« Mesures de risque, besoin en fonds propres » SEMINAIRE SOLVABILITE ET RENTABILITE EN ASSURANCE NON VIE 5 et 6 Novembre 2003 « Mesures de risque, besoin en fonds propres » D.CADOUX AXA, JM.LOIZEAU MAAF C.PARTRAT ISFA - Institut des Actuaires
Sommaire Besoin en fonds propres Définition et propriétés d’une mesure de risque Principales mesures de risque pour le besoin en fonds propres Ecart-type (variance) Probabilité de ruine et Value at Risk (VaR) Tail Value at Risk (TVaR) Excess Tail Value at Risk (XTVaR) Expected Policyholder Deficit (EPD) Mesures de risque basées sur les opérateurs de distorsion Lien avec les approches réglementaires Conclusion
Besoin en fonds propres Pourquoi ce besoin ? Contrainte de solvabilité vs rentabilité Besoin en fonds propres global d’un centre de profit au sens large (compagnie, branche, produit) Approches Bottom-up et Top-down NON TRAITEES Le besoin en fonds propres d’un assureur non-vie dépend du point de vue : Assurés, organismes de contrôle, agences de notation Actionnaires, management de la compagnie, souscripteurs
Besoin en fonds propres Vision interne de la compagnie représente le capital théorique jugé nécessaire par l’assureur pour maintenir son activité Différence entre ce capital nécessaire et le capital disponible (CSR) Vision externe du besoin en capital représente le capital minimum réglementaire ou exigé par le marché Vision interne du besoin en capital C’est le niveau de capital dont souhaite disposer la compagnie pour respecter l’objectif de solvabilité qu’elle s’est fixée. Le besoin en capital est évalué à partir des risques propres à la compagnie et est fondé sur ses propres estimations, issues de données qui peuvent être confidentielles. Cette approche repose sur l’utilisation de modèles probabilistes qui permettent d’étendre le champ des possibles et d’avoir une approche prospective. Le capital ainsi obtenu est appelé Capital Ajusté au Risque (CAR) ou Risk-Adjusted Capital (RAC) dans la littérature anglo-saxonne. La dénomination « Capital Economique » est aussi couramment employée. Le CAR ne doit pas être confondu avec le Capital Supportant le Risque (CSR = Risk-bearing capital en anglais). Le CSR correspond au capital dont dispose la compagnie pour supporter son activité mais ne se limite pas aux fonds propres tels qu’ils figurent au bilan de la société. Outre ces derniers, il contient généralement les plus-values latentes, l’escompte des provisions de sinistres et les valeurs cachées (actifs incorporels, excédent de provisions, …), les impôts latents associés aux gains latents venant réduire son montant. Le CSR évolue ainsi selon le résultat de la compagnie. Le CAR correspond alors à la valeur cible de CSR souhaité par la compagnie selon la règle de solvabilité qu’elle s’est donnée. Vision externe du besoin en capital C’est le niveau de capital désiré par des acteurs extérieurs à l’entreprise, les principaux étant les organismes de contrôle qui déterminent un capital réglementaire et les agences de notation qui évaluent le niveau de capital exigé par le marché. Même si les approches mises en œuvre sont basées sur les données de la compagnie, elles sont par construction normatives puisqu’elles visent à comparer le capital de la société à celui issu d’un modèle s’appliquant à l’ensemble du marché.
Définition d’une mesure de risque FX fonction de répartition de X : Dans la suite, X représentera le résultat de la compagnie On appelle mesure de risque une fonction ρ associant à un risque X un réel positif ρ(X) Dans la suite, ρ(X) représentera le besoin en fonds propres Soit Ω l’ensemble fini des états de nature possibles, on appelle risque une fonction X qui à un état de nature ω associe le réel X(ω). Volontairement, le résultat n’est pas défini ici car il dépend du modèle d’évaluation du besoin en capital mis en œuvre. En assurance, X peut aussi représenter la charge agrégée de sinistres.
Exemples de représentations
Exemple
Propriétés des mesures de risque Liste non exhaustive (i) : Invariance par translation pour toute constante c, (ii) : Sous-additivité (iii) : Homogénéité positive Propriété 1 : Si on ajoute (resp. on retranche) un montant certain c au résultat d’un centre de profit, le besoin en capital décroît (resp. augmente) du même montant. Propriété 2 : La fusion de deux centres de profit ne crée pas de risque supplémentaire. Au contraire, la diversification tend à réduire le risque global. Cette propriété permet ainsi une gestion décentralisée du besoin en capital dans les différents centres de profit sans courir le risque d’un besoin global supérieur à la somme des besoins individuels de chacun des centres. Si cette propriété n’était pas respectée, une société ne respectant pas un certain niveau requis de capital pourrait être incitée à se scinder artificiellement en deux entités afin de réduire son besoin en capital. Propriété 3 : De même qu’une fusion ne crée pas de risque supplémentaire, une fusion sans diversification ne réduit pas le besoin global en capital. Propriété 4 : Si les résultats du risque X sont toujours inférieurs à ceux de Y, le besoin en capital pour X doit être supérieur à celui pour Y. (iv) : Monotonie
Propriétés des mesures de risque (v) : Borne supérieure (vi) : Conservatisme (vii) Sévérité : le besoin en capital doit tenir compte des amplitudes possibles des pertes Propriété 5 : le besoin en capital est borné par la perte maximale possible. Propriété 6 : X- désigne la partie négative de X. Elle est définie par ARTZNER et al. [1999] notamment pour la détermination du besoin en capital, et conduit à ne prendre en compte que les valeurs négatives de X, traduisant ainsi une forte aversion au risque.
Notion de cohérence Cohérence selon Artzner et al. [1999] = propriétés (i), (ii), (iii) et (iv) Limite de la propriété d’homogénéité positive Limite de la propriété de sous-additivité Exemple : Selon Artzner et al. [1999], une mesure de risque appropriée doit vérifier les propriétés de cohérence. Ce corps de propriétés ne fait pas l’unanimité dans la communauté actuarielle car il existe des situations où l’on peut être amener à choisir une mesure de risque non cohérente. Les deux limites principales sont les suivantes. Limite de la propriété d’homogénéité positive Une variation d’échelle du risque peut conduire à un effet plus que proportionnel sur le besoin en capital, qui peut découler par exemple de contraintes de marché telle que la difficulté de se réassurer par exemple. Limite de la propriété de sous-additivité Il est important de noter que la diversification, recherchée à travers l’agrégation des risques, limite la dispersion du risque mais n’augmente pas nécessairement la probabilité d’être solvable. Pour illustrer ce point, nous reprenons l’exemple choisi par PERRONNET et al. [2002]. L’agrégation de X et Y réduit ici la dispersion du risque puisque l’écart-type de la somme de X et Y est inférieur à celui de 2X ou 2Y. En revanche, les fonds propres existants seront réduits dans 1 cas sur 3 si l’on détient 2X ou 2Y alors qu’ils le seront dans 2 cas sur 3 si l’on supporte X+Y. On voit donc qu’un agent, selon son aversion au risque, pourra être amené à rejeter une mesure de risque sous-additive et à choisir un critère de décision fondé sur une autre mesure.
Principales mesures de risque pour le besoin en fonds propres
Ecart-type (Variance) Sous-additive et homogène positive MAIS pas conservatrice Moins sensible aux événements extrêmes que d’autres mesures de risque : mauvaise représentation des pertes sensiblement éloignées de la moyenne Peu adaptée pour mesurer le besoin en fonds propres Attention, la variance n ’est pas sous-additive Ecart-type ni monotone et ni invariant par translation Utiliser la semi-variance limitée aux pertes pour vérifier la propriété de conservatisme Usage de cette mesure de risque plus pertinent pour la tarification
Ecart-type
Probabilité de ruine / Value at Risk (VaR) Probabilité de ruine = probabilité que le capital initial C, connu, soit absorbé par un résultat déficitaire : VaR : perte maximale (sur une période donnée) pour un certain niveau de sécurité α La probabilité de ruine « stricto-sensu » est telle que définie au-dessus. Les modèles actuariels d ’assurance ont inversé l ’approche en cherchant C à partir de α La VaR est une mesure de risque commune aux organismes financiers car son utilisation a été recommandée par le Comité de Bâle en 1996. Elle est totalement équivalente au concept de Sinistre Maximum Probable (SMP), très familier des assureurs non vie. Elle est calculée de façon journalière par les banques et sert à piloter leurs activités de trading. Ce n ’est rien d ’autre qu ’une adaptation de la probabilité de ruine. VaR = capital minimal nécessaire pour ne pas être en ruine avec une probabilité supérieure à α
Probabilité de ruine / Value at Risk (VaR)
Probabilité de ruine / Value at Risk (VaR) Concept simple Facile à calculer Mesure le risque en un seul nombre et ne tient pas compte de la sévérité de la ruine Pas sous-additive MAIS peut faire sens dans un objectif de solvabilité Sous-additive si X a une distribution gaussienne
Tail Value at Risk (TVaR) TVaR = perte moyenne au-delà d’un certain seuil dépendant de α Mesure le risque à l’aide de deux nombres Très sensible à la queue de distribution de X La « vraie » formalisation de la TVaR est la suivante : Dû au fait que pour une distribution discrète on peut avoir : Dans la pratique, on suppose que F(x) est continue (nombre de simulations suffisamment grand permettant de considérer que l ’on a un continuum d ’observations) Aussi appelée Expected Shortfall (ES), Conditional Tail Expectation (CTE ou TCE) ou Conditional VaR (CVaR). Il est aussi possible de calculer une mesure de risque avec 2 seuils au lieu d’un seul seuil inférieur (encadrer X par un intervalle).
Tail Value at Risk (TVaR)
Tail Value at Risk (TVaR) Assez facile à expliquer et à calculer Plus conservatrice que la VaR Respecte toutes les propriétés (i) à (vii) Risque dans la queue de distribution appréhendé UNIQUEMENT par le moment d ’ordre 1 En raison de ses propriétés, la TVaR est aussi utilisée dans le cadre de l ’allocation de capital entre branches
Excess Tail Value at Risk (XTVaR) Ruine moyenne au-delà d’un certain seuil dépendant de α Issue de la TVaR : TVaR = VaR + XTVaR Ou encore appelée Mean Excess Loss (MEL) équivalent à l ’espérance de vie résiduelle en actuariat vie
Expected Policyholder Deficit (EPD) Appréhende la probabilité de perte des assurés et l’espérance de celle-ci A = actifs de l’assureur X = engagement de l’assureur vis à vis des assurés Elle a été introduite par BUTSIC [1994] dans le cadre des travaux des autorités de contrôle américaines sur le “ Risk-Based Capital ” ou RBC Mesure l ’insolvabilité du point de vue des assurés, c ’est à dire le montant moyen de sinistres qui ne peut être payé par l ’assureur.
Expected Policyholder Deficit (EPD) Utile pour les autorités de contrôle : ratio EPD Calcul plus complexe Vérifie les propriétés de conservatisme et de sévérité mais le respect des autres propriétés n’a pas été démontré à ce jour Peut être utilisée par les autorités de contrôle pour limiter l ’insolvabilité éventuelle en fixant en début d'exercice un ratio cible à ne pas dépasser, rapport de l'EPD à l'espérance des engagements de l'assureur vis à vis des assurés, et permettant de déduire un niveau minimum de capital à détenir. Il n ’est pas interdit aux assureurs de l ’utiliser… Nécessite de modéliser conjointement actifs et passifs.
Mesures de risque avec opérateurs de distorsion Principe = déformation d’une loi de distribution donnée : F*(x)=g(F(x)) Opérateur de distorsion g = fonction croissante et concave t.q : g : [0,1] [0,1], g(0)=0 et g(1)=1 La VaR correspond à la distorsion Opérateurs de distorsion utilisés notamment par S. Wang en réassurance pour des problématiques de tarification d ’excédent de sinistres (PH-Transform). La TVaR correspond à la distorsion
Opérateurs de distorsion - Exemple
Mesures de risque avec opérateurs de distorsion S. Wang propose la transformation suivante : Le besoin en capital est égal à Prend en compte toute la distribution Peu intuitive Mise en œuvre complexe
Lien avec les approches réglementaires Marge de solvabilité européenne, Solvency II et probabilité de ruine RBC et EPD Canada et TVaR Le principe actuel du calcul de marge de solvabilité européenne trouve son inspiration dans la probabilité de ruine. On peut montrer à partir d ’un modèle de ruine simplifié que si on fixe un seuil de probabilité de ruine maximum alors le capital C doit être supérieur à un certain pourcentage des primes. Solvency II ne fait référence qu ’à une probabilité de ruine. Cependant, il est envisagé d ’introduire une nouvelle notion de capital cible (ou capital souhaitable) correspondant à un risque de ruine très faible (non précisé). L’évaluation de ce capital cible prendrait davantage en compte le profil de risque de l’entreprise et pourrait s’appuyer sur un modèle interne. L’appréciation de la solvabilité par les autorités de contrôle pourrait donc s ’appuyer sur d ’autres mesures de risque que la VaR. EPD peut être interprétée comme un complément au RBC. Le RBC définit un capital minimum alors que l ’EPD vise plutôt à définir un capital cible a priori supérieur au minimum RBC. Le recours à l ’EPD ne traduirait-il pas un faible pouvoir prédictif de faillites du RBC ? L’autorité de contrôle des institutions financières canadienne préconise depuis peu l ’utilisation de la TVaR avec un seuil de 5%.
Le respect des propriétés est-il important ? Quelle mesure ? Conclusion Le respect des propriétés est-il important ? Quelle mesure ? Groupe de travail AAI (octobre 2003) : « pour l’assurance, la valeur à risque dans la queue de distribution (TVaR) comporte plus d’avantages comme mesure de risque que le facteur VaR ». La TVaR ?... « Ce qui est simple est faux et ce qui est compliqué est inutilisable » Pas de consensus actuariel Le respect des propriétés est un critère important pour le choix d’une mesure de risque. Néanmoins, la sélection d’une mesure de risque appropriée doit prendre en compte des contraintes économiques et opérationnelles : - l’aversion au risque de l’agent, la distribution du risque, le système d’information. Le groupe de travail de l’AAI sur l’évaluation de la solvabilité a trois principales missions - Sélection des mesures de risque appropriées - Etude de la mise en application des mesures de risques pour le besoin en fonds propres - Etude de cas Quel seuil de probabilité ? α doit être suffisamment faible : 5%, 1%, 0.1%, 0.01% ...
Références bibliographiques Artzner P., Delbaen F., Eber J.-M., Heath D. (1999), « Coherent measures of risk ». Mathematical Finance 9(3), 203–228. Butsic R. (1994), « Solvency measurement for Property-Liability Risk-Based Capital applications », Journal of Risk & Insurance 61. De la Foata C., Odjo H. (2001), « Analyse d’un système de sécurité cohérent et optimal pour une compagnie d’assurance IARD », ASTIN 2001 Groupe de travail de l’AAI sur l’évaluation de la solvabilité de l’assureur (www.actuaries.org) Wang S. (2002), « A risk measure that goes beyond coherence », AFIR 2002. Wirch J.L., Hardy M.R. (1999), « A synthesis of risk measures for capital adequacy », Insurance : Mathematics & Economics 25.
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