arrêté,...» « lettre de licenciement notifiée à l’agent » Acte devant répondre aux exigences de droit administratif de droit social -> acte soumis à la loi du 29 juillet 1991 A l’heure actuelle, pas d’obligation de -> acte soumis au contrôle de tutelle / CE motivation formelle en droit social belge

L’enseignement de la Cour de cassation se limite à la lettre de congé (ontslagbrief) et n’est nullement transposable à la décision de licenciement (ontslagbeslissing) qui doit être formellement motivée.  Faux de prétendre que le «licenciement» d’un agent contractuel du service public ne doit pas être formellement motivé. (...) puisque décision (acte administratif détachable) est soumis au contrôle de tutelle générale d’annulation (si autorité administrative décentralisée) ou au Conseil d’Etat « Les actes des autorités communales relatifs aux objets mentionnés ci-dessous, sont transmis au Ministre chargé des pouvoirs locaux, dans les 20 jours de la date où ils ont été pris : (...) 14°les engagements et les licenciements du personnel contractuel » (art. 1, 14°de l’arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 16 juillet 1998) « Sont soumis à la tutelle générale d’annulation tous les actes autres que ceux visés aux articles L3131-1, L et L3162 » ( Art. L CWADEL) Le défaut de motivation formelle et adéquate conformément à la loi du 29 juillet 1991 (et le non respect du principe général de droit (administratif) audi alteram partem) sera sanctionné par l’annulation de l’acte par l’autorité de tutelle.

Contrôle de tutelle = contrôle de légalité (interne & externe) et d’opportunité - Présomption de légalité des actes administratifs - !!! Délais : Le recours doit être introduit endéans le délai imparti à l’autorité de tutelle pour rendre sa décision : * Pour la Région Bruxelloise et Flamande : 40 jours* à partir de la réception des pièces (max. 20 jours après l’adoption de l’acte par l’autorité administrative) * Pour la Région wallonne : 30 jours à partir de la réception des pièces (max. 15 jours après l’adoption de l’acte) (...) sinon acte devient définitif par expiration du délai. - Recours possible devant Conseil d’Etat L’annulation de l’acte par l’autorité de tutelle n’affecte cependant pas la validité du congé qui n’est soumis à aucune forme particulière et est irrévocable. Cependant, l’annulation démontre l’existence d’une faute de l’administration dans sa prise de décision (// C. trav. Mons, 20 octobre 2014 RG 2013/AM/324) « perte d’une chance de garder son emploi »

Cass. 12 octobre 2015 : aucune interaction / « interpénétration » entre les obligations de droit administratif (ex. loi du 29 juillet 1991, principe généraux de bonne administration, publicité de l’administration,...) et les obligations de droit social (loi 3 juillet 1978) Dans la lignée de la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation: Cass. 12 mai 2014 : « de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, [...] il ne se déduit pas que, le licenciement par semblable autorité d’un ouvrier contractuel dût-il être motivé, cette autorité ne pourrait, en cas de contestation, faire la preuve, nonobstant l’éventuelle irrégularité du licenciement de ce chef, du caractère non abusif de celui-ci » => L’autorité administrative garde la possibilité de motiver à posteriori sa décision de licencier sur base d’autres éléments de preuve qui n’auraient, le cas échéant, pas été inscrits dans la lettre de congé pour renverser la présomption de licenciement abusif prévue par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 Cass. 28 mars 2011 : « l’obligation de publicité des intercommunales d’indiquer sur toute décision ou acte administratif de portée individuelle émanant d’un de leurs services « les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter » ne s’appliquer pas à « la décision qui met fin à un contrat de travail ».

Quid si le délai pour introduire un recours gracieux devant l’autorité de tutelle (ou le CE) a expiré ? => Procédure devant les Juridictions du travail ? Comment démontrer l’existence d’une faute dans le chef de l’administration qui n’aura pas formellement motivé le licenciement ? - Invoquer discrimination devant Cour constitutionnelle - Ou recours devant la CEDH pour dénoncer l’absence de disposition légale en droit social belge imposant une motivation formelle (et substantielle !?!) aux licenciements des agents contractuels du secteur public, carence législative qui viole l’article 6 de la Convention Européenne des droits de l’homme (// KMC c. Hungary)

B.Au niveau de l’obligation de motivation substantielle du licenciement -Art. 63 de la loi du 3 juillet 1978 n’a plus d’effet depuis le 1 er avril 2014 (C. Const. 18 décembre 2014) -Cass. 12 octobre 2015 : « L’arrêt qui décide que « les principes de bonne administration, en ce compris l’obligation d’audition préalable (...) [sont] également d’application au licenciement des contractuels » et décide que les demanderesse qui avaient conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec la défenderesse, ont négligé de procéder à l’audition de la requérante avant de la licencier. L’arrêt qui, sur cette base, décide de l’existence d’une faute dans le chef des demanderesses ne justifie pas légalement cette décision » -Statut/règlement de travail de l’administration peut prévoir une procédure de licenciement pour ses agents contractuels -Sinon, quelle protection ?!?

Conclusion 1.L’arrêt de la Cour de cassation ne dispense nullement les administrations de motiver formellement les décisions (acte administratif détachable) de licenciement de leurs agents contractuels. 2.Si la décision n’est pas formellement motivée (ou absence d’audition préalable) : recours en annulation auprès de l’autorité de tutelle (! Délai) 3.Annulation = faute de l’administration qui fonde, sur pied de l’article 1382 C.civ., la débition de dommages et intérêts (2.500€ -> €) 4.Passé ce « délai de tutelle », devant les juridictions du travail invoquer une carence législative discriminatoire (par rapport aux agents statutaires et aux agents du secteur privé) et contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (K.M.C. c/ Hungary)

MERCI POUR VOTRE ATTENTION © Pierre Vanhaverbeke – DBB –