L’allongement compensatoire n’est pas sp écifique aux segments Te-hsin LIU
Préambule L’allongement compensatoire (AC) est un processus par lequel un segment (consonne ou voyelle) s’allonge pour compenser la chute d’un segment. Normalement le ton ne peut s'allonger que sous l'effet de l'AC vocalique.
Objectifs Montrer que l’interaction entre tons et segments est symétrique, les tons pouvant s’y comporter comme des positions: La voyelle peut s’allonger sous l’effet du ton. Proposer une représentation formelle pour rendre compte de l’interaction entre tons et segments; Justifier que les tons ne sont pas de pures mélodies en chinois: ils ont une base temporelle.
Données Les dialectes du groupe yue (cantonais, bobai, xinyi) 1. Les dialectes du groupe yue conservent relativement bien les codas occlusives, ce qui les distinguent des dialectes du nord, comme le mandarin, où les codas occlusives sont tombées pendant l’évolution historique, ou des dialectes du groupe wu, où les codas se sont neutralisées en une glottale. 2. Le système tonal de l’ancien chinois est relativement mieux conservé en yue. Système tonal du cantonais 1. Six tons lexicaux en syllabe ouverte en cantonais, 44, 33, 35, 23, 53 (55), et Trois tons rentrants sont constatés en syllabe fermée, 5, 4, 3.
Phénomène Les dialectes du groupe yue, i.e. le cantonais, le bobai et le xinyi, ont un processus où un contour montant remplace le ton lexical de la racine nominale pour dériver les formes diminutives, connu sous le terme de pinjam (tons modifiés) dans la littérature.
Phénomène Nominalisation de verbes (Cantonais) Omission de marqueurs aspectuels (Cantonais)
Représentations traditionnelles Plusieurs analyses concernant le cantonais posent un ton haut flottant s'associant à la syllabe de la racine nominale (Chen 2000, Yip 1980, 2002). Une règle interdisant les contours modulés complexes en cantonais déclenche la perte d’un segment tonal. Dérivation de formes diminutives
Représentations traditionnelles D é rivation de nominalisation de verbes D é rivation de contraction syllabique réajustement de registre
Problèmes (1) On postule l’existence d’un ton haut flottant pour dériver le contour montant du pinjam. Mais dans le cas où le marqueur aspectuel a déjà un contour montant, cet hypothétique ton haut flottant disparaît de la représentation, et paraît ainsi parfaitement ad hoc. Puisque le pinjam porte toujours le même contour montant, pourquoi l'expliquer à l'aide de deux hypothèses distinctes ?
Problèmes (2) Ces analyses prédisent que les contours montants dérivés sont homophones au ton montant lexical. Or Chao (1959) observe qu'en cantonais, quand un mot est prononcé avec le pinjam, sa durée est plus longue que celle d'un mot pourvu du même contour montant lexical. Le même phénomène est constaté en bobai et xinyi, où les contours montants dérivés sont plus longs que le ton montant lexical (Wang 1932, Yu & Shen 1987).
Problèmes (2) Etablissant une correspondance entre le suffixe diminutif en mandarin -er et le contour montant dérivé issu du pinjam en cantonais, Chao utilise la more pour décrire cette durée supplémentaire, suggérant que le suffixe diminutif est, en cantonais, une more prenant la forme d’un ton haut. Cette hypothèse, capable d’expliquer la durée supplémentaire induite par le pinjam, est contraire aux théories actuelles selon lesquelles les tons, étant des objets suprasegmentaux, ne possèdent pas de base temporelle of their own. Comment expliquer ce paradoxe ?
L’allongement compensatoire O’Melia (1939) & Whitaker (1956) ont eu l’intuition que l'augmentation de la durée du pinjam s'agissait de compenser la perte du suffixe diminutif [ ɲ in] en bobai, un dialecte plus conservateur par rapport au cantonais. Une question se pose quant à la nature de cet allongement compensatoire : comment peut-on savoir si c’est la voyelle ou le ton qui s’allonge? D’où vient cette durée supplémentaire associée au pinjam ?
Deux possibilités Depuis Goldsmith (1976), seuls les constituants syllabiques ou les mélodies segmentales sont susceptibles de s'allonger via leur association au squelette de positions. Les tons sont des autosegments, et ne peuvent pas s’allonger. Le ton s’allonge sous la pression de la voyelle La voyelle s’allonge sous la pression du ton Comment peut-il se faire?
Première possibilité- Le ton s’allonge sous la pression de la voyelle en CVC Frioulan (Kavitskaya 2002) Wallon de Liège (Morin 2007) CVCV > CV:C La durée vocalique est dépendante de la structure syllabique
Première possibilité- Le ton s’allonge sous la pression de la voyelle en CVC Au contraire, en yue, il n’y a pas de durée vocalique longue préexistant à la chute du suffixe diminutif. [mat32 ɲ in25] “little thing” (Bobai) Outre le fait que la racine nominale [mat] est fermée par une consonne, le suffixe [ ɲ in] commence aussi par une consonne. La voyelle de la racine nominale n’a aucun moyen d’avoir un allophone long! La première possibilité est exclue!
Deuxième possibilité- La voyelle s’allonge sous la pression du ton Nous ferons l'hypothèse qu’il y a allongement compensatoire tonal dans les dialectes du groupe yue. Ce phénomène peut être expliqué en posant que les tons sont des positions temporelles, et, plus précisément, qu’ils constituent un squelette périodique universel HBHB (Carvalho 2002).
Notre proposition L’interaction entre tons et positions temporelles est illustrée ci-dessous, où le registre est représenté par la propagation d’un segment tonal à une position adjacente. La lettre capitale indique le registre
Notre proposition Nous proposons, sur la base de cette hypothèse, une représentation formelle pour rendre compte du mécanisme du pinjam. Le ton du suffixe diminutif [ ɲ in25] se substituant à celui de la racine nominale, le deuxième segment tonal du contour montant, la tête H, se propage à la position suivante libérée par la substitution tonale.
Implications théoriques L’allongement compensatoire qui vient d'être examiné montre que les tons ne sont pas de pures mélodies en chinois et constitue un argument à l’appui de l’existence d’un squelette tonal, parallèle à celui formé par les constituants syllabiques. Une théorie basée sur un allongement compensatoire segmental se heurte au problème suivant : si l'accroissement de la durée devait être expliquée par l’allongement de la voyelle, il ne devrait pas y avoir de changement en syllabe fermée. Or le pinjam implique un allongement en syllabe ouverte et en syllabe fermée. Par conséquent, c’est la voyelle qui s’allonge sous la pression du ton, non le ton sous la pression de la voyelle.
Merci de votre attention!