LA MUSÉOLOGIE DU DEVENIR : LE POUVOIR DES MUSÉES COMME ÉCOLES DES REGARDS MUSEOLOGY OF THE BECOMING: MUSEUMS AND THEIR POWER AS SCHOOLS OF PERSPECTIVES Bruno Brulon Soares (Laboratoire d’Éducation Patrimoniale – Universidade Federal Fluminense, UFF) Tunis, novembre, 2012.
Au cours de l'histoire moderne les musées ont été associés aux enjeux coloniaux, à la constitution des identités, à la création des nations et aux mouvements d'indépendance des pays colonisés. Après presque 30 ans passés depuis la naissance du mouvement de la Nouvelle Muséologie, que peut-on dire des autres 'nouvelles' manières de concevoir les musées qui se sont développées plus récemment ?
Face au changement imprévu de ses utilisateurs, le musée est amené à changer ses pratiques et ses formes dans le but d'être incorporé à la vie des gens dans des contextes divers. On veut prendre en considération l'idée bien connue selon laquelle les musées sont des endroits habités par plusieurs formes de pouvoir, pour penser une mise en scène du pouvoir par ces institutions, ainsi qu’entre elles et leurs publics. Après le procès de « décolonisation des musées » des années 1970 et 1980, comment les « nouveaux » musées s'adressent-ils aux nouveaux publics ? Dans ce sens, la responsabilisation du visiteur est-elle un exemple de distribution du pouvoir ou de décentralisation des musées ?
La muséalisation, selon François Mairesse, c'est « l'opération tendant à extraire physiquement et conceptuellement une chose » de son milieu dit 'd'origine', et à lui donner un statut muséal. (Mairesse, 2011). Alors, l'acte même de muséalisation est un acte de pouvoir et d'autonomisation de l'objet par rapport à des contextes originels – et, en même temps, c'est un acte d'autonomisation du regard.
Si nous revenons à l’histoire des musées en France et, par exemple, au travail mené par Marcel Évrard et les gens qui ont participé aux activités de l’Écomusée du Creusot-Montceau les Mines, dans ce cas le langage de l’art a été utilisé en tant qu’instrument de transformation sociale. Les expositions temporaires du musée ont été pensées par ses concepteurs dans une double perspective : sociologique et ethnologique, d’un côté, et artistique, de l’autre. L’exploitation du terrain est donc illimitée, et les regards sur le patrimoine sont construits comme expérience ouverte. Selon Évrard, dans les premières années de l’écomusée, « si une entreprise d’auto-éducation peut être menée à bien, l’expérience du Creusot prouvera qu’elle doit être tentée au sein d’une communauté restant à l’échelle humaine. » (Évrard, 1976).
Connu par son pouvoir de nous montrer à nous-mêmes des alternatives de connaissance, d’autorité et d'identité par la manipulation des représentations du réel, le musée est un miroir du devenir. L'objet de la muséologie est l'indéfinition même du musée. Dans les années 1970, l'écomusée va prolonger et renforcer des nouvelles expérimentations dans l'activité muséale. Les premiers écomusées vont se constituer en « laboratoires » pour amener les collectivités à se connaître mieux et à se reconnaître par l'appropriation d'un patrimoine, ainsi que par la re-negociation d'un passé. En effet, l'écomusée va transformer l'expérience muséale en donnant aux gens des outils pour construire eux-mêmes leur relation avec l'histoire, la mémoire, les identités, avec le pouvoir de définition et de redéfinition d'eux-mêmes dans l'espace et dans le temps. (Rivière, 1985).
On a récemment traversé la fin de l'utopie dans la muséologie mondiale où une idéologie sur la théorie et les pratiques dites 'nouvelles' ont commencé à être perçue comme ancienne. Qu'est donc alors la muséologie du présent ? Le devenir est toujours l'inconnu. Et l'inconnu du devenir « empower » la création du nouveau. Le pouvoir du musée réside dans sa capacité de changement. Et c'est parce-qu'il change que le musée peut être perçu comme source de pouvoir pour les futures générations. En un sens, la muséologie est une espèce de futurologie.
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