La lutte contre le chômage en France A-t-on vraiment tout essayé ? UTLM 2016-2017 Nicolas Danglade
Qu’est-ce que le travail ? Le travail-tutelle Le travail-contrat Le travail-statut
Avant la Révolution, le travail n’est pas une activité socialement valorisée Le travail dans l’Ancien Régime : le travail sous la logique de la tutelle Ce n’est pas une activité socialement valorisée (travail « obligatoire » et réservé à certains groupes sociaux) Les personnes appartiennent à des collectifs qui leurs apportent une sécurité (religion, corporations de métier, village) mais cette sécurité ne s’accompagne pas de leur autonomie
À partir de la Révolution, le travail le devient socialement valorisé Nuit du 4 août 1789 Lois d’Allarde et le Chapelier (1791) Le contrat de travail = apparition du rapport salarial = c’est l’invention du travail (Jacques Freyssinet) Relation contractuelle entre deux personnes libres On passe du travail-tutelle au travail-contrat
Mais cette liberté s’accompagne de la paupérisation des catégories populaires Distinguer liberté « formelle » et liberté « réelle » Le contrat de travail = « le renard libre dans le poulailler libre » Karl Marx Le contrat de travail = un lien de subordination inégal Loi d’airain des salaires et paupérisation La « Question sociale » du 19ième siècle
Comment sortir de cette situation ? Comment vaincre l’insécurité sociale ? Deux pistes à partir de la fin du 19ième siècle : Attacher des droits à la condition de travailleur = le travail devient l’emploi = entrée dans la « société salariale » (logique du travail-statut vs travail-contrat) : les congés payés, le salaire minimum, la couverture des risques sociaux … Création d’une propriété sociale pour ceux qui ne bénéficient pas de la protection qu’apporte la propriété privée; elle s’obtient par la participation au travail (généralisation de la Sécurité Sociale); le salarié travaille pour son « patron » mais aussi pour lui-même = développement de la citoyenneté sociale (T.Marshall)
La protection par le statut Le contrat de travail est toujours individuel Mais il renvoie à des règles qui sont « collectives » : elles dépassent le salarié qui signe le contrat et le protègent de la relation déséquilibrée entre lui et son employeur Appartenance à des collectifs protecteurs mais qui émancipent l’individu : ils lui assurent son autonomie et lui garantissent sa liberté (vs les collectifs d’appartenance de l’Ancien Régime) Importance de la création de ces règles = les conventions collectives Les acteurs : les syndicats, le patronat et l’Etat
Qu’est-ce que le chômage ? La notion de chômage apparaît à la fin du 19ième siècle Idée : chômage « involontaire » Un premier recensement en 1896 Aujourd’hui, deux mesures : Celle du BIT utilisée par l’INSEE Celle de Pôle emploi
La mesure du BIT est plus « restrictive » : Personne sans emploi, à la recherche d’un emploi et disponible pour un emploi La mesure de Pôle emploi rend davantage compte des différentes situations sur le marché du travail : Certains « chômeurs » travaillent mais souhaitent changer de travail (en particulier pour travailler plus)
Les flux sur le marché du travail Fin de contrats
L’évolution du chômage en France
Le taux de chômage (depuis 1896) Mesure BIT
Le taux de chômage (depuis 1896) Mesure BIT
Un chômage essentiellement structurel Si l’économie française utilisait tous ses moyens de production, le chômage ne baisserait pas au-dessous de 9,3% Taux de chômage structurel = 9,3% Aujourd’hui, le taux de chômage conjoncturel = 1%
Le chômage selon la PCS et le diplôme : une première approche « insatisfaisante »
Les sorties de l’emploi selon les motifs Les sorties de l’emploi selon les motifs ? Pourquoi quitte-t-on un emploi ? Les sorties de l’emploi selon les motifs (en % du total des sorties) Ensemble Fin de CDD 74 % Démissions 11 % Licenciements économiques de CDI 1 % Autres licenciements de CDI 4 % Autres 10%
En France : environ 2 500 000 emplois détruits par an 1% des sorties de l’emploi = 25 000 chômeurs de plus par provenant des licenciements économiques (extrapolation) Les sorties de l’emploi = les salariés en CDD Les salariés en CDD = les plus touchés par le chômage
Qui est en CDD ? Création CDD en 1979 Objectif : donné de la flexibilité aux entreprises pour créer des emplois (vs le CDI) afin de faire baisser le chômage
Les emplois à durée déterminée par rapport à l’âge
Les emplois à durée déterminée par rapport à la PCS
En CDI En CDD et intérim Plus de 90% des actifs après 29 ans 95% des cadres (hommes) 90% des professions intermédiaires (hommes) 90% des étudiants qui sortent d’Ecole de commerce En CDD et intérim Plus de 50% des actifs au dessous de 23 ans 31% des ouvriers non qualifiés (hommes)
Une dualisation du marché du travail, segmenté entre insiders et outsiders Les insiders possèdent des CDI, leurs salaires dépendent des conventions collectives, ils bénéficient pleinement des droits associés à l’emploi, leur situation est peu affectée par l’état de la conjoncture Les outsiders cumulent les périodes de chômage, les emplois à temps partiel = ils peinent à obtenir les droits associés au travail, leur situation varie en fonction de l’état de la conjoncture
Qui sont-ils ? Les insiders : - Tous les actifs qualifiés (à tous les âges) - Davantage les hommes Les outsiders: - Les jeunes relativement moins qualifiés - Les actifs âgés peu qualifiés
Attention au taux de chômage moyen
Enseignement supérieur Brevet, CEP, sans diplôme L’ancienneté sur le marché du travail fait passer des outsiders aux insiders Enseignement supérieur Bac, CAP-BEP Brevet, CEP, sans diplôme Ensemble Sortis depuis 1 à 4 ans de formation initiale 11,5 24 53 20 Sortis depuis 5 à 10 ans de formation initiale 7 15 34 12,8 Sortis depuis plus de 10 ans de formation initiale 4,6 7,9 13,30
Avec le choc de 2008, la position des outsiders se dégrade (plus de mal à décrocher un nouveau CDD)
Conclusion Deux types d’actifs sur le marché du travail sont en difficultés : Les plus jeunes (moins de 29 ans) Les moins qualifiés (ONQ et ENQ) La précarité du travail a des conséquences sur leur protection sociale : les droits sociaux se calculent par rapport au travail Comme ils travaillent moins = des difficultés à obtenir des droits « complets » (comme les salariés en CDI) Conséquence : une précarité sociale
Le bilan des politiques utilisées pour lutter contre le chômage en France
Les politiques de lutte contre le chômage en France Pour faire baisser le taux de chômage Améliorer l’appariement Limiter les licenciements Stimuler l’offre de travail (faire reculer le chômage volontaire) Partager le travail Stimuler la demande de travail des entreprises
Limiter le chômage en maintenant le CDI = création du CDD en 1979, dualisation du marché du travail Partager le travail : pré-retraites + RTT Pré-retraites : un bilan négatif Les RTT : un bilan très contesté empiriquement Inciter les entreprises à créer des emplois Les contrats aidés : un bilan négatif Le CICE : un bilan négatif Les allègements de cotisations sociales : un bilan positif
Inciter les actifs à accepter les emplois : Création du RMI Réforme du RMI en RSA Création prime pour l’emploi
Améliorer l’appariement (la rencontre) entre l’offre et la demande de travail Création de l’ANPE Réforme Pôle emploi Fin du monopole de Pôle Emploi Prime à la mobilité géographique
Bilan ? Hormis les politiques d’allègement des cotisations sociales, aucune politique de l’emploi n’a eu d’effet important en France « En matière de lutte contre le chômage, on a tout essayé » d’autres pistes ?
Peut-on mettre en place d’autres politiques ? Suppression/réduction du salaire minimum ? Diminution des aides et allocations ? Suppression du CDI (contrat unique) ?
Pourquoi ne pas baisser le SMIC ?
Baisser le SMIC pour baisser le chômage ? Salaire minimum Relativement faible Relativement fort Une hausse du salaire minimum donne du pouvoir d’achat et provoque un choc de demande positif (cas USA) Une hausse du salaire minimum provoque un choc d’offre négatif, ce qui réduit la demande de travail des entreprises (cas France)
Constat : le SMIC est trop élevé en France Mais il est utilisé comme politique de revenu = soutien aux revenus les plus faibles (éviter travailleurs pauvres) / objectif de lutte contre les inégalités, la pauvreté En outre, une baisse du SMIC stimulerait la trappe à inactivité Conclusion : une réforme paraît improbable Des propositions : SMIC jeune ou SMIC régional
Évolution du taux de pauvreté en France : 60% du revenu médian = 960€ en 2010
Une baisse du SMIC = plus de trappe à l’inactivité ?
Pourquoi ne pas diminuer les aides et les allocation pour stimuler l’offre de travail ? Les aides sociales sont des outils de redistribution Objectif : éviter pauvreté et creusement des inégalités Conséquence : peu probable de voir ce choix politique remis en cause Des propositions : modifier la politique familiale et le fiscalité pour inciter les femmes à avoir une activité
Pourquoi ne pas supprimer le CDI ? Constat : le CDI augmente le coût de la rupture du contrat = augmente le coût du travail Conséquences Baisser la demande de travail en CDI des entreprises En particulier pour les emplois dont la productivité est la plus faible = les moins qualifiés (jeunes/moins qualifiés) Stimuler la demande de travail en CDD Crainte : précarisation généralisée
Un bilan : des réformes peu souhaitables ? Point de départ: le chômage concerne essentiellement des actifs dont le salaire est trop élevé par rapport à la productivité Pourquoi ? Car le salaire est trop élevé pour ces actifs là en raison du niveau du salaire minimum, du poids des cotisations sociales, et de la nature du contrat de travail (CDI) Mais les réformes qui visent à réduire le coût du travail se paient de plus de pauvreté, précarité …
Comparaison évolution taux de chômage et taux de pauvreté (France – Allemagne) depuis les réformes Hartz
Enjeu pour la France : est-il possible de concilier protection des actifs et efficacité économique ? Le modèle de la flexicurité ? Flexibilité du marché du travail + sécurité des salariés Modèle danois (1993)
Pas de CDI : flexibilité et performance des entreprises Pour éviter précarité : des indemnités/aides sociales élevées pour les chômeurs Pour éviter trappe (chômage volontaire) : un contrôle important Pour permettre un appariement rapide : une formation tout au long de la vie
Pourquoi la flexicurité ferait baisser le chômage ? Flexibilité numérique Destruction emplois obsolètes Création nouveaux emplois Sous condition de formation des actifs Turn-over de la main d’œuvre Gains de productivité Croissance économique = + d’emplois
Mais le modèle de flexicurité demande des réformes très importantes en France Supprimer le CDI et réformer les CDD Modifier le financement de la protection sociale (par l’impôt plutôt que les cotisations sociales) Rendre le système de formation initiale (école) et continue plus performant Conclusion : un modèle souhaitable mais peu réaliste
Conclusion : la France prise au piège entre Un modèle peu souhaitable mais tout à fait réalisable = la baisse du SMIC, la baisse de la protection sociale, … pour faire baisser le coût du travail Se rapprocher du modèle anglo-saxon Un modèle souhaitable mais peu réalisable = la flexicurité Se rapprocher du modèle scandinave