Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA), mis au point initialement pour normaliser la tension artérielle, sont devenus un élément essentiel du traitement de l’hypertension, de l’insuffisance cardiaque congestive et de la prévention des complications de l’athérosclérose. Les données à l’appui des avantages des inhibiteurs de l’ECA sont nombreuses et ne sont pas limitées à des études cliniques unicentriques. Un certain nombre d’inhibiteurs de l’ECA actuellement commercialisés ont différentes propriétés pharmacologiques. Par conséquent, il n’est pas certain que l’on puisse extrapoler les résultats des études cliniques avec un inhibiteur de l’ECA et les appliquer à un autre inhibiteur de l’ECA. Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) ont été commercialisés plus récemment et ont un effet réducteur de la tension artérielle similaire à celui des inhibiteurs de l’ECA. Cependant, les ARA n’ont pas montré de façon convaincante qu’ils prévenaient les complications vasculaires, ni qu’ils étaient équivalents ou supérieurs aux inhibiteurs de l’ECA dans le traitement ou la prévention de l’insuffisance cardiaque.
L’angiotensine II joue un rôle important dans l’apparition de l’athérosclérose et des complications subséquentes associées à cette maladie. L’angiotensine II augmente la tension artérielle en causant une vasoconstriction artériolaire directe. Elle augmente l’activité du système nerveux sympathique et favorise la rétention hydro-sodée. L’hypertension est le principal facteur de risque d’accident cérébro-vasculaire et d’infarctus du myocarde. Le revêtement endothélial des artères est important dans le maintien de l’intégrité des artères. Normalement, il empêche et limite la thrombose dans le vaisseau, ainsi que l’entrée des cellules inflammatoires dans la paroi artérielle. L’endothélium produit du monoxyde d’azote (NO) qui est un agent essentiel pour maintenir la perméabilité des vaisseaux, limiter la prolifération cellulaire et inhiber la thrombose. Lorsque la fonction endothéliale est altérée, la synthèse du monoxyde d’azote est réduite et la synthèse des agents qui favorisent l’apparition de l’athérosclérose ainsi que la thrombose est accrue. Dans l’endothélial anormal, la synthèse de l’angiotensine II est accrue, entraînant la formation accrue de radicaux libres de l’oxygène et des lésions tissulaires ainsi que la neutralisation du monoxyde d’azote. L’angiotensine II favorise l’inflammation en induisant la synthèse des cytokines et des molécules d’adhésion qui favorisent l’adhésion des monocytes et leur migration dans la paroi des vaisseaux. Par conséquent, un cercle vicieux se crée, étant donné que le nombre accru de cellules inflammatoires entraîne la synthèse accrue de l’angiotensine II. La synthèse de l’angiotensine II est un élément essentiel dans l’apparition de la dysfonction endothéliale, qui est l’étape initiale de l’apparition de l’athérosclérose et de ses complications.
L’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) transforme l’angiotensine I en un peptide actif appelé angiotensine II. Cette enzyme est responsable de la dégradation de la bradykinine en peptides inactifs. L’inhibition de l’ECA non seulement réduit les taux d’angiotensine II, mais augmente également la disponibilité de la bradykinine, un vasodilatateur qui favorise la synthèse du NO et stimule la synthèse des prostaglandines vasodilatatrices. Ce mécanisme joue apparemment un rôle important dans l’amélioration de la fonction endothéliale induite par l’inhibition de l’ECA dans la circulation coronarienne. Par opposition, bien que les ARA causent potentiellement un blocage plus complet du système rénine-angiotensine en bloquant l’action de l’angiotensine II au niveau du récepteur, ils ne favorisent pas la synthèse du monoxyde d’azote par la voie de la bradykinine dans la même mesure que les inhibiteurs de l’ECA.
Les études cliniques sur les inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’insuffisance cardiaque ont démontré que l’inhibition de l’ECA réduit la mortalité due à l’insuffisance cardiaque, l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et l’apparition de l’insuffisance cardiaque chez les patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche. Les études d’observation de sujets pendant plus de 3 ans (SOLVD et SAVE) ont montré une réduction constante du taux d’infarctus du myocarde durant la période de traitement. Les études dans lesquelles la durée du traitement était plus courte, telles que AIRE et TRACE, ont montré une tendance non significative à une diminution du taux d’IM. Ces études ont mené à l’étude HOPE, qui a montré que le ramipril à une dose de 10 mg par jour administré pendant une période de 4 ans à des patients présentant un risque élevé de crise cardiaque ou d’accident cérébro-vasculaire ( maladie vasculaire ou diabète établis) réduit les événements vasculaires de 22 %. Les chercheurs de l’étude SOLVD. N Engl J Med 1992;327:685-91 et N Engl J Med 1991;325:293-302. Rutherford JD et al (chercheurs de l’étude SAVE). Circulation 1994;90:1731-38 et Pfeffer MA, et al, N Engl J Med 1992;327:669-77. Cleland JG et al. (chercheurs de l’étude AIRE). Eur Heart J 1997;18:41-51 et Lancet 1993;342:821-28. Kober et al (groupe d’étude TRACE). N Engl J Med 1995;333:1670-6. Yusuf S et al. (chercheurs de l’étude HOPE). N Engl J Med 2000;342:145-53.
L’étude HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation) a été menée dans 267 centres dans 19 pays et 3 continents, et a recruté 9 297 patients à haut risque présentant des antécédents de coronaropathie, d’accident cérébro-vasculaire, de maladie vasculaire périphérique ou de diabète, avec au moins 1 facteur de risque de maladie vasculaire. Les sujets étaient âgés de plus de 55 ans, ne présentaient pas d’antécédents d’insuffisance cardiaque, d’IM ou d’accident cérébro-vasculaire récent, et lorsqu’elle était connue, leur fraction d’éjection du ventricule gauche était > 40 %. Les patients admissibles ont été assignés au hasard au ramipril à 10 mg par jour ou à un placebo. Durant la période de suivi de 4,5 ans, on a noté une réduction de 22 % de la mortalité cardiovasculaire, des IM ou des accidents cérébro-vasculaires chez les patients traités avec le ramipril. Des effets bénéfiques similaires ont été observés dans une large gamme de groupes de patients. Chez les patients recrutés qui souffraient ou non d’une maladie cardiovasculaire, de diabète, d’hypertension, d’un IM antérieur, de maladie cérébro-vasculaire ou de maladie vasculaire périphérique, on a noté une réduction similaire de 20 à 25 % des événements vasculaires. Chacune des composantes du paramètre primaire (maladie cardiovasculaire, décès, accident cérébro-vasculaire, IM) a été réduite significativement. En outre, on a noté une réduction de 32 % de l’incidence du diabète d’apparition nouvelle. Ces avantages sont résumés par l’effet du traitement chez 1000 patients recevant le ramipril à 10 mg par jour pendant 4 ans; le traitement préviendra 20 décès, 24 IM, 23 revascularisations ou 150 événements chez 70 patients. Nous attendons les résultats d’études en cours, telles que PEACE, EUROPA et IMAGINE, pour confirmer l’efficacité des inhibiteurs de l’ECA dans la protection vasculaire. Cependant, les recommandations actuelles de l’AHA/ACC, de l’American Diabetic Association et de la Société canadienne d’hypertension préconisent les IECA comme traitement de premier recours pour les patients souffrant ou présentant un risque élevé de maladie vasculaire.
Hypertension Dysfonction rénale Les études cliniques examinant les avantages des ARA étaient axées sur des patients atteints d’hypertension, de dysfonction rénale et d’insuffisance cardiaque. Peu d’entre elles avaient la puissance nécessaire pour montrer un impact significatif sur la prévention de l’infarctus du myocarde, de l’accident cérébro-vasculaire ou de la mortalité cardiovasculaire. Hypertension L’étude LIFE a comparé le losartan avec l’aténolol chez 9193 sujets, âgés de 55 à 80 ans, atteints d’hypertension modérément grave et présentant des signes ECG d’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG). Pendant une période de traitement de 5 ans, les patients recevant le losartan ont présenté une réduction de 13 % du paramètre composé primaire (mortalité CV, IM et accident cérébro-vasculaire). Cependant, le paramètre composé positif résultait d’une réduction de 25 % du taux d’accident cérébro-vasculaire, sans réduction significative de l’IM ou de la mortalité CV. (Dahlof B, et al. Lancet 2002;359:995-1003.) Dysfonction rénale Des études telles que IRMA, IDNT et RENAAL ont démontré que les ARA retardent la progression de la néphropathie diabétique à partir du stade précoce de la microalbuminurie jusqu’au stade plus avancé de la néphropathie avec protéinurie manifeste. Cependant, malgré l’incidence élevée des complications cardiovasculaires, on n’a pas noté de signes de cardioprotection. (Brenner BM, et al. N Engl J Med 2001;345:870-878.)
Post-infarctus du myocarde Les études cliniques examinant les avantages des ARA étaient axées sur les patients atteints d’hypertension, de dysfonction rénale et d’insuffisance rénale. Peu d’entre elles avaient une puissance suffisante pour montrer un impact significatif sur la prévention de l’infarctus du myocarde, de l’accident cérébro-vasculaire ou de la mortalité cardiovasculaire. Post-infarctus du myocarde L’étude OPTIMAAL a recruté 5477 patients atteints d’un IM et d’insuffisance cardiaque symptomatique ou de dysfonction du VG qui ont été assignés au hasard à un traitement avec le losartan à 50 mg par jour ou avec le captopril à 50 mg tid. La mortalité toutes causes, le paramètre primaire, était généralement moins élevée chez les patients traités avec le captopril et la mortalité cardio-vasculaire était significativement moins élevée. Les résultats n’encouragent pas l’usage des ARA pour remplacer les inhibiteurs de l’ECA chez les patients ayant subi un IM. (Dickstein K, et al. Lancet 2002;360:752-60.) Insuffisance cardiaque Une récente méta-analyse concluait que l’on ne pouvait pas montrer que les ARA étaient supérieurs aux inhibiteurs de l’ECA chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque. Les études qui ont comparé les ARA à un placebo ont montré une tendance des ARA à offrir un avantage. L’étude Val-HeFT, par exemple, a démontré une légère réduction du taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque congestive, mais non du taux de mortalité totale. (Cohn JN, Tognoni G. N Eng J Med 2001;345:166-75.) Cependant, aucune étude concluante n’a démontré que les ARA peuvent remplacer les inhibiteurs de l’ECA.
Les maladies cardiovasculaires représentent plus de 70 % de la mortalité dans la population diabétique. L’étude MICRO-HOPE a démontré que le ramipril offrait un avantage accru chez les patients diabétiques avec une réduction de 37 % de la mortalité cardiovasculaire, de 22 % de l’IM et de 33 % de l’accident cérébro-vasculaire. L’étude LIFE a recruté 1195 patients diabétiques. Chez les patients dans le groupe losartan, on a noté une réduction de 24,5 % de la mortalité cardiovasculaire comparativement au groupe aténolol. Cependant, on n’a pas noté de réduction de l’infarctus du myocarde ou de l’accident cérébro-vasculaire. En outre, l’application des résultats de l’étude LIFE est limitée aux patients dont l’hypertension est modérément grave et présentant des signes ECG d’HVG. Gerstein HC, et al. (MICRO-HOPE). Diabetes Care 1996;19:1225-28. Lindholm LH, et al. (LIFE) Lancet 2002;359:1004-10.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ont montré dans de nombreuses études cliniques qu’ils limitaient la progression des maladies cardiovasculaires de la phase asymptomatique à l’insuffisance cardiaque grave. L’inhibition de l’ECA a offert des avantages constants dans une large gamme de sous-groupes. En revanche, les ARA ont eu peu d’impact sur la progression des maladies cardiovasculaires. La seule étude sur les ARA (LIFE) comprenant des données sur leur effet vasculo-protecteur a montré des résultats inconstants dans les divers sous-groupes et les résultats ne sont donc pas applicables généralement.
On devrait sérieusement envisager les inhibiteurs de l’ECA pour la protection cardiovasculaire chez les patients à haut risque, comme nous envisageons actuellement les agents hypolipidémiants. Les ARA sont un traitement d’appoint utile pour améliorer la maîtrise de la tension artérielle, en particulier chez les patients diabétiques atteints de néphropathie. Chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque qui ne tolèrent pas les inhibiteurs de l’ECA, un ARA peut être utilisé avec un certain degré de confiance. Cependant, il n’existe pas de données indiquant que les ARA peuvent remplacer les inhibiteurs de l’ECA, en particulier pour la protection vasculaire, mais d’autres données seront peut-être disponibles.