Marchés linguistiques Mme. MEDANE Université Hassiba Benbouali-Chlef- (Algérie)
1- « Le marché linguistique » au sein de la communauté linguistique
Wiliam LABOV, atteste que « la communauté linguistique se définit moins par un accord explicite quand à l’emploi des éléments du langage, que par une participation conjointe à un ensemble de normes » (Labov, 1976:187). Il estime comme « principe fondamental » le fait que : « les attitudes sociales envers la langue sont d’une extrême uniformité au sein d’une communauté linguistique » (Ibid: 338) Ce qui veut dire que la communauté linguistique peut très bien ne pas coïcnider avec l’ensemble des usagers ayant une même langue en partage : c’est le cas, par exemple, pour la Francophonie).
Il est important pour le sociolinguiste de mettre en évidence ce que W Il est important pour le sociolinguiste de mettre en évidence ce que W.LABOV appelle les réactions subjectives régulières ( et inconscientes le plus souvent) aux usages de la langue, c’est-à-dire les règles en usage au sein de la communauté à une certaine période, l’importance qu’on donne à telle ou telle variation. En d’autres termes tout une trame collective qui investit l’activité linguistique, formé de représentations partagées par l’ensemble des membres de la communauté. C’est ce jeu de rôle entre pratiques, comportements et représentations à composition normative qui fonde non seulement le marché linguistique dominant mais aussi les autre marchés linguistiques alentours ou l’on observe comme sur tous les marchés, des coûts et des gains, des handicaps et des plus-values.
2- Les marchés linguistiques
Pour P. Bourdieu, les échanges linguistiques en communauté relèvent d’une économie spécifique, qui donne lieu à un « marché » dominant dont les « prix » sont fixés (tacitement) par ceux qui possèdent le « capital » culturel et linguistique requis pour imposer leur domination et en obtenir des « profits » (Bourdieu,1982: 59-95) .
Le marché linguistique officiel est donc un lieu de rapport de forces où ceux qui détiennent la compétence légitime (celle qui fonde « le bon usage ») font la loi. Ceci n’exclut pas l’existence au sein de la même communauté d’autres marchés linguistiques (en marge du marché officiel, à sa périphérie) où les « valeurs » et les règles du jeu sont autres.
Ce marché est un marché du sens, unifié et dominé, en général, par la langue légitime qui en constitue la valeur dominante (notamment dans les champs de l'école, du travail, de la médecine, de la justice, de l'administration). C'est le marché qui impose la définition du légitime et de l'illégitime, selon la valeur qui domine sur ce marché et qui impose à ses utilisateurs de produire conformément à ses lois.
Sur un marché circulent des produits linguistiques, offerts par des locuteurs socialement caractérisés, produits qui sont les styles expressifs. A chacun de ces styles, il sera accordé plus ou moins de valeur (plus ou moins de pouvoir dans un espace social déterminé), et reconnu à son producteur plus ou moins de compétence sociale, selon la conformité de ce style à la loi de formation des prix qu'impose le marché. Ainsi plus le marché est officiel, plus il est pratiquement conforme aux normes de la langue légitime, et moins les produits linguistiques dominés ont de valeur, moins leur producteur possède de compétence sociale.
« Au sein d’une communauté linguistique, nul ne peut ignorer complètement la loi linguistique ou culturelle. Toutes les fois qu’ils entrent dans un échange avec des détenteurs de la compétence légitime, et surtout lorsqu’ils se trouvent placés en situation officielle (par ex. dans des relations avec la justice, la médecine, l’école), les dominés sont condamnés à une reconnaissance pratique des lois de formation des prix les plus défavorables à leurs productions linguistiques, qui les condamne à un effort plus ou moins désespéré vers la correction ou au silence. » (Bourdieu, 1983: 102) [Voir l’insécurité linguistique de la petite bourgeoisie qui aspire à l’ascension: état de soumission non maîtrisée à l’usage légitime de la langue]
Bourdieu introduit cette notion de « marché linguistique » pour échapper, dit-il, au « mode de pensée dualiste qui oppose une langue étalon, mesure de toute langue, et une langue populaire» (Actes de la recherche en sciences sociales, N°46, mars 1983). Qu'est-ce que cette analogie du marché où l'échange linguistique est aussi un échange économique, où l'on ne parle pas seulement pour communiquer, mais pour s'assurer, dans un rapport de forces symbolique, un certain nombre de profits (être évalué positivement, cru, apprécié, admiré, obéi)?
Les échanges symboliques ne sont pas seulement des actes de communication entre égaux, entre pairs, ce qui supposerait égale la compétence linguistique des locuteurs-producteurs, mais ils sont «des rapports de pouvoir où s'actualisent des rapports de force entre les locuteurs et les groupes respectifs dont ils sont les agents» (les conflits de langue reproduisant dans leur logique spécifique, et non comme reflet, les conflits de classe).
Références bibliographiques Bourdieu P. (1982), Ce que parler veut dire, FAYARD, Paris. Bourdieu P. (1982), Vous avez dit « populaire ? », Actes de la recherche en sciences sociales, N°46, Boyer H. (1991), Éléments de sociolinguistique (Langue, Communication et Société), Dunod, Paris. Boyer H. (2001). Introduction à la sociolinguistique,, Dunod, Paris. Labov W. (1976), Sociolinguistique, Éditions de Minuit, Paris,