3 février 2011 Philippe Bouquillion

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Transcription de la présentation:

3 février 2011 Philippe Bouquillion Socio-économie des industries culturelles et pensée critique: Le Web collaboratif au prisme des théories des industries culturelles 3 février 2011 Philippe Bouquillion

Introduction Aborder le Web collaboratif à partir des théories des industries culturelles peut sembler paradoxal : Selon ses promoteurs, il est un vecteur et un indicateur de la fin des industries culturelles. Il se serait construit en opposition aux logiques industrielles et marchandes : Il serait notamment le fruit des efforts des fans devenus entrepreneurs : « It’s what happens when fans move out of their parents’ basements and open up companies. » (Henry Jenkins, 2007). Il consacrerait l’empowerment de l’utilisateur Pourtant nous avons choisi d’envisager le Web collaboratif comme une composante des industries de la culture et de la communication (Bouquillion, Matthews, 2010) .

Les théories des industries culturelles : Un ensemble de travaux relevant de l’économie politique de la communication Mais un ensemble épars, très diversifié, composés de travaux construits séparément (B. Miège, 2000) Toutefois, ils présentent des traits communs dont trois nous ont particulièrement servi afin de bâtir notre cadre théorique :

a) L’accent est mis sur des études de terrain socio-économiques qui mettent notamment à jour les stratégies et tactiques des acteurs économiques et sociaux. Prise de distance avec les perspectives opposant la « création » et l’ « argent » mais aussi avec le déterminisme technologique (discours de la « révolution numérique ») b) les industries culturelles sont replacées au sein de la « dynamique du capitalisme ». Citons notamment Bernard Miège lorsqu’il envisage les libéralisations sectorielles dans ce domaine comme permettant de dégager de nouveaux espaces de valorisation des capitaux ou Gaëtan Tremblay (1990) lorsqu’il s’intéresse aux contributions des médias à la sphère marchande.

c) Les industries culturelles sont envisagées dans leur dimension politique. Evoquant les cinq modèles socio-économiques, Pierre Moeglin considère qu’avec eux sont présents cinq rapports à la culture et finalement cinq visions visions de l’espace public et des rapports sociaux : « Ainsi des rapports différents à la culture sont-ils en présence, de l’un à l’autre des cinq modèles. Par exemple, l’univers humaniste et bourgeois de la bibliothèque personnelle, propre au modèle éditorial, n’a rien à voir avec la culture de masse sous-jacente au modèle du flot, ni avec le sentiment d’appartenance à une communauté ou à une coopérative inscrit en filigrane dans le modèle du club, ni avec l’individualisme du péage véhiculé par le modèle du compteur, ni non plus avec l’idéal de l’assistance personnalisée, au cœur du modèle du courtage informationnel. Ce sont cinq « cultures » concurrentes mais aujourd’hui superposées, dont l’examen, dans une perspective anthropologique, conduit à envisager le modèle socio-économique comme un fait social total. » (Moeglin, 2007)

Plan 1 Le Web collaboratif, un construit historique 2. Web collaboratif et oligopole 3. Le Web collaboratif et la construction de la sphère marchande 4. Le Web collaboratif, sa dimension politique et la remise en cause de la dimension critique des SHS

1. Le Web collaboratif un construit historique, fruit des efforts conjugués de consultants, d’acteurs financiers et d’industriels en quête d’un nouveau « label » Le terme Web 2.0 apparaît en 2003. Sa paternité est généralement attribuée à l’expert en informatique et entrepreneur Tim O’Reilly. A partir de 2004, il fait l’objet d’une ample campagne de promotion. Cette campagne aboutira à l’organisation de la conférence « What is Web 2.0 ? » à l’automne 2004 sous l’égide de Tim O’Reilly. Il s’agit donc clairement de venir au secours des sociétés du Web menacées de faillite par l’éclatement de la bulle spéculative.

La construction progressive de la notion de Web 2 La construction progressive de la notion de Web 2.0 s’est notamment faite en étudiant les caractéristiques des sociétés qui ont survécu au crash. Tim O’Reilly propose alors de rechercher le secret de leur survie et de leur succès et de fournir ainsi les clefs du succès dont les autres sociétés pourront s’inspirer. La proposition centrale défendue par Tim O’Reilly est que le salut de l’Internet (et des industries de la culture, plus largement) repose sur un modèle « participatif » où l’usager, de simple consommateur, se mue en un véritable « générateur de contenus ».

Henry Jenkins a placé la Fan Culture dans la catégorie du Web collaboratif Les fans et la culture participative sont au centre du nouveau « système » médiatique et culturel. L’Organisation de coopération et de développement économique (O.C.D.E.) lui a emboîté le pas en publiant, en 2007, une étude relative aux User Generated Contents (U.G.C.).

De même, sous la bannière du Web 2 De même, sous la bannière du Web 2.0 se sont progressivement rangées diverses activités relevant des industries de la culture et de la communication, qui toutes affirment que l’utilisateur aurait une place centrale. Certainement, cette indétermination du terme a aidé à asseoir son utilisation. De ce point de vue, le mérite de la notion de Web 2.0 réside dans son imprécision. Véritable « auberge espagnole », chacun peut y apporter sa contribution, même si ces contributions sont différentes, voire en opposition. Ainsi, des activités se réclament du Web 2.0 alors que leur histoire, ainsi que leurs dispositifs socio-technique et socio-économique, en sont pourtant fort éloignés.

Le Web collaboratif s’insère dans le mouvement de financiarisation des industries de la culture et de la communication. Son développement a été favorisé, et même rendu possible, par les anticipations favorables dont il a bénéficié de la part des acteurs de la sphère financière. Ce qui s’est concrétisé par des valorisations boursières très élevées, sans proportion avec les chiffres d’affaires et les bénéfices, souvent inexistants.

2. Web collaboratif et oligopole Le Web collaboratif n’est pas un facteur de disparition de l’organisation industrielle en termes d’oligopole à franges, mais il se moule dans ce modèle, structurel aux industries de la culture. Les plus grands sites disposent d’importants pouvoirs de marché contrairement aux sites de plus faible importance. Deux types de sites peuvent donc être distingués : Un très petit nombre d’acteurs du Web collaboratif, tels YouTube, MySpace ou Facebook, occupe une position centrale et dominante face à un très grand nombre de sites, à l’audience plus limitée et aux offres aussi généralement plus ciblées.

Certains sites jouent d’ailleurs un rôle de découvreur de talents pour les industries culturelles. Des enjeux du point de vue de la bipolarisation des contenus.

3. Le Web collaboratif et la construction de la sphère marchande Avec d’autres pans du Web, notamment l’industrie de la publicité sur le Web avec Google ou les grands acteurs de l’intermédiation et du commerce électronique, le Web collaboratif représente une nouvelle étape dans l’histoire des liens entre les industries du marketing et les industries de la culture.

D’une part, les contenus culturels, en particulier ceux qui sont repris par les sites du Web collaboratif sont désormais intégrés dans les procès de création, mais surtout de diffusion, promotion et valorisation, d’un nombre important de produits des industries de consommation. le Web collaboratif aide les marques à s’inscrire dans des logiques de production et de diffusion « néo-industrielles ». Les offres sont rapidement renouvelées, tandis que chaque offreur doit différencier ses offres ou, du moins, laisser croire, grâce à la communication, qu’elles sont différentes. De même, les acteurs industriels ont besoin de mieux connaître les consommateurs et leur perception des offres, tant des produits que de leurs modes de diffusion, de packaging, de promotion, de tarification, de positionnement par rapport à d’autres offres substituables ou par rapport à d’autres produits plus éloignés. Diminuer le caractère substituable des offres, limiter la concurrence par les prix, favoriser l’acte d’achat par la création d’un « climat émotionnel » autour des produits, favoriser leur obsolescence et l’acceptation de celle-ci, sont des objectifs importants de ces stratégies. La « culturisation » des produits de consommation.

D’autre part, le Web collaboratif participe, avec d’autres médias, à la structuration de l’espace-temps privé et de la vie domestique, selon l’expression de Gaëtan Tremblay. (1990, pp. 71-72). Cette tendance se poursuit, en particulier sous l’impulsion du processus d’informationnalisation (Miège, Tremblay, 1999). Ces sites s’inscrivent dans la longue suite des « nouveaux » médias qui à la fois s’insèrent dans des pratiques médiatiques de plus en plus individualisées et concourent à l’individualisation de celles-ci. De même, le Web collaboratif, à la suite des « communautés virtuelles », permet de construire les réseaux sociaux virtuels. Ceux-ci fonctionnent comme des espaces où l’information, et donc les promotions commerciales, peuvent facilement circuler. De surcroît, au sein de ces réseaux, les pratiques de consommation de supposés leaders d’opinion peuvent être mises en scène et constituent autant de tentatives de prescription d’usages qui ne s’adressent pas seulement aux membres effectifs d’un réseau social donné mais à tous les internautes qui consultent ces pages.

4. Le Web collaboratif, sa dimension politique et la remise en cause de la dimension critique des SHS Nombre de travaux relatifs au Web collaboratif, souvent difficiles à distinguer de l’expertise, constituent de vecteurs idéologiques, des « discours de vérité », étroitement associés aux projets industriels ou aux politiques publiques.

Les discours sur le Web collaboratif sont les héritiers de discours qui envisagent la société sur le prisme du réseau. Tout d’abord, ces discours mettent en avant la dépérissement de la firme au profit du marché qui fonctionneraient enfin grâce à la libre circulation de l’information. Ensuite, ces représentations insistent sur le caractère central des réseaux et des produits des industries de la culture et de la communication dans la construction des rapports sociaux. Les TICs sont alors présentées comme étant le vecteur privilégié des relations interindividuelles au détriment des instances classiques de socialisation. Les communautés virtuelles se substitueraient ou, du moins, supplanteraient ces instances. Enfin, sur le plan politique, les institutions politiques sont ramenées au statut d’acteur, c’est-à-dire de participant dans un système dont elles ne fixent pas les règles mais dans lequel elles sont intégrées. Le politique est ainsi redéfini – et limité – autour d’interactions individuelles entre les citoyens ou entre ceux-ci et les institutions politiques. Les institutions politiques ne sont alors plus en charge de l’expression d’un intérêt général qui serait supérieur et distinct de l’agrégation des intérêts individuels. Dans la logique de cette représentation, le système ne devrait avoir d’autres règles que celles qui résultent des interactions entre acteurs, individus compris. Là aussi, le Web 2.0 est présenté comme une grande avancée en vue de l’avènement de formes plus participatives de la vie politique, associant le citoyen à la prise de décision. C’est une vision où la société correspondraient à un marché, mais un marché où l’information serait produite par les interactions entre agents supportées par les réseaux.

Dans cette perspective, la réflexion critique ne serait plus nécessaire car l’économie et la culture, la commodity et la community, auraient enfin été réconciliées. Les productions culturelles et informationnelles collaboratives produiraient nécessairement de la différenciation, tandis que sous l’égide des marques, la participation des usagers à la construction de l’offre irait de pair avec celle de nouveaux rapports sociaux.

Les chercheurs sont invités à être des « passeurs » et à fluidifier les rapports sociaux. La perspective critique ne doit s’opposer aux auto-régulations sociales liées aux échanges interindividuels sur les réseaux.

Conclusion Un relatif effacement des travaux critiques en socio-économie des industries culturelles en France?