IMMUNOLOGIE DES GREFFES ET TRANSPLANTATIONS D’ORGANES Dr Nicolas GUILLAUME CHU Amiens
QUELQUES PRINCIPES Transplantation d’organes ou de tissus = remplacement d’un organe ou d’un tissu défectueux par un organe prélevé sur un donneur. Stricto-sensu, Le terme « transplantation » sous-entend un rétablissement d’une continuité vasculaire (organes) Le terme « greffe » sous-entend l’absence de ce rétablissement (greffe de cellules souches hématopoïétiques)
Transplantation d’un organe allogénique = exposition à des antigènes du non soi = induction d’une immunité du receveur vis-à-vis du donneur (organe transplanté) RISQUE DE REJET Réaction de rejet par activation des cellules du receveur (LT, LB…) contre alloantigènes (essentiellement antigènes HLA) Risque de destruction +/- rapide du greffon
ALLOANTIGENES (1) Les antigènes majeurs d’histocompatibilité (HLA) Système polymorphe de groupe tissulaire sur les globules blancs et cellules nucléées: Classe I (A, B, C) exprimés à la surface de toutes les cellules nucléées de l’organisme et présentent les peptides aux LT CD8+ Classe II (DR, DQ, DP) exprimés à la surface des cellules dendritiques, LB, monocytes, macrophages et LT activés et présentent les peptides aux lymphocytes T CD4+
Transmission autosomale dominante PARENTS ENFANTS A1 B7 DR1 DQ1 A2 B12 DR2 DQ3 A19 B27 DR3 DQ2 A25 B57 DR4 DQ7 Père Mère
ALLOANTIGENES (2) Les antigènes mineurs d’histocompatibilité Fragments peptidiques issus de la dégradation de protéines intracellulaires pour lesquelles il existe un polymorphisme génétique mais n’appartenant pas au CMH Transmission indépendante des gènes HLA Ex: Ag H-Y sur chromosome Y, HA-1,-2,-3. Ces Ag mineurs, dans un contexte de greffes HLA-identique, explique les phénomènes de réaction du Greffon contre l’hôte
ALLOANTIGENES (3) Les antigènes des groupes sanguins Importance des Ag de groupes sanguins ABO en transplantation car ils sont présents à la surface de plusieurs types cellulaires dont les cellules endothéliales. Si incompatibilités ABO donneur-receveur : risque de rejet du greffon
LES MECANISMES D’ALLOREACTIVITE Alloréactivité indirecte Internalisation des protéines allogéniques du donneur par les CPA du receveur Reconnaissance par les LT du receveur de ces peptides présentés par les molécules de CMH de classe I ou II Alloréaction des LT Cellules du donneur Cellule présentatrice d’antigènes du RECEVEUR T4 T8 IL-2, IFN CTL T4 activé
LES MECANISMES D’ALLOREACTIVITE Alloréactivité directe Reconnaissance par les LT du receveur des molécules de CMH de classe I ou II présents sur les cellules présentatrices d’antigène du donneur Ces molécules du CMH peuvent contenir des peptides issus du donneur ou du receveur T8 T4 IL-2, IFN CTL T4 activé Cellule présentatrice d’antigènes du DONNEUR
Les réactions de rejet en transplantation d’organes Exemple de la transplantation rénale
REJET HYPERAIGU Origine de ces anticorps: Dans les 24 1ères heures Rejet Humoral Dû aux anticorps anti-ABO ou anti-HLA préformés Thrombose des vaisseaux en quelques minutes ou heures après rétablissement de la vascularisation Origine de ces anticorps: ATCD de transfusions, ATCD de grossesses (10% après 1, 60% après 3), ATCD de transplantation.
REJET AIGU Dans les 90 jours (1 à 5 jours = rejet accéléré) Mécanisme d’alloréactivité directe Via les cellules dendritiques du donneur qui conduisent à l’activation des LT alloréactifs (migration des cellules dendritiques du donneur vers les zones lymphocytaires T des ganglions du receveur) Responsable des rejets aigus dans les 1ers jours, 1ères semaines Mécanisme d’alloréactivité indirecte Via les cellules présentatrices d’antigène du receveur présentant des antigènes du donneur Responsable des rejets survenant à distance de la transplantation
Rejet à médiation cellulaire (++) / Rejet à médiation humorale REJET AIGU Rejet à médiation cellulaire (++) / Rejet à médiation humorale Délivrance des 3 signaux d’activation lymphocytaire (liaison TCR-complexeCMH/peptide) Activation et prolifération clonale des LT alloréactifs CD4 et CD8 Réponses alloréactives polarisées par un profil Th1 avec signature cytokinique pro-inflammatoire Amplification de la réponse alloréactive et activation d’autres cellules effectrices
REJET AIGU Activation des LB (sécrétions d’anticorps dirigés contre les alloantigènes), des NK, des macrophages Agression des cellules parenchymateuses du greffon Diagnostic conforté par une PBR Rejet vasculaire: prédominance de lésions vasculaires Rejet cellulaire: infiltration inflammatoire interstitielle massive par des lymphocytes, macrophages et polynucléaires neutrophiles
REJET CHRONIQUE Après 90 jours, plusieurs mois à plusieurs années après la transplantation Dégradation progressive et irréversible de la fonction du greffon Néphropathie chronique de l’allo-transplantation PBR: fibrose interstitielle et périvasculaire, vasculopathie chronique Réponse immunitaire mixte cellulaire et humorale Diminution de la durée de vie du transplant Mauvaise réponse au traitement
COMMENT EVITER / PREVENIR CELA? RECEVEUR Typage HLA A, B, DR, DQ Anticorps anti-HLA Groupe sanguin DONNEUR (vivant, décédé) CROSS MATCH
En Bref… PRE- PROPOSITION D’UN GREFFON INSCRIPTION Typage HLA du receveur Ac anti-HLA du receveur Groupe ABO Recherche et identification d’Anticorps anti-HLA Cross-match Typage HLA / groupe ABO du donneur Suivi immunologique post-greffe CRISTAL Evènements immunisants? PROPOSITION D’UN GREFFON
Pourquoi faire le groupe HLA du receveur? Full-match HLA complet entre donneur et receveur N’EST PAS nécessaire But: Sélectionner un donneur le plus compatible possible Eviter au maximum les phénomènes d’alloréactivité après transplantation Améliorer durée de vie du greffon
Pourquoi rechercher des Ac anti-HLA chez le receveur? But Eviter de proposer un greffon exprimant un antigène contre lequel le receveur est immunisé Eviter les phénomènes de rejet hyperaigü Arriver au cross-match en étant quasi-certain de pouvoir faire la greffe (cross-match négatif ou positivité acceptable) Comment? Etablir la liste exhaustive des spécificités Ac du receveur tout au long de son suivi pré-transplantation Caractériser ainsi les antigènes HLA du donneur potentiel en « Antigènes permis » ou « Antigènes non autorisés »
Pourquoi faire le groupe HLA du donneur? Full-match HLA complet entre donneur et receveur N’EST PAS nécessaire (mais compatibilité ABO Rh) Autorise au maximum 4 mismatch dans le système HLA-A, -B, -DR, -DQ dont 2 mismatch B, DR maximum. But: Eviter d’apporter un antigène HLA contre lequel le receveur est déjà immunisé Eviter au maximum les réactions d’alloréactivité après transplantation Eviter rejet Améliorer durée de vie du greffon
Pourquoi faire le groupe ABO du donneur? Compatibilité ABO Rh entre le donneur et le receveur est indispensable But: Eviter de proposer un greffon exprimant un antigène ABO contre lequel le receveur est immunisé Eviter les phénomènes de rejet hyperaigü
CROSS-MATCH PRE-GREFFE? Epreuve ultime de compatibilité tissulaire entre le donneur et le receveur par mise en contact in-vitro: Des sérums du receveur, conservés en sérothèque tout au long du suivi des patients Des cellules du donneur Lymphocytes isolés d’un organe lymphoïde: rate, ganglions CROSS-MATCH
Lymphocytotoxicité « classique » Technique de référence, obligatoire Sérums traités au DTT (IgG + IgM) Vis-à-vis des lymphocytes T (classe I) des lymphocytes B (classe II) Cellule HLA-A2 Ac anti-HLA-A2 Ac anti-HLA-A3
Interprétation du cross match Lymphocytes T Sans DTT Avec DTT Lymphocytes B avec DTT Résultats + -/+ IgG anti HLA classe I - IgM anti HLA IgG anti classe II La présence d’IgG Classe I interdit la greffe La présence d’IgM ne l’interdit pas en théorie (variable selon les équipes, attention à IgM anti-classe I sur sérum le plus récent)
IMMUNOLOGIE DE L’ALLOGREFFE DE CELLULES SOUCHES HEMATOPOIETIQUES
GENERALITES Infusion, chez un patient malade, de cellules souches hématopoïétiques (CSH) en provenance d’un donneur sain. Objectifs: Destruction du système hématopoïétique du Receveur Remplacement par le système hématopoïétique du Donneur Indications: Hémopathies malignes (leucémies aigües, lymphomes…) Hémopathies non malignes (aplasie médullaire, hémoglobinopathies…)
CONDITIONNEMENT ET GREFFE Conditionnement « myélo-ablatif » (chimiothérapie + irradiation corporelle totale) ou d’intensité réduite selon indication et receveur, réalisé 8 à 10 jours avant l’injection de CSH Allogreffe sur cathéter central tunnélisé, en secteur stérile sous flux laminaire par simple transfusion Traitement immunosuppresseur (Méthotrexate, ciclosporine +/- corticoïdes…)
LA CELLULE SOUCHE HEMATOPOIETIQUE Indifférenciée Pluripotente Localisée dans la moelle osseuse (passage occasionnel dans le sang) Rare (0.01 à 0.05% des cellules médullaires) Non identifiables morphologiquement Profil immunophénotypique immature (CD34+, Thy1+, Lin-, HLA-DR-) Propriétés d’auto-renouvellement et de différenciation
LES SOURCES DE GREFFON Moelle osseuse (MO) Ponctions itératives au niveau des crêtes iliaques du donneur sous AG Cellules Souches Périphériques (CSP) recueillies par voie veineuse (cytaphérèse) après administration de G-CSF Unité de Sang Placentaire (USP) recueillie à la naissance après clampage du cordon
Comparaison des différentes sources de CSH
CHOIX DU DONNEUR Intra-familial Allogreffe géno-identique avec compatibilité HLA de 10/10 voire 12/12 mais éléments d’incompatibilités tissulaires au niveau des antigènes mineurs d’histocompatibilité (sauf allogreffe syngénique) Non apparenté Allogreffe phéno-identique système HLA (10/10) ou avec un mismatch (9/10) USP Pool de 2 cordons possibles
DEFINITIONS Greffe syngénique : jumeaux monozygotes (pas de GVH mais pas de GVL) Greffe géno-identique : entre deux membres d’une même fratrie en full match Greffe phéno-identique : donneur volontaire non apparenté en full match Greffe mismatch (9/10) Greffe haploidentique (5/10) Greffe avec USP: double sang de cordon, compatibilité 6/6 en full match, mismatch autorisés Compatibilité ABO Rh n’est pas nécessaire
Aspects immunologiques de l’allogreffe Lymphocyte T CSH GVH REJET GVL RECONSTITUTION HEMATOPOIETIQUE PATIENT DONNEUR Cellule leucémique Cellules infectées GVI
REJET DE GREFFE Réaction essentiellement cellulaire par mécanisme direct et/ou indirect Activation des lymphocytes T Production de cytokines pro-inflammatoires Attaque du greffon amenant à sa destruction Les effecteurs LT auxiliaires CD4 (complexes HLA-classe II/allopeptides) LT cytotoxiques CD8 (complexe HLA-classe I / allopeptide – HLA mineurs) Cytotoxicité NK
Eléments favorisants le rejet de greffe Incompatibilités HLA majeure ou mineure Dose insuffisante de cellules nucléées réinjectées Conditionnement insuffisant du receveur Conditionnement sans TBI Déplétion du greffon en cellules T
REACTION DU GREFFON CONTRE L’HOTE (GVH) Destruction par les cellules contenues dans le greffon, et majoritairement les LT, des tissus du receveur. Pré-requis: Présence de cellules immunocompétentes dans le greffon Présence d‘incompatibilités HLA entre donneur et receveur Incapacité de rejet du greffon
Grades de sévérité de la GVH Atteinte cutanée Atteinte hépatique Atteinte digestive AEG I + à ++ II + à +++ + foie ou tube digestif discrète III ++ foie ou tube digestif Marquée IV Toute atteinte ++ avec retentissement sévère sur l’état général Sévère
Solution 1 = Déplétion du greffon en cellules T? Diminution de l’incidence des GVH graves MAIS augmentation de l’incidence : des rejets de greffe des rechutes des infections des syndromes lymphoprolifératifs liés à l’EBV Mécanisme : Disparition des cellules immunocompétentes induisant la GVH mais aussi celles détruisant les LT résiduels du receveur et les cellules malignes résiduelles
Solution 2 = Le Campath® (alemtuzumab)? Anti-CD52 Déplétions lymphocytaires T in vivo Diminution du taux de GVH mais retard de la reconstitution immunitaire (LT), augmentation de l’incidence des infections virales, augmentation de la fréquence des rechutes Solutions 3, 4, 5…? Sélection dans le greffon de LT spécifiques de la tumeur Infusion post-greffe de Tregs (CD4+CD25+Foxp3+) Globulines anti-Thymocytes (ATG) Amélioration des traitements immunosuppresseurs
Aspects cliniques de la GVH GVH aigüe survient dans les 100 jours, complique près de 30% des allogreffes géno-identiques et jusqu’à 80% des allogreffes phéno-identiques 3 organes cibles : peau, éruption maculopapuleuse (visage, paume des mains, plante des pieds) foie (cholestase ictérique sans insuffisance hépatocellulaire) tube digestif (diarrhée, douleurs abdo, vomissements) GVH chronique, 100 jours après la greffe, environ 50% des patients, sclérodermie, syndrome sec…
REACTION DU GREFFON CONTRE LA LEUCEMIE Réponse immune des cellules du donneur dirigée contre les cellules tumorales Antigènes cibles des cellules tumorales: Ag mineurs d’histocompatibilité : incidence de rechute augmentée en cas de greffes syngéniques par rapport aux greffes allogéniques Protéines associées à la leucémies (ex BCR-ABL) Perte d’expression de ligands inhibiteurs (CMH classe I) et déclenchement de la cytotoxicité des cellules NK Surexpression de ligands activateurs des cellules NK (MIC-A, MIC-B)
Initiation de la réponse immune CPA CL CD4 CD8 NK Phase d’expansion clonale Phase effectrice
Potentialisation de l’effet GVL Injection de lymphocytes alloréactifs du donneur (DLI pour Donor lymphocyte injections) Réponse corrélée à la présence de LT cytotoxiques contre les Ag mineurs HA-1 et HA-2 d’expression restreinte aux cellules hématopoïétiques Si mismatch HLA-I:pas de phénomène d’inhibition des NK (effet des KIR) Essais en cours: DLI après déplétions en T régulateurs Tregs (CD4+CD25+ Foxp3+)
Reconstitution immunitaire post allogreffe Influencée par : Age, pathologie Choix et manipulation du greffon Type de conditionnement Greffe apparentée / non apparentée / polymorphisme HLA Evolution clinique (GVH, infections) Protocole d’immunosuppression
Greffe 1 2 3 4 5 6 mois Valeurs de référence NK LT CD8+ LB LT CD4+ 1 2 3 4 5 6 HSV CMV EBV adénovirus VZV Candida, Aspergillus Bactéries Greffe mois Valeurs de référence PNN NK LT CD8+ LB LT CD4+ Immunosuppression + si GVH
Suivi de la reconstitution Phénotypage lymphocytaire (CD3/CD4/CD8/CD45RA/CD45RO/ CD56 /CD19) Quantification des cercles d’excision des TCR (TREC) Analyse des tétramères Diversité du répertoire TCR Etude de la fonctionnalité lymphocytaire (test de sécrétion de cytokines, tests lymphoprolifératifs)
CONCLUSION
Les complications majeures en transplantation sont liées à des conflits immunologiques Reconnaissance d’antigènes du donneur par les cellules du receveur = rejet Reconnaissance d’antigènes du receveur par les cellules du donneur = GVH