Service de MédecineInterne, Pr GRATEAU, Pathologies rhumatologiques de la grossesse (rhumatismes inflammatoires exclus) Docteur Pauline M’BAPPE, Praticien Hospitalier, Rhumatologue Service de MédecineInterne, Pr GRATEAU, Hôpital TENON Monographie Revue du rhumatisme, Ed. française Vol.72, N°8, 2005, PARIS.679-760
Lombalgie et lombosciatique Fréquence: Diversement appréciée dans les séries selon que l’on distingue ou non les lombalgies pures du « dysfonctionnement pelvien » Les douleurs lombo-pelviennes bénignes sont fréquentes: 20 à 50% ( si elle sont recherchées systématiquement la fréquence atteint 60 à 76%) D’une façon générale, les femmes tolèrent cette symptomatologie, ne la signalent pas ou ne consultent pas à cause d’elle.
cohorte de 2269 femmes enceintes ( Albert, Spine, 2002) 23,6% présentent un dysfonctionnement pelvien douloureux postérieur 10,5% présentent des lombalgies Elles surviennent à partir de la 18e SA jusqu’à l’accouchement, puis elles disparaissent dans les 3 mois qui suivent
Caractéristiques cliniques: Douleur peu intense (EVA<5). Symptomatologie mécanique majorée par la marche, calmée par le repos Entrave la vie quotidienne dans 25% des cas La conjonction des douleurs lombaires et pelviennes majore l’incapacité L’examen clinique sans particularité Le tableau de lomboradiculalgie (sciatique ou crural) par hernie discale observé dans 1 à 4% dans les séries de la littérature Formes déficitaires motrices rares (1 cas pour 10 000 grossesses environ).2 syndromes de la queue de cheval publiés.
Facteurs favorisants: Le modèle biomécanique ne rend pas compte complètement des phénomènes douloureux rachidiens (prise de poids augmentant les contraintes mécaniques du rachis, hyperlordose progressive favorisant le conflit articulaire postérieur) Le rôle de la relaxine synthétisée par le corps jaune est discuté. En effet les douleurs ne sont pas corrélées à son taux, en revanche, elles le sont bien plus au taux des hormones progestatives (fréquence accrue des lombalgies lors des stimulations pour FIV et selon le nombre de fœtus en gestation).
Les lombalgies sont favorisées par une activité professionnelle intense, physique et stressante Elles paraissent plus fréquentes en cas d’antécédents de lombalgies Les données sont contradictoires concernant le nombre de parité et l’âge de la mère pendant la grossesse Durant la grossesse, la lombalgie s’intègre dans un contexte plus large de manifestations somatiques multiples: fatigue, troubles du sommeil, douleurs musculaires
Toutes ces manifestations sont significativement corrélées à la prise de poids, au tabagisme, au stress environnemental (professionnel ++), et à l’absence de soutien social Radiographies: Les radiographies standards sont contre-indiquées durant la grossesse En cas de doute concernant le caractère mécanique, de forme rebelle ou hyperalgique, seule l’IRM est réalisable (sauf au premier trimestre et toujours SANS injection de Gadolinium)
Traitement: Il est représenté par le repos, le paracétamol et éventuellement les infiltrations épidurales Les AINS sont contre-indiqués Il n’y a pas de contre indication aux morphiniques La médecine physique à type d’exercices de renforcement musculaire ( 30 minutes 3 fois par semaine) paraît plus efficace que les exercices conventionnels d’assouplissement Evolution favorable dans les 6 mois qui suivent l’accouchement ( corriger également les facteurs environnementaux )
Syndrome douloureux pelvien (« syndrome ostéo-musculo-ligamentaire abdomino-pelvien » ou « syndrome de Lacomme ») Définition: Difficile, souvent mal distingué des lombalgies parmi 2269 femmes enceintes, 23,6% présentaient un dysfonctionnement pelvien douloureux ( Albert, Spine,2002) 6% de dysfonctionnement postérieur au voisinage des sacro-iliaques 2,1% de pubalgie 5,6% de souffrance sacro-iliaque unilatérale 7,8% de souffrance sacro-iliaque bilatérale 2% de douleurs lombo-pelviennes non systématisées
Caractéristiques cliniques: La symptomatologie apparaît vers la 18e SA, maximale entre la 24 et la 36e SA Douleurs continues fessières irradiant parfois face postérieure de cuisse jusqu’aux genou ou une pesanteur en regard de la symphyse pubienne ou s’insèrent les muscles grands droits de l’abdomen Douleurs mécaniques à la marche à l’antéflexion ou au retournement dans le lit L’examen clinique retrouve des douleurs à la palpation des régions douloureuses et à la mobilisation des sacro-iliaques
Les radiographies réalisées dans le post-partum peuvent objectiver des remaniements des articulations affectées (sacro-iliaques, symphyse pubienne) : Erosions et sclérose des berges de la symphyse pubienne (ostéose pubienne) ou du versant iliaque de la sacro-iliaque (ostéose iliaque condensante).
Facteurs favorisants: En rapport avec des modifications de la géométrie pelvienne, secondaire à des micro-mobilités des articulations sacro-iliaques et de la symphyse pubienne liées au relâchement des articulations et des ligaments secondaire à l’imprégnation oestrogénique des fibro-cartilages et à l’effet de relâchement de la relaxine. Le nombre des consultations et arrêts de travail augmentent dans le monde occidental du fait de ces douleurs lombo-pelviennes. Cela suggère que la perception de cet inconfort pendant la grossesse serait maintenant perçu comme une situation pathologique, plus fortement médicalisée.
Complications neurologiques Syndrome du canal carpien: 1) Généralités La fréquence est variable en fonction des séries: 0,34% à 25% Deuxième manifestation douloureuse la plus fréquente après la lombalgie Age moyen 30 ans (primi ou multipare)
2) Caractéristiques cliniques: Paresthésies dans le territoire médian à recrudescence nocturne, volontiers permanentes avec phénomènes douloureux névralgiques dans 80% des cas Gênantes dans la vie courante dans 40% des cas, et dans 35% des cas pendant le sommeil Bilatérale dans 70% des cas avec symptomatologie plus marquée du côté dominant Apparaît vers le 6ème mois (mais en fait symptomatologie plus précoce mais son signalée initialement) Signe de Tinel positif dans 80% des cas, test de Phalen dans 30 à 80% des cas Hypoesthésies dans le territoire médian dans 40 à 50% des cas Atteinte motrice rare portant essentiellement sur le court abducteur du pouce
3) Physiopathologie: Syndrome oedémateux localisé ( et/ou généralisé) Ténosynovite des fléchisseurs? 4) Traitements: Atèle nocturne, infiltrations Intervention chirurgicale nécessaire dans 2,5 à 15% des cas (douleurs intenses, échec thérapeutique, signes de gravité ) Surveiller l’amyotrophie de l’éminence thénar, la force musculaire du court abducteur du pouce et de l’opposant
La méralgie paresthésique ( névralgie du nerf Fémoro-cutané) Compression par l’arcade crurale du fait de l’hyperlordose, ou étirement sur la crête iliaque par modification de la statique pelvienne Paresthésie antéro-latérale de cuisse Bénigne, disparaît après l’accouchement
Névralgie thoraco-abdominale Douleur pariétale abdominale du cadran inférieur Augmentée de par les mouvements, calmée par le repos Hyperesthésie de la zone incriminée Correspond probablement à un traumatisme des rameaux nerveux cutanés secondaire à l’augmentation de volume de l’utérus, à la distension de la paroi abdominale, à l’œdème sous cutané et aux contraintes mécaniques Traitement possible par bloc anesthésique des branches cutanées latérales des nerfs intercostaux
Les coxopathies Deux entités à connaître +++++ L’algodystrophie L’osténécrose aseptique de la tête fémorale ( ONA) Présentation clinique sans particularité Trop souvent interprétées comme une cruralgie ou un syndrome douloureux pelvien. La patiente est finalement adressée au rhumatologue quand la marche n’est plus possible alors que le type même de la douleur (inguino-fessière irradiant vers le genou avec boiterie et impotence SANS lombalgie) est TYPIQUE d’une atteinte coxofémorale
Publications isolées ou courtes séries 120 cas d’algodystrophie et 46 cas d’ONA Survient en fin de 3e trimestre Diagnostic clinique (plaintes, données de l’examen) Confirmation obtenue par IRM, nécessité de clichés standards réalisés après l’accouchement Béquillage indispensable car les contraintes mécaniques exposent au risque de fracture (du col fémoral en cas d’algodystrophie et de fracture sous chrondrale en cas d’ONA) Evolution en règle favorable en 6 mois
L’algodystrophie: Douleurs intenses inguino-fessières, mobilisations relativement conservées Principalement au 3ème trimestre, primipare dans 2/3 des cas 60% du côté gauche, bilatérale dans 1/3 des cas Radiographies: déminéralisation homogène de la tête et du col fémoral IRM: œdème médullaire de la tête, du col et de la région inter-trochanterienne en hyposignal T1 et en hypersignal T2 ou STIR remplaçant le signal habituel adipeux sans lésion focale osseuse
Traitement: repos, paracétamol, béquillage, contre-indication relative à l’allaitement 20 cas de fracture du col fémoral ( pendant la grossesse ou l’accouchement) nécessité de prévenir la mère+++ Physiopathogénie inconnue: prise de poids? Compression du nerf obturateur ou du sympathique? Trouble du retour veineux? Rôle de la présentation fœtale occipitale iliaque gauche?
2) L’Ostéonécrose aseptique de la tête fémorale: 50 cas dans la littérature, représente 2% des causes d’ONA dans les grandes séries Survient au 3ème trimestre, plus souvent à gauche et bilatérale dans 1/4 des cas Douleurs et impotence fonctionnelle majeures Les radiographies standard peuvent être normales Diagnostic par IRM: lésion polaire supérieure de la tête fémorale cernée par un liseré noir en T1 Traitement: repos, paracétamol et béquillage afin de limiter l’appui et d’éviter les déformations de la tête fémorale (par effondrement du séquestre) A distance, traitement identique à celui de toute ONA
Déminéralisation de la grossesse Il s’agit de complications fracturaires d’une ostéoporose révélée par la grossesse ( ou l’allaitement) L’ostéopénie ou l’ostéoporose est pré-existante à la grossesse, d’origine primitive ou secondaire 160 cas colligés dans la littérature depuis 1955 Les complications fracturaires intéressent le rachis (tassements vertébraux), le sacrum (fracture en H), les plateaux tibiaux, la tête fémorale, les côtes, les pieds L’âge moyen 27 ans (16 à 38)
L’étude densitométrique osseuse montre une perte osseuse en fin de grossesse et lors de l’allaitement, physiologique, sans conséquence lorsque la DMO initiale est normale La déminéralisation peut devenir fracturaire en cas d’ostéopénie ou d’ostéoporose sous jacente Rôle probablement également de l’hypersécrétion de PTHrp de la fin de la grossesse et durant l’allaitement
Ostéoporoses secondaires: maladie coeliaque, hyperthyroïdie, hyperparathyroïdie, immobilisation prolongée, épilepsie, anorexie Hyperparathyroïdie primitive 150 cas rapportés dans la littérature sans spécificité particulière Il est impératif de traiter la mère du fait du risque de conséquence fœtale néonatale: avortement spontané, prématurité, hypercalcémie néonatale Adénome parathyroïdien dans 80% des cas (chirurgie)
Ostéoporose médicamenteuse: héparine non fractionnée ( 15 000 unités par jour pendant plus de 3 mois) moins fréquente avec les HBPM Ostéoporose idiopathique:la plus fréquente, un facteur héréditaire d’ostéopénie familial est probable Attitude pratique: En cas de tassement vertébral survenant durant la grossesse, il faut rechercher une cause secondaire Corriger la carence en vitamine D Déconseiller l’allaitement S’il s’agit d’une complication fracturaire dans le post-partum: arrêter l’allaitement, discuter un traitement par la Calcitonine ou Bisphosphonates
Calcium et Grossesse La grossesse provoque des perturbations très importantes du métabolisme phosphocalcique en fin de grossesse la femme cède 30g de calcium au fœtus essentiellement entre la 35 et 40e SA. Il est donc nécessaire que l’organisme s’adapte pour retrouver en fin de grossesse les mêmes réserves calciques qu’auparavant Pendant la grossesse, léger gain d’os cortical et perte d’os trabiculaire en particulier au rachis ( 2 à 4%). Cette ostéoporose trabéculaire est transitoire et récupère rapidement dans les 6 mois qui suivent l’accouchement chez les femmes qui n’allaitent pas
Durant la grossesse il existe une augmentation de la synthèse de vitamine D avec PTH basse permettant une augmentation de l’absorption intestinale de calcium Lors de l’allaitement, chaque jour la femme perd 300 mg de calcium. La synthèse de la vitamine D n’augmente pas, ni l’absorption intestinale de calcium. La PTHrp synthétisée en abondance par la glande mammaire favorise la perte osseuse d’environ 1% par mois ( probablement également favorisée par l’effondrement des oestrogènes chez la femme qui allaite contrairement à l’état de grossesse). Le calcium nécessaire à l’enfant provient de l’os de la femme qui allaite L’augmentation de l’apport oral de calcium ne corrige pas cette perte osseuse qui se normalisera dans les mois qui suivent le sevrage de l’enfant
En conséquence la vitamine D est inutile pendant la grossesse chez la femme bien portante. En revanche en cas de condition socio-écononomique défavorable ou de patientes immigrées ou alitées, il faut préconiser un apport systématique de 1000 UI par jour en saison hivernale. Le calcium oral n’est pas utile pendant l’allaitement, il ne corrige pas la perte osseuse En revanche, les carences en vitamine D et en calcium peuvent être particulièrement délétères en cas de grossesses multiples, d’allaitement prolongé, de faible apport calcique alimentaire et de faible exposition solaire en particulier dans certaines ethnies L’ostéomalacie chez la mère peut provoquer une pathologie anté et post-natale du nouveau né: prématurité, retard de croissance, hypocalcémie néonatale, rachitisme. Il faut donc traiter cette carence.
En conclusion Pathologie mécanique essentiellement lombo-pelvienne et bénigne Description récente de la pathologie de la hanche, rare Prise en charge diagnostique et thérapeutique dictée par les contraintes liées à la grossesse