Histoire des États germaniques II : D’un empire à l’autre

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Transcription de la présentation:

Histoire des États germaniques II : D’un empire à l’autre Troisième cours : La confédération germanique (1815-1866)

Troisième cours : 1 — L’ère de Metternich (1815-1848) 2 — Le Printemps des Peuples de 1848 3 — L’impossible Réaction (1848-1860)

1 — L’ère de Metternich (1815-1848) 1.1 — La Confédération germanique La Confédération germanique se substitue en 1815 au Saint-Empire mort en 1806. Comme son prédécesseur, la confédération n’est pas un État, mais une association d’États, conservant leur souveraineté dans de nombreux domaines. L’élaboration du système demandera un certain temps et ne sera complétée qu’en juin 1820. Ce système comporte des institutions centrales, destinées à donner une cohérence politique à l’ensemble, qui portent dès son origine la marque de l’époque.

La confédération germanique

Cette marque, c’est le Vörmarz, la Restauration, et donc la lutte contre les mouvements révolutionnaires. La Confédération dispose de tuteurs internationaux et nationaux qui ont le devoir d’intervenir dans ses affaires intérieures et extérieures. Cette tutelle est accentuée par la présence de princes étrangers maîtres de certains territoires membres, comme le roi d’Angleterre ou celui du Danemark. Une armée confédérale existe pour défendre l’ordre intérieur uniquement et ne peut attaquer un État voisin. La faiblesse de cette force militaire provient de sa composition : ce n’est pas une armée d’État, mais un assemblage de contingents fournis par les différents États. Sur le plan de la personnalité juridique internationale, la Confédération est dotée d’une diplomatie centralisée à Frankfort, mais Berlin et Vienne tiennent à conserver la haute main sur leur propre politique étrangère.

Quant aux institutions politiques, les accords prévoyaient la mise en place d’un parlement à Frankfort, mais ce Bundestag ne dispose que de peu de pouvoirs. La légitimité des députés est faible, car ils sont issus de parlements élus au suffrage censitaire ou nommé par le gouvernement des différents États. Comme son ancêtre de Ratisbonne, c’est une assemblée de diplomates plus qu’un parlement. Le Bundestag est composé de deux chambres, l’assemblée plénière et le conseil restreint. La première, où les États sont représentés au prorata de leurs populations, est réunie rarement, ses attributions se limitant à l’étude des questions concernant le fonctionnement de la Confédération. Et comme les décisions réclament l’unanimité, la structure s’avère en pratique inefficace. Le véritable centre de pouvoir est le Conseil restreint, présidé par l’Autriche.

Il est formé de dix-sept députés : 11 sont délégués par les principaux États, les six autres représentant collectivement les autres États de la confédération. Les décisions du Conseil restreint, qui ont préséance sur les lois des États fédérés, sont votées à la majorité simple. Dans les faits, la puissance économique, militaire et démographique de la Prusse et de l’Autriche font d’elles les centres de décision et aucune résolution ne peut vraiment fonctionner si elle n’obtient pas leur appuis Comme leurs intérêts deviennent avec le temps distincts, le Conseil perd peu à peu de son efficacité. Quant aux autres États, ils se trouvent graduellement attirés dans l’orbite de la puissance prussienne. Leur développement économique et social se poursuit, mais politiquement, leur importance décline.

La confédération aurait pu servir de cadre à la mise en place d’un véritable État-nation, mais comme ce n’est pas la priorité des gouvernements, les espoirs des partisans de cette solution seront déçus et dès 1820 une disposition fédérale préconisa l’adoption d’une constitution pour chacun des États membres. Les plus petits États seront les premiers à se constitutionnaliser, alors que les deux puissances devront y être contraintes par les révolutions de 1848.

1.2 — Évolution politique et sociale De la fondation de la Confédération jusqu’au « Printemps des Peuples », ce qui domine, c’est la réaction des élites dirigeantes à l’irruption impromptue des masses. Ces décennies sont dominées par von Metternich, qui dirige de facto la Confédération et y impose ses vues et les intérêts de l’Autriche, alors que la Prusse concentre ses efforts à la poursuite des réformes économiques. Jusqu’en 1835, François 1er demeure l’empereur habsbourgeois. De 1835 à 1848, c’est le puîné de François, Ferdinand 1er, homme faible physiquement et intellectuellement, qui occupera le trône, laissant beaucoup de latitude au chancelier, dont le pouvoir décroit à partir des années 1840. En Prusse aussi, deux monarques occupent le trône au cours de la période.

Frédéric-Guillaume III règne jusqu’à sa mort en 1840, mais il laisse son ministre diriger le pays et son conservatisme est contrebalancé par le réalisme de ses ministres. Ces derniers continueront de jouer un rôle important au cours du règne de Frédéric-Guillaume IV, fils du précédent, mais celui-ci sera plus actif politiquement, le poste de ministre étant ramené à sa dimension exécutive. De 1815 à 1822, Hardenberg préside aux destinées du gouvernement et pourra déployer une vision originale et personnelle du développement du pays. Après Otto Carl Friedrich von Voss (1822-1823), Carl Friedrich Heinrich, comte de Wilich et Lottum, dirigera le gouvernement jusqu’en 1841. Ayant participé au gouvernement sous Hardenberg, il poursuivra la politique de son prédécesseur. Le dernier ministre de la période, Ludwig Gustav von Thile sera pour sa part plus effacé.

Les premières années après le Congrès de Vienne sont dominées par le mouvement des Burschenschafter, jeunes étudiants nationalistes, dont les initiateurs ont participé aux mouvements de libération des territoires germaniques. Si le mouvement s’était limité à ses quelques milliers d’initiateurs, il n’aurait pas inquiété les gouvernements, mais il s’étendit dans la plupart des universités. Les Burschenschafter ne sont pas des admirateurs de la Révolution française, mais revendiquent l’union du peuple germanique et se situent ainsi à l’opposé de Metternich qui les considère comme des révolutionnaires. Christianisme de façade, mâtiné d’éléments semi- mythologiques, idéalisation des institutions tribales germaniques, antisémitisme virulent et certaines de leurs pratiques font de ce mouvement l’une des inspirations historiques des Jeunesses hitlériennes.

La montée en puissance de ce mouvement suscite l’inquiétude des dirigeants, qui jusqu’alors semblaient enclins à une certaine libéralisation politique. Lorsqu’un membre du mouvement assassine en 1819 l’écrivain conservateur Kotzebue, Metternich trouve dans ce meurtre l’argument pour donner un tour de vis conservateur. Les « Décrets de Carlsbad » de 1819 déterminent pour une trentaine d’années le développement de la Confédération dans le sens d’un conservatisme grandissant, visant à restaurer un ordre autoritaire et à freiner le développement d’une société civile autonome. Ces lois liberticides concernent d’abord la mise sous tutelle des universités : expulsion des étudiants et professeurs jugés dangereux, interdiction des associations étudiantes et nomination de représentants du gouvernement au sein de l’administration de chacune des institutions.

La liberté de presse est en outre limitée par les pouvoirs donnés au gouvernement en matière de censure. Un conseil de surveillance est établi à Mayence pour garder un œil attentif sur l’évolution de la société. Ainsi « cadenassée », la société civile quitte l’espace politique, mais mettra à profit cette période pour s’impliquer dans d’autres domaines, dont les sciences, les territoires germaniques se positionnant à l’avant-garde technique, favorisant leur développement économique. Il y aura certains moments où l’opposition relèvera la tête, comme en 1831, dans la foulée de la révolution de Juillet. Mais les manifestations politico-culturelles de masses de l’époque permettent surtout à Metternich de donner un autre tour de vis conservateur, limogeant d’autres professeurs et allant jusqu’à fermer certaines universités. Une décennie plus tard, ce sont cette fois les tensions avec la France qui serviront d’épouvantail.

Monté sur le trône en 1840, Frédéric-Guillaume IV est plus ouvert que son père, sans être un libéral ou un démocrate. Dès 1840, de nombreux professeurs sont réintégrés, les universités précédemment fermées sont rouvertes et de nombreux prisonniers d’opinion sont libérés. En Autriche, Metternich est toujours en poste, mais son pouvoir s’amenuise devant la montée de personnalités plus ouvertes, comme Félix Schwarzenberg. Car en dépit de la chape de plomb politique, les changements économiques s’accélèrent, entrainant les changements sociaux : alphabétisation, urbanisation et développement de l’industrie, qui entraine à sa suite la misère ouvrière, facteur déstabilisant. Sous l’apparence d’un ordre politique figé, les sociétés germaniques entre 1830 et 1848 se métamorphosent. Il convient aussi d’évoquer une autre question politico- sociale, celle des minorités.

Si la Prusse jouit d’une assez grande homogénéité ethnique se pose ici la question de la minorité catholique. Pour la population polonaise, l’Église est un facteur d’unité et d’identité politique et consécutivement à la dislocation des principautés ecclésiastiques de l’ouest la Prusse calviniste doit compter avec une population catholique importante, formant près du tiers de l’ensemble. L’Église catholique est laissée de côté, car les pouvoirs ne peuvent tolérer l’autorité du Vatican. Les catholiques prussiens s’organisent donc de façon autonome. Ils sont d’autant plus enclin à le faire qu’ils doivent s’opposer à des politiques diverses visant à réduire leur importance démographique. Devant la résistance et compte tenu de l’ouverture d’esprit de Frédéric-Guillaume IV, des compromis seront trouvés, empêchant que la question des droits des catholiques n’empoisonne l’évolution politique de la Prusse.

Ce n’est pas le cas en Autriche, où le problème concerne non pas tant les minorités religieuses, mais les minorités ethniques. De quelles minorités, d’ailleurs, peut-on parler, alors que l’Empire d’Autriche ne peut compter que sur une majorité de langue germanique de 30 % à peine, le reste étant éclaté entre une multitude de minorités, dont certains sont majoritaires sur leur territoire ? Vienne s’est toujours montrée tolérante en matière linguistique, se contentant de favoriser la langue allemande, nécessaire à une carrière politique dans l’empire ou à une participation effective sur le plan économique. Mais le développement autorisé des langues et cultures locales en viendra à pose la question des droits politiques : grâce à cette tolérance et l’alphabétisation, les élites nationales, et de plus en plus les populations, vont en venir à réclamer les outils nécessaires à leur développement.

1.3 — Démographie et économie 1.3.1 — La Prusse (et les autres) La principale caractéristique de la Prusse sur le plan démographique au cours de la période est l’explosion du nombre de ses habitants. D’ailleurs, cela concerne l’ensemble des territoires du futur 2e Reich. Alors que ces territoires comptaient en 1815 un peu moins de 24 millions d’habitants, ce nombre atteint 35 millions en 1855, soit une hausse de 50 % en quatre décennies. La démographie française est ainsi sur le point d’être dépassée par celle des territoires germaniques, mettant fin à une domination multiséculaire. Si on garde à l’esprit le rôle de la démographie française dans la domination par Paris, on comprend que cette dernière ait tout fait pour empêcher l’unification germanique.

La prise de conscience par les élites politiques et la population de cette réalité, sera à l’origine d’un sentiment de puissance qui suscitera un désir affiché et assumé par de nombreuses couches de la population de venger plusieurs siècles d’humiliation. Les causes de cette explosion démographique sont multiples et comptent des facteurs internes, comme le développement économique et l’amélioration des conditions d’hygiène. Mais le contexte international y est pour beaucoup, car les territoires allemands connaîtront au cours de ce demi-siècle de longues décennies de paix. Ainsi, après avoir servi de champs de bataille à de multiples guerres depuis le XVIIe siècle, les territoires germaniques seront à l’abri des destructions de la guerre et celles qui viendront sous peu se déroulant essentiellement sur les territoires voisins, la population de l’Allemagne sera généralement épargnée.

Grâce aux réformes de Stein et Hardenberg, la production s’envole, mais en 1815, les communications entre les différentes parties du territoire demeurent difficiles. Les douanes intérieures ont été supprimées entre les provinces prussiennes, mais les échanges entre les États de la confédération demeurent entravés par les tarifs douaniers. C’est pourquoi dans les années trente la Prusse initie un mouvement sur le plan économique qui comportera à moyen terme des conséquences politiques fondamentales : en 1834, Berlin convainc plusieurs États de la Confédération de s’associer dans un vaste marché de libre-échange germanique. Ce Zollverein (Union douanière) s’étendra par la suite à d’autres États, laissant à l’extérieur les territoires de l’Autriche et posant ainsi les bases du futur 2e Reich et de la séparation politique des deux grands États germaniques.

Si cette exclusion de l’Autriche s’explique d’abord par le refus de Vienne, après Metternich, lorsque l’Autriche s’y montrera intéressée, c’est la Prusse qui s’y opposera, car l’inclusion de l’empire des Habsbourg dans son entier aurait des impacts très sur les membres du Zollverein. Il fallut donc se consacrer à l’unification physique des territoires : le chemin de fer allemand commence à fonctionner dès 1835 et s’étend pour atteindre aux débuts des années 1860 près de 12 000 kilomètres. À ce moment, tous les États du Zollverein seront reliés, permettant à la grande production agricole de l’est de rejoindre l’ouest industriel, dont la production compense les faiblesses des territoires orientaux. Les sommes nécessaires aux investissements dans le réseau ferroviaire favorisent le secteur bancaire et l’implication économique de l’État en général, et de la Prusse en particulier.

Le boom économique ne profite pas également à tout le monde et la période voit le début de la fusion de la grande industrie naissante et de la puissante noblesse terrienne, base politico-économique de la fondation du 2e Reich, qui s’entendent pour maintenir leur domination. Les famines sont moins nombreuses, mais le niveau de vie des masses demeure faible, particulièrement dans les villes, où l’industrialisation naissante laisse la grande majorité des ouvriers vivre dans la misère. La situation dans les campagnes, où vivent encore plus de 75 % de la population, demeure aussi difficile. Même si ce sont surtout les classes moyennes qui seront responsables des crises de 1848, c’est grâce à cette misère des classes inférieures qu’elles auront autant de résonnance.

1.3.2 — L’Autriche Il est très difficile de trouver des données démographique complètes pour l’ensemble de l’empire, mais on peut évaluer la population de l’ensemble des terres habsbourgeoises au milieu du siècle à plus de 30 millions de personnes, réparties inégalement sur les différents territoires. La croissance démographique au cours de la première moitié du siècle a ici été plus faible (environ 25 %) qu’au nord, ce qui s’explique par la faiblesse du développement dans les zones orientales et balkaniques de l’empire. La situation économique de l’Autriche est aussi plus difficile que celle des territoires du nord, peut-être à cause d’une situation démographique très complexe, qui va de pair avec une grande variété des niveaux de développement. Les terres germaniques de l’Autriche connaissent un niveau de développement semblable à ce que l’on trouve au nord.

Mais à l’opposé, d’autres possessions des Habsbourg sont très peu développées, comme la Galicie, avec sa majorité de paysans ukrainiens pauvres. L’état des finances de l’Autriche rend le gouvernement incapable d’un grand activisme économique et constitue un facteur ralentissant le développement. Les coûts des guerres napoléoniennes continuent de peser sur les finances et le gouvernement doit recourir à l’emprunt auprès des banques privées. Et comme les Diètes doivent donner leur autorisation pour de nouveaux impôts directs, le gouvernement en est réduit à accroitre la pression fiscale par les taxes, entrainant la paupérisation des classes inférieures. La Lombardie, les territoires tchèques et l’Autriche à proprement dite connaissent une croissance industrielle significative de l’ordre de 3 % en moyenne au cours de la période 1830-1850.

Les processus de modernisation, bien que plus lents qu’au nord des Alpes, arrivent à compenser l’incapacité financière du gouvernement. La population demeure fortement rurale et plus de 80 % des habitants de l’empire vivent dans des agglomérations de moins de 2500 habitants. Cette donnée recouvre cependant aussi de grandes disparités entre les territoires. Certains centres urbains se développent plus rapidement, (Linz, Graz) et Vienne, dont la population atteint en 1850 plus de 400 000 habitants. Ailleurs, comme à Linz, c’est l’essor industriel régional qui favorise cette urbanisation. Le commerce se développe moins bien qu’au nord, les infrastructures de transports, dont le chemin de fer, demeurant plus faibles, ce qui s’explique autant par les difficultés financières que par la topographie nettement plus accidentée dans la région alpine que sur les rives de la Baltique.

Le niveau de vie de la majorité de la population urbaine et rurale est très faible, mais la bourgeoisie a le vent en poupe. Entrepreneurs, banquiers et manufacturiers viennent s’ajouter aux fonctionnaires pour former une classe plus aisée, mais dont la stratification est grande. Les jeunes des familles les moins bien nanties de cette catégorie, instruits et actifs, seront à l’avant-garde de la révolution de 1848.

1.4 — La Sainte-Alliance La politique étrangère de la Confédération germanique est étroitement associée à la Sainte-Alliance, créée dans la foulée du Congrès de Vienne, le 26 septembre 1815, pour assurer l’ordre et la sécurité sur le continent. Cette Sainte-Alliance, (Prusse, Autriche et Russie à laquelle se joindront la France et le Royaume-Uni), agira jusqu’à sa dissolution en 1825 comme le gendarme du continent. Même après cette date, l’esprit de la Sainte-Alliance continuera de servir de prétexte à diverses interventions des puissances conservatrices dans les affaires intérieures d’autres États Ce sera le cas lorsque le royaume des Deux-Siciles, en 1820, puis celui de Sardaigne l’année suivante, seront la proie de mouvements populaires révolutionnaires.

Les troupes autrichiennes seront envoyées pour réprimer les troubles et en 1822, une France désireuse de regagner la confiance des États conservateurs obtiendra la mission de faire de même en Espagne. Rapidement, des dissensions apparaissent entre les membres de l’Alliance et en 1822, le Royaume-Uni qui, soutient la révolution grecque et celles des colonies portugaises et espagnoles, se retrouve en opposition avec son engagement à préserver « l’ordre européen ». Après la révolution de juillet en France, Paris formera un couple libéral instable avec Londres contre l’alliance des forces conservatrices à l’origine du traité de 1815. En 1830, ces trois puissances auront l’occasion de faire la preuve de leur détermination à maintenir le statu quo : pendant l’insurrection du royaume de Pologne, sous tutelle russe, les deux autres membres de l’alliance se gardent de venir en aide aux insurgés.

Pour le reste, la période est assez calme pour les États germaniques en matière de politique étrangère, les gouvernements étant surtout préoccupés, on l’a vu, par les questions économiques. Néanmoins, le déploiement de plus en plus grand de la puissance russe à l’est contre les forces ottomanes (une guerre oppose les deux puissances en 1828-1829) laisse présager des confrontations à venir entre Vienne et Saint- Péterbourg.

2 — Le Printemps des Peuples de 1848 2.1 — Les causes C’est devenu une norme au XIXe siècle que les bouffées révolutionnaires françaises engendrent des crises du même type un peu partout en Europe. Cela avait été vrai en 1831 et le fut plus encore en 1848. Le marxisme souligne avec raison les causes sociales et économiques de cette vague révolutionnaire, le capitalisme naissant, libre des limites et des contraintes que le temps lui imposera, se montre dur avec ses ouvriers, qui se concentrent dans des bidonvilles et supportent des conditions de vie misérables.

Le nombre de ceux qui savent lire et écrire croissant, les œuvres des premiers penseurs socialistes sont plus largement diffusées, fournissant à la hargne populaire des arguments pour s’opposer à l’ordre établi. L’analyse marxiste de la crise évacue la question nationale, mais celle-ci s’avère au moins aussi important que la situation économique, comme la souligne l’acuité de la crise dans les territoires non germaniques de l’empire autrichien. Car le développement des cultures nationales, grâce à l’instruction et à une plus grande accessibilité à la culture, aboutit à une nationalisation culturelle. Un peu partout dans l’empire, mais surtout chez les nations les plus avancées économiquement et culturellement, les bourgeoisies nationales prennent conscience de leur infériorité politique et réclament une plus grande participation aux affaires de l’Empire.

Il ne s’agit pas de démanteler l’empire, mais de le faire évoluer vers une plus grande intégration, d’autant que les chefs politiques nationaux appartiennent aux classes supérieures et craignent autant que les aristocrates autrichiens les débordements populaires. Au nord des Alpes, la question nationale est aussi importante, mais revêt des formes différentes. Ici, c’est le maintien de l’ordre politique féodal, qui fait des trônes et non des populations, l’assisse du pouvoir politique, qui pose problème. Au désir des populations germaniques de se réunir en un seul État répondent les égoïsmes dynastiques, pour qui la question nationale n’a qu’une importance médiocre. Ce désir d’unification est partagé par les populations germaniques de l’Autriche, qui se retrouvent aux prises avec un douloureux dilemme, celui de devoir choisir entre l’empire et la nation.

Sans cause extérieure, le mécontentement aurait pu ne pas éclater au grand jour. Mais les récoltes des années précédant 1848 ayant été faibles, les difficultés économiques s’ajoutent alors à un contexte politique tendu. La vague révolutionnaire, partie d’abord des territoires italiens (où se pose aussi la question de l’unité nationale) et amplifiée par les événements de Paris, trouvera alors un terrain favorable.

2.2 — Le déroulement   Le déroulement de la crise de  1848 est confus, car celle-ci est polycentrique et se déroule à au moins deux niveaux, celui de la rue et celui des institutions. Le point de départ sur les territoires germaniques est situé dans le grand duché du Bade où, le 27 février, une assemblée populaire réclame une république fédérative et la mise en place de changements économiques et sociaux profonds, incluant l’abolition des privilèges et la mise en place d’un impôt progressif pour tous. Le 1er mars, le parlement du Bade est occupé et des barricades apparaissent dans les rues. La semaine suivante le mouvement s’étend à la Prusse, où le roi fait mine de plier devant certaines revendications, avant d’opérer en mai un virage conservateur.

En Autriche, le 13 mars, Metternich est contraint de quitter Vienne et les autres membres du gouvernement parviennent à convaincre Ferdinand 1er de lâcher du lest, de supprimer la censure et de promettre une constitution. Des scènes semblables se produisirent en Hongrie, en Bavière, en Saxe, en Bohême et dans les territoires italiens de l’empire habsbourgeois, les différents foyers d’insurrections se stimulant mutuellement. Les revendications des insurgés mêlaient des demandes politiques à d’autres relevant de l’économie ou de l’organisation sociale. En février, au parlement du Bade, le député Bassermann avait réclamé la constitution d’un parlement représentant l’ensemble de la population et tout au long des mois de mars et avril, l’idée s’impose parmi les élites.

En Prusse, en 1847, le roi avait convoqué la « Diète réunie » pour obtenir l’emprunt nécessaire à la construction d’une ligne ferroviaire entre Berlin et Königsberg. Comme prix de leur accord, les députés avaient obtenu la périodicité la parlementarisation du système politique. À ce moment, la plupart des États germaniques disposent au minimum d’une certaine forme de représentation politique de la population (des élites, surtout) et ces institutions tenteront de canaliser la pression populaire. Le 10 mars, le Bundestag nomme un Comité des dix-sept chargé d’élaborer une constitution fédérale, en plus d’en appeler à des élections sur l’ensemble du territoire. Le texte préliminaire de la Constitution sera présenté au Bundestag fin avril, avant d’être validé le 8 mai. Entre temps, deux décrets adoptés par le Bundestag définirent les paramètres généraux du scrutin à venir.

Même si on ne peut pas parler ici de suffrage universel, ce scrutin fut historique : pour la première fois, l’ensemble des territoires germaniques était appelé à voter lors d’un même scrutin pour l’élection d’un parlement fédéral. Environ 80 % de la population masculine put prendre part au vote et la participation varia sensiblement d’un territoire à l’autre (de 40 à 70 %). Sur les 649 circonscriptions, seules 585 envoyèrent des députés, de nombreuses circonscriptions de Bohême et de Hongrie refusant de participer au processus L’élection du parlement affaiblit le mouvement populaire, les radicaux étant isolés par le compromis parlementaire et les différents pouvoirs purent reprendre le contrôle. Dans certains cas, la violence fut limitée (comme en Prusse, en décembre 1848, alors que l’armée entra massivement à Berlin sans faire de victimes), alors que dans d’autres, le sang coula à flots.

Ce fut le cas à Vienne où en octobre les insurgés sont écrasés par les forces armées. En plus des 2000 morts de la bataille, des centaines d’autres furent incarcérés et les meneurs de l’insurrection furent exécutés. Ce fut le cas en Hongrie, où une armée nationale s’opposa au pouvoir autrichien. L’aventure se termina violemment, alors que les troupes russes vinrent en aide à l’armée autrichienne pour écraser l’insurrection dans le sang. Pendant ce temps, le parlement poursuivait ses travaux : la bourgeoisie était parvenue à instrumentaliser la colère populaire pour imposer un compromis politique. La composition du parlement à ce sujet est éloquente : 95 % des députés disposaient d’un baccalauréat et environ 75 % avaient mené des études universitaires. La moitié des députés étaient fonctionnaires, les autres avocats, juges ou professeurs. Peu d’ouvriers ou de paysans, d’où son surnom de « parlement de professeurs ».

Malgré l’homogénéité des origines sociales des députés, on compte une grande variété d’opinions. Entre l’extrême gauche socialiste et l’extrême droite ultraconservatrice, la majorité des députés défendaient des positions centristes, allant du libéralisme social au libéralisme constitutionnel. Soulignons la position des catholiques, pour la plupart situés au centre, et l’absence de parti politique, les députés défendant leurs convictions, s’assemblant et se rassemblant de façon conjoncturelle. Le 18 mai 1848, le parlement commença ses travaux et nomma un comité chargé d’élaborer la constitution, mais il faudra attendre mars 1849, après de longs débats, pour qu’un texte final soit adopté. Le texte proposé prévoyait une importante modernisation légale et institutionnelle des États germaniques.

Les privilèges féodaux étaient abolis, les libertés de culte, d’association, de la presse et de circulation étaient proclamées. L’indépendance du système judiciaire fut proclamée, la peine de mort abolie, et le mariage civil autorisé. On note l’absence de droits sociaux, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de la composition de l’assemblée : à Assemblée bourgeoise, droit bourgeois. Sur la proposition du jeune Hans Kudlich, seul paysan de la députation, le parlement vota l’abolition du servage sur les terres de la Confédération. Au plan institutionnel et politique, la constitution prévoyait la mise en place d’une monarchie constitutionnelle, avec à sa tête un empereur conservant d’importantes prérogatives, faiblement contrebalancés par un parlement bicaméral (Reichstag).

Une chambre aurait été élue au suffrage universel masculin et l’autre aurait été composé pour moitié des députés élus des différents États, pour moitié des membres des gouvernements de ces États. Le Reichstag devait disposer, comme le gouvernement et l’empereur, de l’initiative législative, mais son contrôle sur le gouvernement aurait été limité et circonscrit à la possibilité de se plaindre auprès de l’empereur. L’idée de responsabilité ministérielle était donc rejetée. Il s’agissait donc d’un compromis entre les traditions germaniques et la nécessité d’adapter le système politique à la modernité. La question qui agitera les députés et contre laquelle buteront leurs idéaux, c’est le problème de l’unité nationale. Les dirigeants demeurent prudents face à une revendication qui remet en question la base organisationnelle des États germaniques et leur pouvoir.

La constitution de Frankfort

D’autant que les députés des différents territoires envisagent cette union, qu’ils souhaitent pour la plupart, de multiples façons. Car de quelle union parle-t-on? Les partisans de la solution « Grande Allemagne » désiraient une union dans laquelle seraient incorporés les territoires autrichiens. Mais cette Grande Allemagne n’aurait pas seulement été allemande, ce qui heurtait les sentiments nationaux des Allemands, comme celui des minorités. C’est pourquoi d’autres désiraient une « Petite Allemagne » : l’union des territoires germaniques, à l’exclusion de ceux de l’Autriche. Les députés autrichiens étaient donc partagés entre la solidarité germanique, ou la fidélité à l’empire. Et c’est finalement sur la question du chef l’État, que se divisa le parlement. Une majorité de députés se prononça en faveur de Frédéric-Guillaume IV (c’est-à-dire de la solution Petite Allemagne).

Celui-ci refusa la couronne « trouvée dans la fange », car proposé par un parlement élu, d’autant qu’il hésitait devant la coupure historique des peuples allemands. Ce vote en faveur du roi de Prusse et l’abandon de la solution de la « Grande Allemagne » suscita la colère de l’empereur autrichien. De même, le 5 avril, les députés autrichiens, qui s’étaient opposés à ce choix, réagirent au vote en quittant le parlement. Ce fut alors la débandade : considérant leur travail sans objet, les députés centristes et conservateurs quittèrent le parlement, le laissant entre les mains des représentants de la gauche, qui sans être des révolutionnaires, considéraient que la constitution avait force de loi. Cela favorisa un sursaut révolutionnaire dans certains territoires, dont la Saxe, le duché du Bade et la Bavière, alors que Prusse et Autriche firent front commun pour venir en aide aux souverains menacés.

Le parlement, qui ne comptait alors plus que 130 députés, quitta Francfort pour Stuttgart, où il fut dissous par la force par les troupes du Wurtemberg. C’est d’ailleurs dans cet État, à Rastatt, le 23 juin 1849, que prit fin cette ultime tentative insurrectionnelle, qui clôt le cycle révolutionnaire qui avait débuté en mars de l’année précédente.

2.3 — Conséquences Au premier coup d’œil, la révolution de 1848 semble avoir failli : les territoires demeurent divisés, les institutions politiques dominées par les pouvoirs en place. Le bilan humain est difficile à établir, compte tenu du grand nombre de foyers d’insurrection, mais les évaluations les plus conservatrices font état d’au moins 10 000 morts. À ces pertes, il convient 200 000 immigrants qui quittèrent les terres germaniques, pertes d’autant plus douloureuses qu’il s’agissait pour une bonne part de représentants instruits et entreprenants de la société. Mais un regard plus attentif impose une lecture plus nuancée. Même si la constitution n’a pas eu d’existence légale, les principes qu’elle portait vont faire leur chemin dans les institutions de l’après-crise.

D’ailleurs, les constituions allemandes (celle de 1871 et de 1919) s’inspireront de certaines des idées et institutions de cette première constitution pangermanique. D’autres changements ont vu le jour, alors qu’à l’issue de la crise, la plupart des États germaniques se trouvent dotés d’assemblées élues, dont les pouvoirs reposent sur un texte constitutionnel. La bourgeoisie a acquis au cours des événements une expérience de l’implication politique, ce qu’elle refusera désormais d’abandonner. Même si le monde d’avant mars 1848 semble s’être imposé à nouveau à l’été 1849, le changement de garde est en cours. Les décennies qui vont suivre témoignent de ce changement fondamental : la noblesse ne peut plus seule diriger les affaires politiques, autant par manque de compétence que de moyens.

La fortune passera entre d’autres mains, alors que se mettra en place le compromis entre la noblesse en déclin et la grande bourgeoisie en plein essor. Ce compromis sera évident en Prusse, où nombre de grands bourgeois obtiendront éventuellement un titre de noblesse. La liberté de presse garantie par la constitution se manifestera par un accroissement très important des publications, dont le nombre est multiplié par quatre au cours de la période 1847-1850. Les classes inférieures y gagneront aussi, grâce à la liberté d’association, qui permettra l’apparition des organisations ouvrières, regroupées au sein d’une Fraternité générale des travailleurs allemands, qui comptera en 1848 plus de 15 000 membres. Des structures semblables apparaissent pour d’autres groupes sociaux, dont les paysans et les femmes.

3 — L’impossible Réaction (1848-1860) Après la crise vint une période réactionnaire, au cours de laquelle les élites politiques vont s’employer à freiner l’érosion de leur pouvoir et à s’opposer aux changements. Mais le Printemps des Peuples ayant été la conséquence des changements, et non la cause de ceux-ci, ce combat était voué à l’échec et la réalité s’imposera. Dans sa confrontation avec la Prusse, en 1850, Vienne a encore le contrôle, surtout de 1848 à 1852, alors que la chancellerie d’Autriche est occupée par Schwarzenberg, qui seconde le jeune empereur François-Joseph, qui a succédé à son père, poussé à l’abdication par ses proches dans la foulée de la crise.

En face, Frédéric-guillaume IV ne peut compter sur personne, alors que le poste de ministre-président sera occupé de 1848 à 1850 par 5 hommes différents. Ce n’est qu’avec l’arrivée de von Manteuffel (jusqu’en 1858) que le gouvernement connaîtra une certaine stabilité. Schwarzenberg propose alors un rétablissement de la Confédération germanique sous la gouverne autrichienne. La Prusse favorise l’idée d’une double union : une Allemagne unifiant sous la conduite prussienne les territoires du Nord, laquelle incorporerait une Union allemande comprenant aussi l’empire autrichien. La majorité des autres États, craignant la puissance de la Prusse, sont favorables à la proposition autrichienne, Bavière et Wurtemberg allant même jusqu’à conclure une alliance militaire avec Vienne pour contrer Berlin.

On en vint presque à un conflit armé, mais la nomination de Manteuffel permettra une sortie de la crise : par la conférence d’Olmutz, Berlin « rentra sous terre », accepta la renaissance de la Confédération germanique et abandonna l’idée de la Petite Allemagne sous sa gouverne. Si cette solution mit fin temporairement aux tensions entre Vienne et Berlin, le problème de la prédominance ne fut pas résolu et ressurgira quinze années plus tard, d’autant que les dirigeants de Prusse en conservèrent un sentiment fort amer. La confédération continua de fonctionner, un Conseil fédéral non élu se réunissant à Francfort abrogea la Constitution de 1849, rétablit la censure et contraignit les États membres à purger de leurs constitutions les concessions libérales octroyées au cours du Printemps des Peuples. En Prusse, sans remettre en question la constitution, le roi s’emploie à casser l’opposition par diverses pressions pour disposer au parlement de majorités favorables.

Cela permit au gouvernement de se consacrer aux questions économiques et le Zollverein fut complété par l’adhésion du Hanovre. En Autriche, Schwarzenberg, tout en favorisant une certaine modernisation des structures sociales (abolition des privilèges) et économiques (suppression des douanes intérieures), maintient une censure et un contrôle étatique strict. Même s’il parvient à convaincre l’empereur de convoquer un parlement, les députés, élus au suffrage censitaire, sont dépourvus de pouvoirs réels et le pouvoir monarchique demeure absolutiste. Les réformes administratives qu’il entreprend pèseront sur l’avenir de l’Autriche car il met en place une administration centralisée transformant l’empire habsbourgeois en État unitaire, dirigé par une bureaucratie viennoise, transformation qui suscitera le rejet des nationalistes.

Malgré tout, le libéralisme continue à se propager Malgré tout, le libéralisme continue à se propager. Une fois de plus repoussé hors du champ politique, la bourgeoisie compense par un activisme économique, particulièrement important en Prusse et dans les territoires occidentaux. Certains chefs d’États allemands plus petits comprenaient l’inutilité de ce combat et dès 1852, s’employèrent à renouer avec l’esprit libéral. C’est le cas en Bavière, où le roi s’employait à trouver et à proposer à ses homologues une 3e voie entre la domination de Vienne et celle de Berlin. Même si la Confédération semble fonctionner, les États qui la composent prennent des directions variées et le pouvoir du Conseil devient de plus en plus théorique à mesure que le temps passe.

Et le centre de gravité continue de se déplacer de l’Autriche à la Prusse, car la victoire de Schwarzenberg ne peut remettre en question la réalité : l’économie prussienne est beaucoup plus forte. À terme, la victoire de Berlin était inévitable, mais la Prusse bénéficiera en plus d’un coup de main de la France. Car le Second Empire se montre aussi mécontent de l’ordre international que peut l’être Berlin. Sans parler d’une alliance formelle avec Paris, le représentant de Berlin au Conseil fédéral, Otto von Bismarck, se montre favorable à une remise en question de l’ordre européen et ne fera rien pour venir en aide à son « allié » autrichien dans le conflit italien. Car en 1859, encouragé par Paris, dont le soutien lui est assuré par un accord secret conclu en 1858, le royaume de Sardaigne multiplie les déclarations provocatrices à l’endroit de l’Autriche.

Vienne, qui contrôle toujours une partie du nord de l’Italie (la Lombardie et la Vénétie), répond en mobilisant ses troupes et en envahissant le Piémont. Conformément aux accords, Paris vient en aide à la Sardaigne et inflige à l’Autriche de cruels revers à Magenta et à Solferino. Ce n’est qu’après cette débandade que Berlin menace la France d’intervenir, incitant Napoléon III à la prudence. Néanmoins, Vienne est contraint à une paix humiliante et doit abandonner la Lombardie à la France (qui la rétrocède au Piémont en vertu de l’accord de 1858, en échange de Nice et de la Savoie). Si cette défaite agit comme un électrochoc sur le gouvernement autrichien, qui se lancera enfin dans une véritable politique réformatrice, il viendra trop tard pour empêcher l’affaiblissement de l’empire habsbourgeois et son corollaire, la consolidation de son adversaire prussien.