La nutrition artificielle en réanimation (patients adultes) D. Barnoud Réanimation médicale - nutrition parentérale CHU de Grenoble
Plan Principes et bases physiopathologiques Objectifs Indications générales et par pathologie Pratique de la NA en réanimation Synthèse des recommandations, liste de référentiels disponibles Conclusions
principes Dépense énergétique usuelle : de l’ordre de 1400 kcal ( 1 kcal/ minute ! ) Réaction à l’agression Jeûne tolérable : 5 à 7 jours Anticiper si : dénutrition préalable nutrition artificielle incontournable => démarrer dans les 3 premiers jours
La réaction à l’agression (1) Situation stéréotypée, neuro-endocrinienne Multiples implications nutritionnelles : Augmentation de la dépense énergétique; mais… Résistance à l’insuline Rétention hydrosodée Catabolisme protéique Augmentation de la production de glucose Inhibition de la lipolyse du jêune
Estimation des besoins énergétiques : Equation de Harris-Benedict x facteur d’agression Homme DER (kcal) = 88,36 + (13,40 X Poids) + (4,8 X Taille) – (5,68 X âge) 30 kcal/kg/j Femme DER (kcal) = 47,59 + (9,25 X Poids) + (3,1 X Taille) – (4,33 X âge) 25 kcal/kg/j Facteurs classiques de correction (agression) Post-opératoire de chirurgie 1-1,1 Fractures multiples 1,1-1,3 Poly-traumatismes 1,5 Sepsis grave 1,2-1,7 Brûlures étendues 1,5-2,1
Dépense énergétique de repos (kcal/j) Estimation des besoins énergétiques chez le patient sous ventilation mécanique Faisy C et al. : Am J Clin Nutr 2003; 78:24 1-9 Dépense énergétique de repos (kcal/j) 8 P + 14 T + 32 VM + 94 T° - 4834 P = poids en kg T = taille en cm VM = ventilation-minute en L T° = température en degré Celsius
La réaction à l’agression (2) Situation stéréotypée, neuro-endocrinienne Conséquences pratiques : Dénutrition protéinoénergétique Catabolisme protéique intense + synthèses accrues impossibilité d’obtenir un « bilan azoté positif » Perte de capital myofibrillaire +++ Immunodépression acquise
La nutrition artificielle en réanimation : objectifs Est, à ce jour, le seule moyen de corriger la dénutrition acquise en réanimation (« nosocomiale ») Echec des traitements « anti-dénutrition » : Hormone de croissance (GH) => surmortalité ! Le mieux est de guérir le patient le plus vite possible ! Réduire la durée de l’agression Réduire son intensité, ses rechutes (infections nosocomiales, etc..)
représentation schématique des conséquences de la dénutrition (Heymsfield, 1979) 8
L’état d’agression aggrave les conséquences nutritionnelles d’un jeûne, même partiel 11
Hormone de croissance en réanimation : deux échecs C Care Medicine; C. Pichard : échec dans le sevrage de la VM chez le BPCO NEJM 1999; 2 essais multicentriques randomisés double aveugle contre placebo Surmortalité dans les 2 groupes traités Mais Traitement très précoce => trop précoce ? La place de la GH n ’est-elle pas lors de la convalescence ? -
Les questions posées (1) indications de la nutrition artificielle ? contre-indications ? modes de nutrition ? moment de l ’introduction ? évaluation de la réponse au traitement durée ; modalités d’arrêt ? aspects éthiques
Les questions posées (2)... en nutrition entérale site d ’administration mode d ’administration mode de progression choix du produit utilisé supplémentation en composés spécifiques (« pharmaco et immunonutriments ») micronutriments
Les questions posées (3)... en nutrition parentérale voie d ’administration choix des produits utilisés tolérance (glycémie) supplémentation en composés spécifiques micronutriments
Quelques données support nutritionnel : 14 à 67 % des patients en USI Nutrition entérale (NE) : 33 à 92 % Nutrition parentérale (NP) : 12 à 71 % incertitudes sur le rapport bénéfice / coût, parce que l ’échec (= complications) d’une NA est fréquent et coûteux (une vie sauvée par la nutrition parentérale = 100 000 euros ! )
Rappels L’apport en glucosé n’est pas de la nutrition Mais 4 l de SGI = 200g = 800 kcal Nutrition artificielle quand « au moins » deux classes de nutriments Préférence absolue pour la nutrition entérale pour ne pas perdre le tube digestif pour être plus physiologique pour être moins nocif adéquation des nutriments moindre risque iatrogène (KT, etc) mais attention aux risques spécifiques de la NE !!
NE en réanimation : quelles indications ? Le jeûne prolongé (7 jours) Les patients déjà dénutris Les états d ’agression sévère
NE en réanimation : quelles indications ? Les états d'agression sévère : la pancréatite aigüe le traumatisme grave la brûlure étendue l ’atteinte multiviscérale dans le cadre SIRS / sepsis
Contre-indications instabilité hémodynamique à la phase initiale (SRLF); état de choc sévère (ESCIM) CI à la NE : l’état de coma sans protection des VAS l’occlusion digestive mécanique la péritonite généralisée, l’ischémie digestive (ESCIM) le grêle très court (< 30 cm) (ESCIM) en outre, non indications : patient non dénutri, jeûne < 7 j, agression faible patient en situation de limitation de soins (SRLF), ayant une affection «terminale » (ESCIM)
Choix du mode de nutrition réponse des référentiels Choix du mode de nutrition unanimité de tous les référentiels pour donner la priorité à la nutrition entérale recommandation (Canada) de ne pas associer les deux modalités ! recours à la NP uniquement après échec confirmé de la NE nutrition non hypercalorique : de 1 à 1,5 fois la DER (théorique ou mesurée), jamais plus = de 25 à 35 kcal / kg de poids glucides : 40 à 60 % , lipides : 20 à 40 %, protéines 15 à 25 % pas de recommandations sur le chevauchement en cas de relais NP => NE
moment de l’introduction réponse des référentiels moment de l’introduction recommandation forte pour l ’introduction précoce de la NE : dans les 48 heures suivant l’admission (Canada) idem, si malnutrition préalable ou état hautement catabolique (ESCIM) Et même dans les 12 heures suivant l’admission pour les brûlés, polytraumatisés et opérés de chirurgie viscérale majeure (SRLF) pas de données claires pour la N Parentérale !
évaluation de la réponse au traitement réponse des référentiels évaluation de la réponse au traitement Recommandation d ’effectuer une évaluation nutritionnelle à l ’admission indice de masse corporelle (< 18.5) perte de poids (significative si > 5% en 1 mois, 10% en 6 mois) biologie : préalbumine < 110 mg/l; albumine < 30-35 g/l Cf l’algorythme « algoréa » du PNNS Recommandation d’évaluer l’efficacité nutritionnelle poids (1/ j), albuminémie (1/ sem) , balance azotée
L’algorythme « ALGOREA » du PNNS (cf site
Durée, arrêt, aspects éthiques... réponse des référentiels Durée, arrêt, aspects éthiques... aucunes recommandations théoriques ou pratiques hormis : après extubation, alimentation orale sous forme pâteuse après quelques heures de jeûne (SRLF) « l ’assistance nutritionnelle n’est pas indiquée pour les patients dont le pronostic vital est engagé à court terme et pour lequel les autres thérapeutiques curatives ont été arrêtées » (SRLF) recommandation d’assurer une démarche qualité autour de la nutrition entérale en réanimation (SRLF)
recommandations propres à chaque mode de nutrition entérale parentérale
La NE, comment ? Quand la débuter ? Approche traditionnelle : mise en route à 72 h, ou plus tard NE précoce et ultraprécoce : mise en route avant la 12ème heure
La NE, comment ? La voie d ’administration : Gastrique ; post-pylorique ; jéjunale Réalité de la dysfonction gastro-pylorique Les facteurs : Ventilation mécanique, opiacés ++, défaillance hémodynamique
La NE, comment ? Position du malade : Necessité de la position "tronc relevé" (30° ?) Procubitus; (Orozco-Levi AJRCCM 1995) Essai randomisé Lancet 1998 => Réduction de l’incidence des pneumopathies par inhalation (aspiration)
La NE, comment ? => Continu ++ La mode d ’administration : discontinu ? JT Campbell, Am J Clin Nut 1983 A comparison of the effects of intermittent and continuous nasogastric feeding on the O2 consumption and nitrogen balance after major head and neck surgery VO2 + basse; rétention azotée + haute quand nutrition discontinue Mais NE précoce = débit ≤ 20 ml/h, 24h/24 le plus souvent !
La NE comment ? La surveillance surveillance clinique, abdominale et respiratoire; transit ? Modifications des débits et des formulations jamais d’urgence à atteindre la ration maximale
La question-clé : l ’intolérance 50 % des patients de SI tolèrent mal la NE Que faire dans ce cas ? Est-il risqué de poursuivre ? Est-il dangereux de rester en « sous-alimentation »? Que faire pour améliorer la tolérance
SNG / gastrostomie Gastrostomie = meilleure tolérance = réduction de l ’incidence des pneumopathies Pas liée à une meilleure continence du sphincter oesophagien inférieur : Même fréquence de reflux en pH métrie Même pression du sphincter La différence porte sur les déplacements de sonde Goben, Gastrolenterology, 1994
SNG/gastrostomie SNG = agression mécanique : aile du nez, cloison nasale, œsophage, estomac : ulcération +/- nécrose ou hémorragie SNG = agression psychique => retrait fréquent : jusqu'à 60 % ! SNG = incontinence du sphincter inférieur de l'œsophage => reflux chimique et surtout septique => (micro)inhalation & pneumopathies d'inhalation (nosocomiale) pas de fiabilité % coût : sans problème pour sonde simple (à 2 Euros) problème économique pour des sondes atteignant 80 Euros (Trilumina de Frésénius)
Les sondes d ’instillation post-pylorique La sonde « lestée » La plus ancienne ; peu validée La sonde de Bengmark (Nutricia) Une seule lumière Mise en place aléatoire La sonde Trilumina (Fresenius) Trois lumières, 2 gastriques, 1 jéjunale À valider
Sonde de Bengmark
Sonde de Bengmark
Sonde nasogastro-jéjunale double/triple lumière concept intéressant comment les mettre en place ? Sous contrôle radioscopique avec l'aide de l'endoscopie avec l'aide des prokinétiques avec l'aide du chirurgien, en peropératoire une limite : le coût unitaire
nutrition entérale précoce (1) Quelle voie d ’administration utiliser ? Instillation intragastrique : Sonde naso-gastrique, ou percutanée (PEG) Instillation postpylorique Par sonde nasogastrojéjunale, ou via 1 PEG par sonde jénuanle percutanée (chirurgicale)
nutrition entérale précoce (2) Quels nutriments utiliser ? Les mélanges polymériques, en première intention Iso-caloriques (1 kcal/ml), isoprotidiques (15 % AET) Les mélanges enrichis en immunonutriments ? En cas d ’intolérance, tester les semi-élémentaires Introduction des mélanges avec fibres : assez rapidement
nutrition entérale précoce (3) Quantité, durée, débit ? Début progressif : 500 ml le 1er jour; paliers de 500 ml NE continu à débit le plus faible possible Surveillance ? Mesure du résidu gastrique : 1 fois par jour Doit rester inférieur à 200 ml
Les précautions : Assurer l ’équilibre énergétique sur le moyen terme : Bilan quotidien et hebdomadaire; pesée Recours à la nutrition parentérale complémentaire Réduire les risques d ’effets secondaires Position du malade : tronc relevé 15-20° Vérification de la position de la sonde Identifier les inhalations éventuelles
Les complications Une complication grave : l’ischémie non occlusive du grêle : rapportée depuis 1983 dans le contexte de réanimation, toujours associés à une jéjunostomie d ’alimentation Série de Marvin & Moore, Am J Surg 2000 0.3% des patients « traumatisés » admis en USI; sujets jeunes; survenue 2ème semaine, non liée à la NE précoce; diagnostic précoce difficile … survie 50%
choix du produit utilisé réponse des référentiels nutrition entérale choix du produit utilisé unanimité pour les produits dits « polymériques » d’origine industrielle protéines intactes (caséine de lait, soja..) mélanges d’hydrates de carbones mélange d’huiles (TCL, TCM) présence de micronutriments en quantité adaptée mélanges hypercaloriques et/ou hyperprotidiques pour les brûlés
réponse des référentiels nutrition entérale mode de progression Pas d’obligation d’une progression lente systématique Tester la tolérance de la première poche : Si résidu gastrique faible ou nul atteindre rapidement l’objectif nutritionnel fixé Si résidu élevé, ralentir de moitié la vitesse d’infusion pendant 24h et reprendre une progression lente (déficit énergétique inévitable mais acceptable) L’utilisation de prokinétiques est recommandée Métoclopramide (Canada)
Pharmaconutriments Un pharmaconutriment (azoté) est un substrat susceptible de moduler l ’état nutritionnel indépendamment de l ’apport (azoté) qu ’il réalise (JL DeBandt, 1998) Produits spécifiques de la gamme « immunonutriments » : enrichis en acides gras de la lignée oméga 3 antioxydants (sélénium, vit E) arginine et glutamine
supplémentation en composés spécifiques et en micronutriments réponse des référentiels nutrition entérale supplémentation en composés spécifiques et en micronutriments Recommandation de ne pas utiliser de préparations entérales enrichies en arginine (Canada) Pas de recommandations sur l’ajout de glutamine, sauf chez le brûlé et le traumatisé (Canada) Recommandation en faveur des préparations avec huile de poisson et antioxydants dans le SDRA (Canada) Rappel : surveillance des apports en micronutriments car besoins élevés et apports suffisants uniquement à partir de 1500 à 2000 ml de préparation par jour
La nutrition parentérale en réanimation Soins facilités par les produits modernes : Préparation de mélanges binaires ou ternaires « prêts à l’emploi », sans nécessité de chaîne du froid Poches souvent supplémentées en ions Reste le problème des micronutriments : attention !
Mode d ’administration réponse des référentiels nutrition parentérale Mode d ’administration Perfusion continue et simultanée des deux (ou trois ) familles de nutriments Apport d’acides aminés à hauteur de 15 à 20 % de la ration calorique totale Rappels : en NP, expression usuelle de l’apport protéiques en grammes d’azote (6.25 g de protéine = 1 g d’azote ) expression usuelle des apports caloriques en calories non protéiques notion de rapport « calorico-azoté »
choix des produits utilisés réponse des référentiels nutrition parentérale choix des produits utilisés glucose et solutions d’acides aminés Attention : les mélanges d’acides aminés ne contiennent pas de glutamine ! apport de lipides intraveineux : Recommandé en Europe (SFNEP, ESCIM) Proposition de « ne pas en utiliser » pour des NP de moins de 10 jours chez des patients non dénutris (Canada)
tolérance (glycémie) réponse des référentiels nutrition parentérale Recommandations d’un contrôle strict de la glycémie Glycémie maintenue entre 4,4 et 6,1 mmol/l Chez les patients chirurgicaux données issues d’un travail portant sur un groupe de patients chirurgicaux peu agressés (Van der Berghe)
supplémentation en composés spécifiques réponse des référentiels nutrition parentérale supplémentation en composés spécifiques Glutamine : En France : dipeptide Alanine-Glutamine (Dipeptiven) recommandation ++ d’ajout à la nutrition parentérale en réanimation (Canada) Lipides particuliers : triglycérides à chaîne moyenne, triglycérides structurés, acides gras particuliers ( acide oléique, AG de la série oméga 3) : pas de recommandations
supplémentation en micronutriments réponse des référentiels nutrition parentérale supplémentation en micronutriments Aucun composé de type micronutriments dans les produits de base de la NP Nécessité absolue d’une supplémentation (dans le mélange ou en parallèle) Sur la base des apports journaliers recommandés chez l’adulte sain données insuffisantes pour préconiser une supplémentation spécifique en Zinc, antioxydants(Sélénium) (Canada)
Conclusions (1) Les points majeurs priorité à la nutrition entérale introduite précocement et « bien conduite » admettre la difficulté, les échecs et s’adapter (NP) respect des bonnes pratiques pour tous les modes de nutrition artificielle évaluation des pratiques et des résultats favoriser l’usage de protocoles (personnalisés par chaque unité de soins) écrits dans le respect de l’esprit des référentiels disponibles
Conclusions (2) « These guidelines should not be used as a substitute for a physician’s, dietitian’s, or other health practionner’s informed judgment with respect to the appropriate manner to treat an individual, mechanically ventilated, critically ill patient. » Chaque patient est un cas particulier Les référentiels fixent un cadre vis à vis duquel tout écart de pratique doit être justifié, vis à vis du patient comme vis à vis de la communauté. L ’écart est licite s’il est réfléchi et argumenté.
Les sites de recommandations, les publications, les documents spécialisés La SFNEP : http://www.sfnep.org/ La SRLF : http://www.srlf.org/s/IMG/pdf/NutriExpSRLF.pdf (nutrition entérale) Le CNANES : http://www.denutrition-formation.fr/ Le nutrimètre (Algoréa) : http://www.nutrimetre.org/ L’ESPEN : http://www.espen.org/education/guidelines.htm (nutrition entérale) Les recommandations canadiennes (actualisées) :http://www.criticalcarenutrition.com/ Standards, options et recommandations de la FNCLCC : nutrition en situation palliative ou terminale de l ’adulte porteur de cancer évolutif (septembre 2003) la nutrition artificielle à domicile du patient cancéreux adulte (juin 2003) bonnes pratiques diététiques en cancérologie : dénutrition et évaluation nutritionnelle (juin 2002) Publiés dans Nutrition clinique et métabolisme
Les publications de recommandations Canadian clinical practice guidelines for nutrition support in mechanically ventilated, critically ill adult patients. Heyland DK, Dhaliwal R, and the Canadian critical care clinical practice guidelines Committee. JPEN, 2003;27:355-373 Recommandations des experts de la SRLF « nutrition entérale en réanimation » -M. Thuong, S. Leteurtre, Réanimation 12 (2003):350-354 Guidelines for the use of parenteral and enteral nutrition in adult and pediatric patients ASPEN board of directors and the clinical guidelines task force JPEN 2001;26: 1-137SA Enteral nutrition in intensive care patients : a practical approach P. Jolliet, C. Pichard, et all, Intensive Care Med 1998;24:848-859 Nutrition de l ’agressé. Conférence de consensus Nutrition clinique et métabolisme 1998;12:229-237 Applied nutrition in ICU patients. A consensus statement of the ACCP Chest 1997;111:769-778 Espen guidelines on nutrition in acute pancreatits. Consensus statement R Meier, C. Berlinguer, P. Layer, et al Clinical Nutrition (2002)21:173-183