Logiciels libres et open source : quelques questions juridiques Etienne Wéry Cabinet ULYS Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris Chargé d’enseignement à Paris I – Sorbonne Fondateur de http://www.droit-technologie.org
Un peu d’histoire … Le logiciel « propriétaire » Ce qui est rare est cher : le logiciel propriétaire crée la rareté par une licence restrictive Exemples : Microsoft (DOS et Windows), AT&T (Unix)
Un peu d’histoire … L’apparition du logiciel « libre » grâce à la conjonction de plusieurs éléments : Le développement de l’internet ; le mouvement coopératif qui s’y associe ; le standard libre HTML L’imprimante défectueuse de Richard Stallman ; la création de la Free software foundation ; le projet GNU (GNU is not Unix) Le génie de Linus Torvald (Linux) Le rapprochement GNU/Linux La radicalisation avec la GPL (General Public License) et la LGPL (Lesser GPL)
Un peu d’histoire … Du logiciel libre à « l’open source » Les limites de la radicalisation du logiciel libre : « un libre doit s’appuyer sur un libre et ne peut donner qu’un libre » Microsoft a involontairement créé l’open source en acculant Netscape lors de son revirement « tout internet » en 1995 ; la création de Mozilla Public License (MPL) ; « un libre peut s’appuyer sur un propriétaire et donner autre chose qu’un libre » Le temps de la consolidation avec l’Open source Initiative (OSI) et son label « Open Source »
Log. libre : 4 libertés ; 1 contrainte Exécuter le logiciel, pour n'importe quel usage Etudier le fonctionnement d'un programme et de l'adapter aux besoins Redistribuer des copies Améliorer le programme et rendre publiques les modifications afin que l'ensemble de la communauté en bénéficie 1 contrainte : tous ceux qui diffusent une version modifiée d’un logiciel doivent faire en sorte que cette nouvelle version demeure libre, c'est-à-dire que l'auteur doit fournir le code source et que les quatre libertés restent applicables à la version remaniée
Open source : 9 principes ; 1 label Redistribution libre Code source Travaux dérivés Intégrité du code source de l'auteur Absence de discrimination envers des personnes ou des groupes Absence de discrimination envers des domaines d'activité Distribution de licence La licence ne doit pas être spécifique à un produit La licence ne doit pas imposer de restrictions sur d'autres logiciels 1 label décerné par l’open source initiative
Libre = open source ? Libre et open source ne s’excluent pas En 1998, la « Définition de l'Open Source » a été écrite (…) par Bruce Perens. Son but était de décrire les propriétés techniques du Logiciel Libre et d'être utilisée comme texte fondateur du mouvement « Open Source ». La « Définition de l'Open Source » est elle-même une dérivée des « Lignes Directrices du Logiciel Libre Debian » (…) :la « Licence Publique Générale GNU » (LPG) est la licence de base de toutes ces définitions. Le mouvement « Open Source » s'est fixé pour but d'être un programme de « marketing » du Logiciel Libre. Ce but est recherché en ignorant délibérément tout aspect philosophique ou politique ; ils sont perçus comme mauvais pour la commercialisation. À l'opposé, le mouvement du « Logiciel Libre » a toujours considéré la philosophie comme une partie essentielle du mouvement et comme l'un de ses plus grands actifs. Mais ils ne se confondent pas : GPL/LGPL traduit une radicalisation plus forte Un libre est toujours éligible au label open source
Et le prix ? Libre et open source ≠ gratuits Propriétaire ≠ payant Payant, freeware, shareware, etc. signalent une décision commerciale de faire payer ou non Libre ou propriétaire signalent un régime juridique (nature de la licence)
La diversité des licences libres Plus de 30 licences validées par OSI, qui représentent près de 50.000 projets répertoriés Apache Software License ; Apple Public Source License ; Artistic license ; BSD license ; Common Public License ; Effiel Forums License ; GNU General Public License (GPL) ; GNU Library or "Lesser" Public License (LGPL) ; IBM Public License ; Intel Open Source License ; Jabber Open Source License ; MIT license ; MITRE Collaborative Virtual Workspace License (CVW License) ; Motosoto License ; Mozilla Public License 1.1 (MPL 1.1) ; Nethack License ; Nokia Open Source License (NOKOS License) Version 1.0a ; Open Group Test Suite License ; Python license (CNRI Python License) ; Python Software Foundation License ; Qt Public License (QPL) ; Ricoh Source Code Public License ; Sleepycat License ; Sun Industry Standards Source License (SISSL) ; Sun Public License ; University of Illinois/NCSA Open Source License ; Vovida Software License v. 1.0 ; W3C License ; X.Net License ; zlib/libpng license ; Zope Public License
Analyse de GNU GPL (v2-06/91) Voir ci-après l’analyse de l’agence française pour les TIC dans l’administration
MODIFICATIONS APPORTÉES AU LOGICIEL LOGICIEL NON MODIFIÉ MODIFICATIONS APPORTÉES AU LOGICIEL DROITS CONDITIONS ET DEVOIRS En principe, soumis à la GPL 1) Accès au code source, ou au code objet, ou à l’exécutable OUI, obligatoirement, que ce soit sur le site FSF ou un autre site. Et sans altérer la lisibilité du code source - section 3, et « à titre gracieux » Les utilisateurs-auteurs des modifications disposent des droits 1) à 10) sur leurs modifications. Mais ils ont l’obligation d’annoncer la modification du code source initial et la date. – section 2 Chaque auteur dispose d’un droit privatif qu’il peut aménager sur ses créations dès lors qu’elles n’ont pas été ajoutées ou qu’elles ne se fondent pas sur le logiciel GPL – section 2 Mais dès lors qu’elles sont fournies avec le logiciel, il doit respecter la licence GPL et la faire respecter par les utilisateurs du logiciel modifié (cf. colonne de gauche). 2) Droit d’usage OUI, obligatoirement et sans limite. 3) Droit de duplication OUI, obligatoirement, mais aux conditions suivantes : § apposition du copyright § clause de renonciation à garantie § joindre la licence GPL § joindre offre et information sur la fourniture des codes sources - section 2 4) Droit d’extraire des composants du logiciel OUI. Doit être soumis à la même licence que l’ensemble d’où il est extrait. Cela a pour conséquence d’étendre la licence GPL sur l’ensemble qui « se fonde » sur une base en GPL. Problématique des combinaisons de licences : Si le principe est que l'ensemble fondé sur une base en GPL est soumis à la licence GPL – section 2- alors, si les autres composants sont soumis à une licence qui ne permet pas cette extension, l'assemblage n'est pas autorisé. - section 8
5) Droit de procéder à des modifications, avec intégration dans un autre logiciel OUI Avec, implicitement dans la licence, obligation de ne pas faire de discriminations. Et obligation d’annoncer la modification du code source initial et la date – section 2, ce qui permet la conservation du nom de l’auteur initial. Problématique des combinaisons de licences : Toute modification du logiciel a pour conséquence d’étendre la licence GPL sur l’ensemble qui « se fonde » sur une base en GPL – section 2, mais si les autres composants sont soumis à une licence qui ne permet pas cette extension, l'assemblage n'est pas autorisé. 6) Droit de réclamer à l’auteur initial le bénéfice d’une garantie ou d’une maintenance Selon les cas : § en principe, NON § mais, OUI, si l’auteur le propose. NON, pour l’ensemble modifié. Mais l’auteur des modifications assume sa propre garantie. Pour le logiciel initial, c’est à l’auteur initial de donner sa libre autorisation pour la garantie. 7) Droit de soumettre le logiciel à une nouvelle licence Pour la version non modifiée soumise à licence initiale : NON - section 6. Sauf, implicitement, si autorisation de l’auteur initial. Pour les modifications diffusées en dehors du logiciel initial, qui ne sont pas dérivées de celui-ci et qui sont "raisonnablement considérées comme indépendantes", l’utilisateur-auteur peut les soumettre à une autre licence : OUI sections 0 et 2 Pour le logiciel initial, c’est à l’auteur initial de donner son autorisation pour le choix d’une licence autre que GPL : NON, sauf accord - section 10. Pour l’ensemble modifié (soumis à GPL et à d’éventuels compléments qui ne doivent pas lui apportent de restrictions – section 6) : NON, sauf accord de tous les auteurs.
8) Droit de redistribution OUI, toujours possible, mais la redistribution n’est évidemment pas obligatoire. Conditions de la redistribution = permettre l’exercice des droits de la licence initiale - section 7 : 1) Droit d’accès au code source-objet, et à défaut joindre une offre et une information sur les moyens de se fournir les codes sources - section 3 2) Droit d’usage 3) Droit de duplication 4) Droit d’extraction de composants 5) Droit de procéder à des modifications intégrées dans un autre logiciel et) Droit de redistribution § et obligation d’apposer une notice de copyright et une clause de renonciation à garantie § et toujours joindre la licence initiale - section 6 Et avec, implicitement dans la licence, obligation de ne pas faire de discriminations - section 2b (qui parle de « tout tiers »). OUI, toujours possible, mais jamais obligatoire. Transfère automatiquement à tout utilisateur les droits de la licence initiale sur la version non modifiée.- section 6 Conditions de la redistribution de la version modifiée : § respecter impérativement la licence initiale, sinon perte des droits à modification et à redistribution – sections 1 et 4 § ouvrir des droits à l’utilisateur dans les mêmes termes que la licence initiale- sections 6 et 7 : 1) Droit d’accès au code source et éventuellement, en code objet, avec obligation d’annoncer les modifications – section 2 = et sinon joindre une offre et une information sur les moyens de se fournir les codes sources – section 3 § et obligation d’apposer une notice de copyright et une clause de renonciation à garantie – sections 1 et 2 § et toujours joindre la licence GPL – section 6
Le « copyleft », réponse au « copyright » 9) Droit de faire payer la redistribution Oui, mais le principe reste la distribution « à titre gracieux » - sections 1 et 2- et dans la limite de la seule facturation du transfert physique (frais de copie) – section 1, et non pas le prix des droits sur le logiciel. Oui, mais le principe reste la distribution « à titre gracieux ». 10) Droit de proposer une garantie à ceux à qui on redistribue Oui, quiconque, auteur ou redistributeur peut en proposer une - section 1. OUI, pour les modifications et pour la version initiale, mais aux seuls risques de celui qui les propose, l’auteur initial ne pouvant être engagé sans avoir donné son consentement. Le « copyleft », réponse au « copyright »
GNU GPL et GNU LGPL GPL = General public license LGPL = Library or Lesser GPL LGPL n’est pas une « mini GPL » LGPL est une license basée sur GPL mais spécialement conçue pour un autre type de produit : les « software packages (typically libraries) » (fonctions et/ou données destinées à être adéquatement reliées à des applications pour constituer des exécutables)
Analyse de BSD (1998) Voir ci-après l’analyse de l’agence française pour les TIC dans l’administration
MODIFICATIONS APPORTÉES AU LOGICIEL LOGICIEL NON MODIFIÉ MODIFICATIONS APPORTÉES AU LOGICIEL DROITS CONDITIONS ET DEVOIRS si le nouveau logiciel reste sous BSD si le nouveau logiciel est soumis aux clauses d’une autre licence, cf. point 7) 1) Accès au code source, ou au code objet, ou à l’exécutable OUI, en code source et en binaire OUI, Accès au code source ou binaire OUI ou NON, selon les clauses. 2) Droit d’usage OUI, § 7 OUI 3) Droit de duplication OUI, implicite 4) Droit d’extraire des composants du logiciel OUI, implicite dans § 7 5) Droit de procéder à des modifications, avec intégration dans un autre logiciel Ne mentionne pas d’obligation d’annoncer la modification du code source initial et la date. 6) Droit de réclamer à l’auteur initial le bénéfice d’une garantie ou d’une maintenance NON, § 8
7) Droit de soumettre le logiciel à une nouvelle licence OUI, mais peu clair car par extrapolation du § 1 OUI ou NON, selon les clauses. 8) Droit de redistribution OUI, § 7, si : - mention du copyright - mention des conditions de la licence BSD Mais - § 7 - doit demander l’autorisation de citer les noms des auteurs initiaux en cas de « produit dérivé » - copyright Mais dans tous les cas : - mention des notices de copyright, - mention des conditions de la licence BSD, - autorisation pour citer les auteurs initiaux. 9) Droit de faire payer la redistribution OUI, implicitement 10) Droit de proposer une garantie à ceux à qui on redistribue
Mélanger libre et propriétaire ? Tout dépend de la licence : Intégrer du libre dans du propriétaire : GNU GPL = non D’autres se réserve ce droit (Netscape) Intégrer du libre dans du libre : GNU GPL : OK si c’est dans autre GNU GPL ; autrement il faut écrire à l’auteur Les autres licences sont souvent muettes Intégrer du propriétaire dans du libre ? En principe jamais : voir l’affaire SCO / IBM / Linux Certains soumettent donc leur produit à une double licence (ex. : GNU GPL et BSD)
Vers les licences « virales » « Je prends, je change, je renomme, je remets à disposition, et ainsi de suite … » : les licences se propagent à la manière des virus, ce qui rend parfois leur gestion difficile : Identification des parties ? Consentement ? Preuve ? Il existe un début de solution grâce au « Fiduciary Licence Agreement » : un contrat d’escrow taillé sur mesure par la Free software foundation pour les logiciels libres
Le libre est-il sans droit ? Le logiciel libre s’insère relativement bien dans la loi du 30 juin 1994 sur les programmes d’ordinateur Droits moraux (renvoi à art. 6bis 1 de la convention de Berne) : Les droit de paternité et de divulgation ne posent pas de problème majeur Droits patrimoniaux sont cessibles mais soumis à des formalités protectrices de l’auteur : Tous les contrats ne respectent pas le prescrit légal ; il faut y être attentif et regarder la licence en question avant de reprendre un logiciel libre car c’est l’auteur qui a dernier mot
Infos complémentaires http://www.droit-technologie.org