Christophe Parisse INSERM – Modyco (Université Paris X, CNRS) Relations entre phonologie et morphosyntaxe chez les enfants dysphasiques: théorie et expérimentation Christophe Parisse INSERM – Modyco (Université Paris X, CNRS)
Thème de recherche (en collaboration avec Christelle Maillart, Université de Liège) Interactions entre morphosyntaxe et phonologie dans le développement du langage Deux volets : Caractéristiques phonologiques chez les TSDL (Troubles Spécifiques du Développement du Langage) francophones à niveau de développement morphosyntaxique égal Liens entre caractéristiques phonologiques et morphosyntaxiques chez ces mêmes enfants
Première étude Maillart & Parisse (2006), Phonological deficits in French speaking children with SLI. International Journal of Language & Communication Disorders, 41, 3, 253-274.
Origine des troubles dysphasie Plusieurs pistes envisagées et parfois compatibles (cf. Bishop 1992) Déficit spécifique grammatical (Gopnik, Van der Lely, etc.) Déficit mnésique (Gathercole & Baddeley) Limitation des capacités de traitement (Leonard, etc.) Déficit phonologique / acoustique (Tallal, Chiat, etc.)
La piste phonologique Le déficit phonologique peut, à lui seul, générer certaines difficultés morphosyntaxiques (cf. Chiat, 2001) Les éléments linguistiques les plus abstraits ne peuvent être acquis que grâce à l’entrée linguistique qui doit donc être analysée finement (par exemple, verbes, noms abstraits, éléments grammaticaux) Également, moins il y a transparence sémantique, plus la phonologie est importante
Données en production Comparaison avec des enfants de même âge Enfants de 24 mois (Stoel-Gammon, 1989 ; 24-31 mois Rescorla & Ratner, 1996 ; 34 mois Paul & Jennings, 1992) Retard expressif par rapport à des contrôles de même âge Complexité des structures syllabiques (CV ; CVC, etc.) Taille du répertoire consonantique
Retard seulement ? Productions quantitativement différentes mais qualitativement similaires : Phonèmes maîtrisés ou non, etc. Développement phonologique apparemment identique Les productions semblent similaires à celles d’enfants plus jeunes.
LME contrôles Pour vérifier cela : comparaison avec des enfants de même niveau langagier (appariés sur le LME = Longueur Moyenne d’Énoncé) Mais aussi impact théorique : Si on a des difficultés spécifiques en phonologie quand le niveau langagier est neutralisé, alors c’est une argument pour les théories phonologiques
Études dans plusieurs langues Schwartz, Leonard, Folger & Wilcox (1980) anglais: Aguilar – Medivilla , Sanz-Torrent & Serra-Raventos (2002) espagnol / catalan Bortonili & Leonard (2000) Anglai, Italien Owen, Dromi & Leonard (2001) : hébreu Présence de différences entre TSDL et contrôles LME Déficit plus marqué en phonologie, même si l’ensemble du tableau langagier tend à être déficitaire Indépendamment de la langue (anglais, italien, hébreu & espagnol) Troubles présents même avec des langues ayant des propriétés phonologiques différentes (ne s’exprimant pas nécessairement de la même façon dans toutes les langues)
Question 1 Retrouve-t-on cette faiblesse en phonologie également en français ? Aucune donnée descriptive disponible ! Particularités phonologiques liées au français ? Indices déficitaires identiques ?
Décalage entre petits & grands Impression clinique : le retard en phonologie se creuse Littérature : peu de différences entre les TSDL et les LME contrôles petits mais plus de différences chez les grands Beers (1995) : néerlandais : suivi longitudinal TSDL (4 ans) = LME contrôles (1;3 –2;2) TSDL (5;6 ans) < LME contrôles
Question 2 La mise en évidence de différences en phonologie dépend-elle du niveau langagier global ? Peu de différences chez les petits Augmentation des différences chez les grands
Partie expérimentale
Sujets Appariement sur la LME Les enfants contrôles sont choisis dans une tranche d’âge qui correspond à la LME moyenne des sujets TSDL
Épreuve Langage spontané Dans une situation de jeu pour les enfants les plus jeunes où le rôle de l’adulte est d’inciter l’enfant à décrire ses propres actions (Le Normand, 1986) Dans une situation de questions–réponses pour les plus grands (Evans & Craig, 1992) La phonétique dépend peu de la situation d’énonciation (Shriberg, 1993) Les enfants tendent à éviter les formes qu’ils maîtrisent peu Effets moins forts qu’en situation de langage induit (Leonard et al., 1982)
Durée des enregistrements : variable selon les enfants
Codage phonétique Format CHAT (pour le codage et le traitement) Minimum de deux juges par enfant Transcriptions travaillées et modifiées jusqu’à un accord à 100% entre juges Nombre total d’énoncés: 4158 Nombre total de mots: 13312
Traitement Insertion d’une ligne « Modèle » pour chaque énoncé Regroupement de certaines voyelles difficiles à différencier (é è, eu e, eau o, in un) Grâce à la transcription phonétique et la ligne modèle Calcul automatique des valeurs mesurées
Exemple *CHI: sait pas nager %pho: se pa laʒe (phonologie de l’enfant) %mod: se pa naʒe (cible phonologique adulte) Erreurs phonologiques
Procédure Enoncés Mots Syllabes Phonèmes
Enoncés intelligibles Effet d’âge et de type pour les deux mesures (p < .001) Donc : l’intelligibilité des énoncés augmente avec l’âge indépendamment du statut langagier : TSDL < CTRL
Mots corrects Effets d’âge (p = .001), de type (p = .009) et interaction age x type (p = .004) Donc : les différences entre enfants TSDL et contrôles émergent quand les enfants produisent des énoncés plus longs
Respect du nombre de syllabes Calcul du nombre de syllabes ajoutées / omises dans les différents sous-groupes Effet d’âge et du statut langagier (type), pas d’interaction. Donc : Les enfants jeunes respectent moins le nombre de syllabes des mots que les âgés Les enfants TSDL respectent moins le nombre de syllabes des mots que les enfants contrôles
Inventaire syllabique Flèches vertes: effet d’âge – Flèches bleues: effet de type Donc : les structures simples diminuent avec l’âge tandis que les structures complexes augmentent
Syllabes correctes Flèches vertes: effet d’âge – Flèches bleues: effet de type Rond rouge: interaction significative Peu de différences entre les groupes, sauf pour CV
Phonèmes corrects Effets d’âge (p = .004), de type (p < .0001) et interaction age x type (p = .02) Donc: les difficultés phonologiques des enfants TSDL se marquent surtout chez les plus âgés
Consonnes correctes Effets d’âge (p = .02), de type (p = .0008), pas d’interaction âge x type
Voyelles correctes Effets d’âge (p < .0001), de type (p < .0001) et interaction âge x type (p = .002)
Discussion des résultats Enoncés effet d’âge seulement Mots tous effets Syllabes effets variés (surtout âge) Phonèmes tous effets
Conclusions première étude : Question 1 Globalement, on retrouve en français la faiblesse en phonologie des enfants TSDL Mais il y a des résultats spécifiques: 1) Pas de déficits significatifs sur le traitement des syllabes 2) Une faiblesse phonétique aussi grande sur les voyelles que sur les consonnes (il y a moins d’erreurs sur les voyelles que sur les consonnes, mais l’effet sur les TSDL est plus significatif marqueur ?).
Question 2 Effet développemental À LME égale, chez les jeunes enfants (LME<2), pas de différence phonétique À LME égale, chez les plus grands (LME>3), différence phonétique importante nécessité d’études longitudinales complémentaires
Les enfants TSDL semblent « bloqués » dans le développement de leurs représentations phonologiques Accroissement de l’écart entre représentations phonologiques d’une part, lexique et syntaxe d’autre part Interprétation Tant que le traitement linguistique est très lexical (LME<2), le déficit phonologique est difficile à mettre en évidence. Lorsque les traitements sont plus syntaxiques et le lexique plus complexe, alors le déficit phonologique devient très visible.
Deuxième étude Parisse, C. et Maillart, C. (2005) Deuxième étude Parisse, C. et Maillart, C. (2005). Interférences entre phonologie et syntaxe en pathologie développementale du langage, Le Langage et l’Homme, XXXX, 2, 127-147.
Lien avec la morphosyntaxe Nos résultats vont dans le sens des hypothèses phonologiques (non-morphologiques) Or la plupart des résultats insistent sur l’importance des aspects syntaxiques (ce qui correspond aussi aux performances des enfants)
Quelles théories lient phonologie et syntaxe ? Trois théories concurrentes qui postulent que le déficit est à l’origine de nature phonologique : Théorie phonologique (Joanisse, 2000) Théorie du mapping (Chiat, 2001) Théorie de surface (Leonard et al., 1992)
But de l’étude Tester ces théories en observant les relations entretenues entre les performances en phonologie et en syntaxe Faire des prédictions pour chacune des trois théories sur les performances en phonologie et en syntaxe Tester ces prévisions à l’aide des enfants de la première étude
Rendre les conditions de test complémentaires des études précédentes Travail sur le français et sur ces 3 théories pas encore fait D’une façon générale, ces théories fonctionnent surtout pour les verbes Elles sont conçues de cette façon à cause des résultats sur l’anglais Il est difficile ou impossible de les départager autres classes grammat. à partir des paramètres linguistiques décrit juste avant, on a généré des hypothèses qui sont: pour un paramètre, comment se comporte une catégorie syntaxique ? on fait pour toutes les catégories pour 1 paramètre et on obtient une prédiction des scores prédit pour l’ensemble des catégories pour un paramètre.
Paramètres linguistiques pour trois théories phonologiques phonologie pure surface mapping saillance (+) X complexité phonologique (-) fonctionnel (-) lexical (+) complexité syntaxique (-) syntaxique (-) sémantique (+)
Etude sur l’ensemble des catégories syntaxiques Pour chaque théorie à tester, faire : Des prédictions d’erreurs phonologiques et morphosyntaxiques Ceci pour chacune des catégories morphosyntaxiques qu’on peut tester (suffisamment produite par les enfants) A partir des paramètres linguistiques décrits précédemment, on prédit le comportement d’une catégorie syntaxique
Le paramètre saillance Hypothèse : les catégories saillantes seront mieux réussies que les non saillantes En français, la dernière syllabe d’un groupe rythmique est accentuée. Donc 2 niveaux de prédiction Peuvent être accentués : adverbes, noms, pronoms forts, verbes marqués ou non marqués Ne le sont jamais : déterminants, pronoms sujet, auxiliaires, prépositions
Le paramètre complexité phonologique Pas de données disponibles Définition d’une complexité par mot – d’après Paradis & Beland (2002) Somme des complexités de chaque syllabe Complexité d’un syllabe – CV = 1 – V, CVC = 1,5 – CCV, CVV, CvV = 2 - CCVC = 2.5 Calcul des complexités pour tous les mots du lexique (limités à des mots attestés en langage adressé à l’enfant) Complexité moyenne calculée par catégorie syntaxique
Le paramètre complexité syntaxique Prise en compte du nombre de marques syntaxiques (marquées en phonologie) que porte un mot Respect des caractéristiques du langage oral Les marques rares (ex: pluriels irréguliers) compte comme 1/2 Genre, nombre, temps, personne
Autres paramètres Évaluation d’après la présentation de la théorie du mapping de S. Chiat Transparence sémantique Importance du support phonologique
Influence des paramètres par catégorie syntaxique saillance cpx phono lexical fonction. cpx syntaxe syntaxe sémantiq adverbe 10 5 6.6 déterminant 3.3 4 nom 8 préposition 7.5 pronom fort pronom sujet verbe non marqué 6 verbe auxiliaire 2 verbe marqué 2.5
Tests des prédictions Confronter les trois théories aux observations issues du langage spontané Validation indirecte, via les paramètres Prédictions objectives pour chaque catégorie syntaxique, par paramètre Il suffira donc de confronter les pourcentages d’erreurs aux prédictions pour voir quels sont les paramètres efficaces Si les paramètres utilisés dans une théorie fonctionnent bien, cela validera cette théorie
Méthodologie Participants 24 enfants francophones 12 enfants ayant un trouble spécifique de développement du langage (TSDL) avec des troubles expressifs et réceptifs (âge moyen : 7;7 ans ; LME: 3,82) 12 enfants contrôles (CTRL) choisis dans une base de données de référence pour être appariés sur la LME , (âge moyen : 4;0 ; LME : 3,70)
Tâche Échantillons de langage spontané Transcrits phonétiquement et analysés grammaticalement (CHILDES) 3052 énoncés (1474 TSDL ; 1578 CTRL) 11702 mots (5606 TSDL ; 6096 CTRL)
*CHI: sait pas nager %pho: se pa laʒe (phonologie de l’enfant) %mod: se pa naʒe (cible phonologique adulte) %mds: il se pa naʒe (cible adulte -ajout de « il »-) Erreurs phonologiques Erreurs syntaxiques
Résultats
Erreurs phonologiques Grande différence entre les groupes (sauf pour les auxiliaires) À LME équivalente, importance des faiblesses phonologiques (cf. étude 1) adv det nom prép pro psbj v aux vmr Tsdl 67% 89% 62% 81% 69% 73% 56% 92% 48% Ctrl 96% 84% 94% 95% 91% 88% 98% p.= .0003 .018 .0001 .024 .002 .004 .15 (NS) .025
Erreurs syntaxiques adv det nom prép pro psbj v aux vmr Tsdl Ctrl p.= Peu de différences entre les groupes À LME équivalente, faiblesses spécifiques sur les déterminants (omissions, erreurs de genre) et les prépositions adv det nom prép pro psbj v aux vmr Tsdl 99% 88% 84% 97% 73% 96% 95% 93% Ctrl 100% 94% 81% p.= .92 NS .005 .095 .0012 .94 .27 .46 .18 .20
Comparaison avec les prédictions Corrélations entre valeurs prédites et valeurs mesurées Ex. saillance et erreurs phono chez TSDL : -0,84** adv det nom prép pro psbj v aux vmr Tsdl 67% 89% 62% 81% 69% 73% 56% 92% 48% Préd saillance 10 5
Corrélations entre prédictions par paramètre linguistique et résultats par catégorie syntaxique saillance cpx phono lexical fonction cpx syntaxe syntaxe sémantique TSDL phono -0,84** 0,79* -0,85** -0,34 -0,41 CTRL phono -0,55 0,76* -0,78* -0,22 -0,19 TSDL syntaxe 0,73* -0,56 0,51 0,18 0,40 CTRL syntaxe 0,48 -0,63 0,39 0,25 0,38
Discussion Aucune théorie ne permet d’expliquer les corrélations négatives Saillance et opposition lexical/fonctionnel ne sont pas des paramètres intéressants pour la phonologie en français Corrélations positives : Lien fort entre la complexité phono et les erreurs phonologiques Difficile d’expliquer le rôle de la saillance sur les erreurs syntaxiques (variable confondue ?)
Retour aux théories A première vue, la théorie phonologique paraît la plus parcimonieuse Les autres théories ne sont pas basées sur des paramètres validés par l’expérience Attention: pas d’effet de saillance Est-ce la phonologie en général ou la complexité phonologique en particulier ?
Certains résultats ne s’expliquent pas par la complexité phonologique En phonologie comme en syntaxe Les déterminants < pronoms sujets et verbes < noms (en phono comme en syntaxe), pour une même complexité phonologique Adverbes et auxiliaires meilleurs que prévus Pronoms forts plus faibles que prévus Erreurs sur les prépositions
Perspectives Il est impossible de proposer une théorie du langage sans tenir compte de la complexité phonologique qui est un bon prédicteur pour l’ensemble des catégories Mais, cela ne suffit pas…
Critère sémantique/syntaxique semble intéressant Complexité syntaxique, telle que calculée (nombre de traits syntaxiques dans le langage adulte, langue perçue par les enfants) ne fonctionne pas Critère sémantique/syntaxique semble intéressant Prépositions, opposition noms/verbes Mais à mieux définir Distinction non produite ne doit pas être prise en considération parce qu’elle ne doit pas poser pble à l’enfant Implications théoriques importantes (système lgue inné ? Ou système en train d’être appris à un moment du développement)
Piste de réflexion : calculer la complexité syntaxique et le critère sémantique par rapport à la langue produite par les enfants (une distinction non produite ne devrait pas être prise en considération) Nécessité d’étudier les représentations phonologiques, surtout en français où le détail de ces représentations semble poser le plus de problèmes