Etude épidémiologique de mortalité dans l’industrie productrice de métaux lourds en France Cahiers de notes documentaires Hygiène et sécurité du travail n°168, 3ème trimestre 1997
Introduction Les métaux durs sont des pseudo-alliages utilisés essentiellement pour les activités de perçage, forage et découpage. La dureté de ces métaux est due en grande partie au carbure de tungstène et à d'autres carbures métalliques qui, avec le cobalt, constituent l'essentiel de ces alliages.
Le procédé industriel de fabrication des métaux durs comporte plusieurs étapes : - la fabrication des poudres de Co WC - les activités de pesée, mélange, broyage, tamisage, granulation et atomisation des poudres - le pressage - l’usinage avant frittage : sciage, perçage, tournage, fraisage et meulage - le préfrittage (chauffage à 900°C), le frittage (chauffage à > 1320°C) - l’usinage : électroérosion, tournage, fraisage, meulage, rectification, rodage
rechercher un éventuel excès de mortalité par cancers broncho-pulmonaires parmi les salariés de l’industrie de production de métaux durs à base de cobalt et de carbure de tungstène. Objectif de l’étude
Choix de la cohorte (cohorte historique) concerne les personnes exposées dans la totalité des usines françaises fabricant des métaux durs (10 usines), Tous les sujets : hommes et femmes employés pendant au moins trois mois Depuis la création des usines (1942, 1945, 1947, 1948, 1956…) Jusqu’au 31 décembre 1991 Nombre total : 7459 salariés Période de suivi : Le recrutement de la totalité des usines permet : d’atteindre la puissance statistique la plus élevée possible réunir une population représentative de la population exposée dans cette industrie Population étudiée
Analyse statistique L’analyse statistique repose sur la calcul des SMR (Standardized Mortality Ratio), estimation du risque relatif dans les études de cohortes. Les SMR permettent de comparer les nombres observés dans la cohorte (obs) aux nombres attendus (att) calculés au moyen des taux de mortalité d’une population générale de référence ( française) ou générale des départements où sont situées les usines. Comparaison du SMR à la valeur 1,00 et calcul de l’intervalle de confiance à 95 % Si SMR = 1 : pas de différence Si SMR > 1 : le risque est plus élevé dans le groupe exposé Si SMR < à 1 : le risque est moins élevé dans le groupe exposé
Résultats La cohorte réuni un effectif de 7459 sujets. La proportion de sujets de sexe masculin est de 78%. Le dénombrement par date d’embauche montre que 22% de l’effectif a été embauché avant 1960 et 52% avant La période de surveillance moyenne de chaque sujet est de 15.4 années. Le nombre total de décès survenus pendant la période de suivi est de 684. Les causes ont été retrouvées pour 662 décès, dont 633 données par la recherche dans le fichier de l’INSERM et 29 par les médecins du travail. Seulement 22 causes de décès soit 3,2 % sont restées inconnues. Il existe donc un bon recueil de la mortalité.
La mortalité globale est significativement inférieure à celle attendue pour le sexe masculin (SMR=0.92, obs=591, IC= ), alors qu’un excès non significatif est observé pour le sexe féminin (SMR=1.06, obs=93, IC= ). Dans l’ensemble de la cohorte, les nombres observés et attendus ne diffèrent pas significativement (SMR=0.93, obs=684, IC= ).
SMR en fonction des références externes Références externes ObservésAttendusSMR IC 95 % Toutes causes de décès France684732,570,930,87-1,01 Départements686683,771,000,93-1,08 Cancers broncho- pulmonaire s France6348,591,301,00-1,66 Départements6346,751,351,04-1,72
Le nombre de décès par CBP est de 63, dont 61 dans le sexe masculin. En utilisant la population française comme référence externe, un excès proche de la signification statistique est observé pour la mortalité par CBP. Le SMR atteint le seuil de signification statistique dans l’ensemble de la cohorte (SMR=1.30, obs=63). Calculés sur des populations départementales comme références externes, les résultats sont similaires et statistiquement significatifs pour les deux sexes.
La consommation de tabac En ce qui concerne les causes de maladies liées à la consommation de tabac autres que les CBP (les maladies cardiovasculaires, les maladies non malignes de l’appareil respiratoire, les cancers du larynx et de la vessie), les SMR sont <1 Les effets cancérogènes pour l'appareil respiratoire de la fumée de tabac sont susceptibles d'être un facteur de confusion. Il s'agit d'un élément essentiel de la discussion, qui est pris en compte dans l'étude de cohorte
La consommation de tabac des sujets de la cohorte n'étant pas connue, seule une méthode indirecte peut être utilisée pour en évaluer les effets sur les résultats de l'étude. Cette méthode consiste à prendre en compte les SMR observés pour les autres maladies liées à la consommation de tabac. Les SMR sont inférieurs à l'unité pour chacune de ces maladies et sont statistiquement inférieurs à l'unité pour l'ensemble de ces affections (SMR = 0,84, obs = 196, IC = 0,73-0,97). Ces résultats suggèrent que la consommation de tabac des sujets de la cohorte n'est pas plus importante que celle des populations générales prises pour référence. En conséquence, l'excès observé pour les CBP n'est pas attribuable au tabagisme.
Causes de décès liées à la consommation de tabac (hommes et femmes) ObservésAttendusSMR IC 95 % Appareil cardio-vasculaire Appareil respiratoire Cancers : Larynx Larynx Vessie Vessie Total Cancers broncho-pulmonaires
Commentaires L’étude de cohorte montre l’existence d’un excès de CBP, de l’ordre de 1.30 à 1.35 en fonction de la référence externe, qui atteint le seuil statistique. Ce résultat confirme l’étude de 3 usines en Suède et dans une usine française. Les résultats de cette étude de cohorte, confrontés aux données antérieures sont en faveur d’un risque de CBP lié aux métaux durs. En revanche pas de confirmation de risque de maladie non malignes (fibroses et pneumoconioses) ; ce résultat est attribué à un manque de puissance statistique car les nombres attendus sont faibles (respectivement 2.26 et 0.71).
CONCLUSION Cette étude a été conduite dans 10 usines françaises produisant des métaux durs. Un excès de mortalité par cancers broncho- pulmonaires est observé dans l'étude de cohorte : SMR = 1,30 (obs = 63, IC 95 % = 1,00-1,66).