L’âge d’or perdu des modernes

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Transcription de la présentation:

L’âge d’or perdu des modernes Typologie et permanence des imaginaires mythiques Myriam Watthee-Delmotte (myriam.watthee@uclouvain.be) http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/enseignement/glor2390 L’âge d’or perdu des modernes Objectifs Éclairer la permanence des imaginaires mythiques Analyser diverses modalités de réécriture ou d’intertextualité observables dans la littérature francophone contemporaine

Typologie et permanence des imaginaires mythiques Myriam Watthee-Delmotte (myriam.watthee@uclouvain.be) http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/enseignement/glor2390 1. Approche théorique a. Théories du mythe littéraire b. Traitement du mythe en littérature 2. Le mythe littérarisé de l’Age d’or a. Un mythe de situation b. Une temporalité problématique c. Le deuil de l’âge d’or dans les lettres modernes 3. Trois études de cas : a. La nostalgie de l’archaïque : Arcadie… Arcadie… de Jean Giono b. Le rêve d’âge d’or et l’utopie : La ville qui n’existait pas d’Enki Bilal et Pierre Christin c. L’ailleurs et le primitif : Vendredi ou Les limbes du Pacifique de Michel Tournier

Typologie et permanence des imaginaires mythiques Myriam Watthee-Delmotte (myriam.watthee@uclouvain.be) http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/enseignement/glor2390 Textes analysés au cours : 1. - poésie : Yves Bonnefoy : poèmes de Hier, régnant désert (1958), Paris Gallimard, « Poésie », 1970 et L’arrière-pays (1971), Paris Gallimard, « Poésie », 1992 ; 2. - récit : Jean Giono, Arcadie… Arcadie… (1953), Paris, Gallimard, « Folio 2 € », 2002 ; 3. - roman : Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du pacifique (1969), Paris, Gallimard, « Folio », 2005 ; 4. - essai : Paul Ricœur, L’idéologie et l’utopie (1986, édition originale anglaise Lectures on ideology and utopia), Paris, Le Seuil, « Points / Essais », 1997. Cioran, Histoire et utopie, chapitre « l’äge d’or » (196), Paris, Gallimard, « Folio/ Essais », 1987. Extraits analysés placés sur le site du cours ; 5. - bande dessinée : Enki Bilal et Pierre Christin, La ville qui n’existait pas (1977), Tournai, Casterman, 2006. Planches reproduites sur le site du cours, à usage interne. NE PAS DIFFUSER LES PAGES IMPRIMEES.

1 1. Approche théorique Outils bibliographiques Pour prendre connaissance de la fortune littéraire d’un mythe : BRUNEL P. (s. dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Rocher, 1988. 2e éd. augmentée 1994. BONNEFOY Y. (s. dir.), Dictionnaire des mythologies, Paris, Flammarion, 1981. LAFFONT R., BOMPIANI V., Le nouveau dictionnaire des œuvres de tous les temps et de tous les pays (auteurs nés avant 1900), Paris, Robert-Laffont, « Bouquins », 1994. LAFFONT R., BOMPIANI V., Dictionnaire des personnages littéraires et dramatiques de tous les temps et de tous les pays : poésie, théâtre, roman, musique, Paris, Robert-Laffont, « Bouquins », 1994.

1 Sur l’âge d’or : BÉNÉJAM-BONTEMS M.-J., article « Âge d’or », dans BRUNEL P. (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Rocher, 2e éd. augmentée 1994 , pp. 52-56. CIORAN, Histoire et utopie, Paris, Gallimard, 1960, rééd. « Folio/Essais », 2005, chapitre VI : «L’âge d’or ». DALLA BERNARDINA S. (dir.), L’utopie de la nature. Chasseurs, écologistes et touristes, Paris, Imago, 1996. DELAPORTE A., Bergers d'Arcadie, le mythe de l'Age d'Or dans la littérature française du XVIIIème siècle, Paris, Pardès, 1989. ELIADE M., La nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1978. POIRIER J. (dir.), L’âge d’or. À l’approche du deuxième millénaire, un retour sur un mythe fondateur qui représente l’autre de notre mode d’être, Dijon, E.U.D., 1996. PERRET J., Daphnis pâtre et héros : perspectives sur un Âge d’or, Paris, R.E.L., 1983.

1 Sur le mythe du paradis : BERCOT M. et MAYAUX C., La Genèse dans la littérature. Exégèses et réécritures, Dijon, E.U.D., 2005. BLONDEL J., Le paradis perdu (1667-1967), Paris, Minard, Les Lettres Modernes, 1967. COUFFIGNAL R., article « Eden », dans BRUNEL P. (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Rocher, 2e éd. augmentée 1994 , pp. 539-558. Id., « Aux premiers jours du monde… » La paraphrase poétique de la Genèse de Hugo à Supervielle, Paris, Minard, Les Lettres Modernes , 1970. Id., Le drame de l’Eden. Le récit de la Genèse et sa fortune littéraire, Toulouse, P.U. Toulouse-le Mirail, 1980. DALLA BERNARDINA S. (dir.), L’utopie de la nature. Chasseurs, écologistes et touristes, Paris, Imago, 1996. ROUGIER L., Du paradis à l’utopie, Paris, Copernic, 1979.

Sur l’utopie : CORIANESCU A., L’avenir du passé. Utopie et littérature, Paris, Gallimard, 1972. DEPROOST P.-A. & COULIE B., Utopie. Imaginaires européens, Paris, L’Harmattan, « Structures et pouvoirs des imaginaires », 2002. JEAN G., Voyages en utopies, Paris, P.U.F., 1950. HUBNER P., article « Utopie et mythe », dans BRUNEL P. (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Rocher, 2e éd. augmentée 1994 , pp. 1432-1441. MARIN L., Utopiques : jeux d’espaces, Paris , Minuit, « Critique », 1973. RACAULT J.-M., L’utopie narrative en France et en Angleterre 1675-1761, Qxford, « Studies on Voltaire and the Eighteenth Century » n° 280, 1991. ROUVILLOIS F., L’utopie, Paris, GF Flammarion, « Corpus », 1998. RUYER R., L’utopie et les utopies, Paris, P.U.F., 1950. SARGENT L.T. & SCHAER R., Utopie. La quête de la société idéale en Occident, Paris, Fayard, 2000. TROUSSON R., Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, (1975), Bruxelles, U.L.B., 1999. WUNENBURGER J.-J., L’utopie ou la crise de l’imaginaire, Paris, Delarge, 1979. MAIGAIN S., L’utopie : approche historique, théorique et didactique d’un genre littéraire, mémoire présenté sous la direction de J.-L. Dufays, UCL, 1998. 1

1 À lire pour le plaisir : CHAUVIN D., SIGANOS A., WALTER A. (dir.), Questions de mythoctitique. Dictionnaire. Paris, Imago, 2005. MONNEYRON F. & THOMAS J., Mythes et littérature, Paris, P.U.F., « Que sais-je ? », 2002. PELLEGRINO F., Mondes lointains et imaginaires, Paris, Hazan, 2006. SIGANOS A., Mythe et écriture. La nostalgie de l’archaïque, Paris, P.U.F., 1999. WUNENBURGER J.-J.(dir.), Art, mythe et création, Dijon, E.U.D., 1998.

1 Site à consulter : http://www.educnet.education.fr/musagora/agedor/agedorfr/biblio.htm

1 a. Théories du mythe littéraire : « thème » ou « mythe » littéraire? * Un récit? Trousson R., Thèmes et mythes. Questions de méthode, Bruxelles, U.L.B., 1981. Albouy P., Mythes et mythologies dans la littérature française, Paris, Armand Colin, (1969) 1998 ; Mythographies, Paris, Corti, 1976. Brunel P., « Le mythe comme structure du texte », dans Revue des langues vivantes XLIII, 1977. * Des textes particuliers ou une pensée mythique ? Vernant J.P., Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, Maspéro, 1972. Bollack J., La naissance d'Oedipe: traduction et commentaires d'Œdipe roi, Paris, Gallimard, 1995. Veyne P., Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? Essai sur l’imagination constituante, Paris, le Seuil, 1983. Astier C, Dabezies A., Fraisse S., Rousset J.,… (Paris, Armand Colin, « U2 », série « Mythes ») Tuzet H., Mort et résurrection d’Adonis. Etude de l’évolution d’un mythe, Paris, Corti, 1987. 1

1 * Mythe ethno-religieux ou mythe littéraire? Sellier Ph., « Récits mythiques et productions littéraires », dans Mythes, images, représentations, Paris, Didier-Erudition, 1981 et « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? », dans Littérature n° 55, 1984. Ce qui revient en propre au mythe littéraire : le caractère signé non-fondateur résolument fictif et détaché de toute croyance Ce qui autorise toujours à parler de mythe : la présence de un sens symbolique un éclairage métaphysique une puissante organisation structurale - mythèmes - syntagme minimal

1 * Mythe littéraire ou mythe littérarisé ? Siganos A. , Le Minotaure et son mythe, Paris, P.U.F., 1993. mythe littéraire : les innombrables versions littéraires à partir d’un texte littéraire historiquement daté mythe littérarisé : texte qui reprend les éléments d’un récit archaïque bien antérieur à l’actualisation qu’il en présente. MYTHANALYSE > < MYTHOCRITIQUE Le mythe littéraire, comme le mythe littérarisé, est un récit fermement structuré symboliquement déterminé d’inspiration métaphysique reprenant le syntagme de base d’un ou plusieurs textes fondateurs. POUVOIR D’IRRADIATION « Le mythe a une matrice narrative rebelle à tout ce qui la ferait déroger à sa propre logique » (Astier C., Le mythe d’Œdipe , Paris, Armand Colin, 1974) FLEXIBILITE MANIPULATION 1

1 b. Traitement du mythe en littérature approche structurale des textes (récits) Gilbert Durand, Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie générale (1969), rééd. Paris, Dunod, 1992 ; Id., Le décor mythique de la Chartreuse de Parme, Paris, Corti, 1961 ; Id., Figures mythiques et visages de l’œuvre : de la mythocritique à la mythanalyse, Paris, Dunod, 1979, rééd. 1992. « bassins sémantiques » Un mythe est une combinaison particulière de mythèmes un syntagme (ou phrase minimale)

1 Exemple : Le syntagme minimal du mythe du Minotaure a. centré sur le monstre 1. La transgression de l’ordre naturel : conception du Minotaure sujet : Pasiphaé verbe : s’accouple complément : au taureau blanc (circonstances) : cachée dans une vache artificielle fabriquée par Dédale 2. Le nouvel ordre instauré : l’action du Minotaure sujet : Le Minotaure verbe : dévore complément : 14 jeunes Athéniens (7 garçons, 7 filles) (circonstances) : périodiquement, dans le labyrinthe construit par Dédale 3. La remise en cause héroïque : la mort du Minotaure sujet : Thésée verbe : tue complément : le Minotaure (circonstances) : dans le labyrinthe construit par Dédale, avec l’aide du fil d’Ariane donné par Dédale 1

1 Exemple : Le syntagme minimal du mythe du Minotaure b. centré sur le lieu 1. La transgression de l’ordre naturel : la conception du labyrinthe sujet : Minos verbe : fait construire complément : une prison (circonstances) : pour le Minotaure (fruit d’amours illégitimes) par Dédale 2. Le nouvel ordre instauré : l’action du labyrinthe sujet : Le labyrinthe verbe : piège complément : 14 jeunes Athéniens (7 garçons, 7 filles) (circonstances) : périodiquement, suite à l’ingéniosité de Dédale 3. La remise en cause héroïque : la victoire sur le labyrinthe sujet : Thésée verbe : surmonte complément : le labyrinthe (circonstances) : après avoir tué le Minotaure, et avec l’aide du fil d’Ariane donné par Dédale 1

1 approche structurale des œuvres (psychocritique) Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel. Introduction à la psychocritique, Paris, Corti, 1964. vestige et création Frédéric Monneyron & Joël Thomas, Mythes et littérature, Paris, P.U.F., « Que sais-je ? », 2002. non l’invariant mais le jeu sur la variante Jean-Jacques Wunenburger (dir.), Art, mythe et création, Dijon, P.U. de Dijon, 1998.

Apollinaire entre deux mondes. Mythocritique II, Paris, P.U.F., 1996. une hypertextualité Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982. « Toute relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire. » (p. 12) La réécriture ou intertextualité mythique implique : a) Des choix quantitatifs L’auteur reprend toute la sérialité - explicitement : mythe en émergence - implicitement : mythe en immergence - flexibilité - manipulation (focalisation multiple) Pierre Brunel, Mythocritique. Théorie et parcours, Paris, P.U.F., 1992 ; Apollinaire entre deux mondes. Mythocritique II, Paris, P.U.F., 1996. L’auteur ne fait référence qu’à un fragment du mythe - récit implicite - irradiation 1

1 b) des choix qualitatifs Mise en abyme (Dällenbach L., Le récit spéculaire, Paris, Le Seuil, 1977) Contrepoint (Brunel P., Mythocritique II, Paris, P.U.F., 1996) L’auteur s’inscrit en complémentarité du texte (manques, ellipses) c) le choix d’un rapport au texte source Proximité (de contenus ou de formes) Distance (sérieuse ou humoristique) Ambivalence (indécidabilité)

1 * Le mythe « en immergence » : prudence ! Conditions nécessaires et suffisantes à ce type de lecture : La présence d’un intertexte mythique dans l’ensemble de l’œuvre et/ou le paratexte Un réseau convergent d’éléments (mythèmes) Une potentialité interprétative cohérente et compatible avec les analyses traditionnelles du texte La cohérence du mythe repéré avec le projet de l’écrivain 1

2. Le mythe de l’âge d’or 2 2a a. Mythe de héros ou de situation ? Récit « le plus représentatif des grands mythes de l’humanité » Marie-Josette Bénéjam-Bontems, dans BRUNEL P. (s. dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Rocher, 1988. 2e éd. augmentée 1994, pp. 52-56. Corrélation de 1. la paix à la fois dans l’ordre divin et humain 2. l’abondance 3. la justice b. Une temporalité problématique Une atemporalité interne CIORAN (Emil Michel), Histoire et utopie, Paris, Gallimard, 1960, rééd. Folio « essais », 2005, chapitre VI : «L’âge d’or ». http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/cioran.html L’image d’un monde statique où l’identité ne cesse de se contempler elle-même, où règne l’éternel présent, temps commun à toutes les visions paradisiaques, temps forgé par opposition à l’idée même de temps. (p. 121) 2 2a

2 Yves Bonnefoy Ici, toujours ici Ici, dans le lieu clair. Ce n’est plus l’aube, C’est déjà la journée aux dicibles désirs. Des mirages d’un chant dans ton rêve il ne reste Que ce scintillement de pierres à venir. Ici, et jusqu’au soir. La rose d’ombres Tournera sur les murs. La rose d’heures Défleurira sans bruit. Les dalles claires Mèneront à leur gré ces pas épris du jour. Ici, toujours ici. Pierres sur pierres Ont bâti le pays dit par le souvenir. A peine si le bruit de fruits simples qui tombent Enfièvre encore en toi le temps qui va guérir. Hier, régnant désert, 1958

J’ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude, à des carrefours J’ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu’en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n’ai pas prise et dont déjà je m’éloigne, oui, c’est là que s’ouvrait un pays d’essence plus haute, où j’aurais pu aller vivre et que désormais j’ai perdu. Pourtant, rien n’indiquait ni même ne suggérait, à l’instant du choix, qu’il me fallût m’engager sur cette autre route. J’ai pu la suivre des yeux, souvent, et vérifier qu’elle n’allait pas à un terre nouvelle. Mais cela ne m’apaise pas, car je sais aussi que l’autre pays ne serait pas remarquable par des aspects inimaginés des monuments ou du sol. Ce n’est pas mon goût de rêver de couleurs ou de formes inconnues, ni d’un dépassement de la beauté de ce monde. J’aime la terre, ce que je vois me comble, et il m’arrive même de croire que la ligne pure des cimes, la majesté des arbres, la vivacité du mouvement de l’eau au fond d’un ravin, la grâce d’une façade d’église, puisqu’elles sont si intenses, en des régions, à des heures, ne peuvent qu’avoir été voulues, et pour notre bien. Cette harmonie a un sens, ces paysages et ces espèces sont, figés encore, enchantés peut-être, une parole, il ne s’agit que de regarder et d’écouter avec force pour que l’absolu se déclare, au bout de nos errements. Ici, dans cette promesse, est donc le lieu. Yves Bonnefoy, L’arrière-pays, 1971

L’âge d’or, un archétype Et je dirai d’abord que si l’arrière-pays m’est resté inaccessible – et même, je le sais bien, je l’ai toujours su, n’existe pas – il n’est pas pour autant entièrement insituable, pour peu que je renonce aux lois de la continuité de la géographie ordinaire et au principe du tiers exclu. Yves Bonnefoy, L’arrière-pays, 1971 L’âge d’or, un archétype 2. Un moment dans la temporalité évolutive Le passage à l’âge d’argent, puis à celui d’airain et de fer, marque la progression de notre déchéance, de notre éloignement de cet éternel présent dont nous ne concevons plus que le simulacre et avec lequel nous avons cessé d’avoir une frontière commune : il appartient à un autre univers, il nous échappe, et nous en sommes si distincts que nous ne parvenons guère à en soupçonner la nature. Nul moyen de nous l’approprier : l’avons-nous vraiment possédé jadis ? Et comment y reprendre pied quand rien ne nous en restitue l’image ? Nous en sommes à jamais frustrés […] Cioran, Histoire et utopie, chapitre « L’âge d’or », p. 125 L’âge d’or qu’une aveugle tradition a placé dans le passé, est devant nous. Saint-Simon, Opinions littéraires, philosophiques et industrielles , 1835 Dans son dessein général, l’utopie est un rêve cosmogonique au niveau de l’histoire. Cioran, Histoire et utopie, p. 130

2 L’âge d’or est : perdu dans l’illo tempore des origines à construire dans le futur à retrouver à la fin des temps La stabilité de l’âge d’or est réfractaire au récit, qui ne peut dès lors traduire que : une nostalgie une quête

1 Le syntagme minimal du mythe littérarisé (vision antique) 1. La transgression de l’ordre naturel : perte de la paix/l’abondance/la justice sujet : Prométhée verbe : transgresse complément : l’ordre (circonstances) : établi par la divinité 2. Le nouvel ordre instauré : la guerre/l’insuffisance/l’injustice sujet : Le malheur verbe : écrase complément : Prométhée et l’humanité (circonstances) : qui lui est attachée 3. La remise en cause héroïque : la réhabilitation verbe : crée complément : un nouvel ordre (technologique et de conscience) (circonstances) : pour l’humanité au prix du sacrifice de soi  Aspect prophétique 1

1 Le syntagme minimal du mythe littérarisé (vision chrétienne) 1. La transgression de l’ordre naturel : perte de la paix/l’abondance/la justice sujet : Adam et Eve verbe : transgressent complément : l’ordre (circonstances) : établi par la divinité 2. Le nouvel ordre instauré : la guerre/l’insuffisance/l’injustice sujet : Le malheur verbe : écrase complément : Adam et Eve, et l’humanité (circonstances) : qui leur est attachée 3. La remise en cause héroïque : le salut sujet : Le Christ verbe : rachète complément : un nouvel ordre (circonstances) : pour l’humanité au prix du sacrifice de soi  Aspect eschatologique ou apocalyptique 1

1 Le syntagme minimal du mythe littérarisé (terres d’ailleurs) 1. La transgression de l’ordre naturel : perte de la paix/l’abondance/la justice sujet : La civilisation occidentale verbe : transgresse complément : l’ordre (circonstances) : établi par la nature 2. Le nouvel ordre instauré : la guerre/l’insuffisance/l’injustice sujet : Le malheur verbe : écrase complément : l’humanité (circonstances) : par l’asservissement à la machine et l’inégalité entre les hommes 3. La remise en cause héroïque : le salut sujet : La civilisation exotique (le bon sauvage ou la créature non terrestre) verbe : propose complément : un nouvel ordre (circonstances) : pour l’humanité grâce aux vertus du primitivisme ou de la féerie  Aspect exotique ou merveilleux 1

1 Le syntagme minimal du mythe littérarisé (vision politique) 1. La transgression de l’ordre naturel : perte de la paix/l’abondance/la justice sujet : La civilisation industrielle verbe : transgresse complément : l’ordre (circonstances) : établi par la nature 2. Le nouvel ordre instauré : la guerre/l’insuffisance/l’injustice sujet : Le malheur verbe : écrase complément : l’humanité (circonstances) : par l’asservissement à la machine et l’inégalité entre les hommes 3. La remise en cause héroïque : la réhabilitation sujet : La civilisation industrielle verbe : justifie/rachète complément : un nouvel ordre (circonstances) : pour l’humanité par la philosophie du progrès  Aspect utopique 1

Utopie : « Idéal politique ou social séduisant mais irréalisable, dans lequel on ne tient pas compte des faits réels, de la nature de l’homme et des conditions de la vie » (Lalande A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., «1993, p. 1179) Thomas MORE, De Optimo reipublicae statu deque nova insula Utopia (1516) UTOPIA, « lieu qui n’est pas » >< EUTOPIA, « lieu du bien » « Utopie, je fus nommée par les Anciens « Aussi bien Eutopie mériterais-je pour mon isolement. » d’être appelée. » Raymond Ruyer : « un exercice mental Frédéric Rouvillois : « Refaire l’Eden, sur les possibles latéraux » tel est l’enjeu. » Caractéristiques de l’utopie : de l’âge d’or : la combinaison de FINS à dimension collective d’un ETAT heureux de MOYENS que sont l’effort des hommes d’une ALLIANCE hommes/dieux DEPROOST P.-A. & COULIE B., Utopie. Imaginaires européens, Paris, L’Harmattan, « Structures et pouvoirs des imaginaires », 2002. 2

Paul Ricœur , L’idéologie et l’utopie (1986), Paris, Le Seuil, « Points / Essais », 1997. FORCES Ce qui caractérise l’utopie, ce n’est pas son incapacité à être actualisée, mais sa revendication de rupture. C’est l’aptitude de l’utopie à ouvrir une brèche dans l’épaisseur du réel. (p. 405) En tant qu’elle véhicule l’ironie, l’utopie peut fournir un outil critique afin de miner la réalité, mais elle est aussi un refuge contre cette même réalité. (p. 405) L’utopie a le pouvoir fictionnel de réécrire la vie. (p. 406) FAIBLESSES Le problème des utopies n’est donc pas seulement celui de la marge entre l’irréalité et l’impossible, mais aussi celui de la marge entre la fiction (au sens positif du terme) et la fantasmagorie (au sens pathologique). La structure utopique brouille notre catégorisation de la différence entre le sensé et l’insensé. (p. 396) CONTRE-UTOPIE (Frédéric Rouvillois, L’utopie, Paris, Garnier-Flammarion, 1998) UCHRONIE (Patrick Hubner, article « Utopie et mythe », dans Brunel P., Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Le Rocher, 1994) 2

2 2a c. Le deuil de l’âge d’or dans les lettres modernes POIRIER J., « Au bonheur des hommes : la littérature moderne ou l’Eden sans la faute », dans La Genèse dans la littérature. Exégèses et réécritures, Bercot M. et Mayaux C. (dir.), Dijon, E.U.D., 2005, pp. 195-204. Le palimpseste biblique : COUFFIGNAL R., « Aux premiers jours du monde… » La paraphrase poétique de la Genèse de Hugo à Supervielle, Paris, Minard, Les Lettres Modernes , 1970. Id., Le drame de l’Eden. Le récit de la Genèse et sa fortune littéraire, Toulouse, P.U. Toulouse-le Mirail, 1980. 1. Fin XVIIIe et début XIXe s. Jean-Jacques Rousseau, le « mythe du bon sauvage » « La nature a fait l’homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable.» Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) Emile ou l’éducation (1762) Confessions, Livre I : « la chute » (1765 , publié en 1782) http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Litterature/18e/bonsauvage.htm 2 2a

Denis Diderot : « Nous sommes innocents, nous sommes heureux; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de nature ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère […]. Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons pas troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire est bon, nous le possédons. Sommes-nous donnes de mépris, parce que nous n’avons pas pu nous faire de besoins superflus? » Supplément au voyage de Bougainville, 1796 François-René de Chateaubriand Atala (1801) René (1802) Les Natchez (1826) Girodet, Les funérailles d‘Atala (1808) 2 2a

2 2a Byron, Le pèlerinage de Childe Harold (1811) Fendant le sein de l’océan profond Mais non sans péril et sans guerre L’argonaute ligure dans le monde du bas Découvrira un ciel nouveau et une terre nouvelle. […] tu découvriras De nouvelles lumières et de nouvelles choses Cachées à tous. José Maria Obregón, L’inspiration de Christophe Colomb 1856 2 2a

2 2a Goethe, Voyage en Italie (1816) : « Je me décidai à entreprendre un voyage aussi long et solitaire, en quête de ce point central vers lequel m’attirait une exigence irrésistible ».  2 2a « Et in Arcadia ego » Jacoppo Sannazaro, L’Arcadie, 1502 Le Guerchin Tableau de 1618

2 2a Nicolas Poussin, Les bergers d’Arcadie 1629 Le « syndrôme de Stendhal » : « J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je le voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte des tombes. » Carnets de voyage, 1817 2a

2 2a Eugène Fromentin, Un été au Sahara, 1857 Un souvenir d'Esneh, 1876 2 2a

2 2a Paul Gaugin : « Ici, près de ma case, en plein silence, je rêve à des harmonies violentes dans les parfums naturels qui me grisent. » (correspondance) Bonheur (1892) D’où venons-nous ? Que sommes-nous ?, Où allons-nous ? (1897) 2 2a

Victor Segalen, Stèles (1912): « On fit, comme toujours, un voyage au loin de ce qui n’était qu’un voyage au fond de soi » Les immémoriaux (1907) André Gide, Traité du Narcisse (1891) : « [Le paradis] n’est point en quelque lointain Thulé [mais] chaque chose détient, virtuellement, l’intime harmonie de son être ». Jules Supervielle, La Fable du monde (1938) « Moi qui suis l’univers et qui ne puis en jouir » Mon œuvre n’est plus en moi, je vous l’ai tout donnée […] Je suis coupé de mon œuvre […] Je suis l’errant en moi-même, et le grouillant solitaire […] Et moi je reste l’invisible, l’introuvable sur terre […] Ainsi garderas-tu même ce qui m’échappe Ce qui n’est plus rien tu pourras le tenir » « Pense aux plages Pense à la mer Au lisse du ciel, aux nuages, A tout cela devenant chair. » 2 2a

2 2a Aujourd’hui : Jean Grosjean, Adam et Eve (1997) Paul Guimard, Les premiers venus (1997) André Bricourt, Le paradis désenchanté (2000) Pierre-Albert Birot, Mémoires d’Adam, Les pages d’Eve (1939-1943 -1948, édité en 1986) Plaisir, oui, je vais me faire plaisir dedans, je vais écrire mes mémoires Moi, je suis là. Tout ce que je vois est là. Je vais avoir du plaisir à imiter tout ce que je vois – y compris moi, que je ne vois pas -, et mon imitation me plaira plus que tout ce que j’aurai imité, car alors, je me serai fait moi-même, avec tout ce qui est là. PÉLAGIANISME 2 2a

Conclusion : Malgré la perte, il s’agit de retrouver un ré-enchantement : - soit dans l’espace réel de l’ailleurs - soit dans l’espace intérieur Le deuil de l’âge d’or (séparation, survie) est accompli. http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/enseignement/glor2390