sociolinguistique et didactique des langues Apprentissage & enseignement des langues en situation bi- ou plurilingue
L’objectifs de la séance : initiation à la didactique des langues et à la sociolinguistique appréhender certaines situations linguistiques complexes où le plurilinguisme devient la règle, le monolinguisme une exception. Au commencement était le mythe « La Tour de Babel » : Selon la Genèse, c’était une tour que souhaitaient construire les hommes pour atteindre le ciel. Descendants de Noé, ils représentaient donc l’humanité entière et étaient censés tous parler la même et unique langue sur Terre: une et une seule langue adamique. Pour contrecarrer ce projet qu’il jugeait plein d’orgueil, Dieu multiplia les langues pour que les hommes ne se comprennent plus Ainsi, la construction ne put plus avancer; elle s’arrêta, et les hommes se dispersèrent sur la terre. On peut aussi, plus simplement, voir cette histoire comme une tentative de réponse des hommes au mystère apparent de l’existence de plusieurs langues.
Le bi-plurilinguisme? C’est un fait naturel qui se développe lorsqu’il y a « contacts entre les langues et besoins chez l’individu de communiquer en plusieurs langues » (Hamers et Blanc, 1983) Origines du phénomène: mouvements migratoires &/ou mobilité géographique La définition de J. Hamers et M. Blanc met en lien 3 champs disciplinaires: la linguistique, la psycholinguistique et la sociologie qui interviennent dans ce domaine aux multiples facettes. Voici quelques définitions du bi-plurilinguisme qui montrent les changements opérés sur l’individu bilingue dans les recherches de ces dernières décennies :
Qu’est-ce que être bilingue ou plurilingue ? Les 1ères définitions font état de jugements subjectifs évoquant soit les avantages soit les inconvénients liés à ce phénomène: D’1 côté, le bilinguisme est présenté comme un avantage pour le développement cognitif et intellectuel de l’individu. De l’autre, c’est inconvénient au niveau du retard scolaire et cognitif de l’enfant, de la marginalisation de l’individu, etc. D’autres recherches continuent à présenter les enfants bilingues comme des « handicapés intellectuels et linguistiques »: C’est le cas des Suédois T. Skuntnabb-Kangas et P. Toukomaa qui utilisent le terme de « semi-lingue » pour désigner le développement langagier du bilingue qui n’atteint le niveau du locuteur natif dans aucune des deux langues correspondantes; cette notion de « semi-lingue » est critiquable à bien des égards: ici le bilinguisme est mal défini et l’approche de l’individu bilingue erronée puisqu’elle exclut le contexte social et les conditions socioculturelles qui le caractérisent. Nb: Si ces conceptions subjectifs basées sur les inconvénients du bilinguisme ne sont plus majoritaires dans l’imaginaire collectif, elles continuent cependant à circuler chez certains enseignants de langues.
Ambiguïtés des définitions du bilinguisme Les définitions sur le bilinguisme présentent une dimension et négligent d’autres : soit parce qu’elles n’abordent que certaines dimensions du bilinguisme et sont, par conséquent, trop restrictives pour décrire l’ensemble de ses composantes ; soit parce qu’elles sont opératoires et envisagent, de ce fait, le phénomène du bilinguisme sous ses différents aspects. Etre bilingue, selon le sens commun (populaire), c’est « parler parfaitement deux langues » ou avoir « une maîtrise parfaite et équivalente dans deux langues ». # En fait, cette croyance continue d’alimenter un des nombreux mythes qui entoure le bilinguisme car une personne de ce genre reste toujours une exception.
1. Définitions en termes de compétences linguistiques Les définitions basées essentiellement sur les compétences linguistiques de l’individu (« maîtrise parfaite des 2 langues ») se sont longtemps imposées comme la norme de référence. On peut citer, entre autres, les définitions des linguistes L. Bloomfield et J. MacNamara: Bloomfield (1935) : « le bilinguisme c’est la possession d’une compétence de locuteur natif dans deux langues ». MacNamara (1967) : « quelqu’un qui possède une compétence minimale dans une des quatre habiletés linguistiques à savoir comprendre, parler, lire et écrire dans une langue autre que sa langue maternelle ». # Les limites de ces définitions: La définition de Léonard Bloomfield envisage le bilingue exclusivement par rapport au monolingue, posé comme norme d’évaluation et de référence : En fait, le bilingue devient la somme de 2 monolingues (1 bilingue = 1 monolingue + 1 monolingue) et le bilinguisme étant alors l’addition de 2 langues. NB: La définition de John MacNamara tend à considérer tous les apprenants d’une langue étrangère comme bilingues et ce, quel que soit leur niveau de langue.
À mi-chemin entre ces 2 positions, on trouve la définition de Renzo Titone (1972, p. 11) qui envisage le bilinguisme comme étant : « la capacité d’un individu à s’exprimer dans une seconde langue en respectant les concepts et les structures propres à cette langue, plutôt qu’en paraphrasant la langue maternelle ». C/C: # Ces 3 définitions s’appuient sur une seule dimension du bilinguisme, à savoir la compétence linguistique du bilingue = autrement dit: elles s’inscrivent au niveau du « pré-requis ». Récapitulons les traits distinctifs des 3 définitions : une compétence native dans une langue (Bloomfield) une compétence minime dans cette langue (Macnamara) passage par une compétence spécifique dans l’autre langue (Titone). Mesurer la compétence linguistique du bilingue revient en réalité à mesurer le degré de maîtrise dans une langue. Cela revient, selon Josiane Hamers et Michèle Blanc, à : évaluer certaines grandeurs par comparaison avec un étalon ; en d’autres termes, il s’agit de quantifier les phénomènes observés dans le but de les comparer. (1983, p. 33)
C’est une véritable gageure ! Mais si l’on veut avoir une vision exacte du degré de bilinguisme d’un individu, il est nécessaire de mesurer: tous les aspects de la compétence (compréhension et expression de la forme orale et écrite), et son aptitude selon des niveaux linguistiques (phonologie, sémantique, vocabulaire, grammaire et stylistique) C’est une véritable gageure ! Si l’étude du bilinguisme implique la notion de degré de maîtrise (pré-requis), elle doit aussi intégrer le problème de la fonction : À quelles fins le bilingue utilise-t-il ses langues ? Quels rôles jouent ses langues dans la structure de son comportement ? Cette démarche dans la description du bilinguisme consiste alors à comprendre les usages que le bilingue fait de ses langues et des conditions dans lesquelles il les utilise.
2. Définitions en termes d’usages langagiers Fin des années 70 – début 80, cette vision du bilinguisme basée principalement sur l’apprentissage d’une langue étrangère en milieu institutionnel (compétences linguistiques requises à l’oral et surtout à l’écrit) tend à se modifier avec la prise en compte d’autres réalités sociales que celles vécues en contexte institutionnel. Le bilinguisme doit alors s’étudier en contexte social par l’usage que le locuteur fait des langues qui l’entourent. Ce changement d’orientation correspond, entre autres, aux travaux du Conseil de l’Europe sur les mouvements migratoires et à l’enseignement de la langue du pays d’accueil aux nouveaux arrivants, comme moyen d’intégration. De nouvelles définitions du bilinguisme apparaissent alors pour décrire cette réalité sociale en termes d’usages langagiers. Retenons celle de F. Grosjean devenue une référence en matière de bilinguisme : Est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des deux langues. Elle devient bilingue parce qu’elle a besoin de communiquer avec le monde environnant par l’intermédiaire de deux langues et le reste tant que ce besoin se fait sentir » (1984, p. 16)
L’idée de « maîtrise identique dans les deux langues » n’est donc plus le critère principal. C’est la notion d’usage ou plus exactement « la capacité à employer l’une ou l’autre en fonction des besoins communicatifs du bilingue » qui devient centrale dans la définition du bilinguisme. En réalité, la notion « d’usage » implique que le bilingue a la possibilité d’employer l’une ou l’autre de ses langues, c’est-à-dire qu’il doit posséder une compétence minimale dans l’une et dans l’autre langue : L’individu bilingue est en mesure dans la plupart des situations de passer sans difficulté majeure d’une langue à l’autre. (Lüdi et Py, 1986, p. 19). Il aura donc un comportement spécifique dans une situation de contacts de langues qu’il fera varier suivant un certain nombre de paramètres tels que: l’enjeu et le contenu de la communication, le rôle et statut des locuteurs, ses compétences linguistiques et celles de ses interlocuteurs dans chacune des langue, etc.
Quelle conception du plurilinguisme à retenir en sociolinguistique et didactique ? Les définitions du bilinguisme nous interroge sur la formulation elle-même sur le choix des termes utilisés Partant de la représentation idéale du bilingue défini comme « personne qui parle deux langues couramment » : Ch. Deprez (1994) avance que cette conception doit être élargie et précisée pour redonner au bilinguisme toute la place qu’il occupe dans la réalité sociale: 1- Ainsi dans cette définition, le mot « langues » doit comprendre toutes les langues même celles auxquelles on refuse parfois ce statut, particulièrement le créole ou les langues africaines que l’on désigne de « dialecte ». Du coup, rien n’empêche de considérer comme bilingues des personnes qui parlent français et nizard (patois de Nice), français et espagnol ou encore français et arabe.
2- Le verbe « parler » semble ici trop restrictif. Il conviendrait d’inclure, selon Deprez, les personnes qui comprennent une langue sans forcément la parler couramment appelées à tort : les « bilingues passifs ». Le mot bilinguisme passif doit être relativisé dans la mesure où l’activité de compréhension en langue est loin de représenter une opération passive. Il convient de parler de bilinguisme récepteur pour rendre compte des compétences de compréhension développées par le sujet dans une langue. Il conviendrait donc de remplacer « parler » par le verbe « utiliser » qui englobe à lui seul les activités de production et de compréhension. 3- Enfin, l’adverbe « couramment » doit intégrer un sens plus large, celui de « souvent », « habituellement », voire « quotidiennement » et celui de « sans difficulté ».
Une telle conception élargie du bilinguisme laisse place à une nouvelle définition que Deprez résume en ces termes : toute personne qui comprend et/ou parle quotidiennement sans difficulté deux langues différentes. 1994 , p. 22 On peut, toutefois, reprocher à cette définition la non prise en compte du facteur situationnel qui devient une notion centrale de la définition de M. Matthey et B. Py : la faculté de recourir à deux ou plusieurs langues dans des circonstances variables et selon des modalités diverses. 1995, p. 13 Avec la définition de l’être bilingue, retenue ici, est bilingue, non seulement l’homme d’affaires qui maîtrise et utilise 2 ou plusieurs langues, mais également le travailleur migrant par exemple qui, lui, présente une maîtrise très différenciée de la langue étrangère et de celle de son pays d’origine mais qui se sert néanmoins de ses 2 langues dans la vie de tous les jours pour répondre à des besoins communicatifs.
Dans une perspective didactique, la définition que nous propose le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde (Cuq, 2003) est la suivante : toute personne qui emploie deux langues (« variétés linguistiques ») au cours de sa vie quotidienne, même si d’un certain point de vue il y a une asymétrie entre ses compétences dans les deux. Inévitablement, si l’on est habitué à parler une langue dans une situation ou sur un thème donné, on acquerra les savoirs linguistiques et communicatifs concernés dans cette langue, qui dans ce cas dominera l’autre. Cela explique pourquoi le bilingue n’est pas nécessairement un traducteur ou un enseignant de langues né. (p. 36). C/C: Comme on peut le constater, aussi bien en sociolinguistique qu’en didactique, le bilingue n’est pas défini par rapport à ses compétences linguistiques développées dans les différentes langues composant son répertoire verbal, mais dans l’usage qu’il fait de ses langues dans les situations de communication.
Bibliographie L. Bloomfield (1935), Language, Londres, Allen and Unwin. J. P. CUQ (dir.) (2003), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Clé International. Ch. Deprez (1994), Les enfants bilingues : langues et familles, Paris, Didier. F. Grosjean (1984), Communication exolingue et communication bilingue, in Py, B. (éd.). Acquisition d'une Langue Etrangère III. Paris: PUP (ParisVIII) and Encrages; Neuchâtel: Centre de Linguistique Appliquée. J. Hamers et M. Blanc (1983), Bilingualité et bilinguisme, Bruxelles, Mardaga. G. Lüdi & B. Py (1986), Etre bilingue, Berne, Peter Lang. J. MacNamara (1967), The Bilingual's Linguistic Performance : a psychological overview, in Journal of Social Issues, vol. XXIII, n° 2, p. 67-71. T. Skutnabb-Kangas & P. Toukomaa (1976), Teaching migrant children mother tongue and learning the language of the host country in the context of the socio-cultural situation of the migrant family, Helsinki, The Finnish National Commission for UNESCO. R. Titone (1972), Le bilinguisme précoce, Bruxelles, Dessart.
Retenons 2 aspects complémentaires du concept « langue » : Langue & didactique Retenons 2 aspects complémentaires du concept « langue » : un aspect abstrait et systématique : langue = idiome un aspect social : langue = culture La didactique des langues intègre ces 2 aspects : elle fait de la langue-idiome un objet d’enseignement et d’apprentissage (phonétique, phonologique, morphologique, syntaxique, lexical, sémantique, diachronique, synchronique, etc.), l’aspect culturel de la langue fait désormais partie intégrante de la didactique (aujourd’hui érigée en « didactique des langues et des cultures »). « Il y a donc bien, en didactique, nécessité d’implication réciproque de la langue et de la culture, la langue étant définie comme un objet d’enseignement et d’apprentissage composé d’un idiome et d’une culture. » (Cuq, 2003, p. 148)
Il convient de tirer des conséquences didactiques de cette dualité: la langue comme objet d’enseignement et d’apprentissage. L’enseignement et l’appropriation d’une langue étrangère en milieu institutionnel est souvent le résultat d’un contrat passé entre l’enseignant et l’apprenant en vue d’un transfert de compétences linguistiques et culturelles qui constitue l’objectif de tout enseignement/apprentissage: Du point de vue de l’enseignant (c’est-à-dire l’institution), la langue se matérialise par des programmes officiels, des manuels, des progressions... établissant des objectifs et des contenus linguistiques et culturels. Du point de vue de l’apprenant, la langue se matérialise par la mise en place d’une interlangue, définie comme un système individuel et évolutif de savoirs et savoir-faire.
La langue-culture (Cuq, 2003) En France, par exemple, quand le français est enseigné à des étrangers (contexte endolingue), on peut observer une grande diversité d’approches en fonction des institutions et de la demande des apprenants (besoins langagiers). La langue-culture (Cuq, 2003) Il s’agit de prendre en compte le plus grand nombre possible de références culturelles sans lesquelles la production langagière ne fait pas sens. À la culture savante (livresque), la didactique va opposer la culture anthropologique (les pratiques culturelles), celle qui règle toutes les façons de vivre et de se conduire et qui constitue une partie essentielle de l’identité de chaque individu:
« En langue maternelle (LM), c’est l’aspect identitaire qui est fondamental parce que c’est l’appropriation, dès l’enfance, de la langue et de la culture qui, par un double processus intra et interpersonnel, construit l’essentiel de l’identité sociale. « En langue seconde (LS), l’aspect identitaire est d’autant plus important que l’identité, dans les pays où le français occupe la place et la fonction d’une langue seconde, se construit généralement dans un contexte multilingue, éventuellement conflictuel, comme ce peut être le cas dans les ex-colonies françaises, notamment d’Afrique noire francophone. « Le problème se complique encore dans le cas où l’appropriation du français LS ne se fait pas nécessairement dès la plus tendre enfance, ce qui rapproche alors la LS d’une langue étrangère. « Le problème identitaire se pose de façon moins aiguë en langue étrangère puisque l’apprentissage de la langue-culture étrangère relève généralement d’un choix librement consenti.
« Même lorsqu’il n’y a pas réellement choix (par exemple dans les pays qui imposent une ou deux langues étrangères), le fait de s’approprier une langue étrangère ne désarticule pas le capital culturel de l’apprenant. « Il s’agit simplement pour l’apprenant de maîtriser suffisamment le réseau symbolique qui constitue la langue étrangère objet d’apprentissage pour être capable de produire et de recevoir du sens dans cette langue. « On dira donc que, du point de vue didactique, la culture est le domaine de références qui permet à l’idiome de devenir langue : c’est la fonction symbolique de ces références qui établit la langue comme maternelle, seconde ou étrangère et qui, par conséquent, conditionne la fonction communicative » (Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Cuq (dir.) (2003), p. 148-149).