La question des faibles doses Ecole des mines de Paris André Aurengo 6 décembre 2017 ancien administrateur d’EDF président du Conseil médical d’EDF conseiller du Haut Commissaire du CEA
rayonnements ionisants unités
rayonnements ionisants h≥ ∆E C 11,24 eV H 13,54 eV O 13,57 eV N 14,24 eV ∆E H2O # 13,6 eV création de radicaux chimiques très réactifs altérations de l ’ADN risque de mutations radioinduites
unités activité : désintégrations par seconde becquerel Bq : 1 désintégration / seconde curie Ci : 37 x 10 9 Bq (37 GBq) unités dose : énergie absorbée / masse de matière gray Gy : 1 joule / kilogramme dose efficace : indicateur du risque global dose absorbée x WR x WT sievert Sv WR = 1 pour RX, bêta et gamma WT = 0.05 pour la thyroïde
intérêt de la dose efficace unité additive adaptée aux besoins de la radioprotection # proportionnelle au risque aléatoire > 200 mSv sans valeur probabiliste aux faibles doses exemple : RX : 100 mGy / 0,5 m2 peau 131I : 10 mGy / thyroïde WR WT % 1 0,01 30 % 1 0,05 100 % dose efficace = (100 x 1 x 0,01 x 0,30) + (10 x 1 x 0,05 x 1) dose efficace = 0,8 mSv
naturelle renforcée médicale retombées Irradiation naturelle renforcée médicale retombées corps humain 9 % tellurique 12 % r. cosmiques 10 % radon 37 % médical 29 % essais nucléaires 2,5 % industrie 0,5 %
ordres de grandeur des doses efficaces 10.000 mSv : irradiation aiguë / mort rapide 1.000 mSv : irradiation aiguë / signes cliniques 5 mSv : irradiation annuelle à Clermont-Ferrand 2,5 mSv : irradiation annuelle à Paris 1 mSv : limite annuelle légale pour la population 1 mSv : irradiation annuelle moyenne médicale
irradiation naturelle irradiation externe cosmique 0,4 mSv / an (X 2 / 1500 m altitude) tellurique 0,4 mSv / an irradiation interne 220Rn & 222Rn 1,2 mSv / an 40K 0,2 mSv / an autres 0,2 mSv / an irradiation naturelle totale France 2,5 à 5,5 mSv / an Paris 2,5 mSv / an Monde 2,5 à 70 mSv / an
irradiation d’origine humaine retombées des essais nucléaires quelques µSv / an industrie nucléaire en France 0,015 mSv / an Tchernobyl 0,4 mSv en 1986 0,07 mSv / an 1987 - 1996 0,04 mSv / an 1997 - 2046 irradiation médicale 0,8 mSv / an en France très hétérogène (sujets âgés)
les risques déterministes
risques déterministes • fortes doses (> 700 mSv) • effets précoces • ne se produisent jamais si la dose < Dseuil min • se produisent à coup sûr si la dose > Dseuil max • gravité croît avec la dose probabilité Sv
irradiation aiguë globale Syndrome Aigu des Rayonnements (SAR) prodromes nausées, vomissements, diarrhée, fatigue, malaises latence > 3 Sv syndrome hématopoïétique (10 j) lymphopénie, leucopénie, thrombopénie, anémie > 10 Sv syndrome gastro-intestinal (5 j) vomissements, diarrhée, hémorragie digestive, mort > 20 Sv syndrome nerveux (2 j) convulsion, coma, mort
irradiations aiguës locales érythème # 5 Gy > 20 Gy épidermite exsudative > 30 Gy radionécrose peau gonades stérilité définitive homme > 4 Gy femme > 3 Gy cristallin (stochastique ?) opacités > 1 Gy cataracte > 5 Gy
embryon et fœtus malformations non héréditaires seuil # 100 - 200 mGy risque maximal : 9° jour - 9° semaine malformations spontanées # 3 % retard mental seuil # 100 - 200 mGy 1 Gy : - 30 points de QI cancer risque aléatoire malformations héréditaires drosophile, souris jamais observées dans l’espèce humaine
effets déterministes : Tchernobyl Rapport UNSCEAR 2011 liquidateurs de Tchernobyl 237 syndromes aigus des rayonnements (SAR) 134 hospitalisés, 28 décès en qq semaines parmi les 237 SAR, en 2006 33 décès supplémentaires dont 11 décès par cancers
effets déterministes : Fukushima intervenants de Fukushima effectifs # 8 000 - 10 000 limite de dose établie à 250 mSv 111 doses > 100 mSv 9 doses > 200 mSv contamination de la peau ni SAR, ni brûlure radiologique contamination thyroïdienne (iodes) 6 doses > 250 mSv 3 décès : séisme, raz de marée, conditions de travail
les risques stochastiques
risques aléatoires (stochastiques) • faibles ou fortes doses • probabilité croît avec la dose • gravité indépendante de la dose • cancérogenèse • malformations congénitales héréditaires (?)
lésions de l’ADN nb par cellule # par jour métabolisme O2 par gray exposition RI cassures simple brin 10 000 1 000 lésions de base 3 000 2 000 cassures double brin 8 40 lésions multiples loc. 0 ? > 0 plusieurs voies physiologiques de réparation ± fidèle de l’ADN
réparation fidèle : lésion monobrin d’ADN cassure simple brin section du brin : endonucléase élimination synthèse brin : polymérase liaison : ligase
effets cellulaires lésions de l’ADN rayonnement ionisant signalisation mutations réparation fautive intégrité génomique réparation fidèle mort mitotique pas de réparation apoptose cancer radioinduit
cancérogenèse : un processus darwinien 1 - autonomie de division activation de facteurs de croissance 2 - échappement aux mécanismes anti-prolifération inactivation de gènes suppresseurs de tumeur 3 - immortalisation altération des mécanismes d’apoptose maintien de la taille des télomères 4 - résistance à l’anoxie 5 - échappement au contrôle par les cellules voisines 6 - échappement au contrôle immunitaire 7 – angiogénèse au bénéfice de la tumeur
la cellule n’est pas isolée et se défend modèle classique : évolution linéaire • mutations indépendantes événements physiques initiaux proportionnels à la dose • indépendants • 1 mGy entraîne 1 CSB / cellule 1 CDB / 25 cellules 1 altération chromosomique / 10.000 cellules mécanismes de défense fortement non linéaires • leur mise en œuvre dépend de la dose du débit de dose (nombre de lésions simultanées) • différents et proportionnellement plus efficaces à faible dose
une défense au moindre coût état basal : métabolisme oxydatif / irradiation naturelle • 3 000 à 10 000 CSB / cellule / jour • 8 à 50 CDB / cellule / jour • systèmes de réparation de base activés très faible dose (qq mGy) et débit de dose (< 5 mGy / min) • pas de signalisation supplémentaire • les lésions complexes ne sont pas réparées • mort cellulaire mitotique et pour quelques mGy de plus • signalisation • les lésions simples sont réparées • les lésions complexes conduisent à l’apoptose
une défense au moindre coût … de quelques mGy à # 100 - 200 mGy • signalisation • induction de systèmes de réparation • leur efficacité diminue avec la dose • apoptose ou réparation au delà de 100 - 200 mGy • réparation impérative pour la fonction tissulaire • lésions complexes réparées avec risque d’erreur • la cancérogénicité augmente • le risque de cancer est le prix de la réparation au delà de 500 mGy • stimulation de la prolifération • facteur épigénétique
élimination réparation prolifération excès de risque relatif 100 mSv exposition élimination réparation prolifération
effet bystander - instabilité génétique après irradiation • effet mutagène cellules voisines • instabilité génétique dans descendants cellulaires aucune preuve d ’un effet cancérogène à faible dose pris en compte dans les études épidémiologiques
susceptibilité individuelle anomalies génétiques de systèmes de réparation de l’ADN sensibilité anormale aux fortes doses majeure (e.g. Ataxie Télangiectasie Mutated) augmentation du risque de cancer radioinduit mineure conséquences radiothérapie médecine du travail
effets génétiques héréditaires chez l’homme prouvés chez l’animal (drosophile, souris) hypothétiques chez l’homme aucun effet significatif Hiroshima - Nagasaki Tchernobyl Kérala
la question des faibles doses faible dose ≤ 100 - 200 mGy faible débit de dose ≤ 50 µGy / minute irradiation naturelle 8 µGy / jour doses rencontrées en radioprotection - industrielle - médicale diagnostique relation dose - risque ? seuil ? quasi-seuil ? linéaire sans seuil ?
la Relation Linéaire Sans Seuil
évaluation du risque des faibles doses • quadratique • linéaire sans seuil excès de risque relatif effets avérés effets hypothétiques X ERR ERR exposition
postulats implicites RLSS 1 - Tout dépôt d’énergie entraîne une probabilité proportionnelle de mutation. La probabilité d’apoptose et de réparation (fidèle ou fautive) est constante quels que soient la dose et le débit de dose. 2 - Toute lésion ADN a même probabilité d ’évoluer vers un processus cancérogène quel que soit le nombre de lésions dans la même cellule et les cellules voisines. 3 – L’excès de risque relatif peut être extrapolé linéairement des fortes vers les faibles doses. Contraire aux données radiobiologiques expérimentales Aucune preuve biologique ou épidémiologique incohérences de la CIPR abandonner la Dose collective mais conserver la RLSS ces deux notions sont strictement équivalentes
études épidémiologiques
principe pathologie en cause (cancer) facteur de risque suspecté exposés / non exposés cas / témoins étude cas-témoins inclusion des cas et des témoins recueil rétrospectif des expositions protecteur [ ] ERR enquête de cohorte inclusion des sujets recueil régulier des expositions on attend que les cas se déclarent [ ] risque NS ERR résultat attendu excès de risque relatif (ERR) risque relatif (RR = ERR + 1) intervalle de confiance IC risque S [ ] ERR
étude épidémiologique cas – témoins 1 - recueil des cas (atteints de cancer, exposition inconnue) cas exposition inconnue
étude épidémiologique cas – témoins 2 - sélection de témoins appariés appariement même âge même sexe même statut socio-prof. etc.. (sauf cancer) cas exposition inconnue témoin exposition inconnue
étude épidémiologique cas – témoins 3 - estimation rétrospective des expositions (cas et témoins) cas exposé cas non exposé témoin exposé témoin non exposé
étude épidémiologique cas – témoins 4 - analyse statistique & interprétation comparaison des expositions des cas et des témoins calcul de l’excès risque relatif par unité d’exposition ERR (OR) calcul de l’intervalle de confiance IC 95% ERR a 95 chances sur 100 d’être dans IC [ ] [ ] protecteur risque non significatif risque significatif
études cas-témoins : les plus nombreuses faiblesses choix des témoins (biais) estimation rétrospective de l’exposition (biais) facteurs de confusion incertitudes & biais d’anamnèse amalgame exposition / indicateur d’exposition avantages pathologies rares durée raisonnable publiables quelles que soient leurs faiblesses ces études permettent de quantifier le risque de cancer ou décès par cancer pour un large éventail de doses, pas de quantifier le risque des très faibles doses. Il faut faire des études de cohorte.
études de cohorte : année 1 cohorte constituée de personnes en bonne santé exposés non exposés cas exposition E(1)
études de cohorte : année 2 on surveille les expositions et la survenue de cas exposés non exposés cas exposition E(2)
études de cohorte : année N on peut conduire plusieurs études (facteur de risque, pathologie) exposés comparaison % cas chez les exposés % cas chez les non exposés ERR (OR) et IC 95% non exposés cas exposition E(N)
études de cohorte avantages recueil de l’exposition en temps réel (mesures) pas de biais différentiel cas / témoins (anamnèse) fiabilité faiblesses biais de sélection (participation) expositions avant constitution de la cohorte taille de la cohorte (pathologies rares) durée de l’étude perdus de vue
quelques études épidémiologiques - 1 Hiroshima-Nagasaki leucémies seuil # 150 mSv 76.000 ; M 200 mSv cancers solides NS < 100 mSv CIRC 2005 (BMJ) leucémies et cancers solides 400.000 T. Nucléaire NS < 100 mSv radiologues > 1960 leucémies NS 220.000 ; 10 - 50 mSv / an cancers solides NS personnel navigant leucémies NS 47.000 ; 1,5 - 6 mSv / an cancers solides NS (mélanomes) 45
quelques études épidémiologiques - 2 examens médicaux leucémies NS cancers sein >> 100 mSv radiothérapie NS si séances ≤ 150 mSv 7.700 cancer du sein cancers solides NS Kérala leucémies NS 100.000 ; …70 mSv / an cancers solides NS Yangijang leucémies NS 100.000 ; 2 - 6 mSv / an cancers solides NS 46
études de cohorte INWORKS
études de cohorte INWORKS juillet & octobre 2015 • cohorte internationale de 308 000 travailleurs du nucléaire France : 59 000 (Areva, CEA, EDF) UK : 148 000 USA : 101 000 • suivi moyen 27 ans • durée moyenne d’activité professionnelle 15 ans • dose professionnelle cumulée moyenne 25 mSv (2 mSv / an) • dose professionnelle cumulée < 100 mSv pour 94% • pour les 14 000 les plus exposés, dose moyenne 223 mSv • 67 000 décès 1 790 par leucémie 19 000 par cancer hors leucémie
études de cohorte INWORKS objectif : vérifier la validité des hypothèses sous-jacentes au système actuel de radioprotection, fondé sur l’extrapolation du risque d’une exposition aiguë à fort débit de dose (Hiroshima-Nagasaki) à des expositions externes chroniques, à faible débit de dose, comme y sont exposés certains travailleurs du nucléaire. deux études coordonnées par le CIRC (OMS) risque de leucémie. Levraud K et al. Lancet 2015 risque de cancer solide. Richardson DB et al. BMJ 2015
études de cohorte INWORKS résultats de l’étude sur les leucémies • ERR décès par leucémie 2,96 / Gy IC 90% [1,17 – 5,21] • ERR décès par LMC 10,45 / Gy IC 90% [4,48 – 19,65] pas de risque significatif < 100 mSv confirme ce que l’on sait depuis longtemps
études de cohorte INWORKS résultats de l’étude sur les cancers solides • ERR décès par cancer solide : 0,48 / Gy IC 90% [0,20 – 0,79] • hors K pleuro-pulmonaire ERR significativement > 0 • hors K liés au tabac VADS, vessie... 92 000 personnes pas de risque significatif
INWORKS ne bénéficie pas des avantages des études de cohorte INWORKS : pièges épidémiologiques 1 incertitudes sur la dose de RI • dosimètres • dose moyenne # 25 mSv / 15 ans • dose naturelle en France 3 – 5,5 mSv/an soit 45 – 80 mSv/15 ans • autres sources d’exposition aux RI médical : TDM 2 à 10 mSv contamination interne (Pu) • incertitudes non prise en compte => sous-estimation IC autres cancérogènes non pris en compte • tabagisme (ERR # 9 pour le cancer bronchique) • alcool • contaminants chimiques, amiante INWORKS ne bénéficie pas des avantages des études de cohorte
INWORKS : pièges épidémiologiques - 2 modèle dose - risque • linéaire sans seuil ERR = k x D • linéaire quadratique mieux adapté mais écarté (? !) intervalles de confiance • plusieurs publications des mêmes auteurs IC 95% • passer à IC 90% réduit artificiellement la taille des IC regroupements non pertinents • les mécanismes de défense sont différents selon la dose • regrouper faibles et fortes doses conduit à surestimer le risque des faibles doses
INWORKS : présentation et communication • prudentes par l‘IRSN • trompeuse par le CIRC This study strengthens the evidence of a causal relationship between solid cancers and exposure to low doses of ionizing radiation. The findings are important not only for the protection of workers in the nuclear industry but also for medical staff and the general population, since the level of dose received by nuclear workers in the workplace is comparable with doses received by patients who could be repeatedly exposed in multiple CT-scans or in interventional radiology procedures
INWORKS : conséquences possibles DRF Dose Reduction Factor • pressions probables pour passer de 2 à 1 • modifications majeures et injustifiées de la radioprotection examens médicaux • mammographie • scanner • risque de renoncer à des examens utiles évacuation en cas d’accident nucléaire • CIPR : seuil 20 mSv/an passerait à 10 mSv/an • risque majeur d’évacuations dangereuses et injustifiées
TDM enfant Etude rétrospective scanner de l’enfant. Pearce MS et al. Lancet 2012 • dose cumulée 50 mGy : risque leucémie x 3 • dose cumulée 60 mGy : risque cancer du cerveau x 3 pièges épidémiologiques • motif de l’examen • estimation rétrospective de la dose • biais d’anamnèse • dosimétrie incertaine • incertitude non prise en compte dans l’analyse
cancers thyroïdiens post-Fukushima
doses à la thyroïde des enfants rapport OMS 2012 enfant 1 & 10 ans et adulte : 10 à 100 mGy sauf enfant 1 an zone la plus contaminée : 100 - 200 mGy incertitudes sur le terme source faible captage non pris en compte doses surestimées à chaque étape du calcul nombreux « experts » mais aucun spécialiste de la thyroïde rapport UNSCEAR 2013 doses inférieures à celles calculées par l’OMS dose maximale pour la thyroïde d’un enfant : 83 mGy incertitudes importantes régime iodé non pris en compte
échographie thyroïdienne des enfants exposés objectifs • Préfecture de Fukushima • 300 600 enfants échographiés fin 2014 • puis échos régulières prévalence CT occulte Japon 28 % Pologne 9 % Canada 6 % Colombie 5,6 % résultats 2015 • 110 cas de cancer thyroïdien détectés à comparer à la prévalence « naturelle » du CTD à cet âge • référence « interne » : district le moins contaminé pas d’augmentation du risque relatif dans les autres districts • référence « externe » : l’ensemble du Japon augmentation apparente massive du risque relatif cette augmentation n’a aucun sens aucun spécialiste du dépistage du cancer thyroïdien
conclusions
L’existence d’un risque des doses < 100 mSv n’est pas démontré L’existence d’un risque des doses < 100 mSv n’est pas démontré. S’il existe, il est très faible et ne peut pas être quantifié par extrapolation linéaire sans seuil du risque des doses > 100 mSv, les mécanismes de réparation étant différents. Les incertitudes sur la dose ne sont presque jamais prise en compte dans les études épidémiologiques. Les études cas-témoin sont fragiles du fait de l’évaluation rétrospective des expositions et des biais d’anamnèse. Les données devraient être accessibles aux chercheurs après un délai raisonnable. Certaines études n’auraient jamais dû être entreprises compte tenu de leurs faiblesses méthodologiques évidentes.
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