Pour une linguistique du mot Per Aage Brandt Case Western Reserve University pab18@case.edu
« La langue est encore comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso;… » Pour Saussure (CdLG) – Les mots se composent d’une image auditive et d’un concept, et cette composition est arbitraire. Les mots sont les signes linguistiques. Un signe se compose d’un signifiant (sa) et d’un signifié (sé). La langue est un système de termes, à savoir de mots, qui sont solidaires et dont la valeur respective dépend de la valeur des autres termes. La langue est donc un système à deux plans, sa et sé, mais à étudier comme un seul plan sa/sé, qui produit une forme, alors que le plan du sa (phonologie pure) et le plan du sé (psychologie pure) présentent chacun des substances étrangères à la langue.
Or, le langage a quatre niveaux sémiologiques : mot, syntagme, phrase, énonciation. Pour Saussure, seul le premier de ces niveaux compte comme celui de la langue – le reste relève de la parole
La langue n’est pourtant pas un système de mots, car le vocabulaire d’une langue est infinie et ne peut pas faire système. Ce sont les morphèmes qui font système ! Ce qui fait système dans une langue, c’est sa morphologie (Hjelmslev, 1936). Nous proposons le tableau stratifié suivant : Les morphèmes assurent les intégrations de niveau en niveau et en ce sens font système. P. Aa. Brandt, « Analytique, sémiotique et ontologie dans le projet glossématique »
Le mot = (lexèmes + ) morphèmes Le lexème est la racine du mot, exemple : /bois/, /scie/ Le morphème est le flexif articulé au lexème : /bois-erie/. /sci-erie/ Le lexème est la partie du mot formant une classe ouverte (c’est-à- dire qui fait du mot une « partie du discours » ouverte à la possibilité d’ajouter de nouveaux mots et de perdre des mots sans limite, à l’infini). Le morphème est la partie du mot ou du syntagme ou de la phrase ou de l’énonciation qui forme une classe fermée (c’est-à-dire qui inscrit le morphème – conjonction, préposition, forme fléchie, pronom… – dans une liste finie, fermée, un paradigme [Jakobson]).
Les lexèmes catégorisent, (les morphèmes schématisent) Le mot plein, p. ex. /pain/, lexème + morphème zéro, exprime une catégorie, c’est-à-dire une entité cognitivement pertinente, dans ce cas une chose, parmi un nombre infini d’autres choses. Il ne peut pas faire partie d’un système saussurien de langue. Une catégorie est un concept de choses-type, p. ex. les « pains ». Elle est organisée par prototypes, exemples typiques et marginales (de pains); ses limites sont en général floues (pains d’épice ?), sauf pour les catégories artificielles, créées par des définitions explicites dans un discours technique (réinitialisation d’ordinateur). La sémantique contient notamment des catégories nominales, verbales, adjectivales, adverbiales. Toutes forment des classes ouvertes.
Les morphèmes schématisent – Ainsi, les prépositions françaises de / à schématisent-elles l’idée d’un mouvement à partir de son commencement (de) ou à partir de son achèvement. Les schémas sont les « diagrammes » de notre esprit :
Les morphèmes schématisent – Ainsi, les quantificateurs français tous / quelques / aucun schématisent-ils l’idée d’un ensemble qui Les schémas sont les « diagrammes » de notre esprit :
Donc, dans le langage, la morphologie lexicale définit la langue, et les autres composantes relèvent de la parole : Le langage en spirale : P. Aa. Brandt, Word, Language, and Thought – A New Linguistic Model (2016)
L’énonciation est une structure dialogique, déictique et référentielle de la parole : « Je te montre ceci, et ceci te montrera cela… »
La syntaxe phrastique est une structure grammaticale de la parole : “In a café on Rue Fontaine, Vautour, Lenoir, and Atanis exchanged a few bullets regarding their wives, who were not present.” F. Fénéon
La sémantique phrastique déploie le sens littéral des phrases La sémantique phrastique déploie le sens littéral des phrases. Or, la sémantique discursive doit apporter des références “In a café on Rue Fontaine, Vautour, Lenoir, and Atanis exchanged a few bullets regarding their wives, who were not present.” Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes (1906, 2015). Échanges d’offenses S1 S2 Vautour/Lenoir Lenoir/Atanis F. Fénéon équivalence Bullets, balles O2 O1 Bullets, balles variation { + <–E–> – }
Conclusion : Quel est l’objet de la linguistique ? Le langage comprend une phonétique, une syntaxe, deux sémantiques et une instance d’énonciation. Le mot est au centre de ces instances et les active simultanément dans la « parole ». La morphologie lexicale, qui définit une « langue », détermine la phonétique, l’énonciation, la syntaxe grammaticale, la sémantique phrastique et la sémantique discursive. En parlant ou écrivant et en écoutant ou lisant, nous activons toutes ces instances simultanément.
Merci de votre attention – (mutton) (sheep)