La question de l’euthanasie en psychiatrie de liaison Prof. Dominique Pardoen Dr Nicolas Clumeck Unité de psychiatrie de liaison Service de psychiatrie, Hôpital Erasme Cliniques Universitaires de Bruxelles
Le contexte 3 lois promulguées en 2002 en Belgique : - la loi relative aux droits des patients, notamment droit de refuser les traitements et directives si incapable de l’exprimer - la loi relative aux soins palliatifs, en complément de la loi sur l’euthanasie - la loi relative à l’euthanasie (mai 2002), avec déclaration anticipée si inconscience
Rapport de la commission fédérale de contrôle (février 2006) - 0,2% des décès en Belgique - affections en cause : cancers généralisés ou mutilants (82,5%), les affections neuro- musculaires évolutives mortelles (12%) - âge : 40 à 79 ans (80%) - 41% à domicile - injection IV Pentothal (1 à 2 g)+paralysant neuromusculaire+sédation, si néc. - 5 fois plus de déclarations en néerlandais
Situation en 2008 - 2000 patients environ ont eu recours à l’euthanasie depuis 2002 - débat social toujours très vif en Belgique (Face à la mort, récits d’euthanasie, 2008; Euthanasie : les enjeux du débat, 2005) - la question de l’élargissement de la loi aux enfants et aux déments - en UE, la question de la fin de vie est abordée avec une forte médiatisation (France, Espagne, Italie)
Pourquoi la « bonne et belle mort » ? maintien en vie des patients, « survie » dans de nombreux cas (positivisme « héroïque ») on ne meurt plus d’infection, mais de maladies dégénératives, lentement et longtemps la technologie en médecine a modifié la vision « habituelle » de la mort évolution de notre société vers l’individualisme et la primauté du respect de l’autonomie de l’individu ( la liberté au dessus de la vie, notre mort nous appartient-elle ? )
Quelques définitions Euthanasie : acte (médical) de donner la mort, volontairement, à l’aide d’un produit létal par ex., à la demande explicite et réitérée d’un patient atteint d’une maladie incurable, et en souffrance physique et/ou psychique intolérable Suicide assisté : prescription, par le médecin traitant, d’une dose mortelle de médicaments pour mettre fin à la vie du patient (dans mêmes conditions) (autorisé aux Pays-Bas dans les limites d’une justification particulière)
Abstention de traitement : uniquement les soins de base ou de confort (refus d’escalade thérapeutique, limitation, NTBR, PME) Cessation de traitement : retrait de traitements curatifs (en réanimation, par ex.) Sédation : administration de médicaments dans la seule intention de réduire la souffrance du patient, même si elle risque d’accélérer la mort (pratique des soins palliatifs) Une action qui comporte un double effet, dont l’un est voulu et l’autre non, est éthiquement recevable si la finalité recherchée est un bien
La clinique de l’euthanasie en psychiatrie de liaison La co-morbidité psychiatrique en cas de maladie mortelle et de fin de vie (dépression, delirium, anxiété) Qui sont les patients qui demandent une euthanasie ? Qu’est-ce la souffrance en fin de vie ? Quel est l’impact de la fin de vie et de l’euthanasie sur la famille ? Le rôle du psychiatre (de liaison) dans les situations de fin de vie
Désir d’accélérer la mort Prévalence de 8 à 17% chez les patients en fin de vie (Chochinov et al,1995; Breibart et al, 2000; Emanuel et al, 2000) Corrélation démontrée avec la dépression et plus spécifiquement avec le sentiment de désespoir (Chochinov et al 1995, Breibart et al, 2000; Kissane, 2001). Symptômes psychopathologiques associés: dépressifs et anxieux (Gil et al, 2001) De manière générale, importance du désespoir et des idées suicidaires dans l’état dépressif du patient en phase terminale (Breibart, 1999; Chochinov et al, 2000)
Désir d’accélérer la mort Cependant, proportion importante (40%) de patients avec désir d’accélérer la mort sans aucun signe psychopathologique majeur.(Chochinov et al, 1995) pour les patients déprimés en fin de vie, seule la dépression sévère est prédictive du désir de mort (Akechi et al, 2001) d’autres facteurs semblent jouer un rôle important dans le désir de mort chez les patients en fin de vie
Désir d’accélérer la mort : facteurs associés Perte d’autonomie et douleur (Chochinov et al, 1995) Mauvais soutien social (Kelly et al, 2001) Absence de bien-être spirituel (Mac Clain et al, 2003)
Co-morbidité psychiatrique dans la maladie terminale (le plus souvent, mal reconnue et sous traitée) dépression chez 25 à 50% des patients en fin de vie, dépression majeure chez 24% des patients cancéreux délirium chez 25 à 85% des patients SIDA et cancéreux dépression et anxiété sont corrélées à la douleur
Etude des facteurs biopsychosociaux associés à la situation de fin de vie (Pardoen D., Clumeck N., Cellule de Soins Continus, Service de Psychologie) Comprendre pourquoi certains patients cancéreux en phase terminale font une demande et d’autres pas Etudes de paramètres sociodémographiques, somatiques et psychiatriques qui les différencient
Résultats préliminaires (n=14) qualité de vie très dégradée plus de 60% des patients présentent une symptomatologie dépressive 21% avec critères de Tr Dépressif Majeur 85% non croyants seulement 1 patient avec antécédents psychiatriques
La souffrance insupportable Elle doit être évaluée à plusieurs niveaux : - la souffrance du patient - la souffrance de sa famille - la souffrance de l’équipe soignante L’euthanasie répond à quelle souffrance, dans quel contexte psychologique, culturel, familial, religieux, social ?
Le rôle du psychiatre (de liaison) différentier la détresse « normale » en fin de vie d’un état psychopathologique apprécier la présence préexistante d’un trouble psychiatrique évaluer la capacité d’un patient à décider en fin de vie évaluer l’impact de la famille sur la décision du patient (le patient est désespéré parce que sa famille désespère de lui, ou parce qu’elle est désespérée ?)
Le Rôle du psychiatre (de liaison) faire partie de l’équipe soignante qui, souvent, évalue difficilement les désirs du patient en fin de vie (rôle du jugement, peur de parler de la mort, manque de formation, préoccupations médicolégales, stress, …) répondre aux termes de la loi ou, pas de rôle du tout ?
Pratique clinique Démoralisation « modérée » Démoralisation « pathologique » Aucune altération du jugement Altération majeure du jugement Majorité des cas
Compétences et capacités du patient en fin de vie Compétence : concept social, subjectif en partie, pour résoudre le conflit entre le respect de l’autonomie du patient et le principe de protection de celui-ci Capacité à décider : concept clinique, qui se fonde sur une capacité mentale à évaluer la situation, mesurable et variable
Capacité à décider sa propre mort Est-ce possible ? Le travail de trépas (de M’Uzan, 1977-1980) : décider de sa propre mort serait une erreur du Moi, une méprise narcissique (hypertrophie du Moi-réalité) comme dans la mélancolie Les facteurs favorisants : non seulement la dégradation physique et psychique, mais aussi le contexte socio-culturel, la famille, le temps L’accompagnement : indispensable pour le travail de trépas, mais difficile
Capacité à décider sa propre mort Est-ce l’avenir ? Le vieillissement, les maladies chroniques, le maintien en vie, la perte de religiosité, le principe d’autonomie : société en changement La mort, non plus ce qui nous arrive, mais ce que nous faisons Décision en ce qui concerne la mort et le mourir : « in media res » ou « sub specie aeternitatis » ?
Euthanasie Rôle du psychiatre ? Evaluer l’état mental du patient (altération du jugement ? compétences ?) Entendre le patient dans sa demande Favoriser la communication entre la personne faisant la demande et sa famille Soutenir le patient et sa famille Traiter la souffrance psychique Si nécessaire, aider à la prise de décision concernant la demande d’euthanasie « Guérir » le désir de mort (?)
EUTHANASIE Recherche actuelle 20 000 publications scientifiques concernant l’euthanasie (Pub med) 235 publications seulement sur euthanasie et pathologie mentale <20 publications se rapportant directement à des études de cas