II. Qu’est-ce que la conscience ? - Expressions : être conscient de quelque chose ; prendre conscience de quelque chose : « j’ai pris conscience de cela en vieillissant"; reprendre conscience = reprendre connaissance ; revenir à la conscience ; être inconscient : avoir perdu connaissance ; être inconscient des conséquences de ses actes : « il est totalement inconscient du danger » ; le subconscient ; l'inconscient ; avoir quelque chose sur la conscience ; avoir (ou se donner) bonne conscience ; avoir mauvaise conscience ; agir par acquis de conscience ; soulager sa conscience ; la conscience professionnelle ; examen de conscience ; écouter la voix de sa conscience ; - Sens général : synonymes = savoir, connaître ; étymologie : "cum-scientia", « avec science, savoir » = "accompagné de savoir" : - Définition : Être conscient, c’est agir, sentir, ou penser, et savoir qu’on agit, sent, ou pense. La sensation paraît être le donné le plus élémentaire : elle n’est pas encore une connaissance, elle est ce qui est vécu immédiatement par un sujet situé dans le monde : le chaud, le froid, le rouge, le bleu, le piquant, le sucré, l’amer. La sensation n’est pas une connaissance, elle n’est pas une peinture fidèle et inerte du monde extérieur, mais une réaction biologique de l’organe sensoriel à son milieu. D’où son caractère subjectif. Jacob von Uexküll a montré, dans Mondes animaux et monde humain, comment la vie d’un insecte comme la tique se limite à trois déterminants seulement : la perception de la lumière, qui pousse la tique à se placer en hauteur sur les végétaux pour attendre sa proie; la perception de l’acide butyrique dégagé par les glandes sudoripares des mammifères, qui l’amène à se laisser happer par sa proie; la perception de la chaleur, qui lui fait s’enfoncer dans les poils de celle-ci jusqu’à atteindre la peau, où elle se fixera, s’emplira de sang, se détachera et mourra après avoir pondu.
1. La conscience spontanée ou immédiate La conscience spontanée ou immédiate désigne la capacité à ressentir le monde environnant et soi-même. Tout système vivant, à partir du moment où il est doté d’organes qui le rendent sensible à son milieu et lui permettent d’interagir avec lui peut, de ce point de vue, être qualifié de « conscient ». Ex : Jacob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain
2. La conscience réfléchie - La conscience réfléchie est intimement lié au langage. Elle suppose le pouvoir de dire « je ». « Il faut remarquer que l'enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu'assez tard à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense. » Anthropologie du point de vue pragmatique, livre I, §1, Vrin, trad. M. Foucault. « Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne »
Problèmes de linguistique générale, p. 259. « Est « ego » qui dit « ego ». Nous trouvons là le fondement de la « subjectivité », qui se détermine par le statut linguistique de la « personne ». La conscience de soi n’est possible que si elle s’éprouve par contraste. Je n’emploie Je qu’en m’adressant à quelqu’un, qui sera dans mon allocution un tu. C’est cette condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité que Je devient tu dans l’allocution de celui qui à son tour se désigne par je ». Problèmes de linguistique générale, p. 259. Emile Benveniste (1902-1976)
- la conscience de soi permet d’entretenir un rapport de transparence avec soi. Par la conscience réflexive nous avons immédiatement et librement accès à toutes nos représentations, idées et sentiments. - La conscience de soi permet l'accès à notre intériorité : le « for intérieur », c'est-à-dire l'endroit où l'on peut penser (dialoguer avec soi-même). - La conscience de soi crée un décalage de soi à soi. Être conscient, c'est se voir exister. La conscience permet un dédoublement de soi, le « je » se pose en face du « moi » ; je me dédouble en un sujet et un objet.
3. La conscience morale La conscience morale : La capacité de distinguer le bien du mal et de porter des jugements à valeur morale sur ses actes et sur ceux d’autrui. Cette faculté ne semble pas être partagée par les animaux. - La conscience immédiate est de l’ordre du sentiment, la conscience réfléchie est un savoir de ce sentiment, la conscience morale est un jugement porté sur ce savoir. - Elle implique elle aussi une sorte de dédoublement de la conscience : je sens ce que je fais, je sais que je le sens, je le juge. - C’est une voix intérieure capable d’exprimer un jugement en bien ou en mal par rapport à notre pratique, à notre action.
(Problème) D’où provient cette conscience morale, sur quoi repose son autorité? Deux réponses possibles : (1) La conscience morale aurait une origine naturelle : Rousseau, la voix de la nature qui parle en nous, nous avertissant contre le désordre de nos passions « Conscience! Conscience! Instinct divin, immortelle et céleste voix; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe ». Rousseau, La profession de foi du vicaire savoyard in L’Emile, GF, p. 378-379.
(2) La conscience morale aurait une origine sociale : elle est l’intériorisation de la contrainte social ( Durkheim). « C’est la société qui, en nous formant moralement, a mis en nous ces sentiments qui nous dictent si impérativement notre conduite, ou qui réagissent avec cette énergie, quand nous refusons de déférer à leurs injonctions. Notre conscience morale est son œuvre et l’exprime ; quand notre conscience parle, c’est la société qui parle en nous. » L’éducation morale Pour Durkheim, la conscience morale est l’expression des normes sociales intériorisées par l’individu par l’éducation.
4. La conscience comme fondement de la liberté et de la responsabilité « Conscience et liberté » - La conscience n’est jamais seulement conscience du présent, elle est, comme le fait remarquer Bergson, toujours en même temps mémoire et anticipation. - Elle fait le lien entre les trois dimensions du temps, passé, présent, futur, assure ainsi la continuité et la cohérence de notre expérience. - Parce qu’elle est mémoire, elle retient le passé sous forme de souvenirs ou d’habitudes et fonde notre identité à travers le temps. - Parce qu’elle est anticipation, elle nous ouvre à un futur qui n’est pas encore et nous permet d’envisager des alternatives différentes, elle est donc synonyme de choix et rend ainsi possible la liberté humaine. Cf. Texte de Bergson dans la conférence « la conscience et la vie » La mémoire est la fonction psychique au moyen de laquelle nous enregistrons des informations (biographiques, intellectuelles, affectives) que nous pouvons rappeler volontairement. Cette faculté instaure une continuité dans l’existence liant le passé et le futur. Elle garantit ainsi l’unité du moi qui apparaît comme le centre et le substrat de toutes ses expériences dans le temps.
A quelles conditions peut-on être tenu pour responsable de ses actes ? « Conscience et responsabilité » A quelles conditions peut-on être tenu pour responsable de ses actes ? - Suppose d’abord d’être pleinement conscient de la manière dont on agit et des circonstances de l’action. On ne saurait être tenu pour responsable des conséquences d’un acte qu’il nous était impossible de prévoir dans des circonstances données. Ex : j’allume la lumière et je provoque une explosion de gaz. - Suppose ensuite d’agir volontairement ou intentionnellement sans avoir subi aucune forme de contrainte. Il faut donc avoir agi librement, ce qui implique que l’agent aurait pu choisir d’agir différemment dans les mêmes circonstances. - Suppose enfin d’être en mesure d’évaluer moralement nos actes et leurs conséquences, d’en comprendre la signification et la portée. (conscience morale) « Lorsque nous agissons nous-mêmes, par exemple, ou que nous jugeons les actes des autres, nous n'imputons à nous-mêmes ou aux autres les actes accomplis que dans la mesure où celui qui agit est bien conscient de la manière dont il agit et des circonstances dans lesquelles l'acte s'est accompli. Si les circonstances ne sont pas celles dont l'individu avait conscience et si l'objectivité comporte d'autres déterminations que celles qu'il prévoyait, l'homme moderne n'accepte pas l'entière responsabilité de ce qu'il a fait, il désavoue une partie de ce qu'il a réalisé, parce que, du fait de l'ignorance où il était des circonstances ou du fait de leur fausse appréciation, cette partie de son activité n'a pas été comme il la voulait, et il ne s'impute que ce qu'il savait et que ce qu'il a accompli intentionnellement en se basant sur ce savoir. » Hegel, Esthétique (1835), L'idée du beau, chapitre III, Champs Flammarion, Paris, 1979, pp. 247-248. « Les hommes dont c'est le métier de juger et de punir cherchent dans chaque cas à constater si un malfaiteur est en somme responsable de son méfait, s'il était en son pouvoir d'employer sa raison, s'il a agi pour certains motifs et non pas inconsciemment ou sous la contrainte. Si on le punit, c'est pour avoir préféré les mauvaises raisons aux bonnes, qu'il a donc dû connaître. Quand cette connaissance fait défaut, l'homme, suivant l'opinion régnante, n'est ni libre ni responsable ; à moins que son ignorance, par exemple son ignoriantia legis, ne soit la conséquence d'une négligence délibérée de son information ; auquel cas il a donc préféré les mauvaises raisons aux bonnes dès l'instant où il a refusé d'apprendre ce qu'il devait, et il lui faut maintenant expier les conséquences de son mauvais choix. Si, au contraire, il n'a pas vu les bonnes raisons, par stupidité ou imbécillité, on a coutume de ne pas punir : il n'a pas eu, comme on dit, le choix, il a agit en bête. » Nietzsche, Le voyageur et son ombre, 1878, art. 23, pp. 190-191. « La liberté signifie le contraire de la contrainte : l'homme est libre lorsqu'il agit sans être contraint et il est contraint ou non libre lorsqu'il est empêché par des moyens extérieurs d'agir dans le sens de ses désirs naturels. Il est donc non libre lorsqu'il est enfermé ou enchaîné, ou lorsqu'on exige de lui, sous la menace d'un pistolet, une action qu'il n'aurait pas accomplie sans une telle mise en demeure. Cela est parfaitement clair et l'on conviendra que c'est exactement ainsi que la non-liberté est définie dans la vie quotidienne, par exemple par la justice, et que l'homme est considéré comme entièrement libre et responsable, lorsqu'aucune contrainte extérieure de ce genre ne s'exerce sur lui. Il y a des cas intermédiaires, lorsque, par exemple, quelqu'un agit sous l'influence de l'alcool ou de la drogue. On déclare alors cette personne plus ou moins non libre et on lui concède une responsabilité (Zurechnungsfähigkeit) atténuée, en considérant à juste titre l'action de la drogue comme « extérieure », bien qu'elle se trouve dans son corps ; elle empêche, en effet, la volonté de celui qui agit de suivre son cours conformément à la nature de son caractère. S'il a pris les drogues de son plein gré, nous le rendons alors pleinement responsable de cette action et reportons une partie de la responsabilité sur les conséquences, d'où il résulte alors pour ainsi dire un jugement d'ensemble intermédiaire. Nous ne considérons pas non plus les malades mentaux comme libres en ce qui concerne les actes par lesquels se manifeste précisément leur maladie, parce que nous la tenons pour un facteur perturbant qui entrave le fonctionnement normal des dispositions humaines naturelles. Ce n'est pas eux, mais leur maladie que nous rendons responsable. » Moritz Schlick, Questions d'éthique (1930), VII, 4, Trad. C. Bonnet, Paris, P.U.F., 2000, pp. 130-131.
Pour un sujet qui s’identifierait à la conscience, la responsabilité ne fait pas de doute : à partir du moment où tout est transparent pour le sujet, à chaque instant il sait ce qu’il fait, peut en juger, il en est donc responsable. Mais si tout ne lui est pas aussi transparent? Connaissons-nous toujours qui nous sommes et ce qui nous pousse à agir ? Et si l’unité du sujet n’était pas aussi évidente? Sommes-nous toujours maîtres de nous-mêmes? Ne peut-il pas y avoir de l’inconscient en nous ?