CONFERENCE Peuples autochtones, savoirs traditionnels & communauté scientifique Mardi 30 mai 2006 à 18h30 Amphithéâtre Campus Saint-Denis (Cayenne)
Savoir traditionnels et propriété intellectuelle Par Alexis TIOUKA Expert en droits autochtones
Rappel historique La propriété intellectuelle est un droit créé à l’origine pour protéger : les inventions d’individus Les inventions de sociétés industrielles Cela a suscité des problèmes pour l’application de ce droit aux ressources et aux connaissances traditionnelles inhérentes aux peuples autochtones. Mais progressivement des accords ce sont faits au niveau international. Il y a alors eu reconnaissance du fait que : Les modes de vie autochtones Les connaissances autochtones Les ressources biogénétiques autochtones Ont une valeur commerciale. Cela a conduit à accepter l’idée selon laquelle ces connaissances et ressources peuvent être achetées ou vendues Elles doivent être protégés.
Une prise de conscience chez les autochtones En parallèle, les autochtones ont participé à divers événements : Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Sommet de la terre) Convention sur la diversité biologique Ceci leur a permis de mieux appréhender l’importance pour eux des lois sur le droit à la propriété intellectuelle. Les sociétés peuvent utiliser ce droit pour protéger leurs « inventions » (même si elles proviennent de connaissances autochtones) Les PA devraient eux aussi avoir la possibilité de se prévaloir de ce droit.
Un débat chez les autochtones Même si les autochtones s’impliquent aujourd’hui fortement dans cette problématique ils le font de leur point de vue. Leur vision de ce que le monde occidental qualifie de « Savoir traditionnel » est beaucoup plus large. Pour eux, les connaissances traditionnelles sont plus qu’une somme de connaissances Elles incluent aussi des aspects : Spirituels Et relationnels. En résumé, les connaissances traditionnelles du point de vue autochtone sont avant tout une « manière de vivre » et non pas seulement la connaissance de « comment on vit ».
Que recouvre le terme connaissances traditionnelles ? On a parfois tendance à entendre par connaissances traditionnelles uniquement des éléments liés à la biodiversité. Mais en fait ce terme recouvre : Les pratiques d’un peuple Les connaissances de ce peuple Les modes de vie de ce peuple Le patrimoine autochtone dont il est ici question inclut : La langue, l’art, la musique, la danse, le chant, les cérémonies; Les connaissances et pratiques agricoles, techniques et écologiques; La spiritualité, les lieux sacrés, les dépouilles des ancêtres; Toute documentation concernant ce qui précède. Le droit à la propriété intellectuelle doit donc protéger : Tous les savoirs des peuples autochtones Leurs pratiques Leurs convictions Leur philosophie
Qu’en est-il des violations de ce droit dans le monde ? On constate de nombreuses violations de ce droit à l’heure actuelle : - Destruction de lieux traditionnels et sacrés (tourisme, sociétés immobilières, compagnies pétrolières) - Exploitation de connaissances traditionnelles par des sociétés pharmaceutiques Il reste donc encore beaucoup à faire dans ce domaine, comme en témoignent les exemples qui suivent …
Quelques exemples dans le monde Commercialisation des connaissances des peuples autochtones, prélèvement de matériel biogénétique Des pratiques observées à maintes reprises et aujourd’hui qualifiées de « biopiraterie » Divulgation publique et utilisation de connaissances secrètes, d’images et autres renseignements sensibles Une pratique courante dans les musées Un entrepreneur australien a écrit un livre renfermant une information qui lui avait été fournie sous le sceau du secret par un ancien autochtone
Quelles réactions des autochtones ? Les autochtones réagissent depuis plus d’une vingtaine d’années sur cette question. Ils multiplient les déclarations mettant en évidence leurs préoccupations à ce niveau : Déclaration de Manille sur le développement culturel (1988) Déclaration de Kari-Oca (1992) Déclaration de Mataatua (1993) Déclaration des femmes autochtones de Beijing (1995) Déclarations finales de l’Organe de coordination des peuples autochtones du bassin amazonien (1994) Déclaration lors de la Consultation régionale pour le Pacifique Sud sur les connaissances et les droits à la propriété des peuples autochtones (1995)
Quels instruments internationaux ? On trouve à l’heure actuelle de nombreux documents internationaux qui visent à : Protéger Valoriser Le patrimoine culturel des peuples autochtones. Quelques exemples : Déclaration universelle des droits de l’homme Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques Projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones Cependant, tous ces textes ne sont pas juridiquement contraignants.
Accords internationaux juridiquement contraignants Divers accords existent qui sont juridiquement contraignants : L’accord du GATT relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce La Convention sur la diversité biologique Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels La Convention du patrimoine mondial La Convention de Rome La Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels La Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail Mais ils ne le sont que dans une certaine mesure, et notamment à condition que : Ils soient ratifiés par les Etats (dans leur totalité) Les Etats en tiennent compte dans leurs législation nationale
Un exemple : la convention sur la biodiversité Une convention qui évoque explicitement le droit à la propriété intellectuelle des peuples autochtones : La Convention des Nations Unies sur la diversité biologique Adoptée en 1992 à la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement Lors de cette conférence, les parties signataires ont souligné le fait suivant : Les gouvernements et les organisations gouvernementales doivent s’efforcer de protéger les méthodes traditionnelles de préservation de l’environnement Et les connaissances des peuples à ce sujet. Cela a conduit à la rédaction de l’article 8j : Les Etats parties ont l’obligation de respecter, préserver et maintenir les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones qui présentent un intérêt pour la conservation et l’utilisation durables de la diversité biologique.
Ces instruments sont-ils utiles ? Un document contraignant sous réserve que l’état signataire en tienne réellement compte En fait, on retrouve deux types d’attitudes face à ces documents : Des gouvernements qui considèrent que le droit international ne peut être invoqué devant les tribunaux nationaux = la majorité des états Des gouvernements qui considèrent que tout traité international devient une partie des lois nationales dès lors qu’il a été ratifié par le gouvernement = peu d’états La connaissance de ces lois par les autochtones n’est donc pas suffisante pour qu’ils fassent valoir leurs droits dans leurs pays respectifs. Mais : le fait de mettre en place des campagnes (Alliances, ONG, PA, individus) peut dans certains cas amener les gouvernements à réorienter leurs législations nationales.
Quels organismes ? L’OMPI : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle Le rôle de cet organisme est essentiel Il contribue à produire des traités internationaux dans ce domaine Il fournit des conseils aux organisations qui s’occupent de la propriété intellectuelle Il apporte des conseils aux pays en voie de développement et aide les gouvernements à améliorer leur législation Certaines des activités de l’OMPI sont directement liées à la protection de la propriété intellectuelle des PA. En mars 1998, elle a créé une « Division chargée des questions globales relatives à la propriété intellectuelle » dont une des missions les plus importantes était de questionner les besoins et les attentes des peuples autochtones En juillet 1998 la Division a organisé une Table ronde sur la propriété intellectuelle et les PA
Codes de déontologie Il existe déjà dans certains pays des codes de déontologie dans la recherche. Toute recherche doit faire l’objet de : Un consentement préalable donné en connaissance de cause des peuples concernés. La demande de consentement doit être accompagnée d’éléments obligatoires, par exemple : l’objet de l’activité L’identité des personnes exécutant cette activité L’identité des commanditaires Les avantages pour le peuple concerné et pour les commanditaires Les inconvénients pour le peuple concerné La destination du savoir ou du matériel acquis, son statut de propriété et les droits du peuple sur celui-ci une fois qu’il est hors de la communauté Etc.
Pourquoi est-il nécessaire de réfléchir à un droit spécifique ? A l’heure actuelle le droit à la propriété intellectuelle Protège beaucoup les sociétés (pharmaceutiques, de semences) Mais pas vraiment les PA Cet état de fait conduit des PA, mais aussi des Etats à critiquer ce droit : Il faudrait donc envisager la création d’un droit spécifique : un droit aux « connaissances et ressources traditionnelles » Les lois actuelles sont insuffisantes pour protéger les droits des PA Il faut envisager de nouvelles lois, et surtout envisager que les PA eux-mêmes participent à l’élaboration de celles-ci.
Deux nouveaux concepts Dans cette mouvance, deux concepts émergent : La notion de « droit sur les ressources traditionnelles » La notion de « droit de propriété intellectuelle communautaire » Ce sont des solutions de rechange au droit à la propriété intellectuelle : Elles répondent mieux au souci des PA d’empêcher qu’on privatise leurs connaissances et leurs ressources. La notion qui va à l’heure actuelle le plus loin est celle de « droit sur les ressources traditionnelles » : Elle tient compte du droit à l’autodétermination et inclut le droit à la terre et aux territoires ainsi que les droits de l’homme Elle englobe de nombreux droits qui permettent de protéger : les connaissances et les ressources biogénétiques, la propriété culturelle, le folklore et même les paysages Elle ne rejette pas le droit à la propriété intellectuelle mais l’inclut dans d’autres droits
Gilberto Arias, Premier Cacique Kuna « La forêt est notre vie et notre existence. Notre nourriture, notre médecine, notre demeure et notre savoir résident dans la forêt. Comment peut-on penser que nous, les autochtones, serions capables de détruire notre vie en détruisant les forêts ? Nous les avons utilisées de manière vraiment durable, en y prenant seulement le nécessaire. »