Acquisition et mémorisation du lexique d’une langue étrangère

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Transcription de la présentation:

Acquisition et mémorisation du lexique d’une langue étrangère Cours M1 FLE Francis Grossmann Année universitaire 2013-2014

1. L’organisation du lexique mental les unités lexicales sont intégrées dans un réseau cognitif structuré , le « lexique mental » Lexique mental : de 50 000 à 80 000 UL (selon les individus) pour l’anglais ; mots mais aussi collocations et structures « pré-fabriquées » les réseaux mentaux associés aux opérations lexicales dans la langue maternelle, chez un locuteur adulte, sont primordialement de nature sémantique. Remarque la forme – phonologique, morphologique - joue cependant également un certain rôle. Cf. David Singleton, AILE (1994) : « Les résultats de tests d’association verbale en L1 montrent que chez les adultes, la grande majorité des réponses sont en rapport sémantique étroit avec le mot- stimulus. Les réponses qui sont reliées au stimulus uniquement par une similitude formelle sont rares (voir, par ex., Postman & Keppel, 1970). On peut citer aussi à cet égard le fait que chez les sujets aphasiques les confusions entre les mots semblent particulièrement aggravés par la proximité sémantique (voir, par ex., Butterworth, Howard & McLoughlin, 1984). »

1. L’organisation du lexique mental La forme joue un rôle plus important dans les premières phases de l’acquisition lexicale en L1 L’importance de la sémantique augmente au fur et à mesure que l’enfant acquiert et intègre un nombre croissant de mots.

1. L’organisation du lexique mental Pour Willem Levelt (1989, 1992), le lexique mental comporte au moins trois niveaux de stockage différents : le niveau des concepts en mémoire ; le niveau des lemmes (« lexical items unspecified for phonological form [but] semantically and syntactically specified », Levelt 1992 : 5) le niveau des lexèmes – les représentations phonologiques et orthographiques des mots.

1. L’organisation du lexique mental « D’abord, nous voyons que les représentations formelles des mots – phonologiques et orthographiques – sont stockées dans au moins deux réseaux séparés (Brown et al. 1984), mais hautement liés, bien sûr, pour une langue alphabétique comme l’anglais (Jackson & Morton 1984 : 569 ; de Groot 1998 : 298). Ensuite, on constate qu’il y a des liens (des arcs) entre les unités (les nœuds) qui composent chaque plan du modèle, et d’autres ramifications entre ces sous-réseaux. Ici, j’en ai tracé quelques-uns, mais il y aurait des milliers d’arcs entre les niveaux du réseau. Un nœud peut être relié à plusieurs unités d’un autre niveau : un ensemble phonologique peut avoir plusieurs représentations orthographiques ou plusieurs sens ; un concept peut être relié à différents lemmes et ainsi de suite » (Hilton, 2002, p.3) Le lexique mental selon Heather Hilton (2002)

1. L’organisation du lexique mental Deux procédures privilégiées L’accès lexical : c’est l’appariement entre une suite de lettres ou de sons et un élément du lexique mental Le traitement sémantique : c’est la prise en compte des caractéristiques sémantiques de l’élément sélectionné, dans le cadre d’un contexte déterminé (et donc l’attribution d’une signification). Source : Gaonac’h,1998 : 338-39 Remarque : procédure automatique

1. L’organisation du lexique mental Le rôle de l’amorçage sémantique dans l’accès lexical L’accès lexical est facilité et plus rapide, si le mot a été précédé par un mot qui lui est sémantiquement associé. « Cette notion s’avère primordiale pour les enjeux de l’enseignement/apprentissage des langues car elle peut permettre à l’enseignant d’élaborer des plans de cours introduisant le lexique de façon à produire un amorçage sémantique significatif. » Source : Julie Marot, Publications FLE sur www.lecafedufle.fr Remarque : procédure automatique

1. L’organisation du lexique mental Les mots grammaticaux (« function words ») sont récupérés plus rapidement que les mots lexicaux (sans activation du réseau conceptuel?) les mots de haute fréquence sont récupérés plus rapidement que les mots de basse fréquence ; les noms sont récupérés plus rapidement que les verbes ; les mots concrets plus rapidement que les mots abstraits. Source : H. Hilton, 2002 Remarque : procédure automatique

1. L’organisation du lexique mental Apprendre un mot, c’est mémoriser une nouvelle forme lexicale par appariement (mapping) de cette forme à un concept. Se fait soit implicitement (inférence en contexte) soit par apprentissage explicite Le rythme d’acquisition en L1 Environ 5 000 mots ou plus par an, 13 mots par jour pendant l’enfance et l’adolescence (Miller & Gildea 1987 : 86) Hilton (2002) : Pour les 8 000 à 10 000 mots que nous « aspirons » avant de rentrer en CP, l’apprentissage a lieu implicitement. Même à l’école, le nombre de mots qui font l’objet d’un enseignement explicite est minime, comparé à ces dizaines de milliers de mots que nous acquérons sans explicitation pédagogique – en écoutant, en parlant, en lisant et en écrivant. L’apprentissage implicite est rendu possible par les conditions dans lesquelles nous rencontrons les données lexicales que nous intégrons à notre lexique mental L1. Pendant les premières années d’acquisition, notre contact avec la langue est exclusivement oral et donc hautement contextualisé (Nagy & Herman 1987 : 24). Les échanges qui ont lieu pendant la petite enfance sont également extrêmement répétitifs, permettant donc à l’enfant d’établir des liens forts entre les premiers mots, les concepts, les sons et certains éléments syntaxiques ; ce réseau très solide rend possible l’acquisition accélérée qui aura lieu pendant les années scolaires.

2. L’acquisition du L.M. en L2 Trois conceptions principales (Kroll & Stewart, 1994) 1. Modèle de la « l’association lexicale » : la L2 dépend de la L1

2. L’acquisition du L.M. en L2 Trois conceptions principales (Kroll & Stewart, 1994) 2. Modèle de la « la médiation conceptuelle » : la L2 et la L1 fonctionnent de manière autonome

2. L’acquisition du L.M. en L2 Trois conceptions principales (Kroll & Stewart, 1994) Hilton (2002) : le modèle mixte, dit « asymétrique » , propose que l’on accède au sens ou à la forme d’un mot L2 soit directement, soit en passant par la L1 ; mais que les liens reliant la L1 aux concepts sont plus forts que les liens de la L2. Les liens de la L2 vers la L1 sont également plus forts que les liens de la L1 vers la L2 (Kroll & Stewart 1994 ; Altarriba & Mathis 1997). 3. Modèle mixte dit « asymétrique »

2. L’acquisition du L.M. en L2 La mémorisation des formes de la L2 dépend de la répétition – de rencontres réitérées avec les formes orales et écrites des mots. Importance de la boucle phonologique (composante de la mémoire de travail) dans l’acquisition de nouveaux mots en L2 Les lemmes du lexique mental L2 sont rarement structurés comme le réseau d’un natif au niveau collocationnel et associationnel Source : Hilton, 2002

2. L’acquisition du L.M. en L2 L’appariement des représentations formelles aux unités conceptuelles exige un effort cognitif important Peut prendre plusieurs formes dans une classe de langue : inférer le sens du mot à partir du contexte comprendre le sens par une traduction en L1, par une définition ou des synonymes, etc. Meilleure mémorisation à long terme lorsque l’on ne se contente pas d’un ‘fast mapping’ (simple traduction) mais que l’on cherche à recréer le contexte d’emploi. Source : Hilton, 2002 Selon la théorie de l’apprentissage pour transfert optimal (transfer appropriate learning ), l’efficacité́ maximale est atteinte quand l’action d’appariement crée des chemins d’accès proches de ceux que nous utiliserions dans une véritable situation de communication

2. L’acquisition du L.M. en L2 Exemples en français : Actuellement, nous proposons des promotions intéressantes… Il est actuellement en vacances, il vous répondra dès son retour. Emploi : se met soit en tête de phrase, soit juste après le verbe (nous proposons actuellement…); Usage : a) permet de signaler qu’un événement a lieu pendant une période limitée (ex. promotion, film, etc.) ; b) permet d’opposer un fait présent à fait passé ou à venir par exemple pour expliquer un comportement, une décision, un résultat, etc.. Synonymes : En ce moment, à l’heure actuelle

Le mot actuellement

Pas du tout le même usage que l’anglais actually… Actually se rend en français de plusieurs façons selon le contexte : La personne véritablement responsable... Le véritable responsable, en réalité, c'est... Tu y es vraiment allée? Elle l'a réellement vu. À vrai dire, je le connais très peu. En fait, c'est hier que je l'ai rencontré. Qu'est-ce qu'il a dit exactement? Où se trouve-t-elle au juste ? Source : Portail linguistique du Canada : www.noslangues.gc.ca 2 formes proches mais deux réseaux conceptuels très différents

3. Implications didactiques Apprentissage explicite Phases d’analyse contextualisée pour les opérations d’appariement Constitution de « cartes heuristiques » (cf. C. Cavalla) ou de réseaux lexicaux Phases de répétition et de réemploi, y compris à l’oral Apprentissage implicite : favoriser la lecture en L2 de textes intégraux (pour permettre la rencontre plus fréquente des items lexicaux).

3. Implications didactiques Les cartes heuristiques, aussi appelées cartes mentales ou mind maps, cartes conceptuelles ou concept maps : « Ce sont des schémas de type arborescent qui servent à organiser et à représenter des connaissances tout en rappelant le fonctionnement cérébral en réseaux. Au lieu de présenter des idées, des mots ou d’autres éléments de façon linéaire, on les dispose en étoile autour d’un noyau central d’où partent des ramifications qui relient plusieurs éléments entre eux. » Source : Valérie Lascombe, M2 FLE.

Un peu de pub…

Source : Valérie Lascombe, l’utilisation des cartes heuristiques en FLE, M2 Pro sous la direction de Cristelle Cavalla

3. Implications didactiques Les cartes ou réseaux lexicaux peuvent se construire soit en suivant une démarche onomasiologique : on part d’une idée et on voit comment ses divers aspects sont exprimés par les mots et collocations (cf. script du restaurant) Soit en suivant une démarche sémasiologique : on part d’un mot et on voit comment il peut se relier à d’autres mots en fonction du sens. (cf. exercice sur « vider son sac »).

3. Implications didactiques Exemple célèbre du script du restaurant étudié par la psychologie cognitive. Reconstituez les étapes d’un des scripts possibles correspondant à ‘aller au restaurant’ et construisez la carte heuristique correspondante.

de l’expression « vider son sac » Exercice : construisez une carte heuristique permettant de montrer les usages de l’expression « vider son sac » Attestée dès le 17e siècle, l’expression vider son sac n’a pas toujours eu le sens qu’on lui connaît aujourd’hui : dire le fond de sa pensée. Au 17e siècle, les sacs à main, sacs à dos et sacs à ordures n’existent pas. De quel sac est-il question alors? Le sac provient du milieu juridique. Autrefois, les avocats ne disposaient pas de chemises, classeurs et dossiers, classés en ordre alphabétique comme dans les tribunaux modernes. À l’époque, les documents officiels étaient de ongues feuilles continues, enroulées et nouées. Pour transporter ces documents et d’autres pièces justificatives jusqu’au tribunal, les avocats utilisaient un sac. Au besoin, au cours du procès, ils vidaient leur sac pour fournir les pièces requises. On peut facilement s’imaginer la hargne et la passion présentes dans ce geste de l’homme de loi, ambitieux de défendre la cause de son client. De cette origine, l’expression vider son sac a gardé depuis le ton emporté. Vider son sac signifie dire ce que l’on pense sans détour, avouer une chose cachée, et ce, au risque de blesser (SOURCE : http://sedonnerlemot.tv/loft/pdf/12fiche.pdf)/ Extrait de BOB : http://www.languefrancaise.net/bob/detail.php?id=9758

Exercice Fabriquez une carte heuristique correspondant à l’expression – ou au concept - « développement durable » (cf. traduction de l’angl. sustainable development) Voir l’article : Durable. Vous avez dit durable ? De Jean-François Allain, à paraître dans Traduire n°229, décembre 2013 « Le fond de mon interrogation est de savoir si un francophone qui entend « développement » comprend la même chose qu’un anglophone qui entend development. Dit autrement, un traducteur qui doit rendre le mot development pense-t-il immédiatement à « développement » ou a-t-il d’autres équivalences en tête de liste dans son petit répertoire mental (« élaboration », « mise en place », « évolution », « exploitation »…). Les glossaires des organisations internationales, tout comme le Guide anglais-français de la traduction de René Meertens(2), ne manquent pas de solutions adaptées à différents contextes : plus de cinquante propositions dans le Vade-mecum du traducteur de l’ONU, par exemple, plus encore dans le Meertens.Trois réflexions me viennent donc à l’esprit : d’abord, le mot development est un faux-amimajeur, et l’on peut s’étonner qu’il ne figure pas dans les dictionnaires des faux-amis ; ensuite, l’exemple susdit de la forêt « soutenable » ressemble à un idéal de développement durable, mais, en réalité, il n’y a pas « développement » : c’est un simple renouvellement raisonné et raisonnable de la ressource, au mieux une « gestion » ou une « exploitation » durable ; enfin, comment aurait-on pu – ou dû – rendre le mot development dans l’expression sustainable development ? J’ignore si la question s’est posée, mais il est à peu près certain qu’elle ne se pose plus : l’équivalence semble désormais bien figée, pour ne pas dire gravée dans le marbre. Elle estdonc là pour « durer » (J.F-F. Allain)

Source : Traduire °229

Bibliographie Allain, Jean-François (à paraître). Durable. Vous avez dit durable ? Traduire n°229, décembre 2013 Gaonac’h, Daniel. 1998. « Le Langage ». In Roulin Jean-Luc (dir.), Psychologie Cognitive. Rosny : Bréal, 327-84. Hilton, Heather. 2002. Modèles de l’acquisition lexicale en L2 : où en sommes-nous ? ASp [En ligne], 35-36 | 2002, mis en ligne le 17 septembre 2010, consulté le 28 octobre 2013. URL : http://asp.revues.org/1668. Lascombe, Valérie. 2013. L’utilisation des cartes heuristiques pour l’enseignement des collocations en FLE. Mémoire de master 2 pro sous la direction de Cristelle Cavalla. Marot, Julie. L’apprentissage lexical en français langue étrangère : théories d’acquisition et pratiques de classe. En ligne :http://www.lecafedufle.fr/wp-content/uploads/2011/06/apprentissage-lexical-en-FLE.pdf Levelt, Willem J. M. 1989. Speaking: From Intention to Articulation. Cambridge, MA : MIT Press. Levelt, Willem J. M. 1992. « Accessing words in speech production: Stages, processes and representations ». Cognition 42, 1-22. Marquer, Pierre. 2005. L’organisation du lexique mental. Des « contraires » aux expressions idiomatiques. Paris: L’Harmattan. Miller, George A. & Patricia M. Gildea. 1987. « How children learn words ». Scientific American 257, 86-91.