Le cens caché en Amérique latine La circulation internationale des problématiques et la sociologie des rapports inégaux au politique Alfredo Joignant UDP-COES Federico Lorenc Valcarce CONICET-IIGG/UBA-UNMDP

La place du Cens caché en Amérique Latine Un livre peu connu, dont les problématiques circulent peu et mal Un livre dominé dans le champ scientifique Une lutte inégale: la sociologie politique v/s les “electoral studies” et le mainstream disciplinaire La politique s’explique par des raisons politiques

Problématique Une sociologie des rapports au politique en Amérique Latine: saisir les bases sociales de la politisation aujourd'hui La tradition efficace de l’essai politique et son usage impressionniste du matériel empirique: de la dépolitisation totale à la politisation de tout le monde ? Le raisonnement qui commence à dominer le champ de la science politique en Argentine et au Chili ne s'intéresse pas aux "facteurs sociaux" Dans les deux cas, la politique est pensée comme une sphère autonome et l’explication de ce qui y a lieu ne s’intéresse pas aux réalités sociologiques

Un exemple d’exclusion de la sociologie Source: Russell J. Dalton, Citizen Politics. Public Opinion and Political Parties in Advanced Industrial Democracies, CQ Press, 6th edition, 2014, p.184.

Les données de notre enquête PROJET « Une crise de légitimité : défis à l’ordre politique en Argentine, au Chili et en Uruguay » Avec le financement du Centre de recherche pour le développement international (CRDI, Canada). Dirigé par Alfredo Joignant. Composantes 3 enquêtes monographiques sur les mouvements sociaux et la protestation dans chaque pays 3 enquêtes par questionnaire sur les pratiques, les attitudes et les opinions des individus de plus de 18 ans 3 enquêtes auprès des membres de l'élite politique

Enquête sur les citoyens ordinaires Caractéristique de l'enquête dans chaque pays Echantillon : 1200 cas Population : tous les résidents de 18 ans et plus Type de terrain : en face à face dans leur domicile Erreur : 3% - Confiance : 95% Date : fin 2013 Axes retenus Interêt pour la politique Présence de la politique dans la vie quotidienne Pratiques de participation

Intérêt pour la politique Argentine Chili Très intéressé 5,8 4,6 Assez intéressé 18,1 11,0 Peu intéressé 32,1 31,8 Pas du tout intéressé 43,7 49,0 Sans réponse 0,3 3,6 Total 100 Dans les deux pays ceux qui s'intéressent pour la politique sont minoritaires: ils sont plus nombreux en Argentine qu'au Chili. La conversation sur des sujets politiques et la familiarité avec des objets politiques est un peu plus élevée que l'intérêt déclaré.

Une variation socialement structurée En ce qui concerne le sexe, l’intérêt pour la politique est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, en particulier en Argentine où il existe un peu moins de dix points de différence, tandis qu’au Chili la brèche sexuelle se réduit à cinq points. Dans les deux cas, l'intérêt pour la politique est plus fréquent parmi les personnes d’âge intermédiaire et relativement rare chez les plus de 60 ans. Toutefois, il existe au Chili une politisation accrue de la jeunesse (ce qui ne signifie pas qu’ils votent). Un fort intérêt pour la politique est plus fréquent à mesure qu’augmente le niveau de diplôme des personnes. Ce sont ceux qui ont fini des études universitaires qui présentent le plus souvent des niveaux relativement élevés d’intérêt pour la politique. A l’inverse, le désintérêt augmente à mesure que nous descendons vers les moins diplômés, atteignant leur niveau maximal entre ceux qui n’ont pas terminé leurs études primaires. La plupart de la population est peu intéressée par la politique. mais ceci est plus marqué dans les classes populaires.

Participation politique Argentine Chili Vote aux élections présidentielles (déclaré) 84,0 66,1 Vote aux élections présidentielles (réel) 79,2 49,4 Expression d’opinions dans des réseaux sociaux 15,7 10,7 Manifestation de rue 7,9 8,5 Signature d’une pétition 7,7 6,1 Réunion avec des autorités politiques 6,8 4,6 Activités partisanes 4,4 1,4 Syndicat 4,1 3,7 Église 20,3 13,2

Illustrations des déterminations sociales Le cens électoral caché exclut en Argentine les couches les moins instruites de la population et les plus vieux; au Chili, en revanche, ceux qui ont un niveau de diplôme intermédiaire et les plus jeunes sont plus aliénés à l’égard des élections. Certaines caractéristiques distinguent les secteurs les plus mobilisés. Il s’agit d’une pratique plus fréquente chez les jeunes (10 % des moins de 30 ans en Argentine et 13,9 % au Chili l’ont fait) qui diminue progressivement avec l'augmentation de l’âge. Cette forme de participation est plus fréquente entre ceux qui ont des niveaux de diplôme plus élevés, et monte notamment dans le segment avec des études supérieures incomplètes (16,4 % en Argentine, 19 % au Chili). En Argentine comme au Chili, la participation est plus importante au fur et à mesure qu’augmente le niveau socio- économique. En Argentine, les femmes participent un peu plus que les hommes; au Chili, la participation masculine double à celle des femmes.

Invariants et variations L’Argentine et le Chili ont des traits communs: PIB, revenus moyens, etc. Mais aussi des différences Les uns et les autres doivent être expliqués en fonction de facteurs sociaux et historiques: deux transitions à la démocratie totalement différentes: par effondrement de la dictature en Argentine, par la voie de négociations au Chili; la massification de l’éducation supérieure dans les deux pays: des populations de plus en plus éduquées, informées, mais aussi de plus en plus autonomes et moins loyales à des partis et des coalitions.

Des citoyens plus réflexifs Des citoyens plus réflexifs ?: les nouvelles formes d’une compétence politique difficile à appréhender Comment penser la compétence politique aujourd'hui: l'augmentation générale du niveau de diplôme, donc de capital culturel, va de paire avec une augmentation de la compétence politique et de la réflexivité. Le niveau de diplôme garantit de moins en moins la participation électorale.

Faire de la sociologie politique en Amérique Latine La science politique: une définition sociale d’une discipline utile, rationnelle, appliquée. La sociologie du politique: la persistance d’une définition essayiste qui commence à être remplace par des vraies enquêtes empiriques.