Tradition esthétique et culturelle du travail de la reliure

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Transcription de la présentation:

Tradition esthétique et culturelle du travail de la reliure Mon appartenance à un pays jeune où les traditions ne font pas d’entrée de jeu partie de notre vie quotidienne, m’a poussée à cheminer autrement dans cette discipline qui est fondamentalement traditionnelle. Au Québec et plus largement en Amérique, les relieurs ont puisé leur connaissance dans les expériences européennes, tant latine qu’anglo-saxonne. Quand on retrace notre histoire de la reliure au Québec, on constate que certains relieurs ont reçu leur formation en Angleterre et d’autres en France, créant ainsi, d’une certaine manière, une reliure « hybride ». Phénomène que l’on constate fréquemment dans les milieux de l’artisanat.

Apprendre le métier J’ai reçu ma formation d’abord à Montréal, puis à Paris. J’avais fait le choix de consacrer beaucoup de temps à l’apprentissage du métier. C’était le juste choix, celui de me libérer des contraintes techniques, et la clé qui me permettrait de créer en toute liberté. Ce long apprentissage est à la base de mon indépendance et il est incontournable et essentiel à la pratique professionnelle d’un métier.

Après l’apprentissage, créer un lieu de travail Dans cette optique, j’ai fondé à Montréal, en 1979, l’Atelier de Reliure d’Art La Tranchefile. Bien vivante, La Tranchefile a toujours grandi depuis son ouverture. De ses 800 pieds carrés au moment de sa fondation dans le Vieux-Montréal, elle occupe aujourd’hui une superficie de 3 000 pieds carrés, sur la rue Saint-Laurent, dans un quartier en pleine expansion. Sa vocation est culturelle. Lieu d’exposition, de formation et de création, La Tranchefile a acquis au fil des ans une réputation, tant par la qualité du travail que par la notoriété de sa clientèle. Depuis plus de trente ans, l’atelier école a accueilli plus de huit cents étudiants, ce qui m’a permis de partager mes connaissances avec des débutants et des professionnels.

Après l’apprentissage, créer un lieu de travail Dans cette optique, j’ai fondé à Montréal, en 1979, l’Atelier de Reliure d’Art La Tranchefile. Bien vivante, La Tranchefile a toujours grandi depuis son ouverture. De ses 800 pieds carrés au moment de sa fondation dans le Vieux-Montréal, elle occupe aujourd’hui une superficie de 3 000 pieds carrés, sur la rue Saint-Laurent, dans un quartier en pleine expansion. Sa vocation est culturelle. Lieu d’exposition, de formation et de création, La Tranchefile a acquis au fil des ans une réputation, tant par la qualité du travail que par la notoriété de sa clientèle. Depuis plus de trente ans, l’atelier école a accueilli plus de huit cents étudiants, ce qui m’a permis de partager mes connaissances avec des débutants et des professionnels.

Après l’apprentissage, créer un lieu de travail En créant l’atelier La Tranchefile je ne doutais pas de moi, j’avais le feu sacré. Mon but était de créer un atelier, un lieu insolite, un laboratoire de recherche afin de préserver et d’embellir le livre. J’ai travaillé pour le développement et la promotion de la reliure d’art au Québec à travers des expositions organisées en collaboration avec des institutions et des galeries d’art, tant au Canada qu’à l’étranger. À la Tranchefile, tous les jours, on crée. C’est un tourbillon d’idées et de défis qui oblige à mettre au point des moyens techniques nouveaux.

Prendre avantage de l’histoire et de ses leçons Tout autant que la technique, la culture entourant l’histoire du livre, en ce qui me concerne, a été une priorité. L’artisan d’art doit se définir dans le temps, se donner des clés qui lui permettront de se découvrir à travers les rites quotidiens, à travers la pensée, les habitudes et l’histoire. L’artisan se doit d’être conscient de ses responsabilités dans la pratique artistique, tout en reconnaissant qu’un long chemin a été parcouru et qu’il en reste encore un plus long à traverser. C’est en puisant dans l’histoire, dans le passé que l’on peut opérer des changements. Les relieurs se rappellent comment les inondations de Florence (en novembre 1966) ont éveillé nos consciences et quelle source de connaissance y a été puisée. Cet événement malheureux a permis de redécouvrir les liures de livre (des reliures retenues par des fils, permettant ainsi une ouverture sans tension, sans colle et sans reproche dit-on).   L’utilisation de ces techniques redécouvertes et l’expérimentation des matériaux propices à donner plus de souplesse à la reliure ont fait découvrir une nouvelle image de cet art et, en dépassant ses limites, ont apporté au livre plus de confort à la lecture, davantage de plaisir tactile. Cette souplesse a permis une alternative à la reliure traditionnelle, trop longtemps confinée exclusivement à une enveloppe rigide et aux peaux tannées traditionnellement.

Mes maîtres Les influences Mon premier maître fut Simone Benoît Roy. C’est elle qui m’a transmis la passion de la reliure et du beau livre. Plus tard, mon passage en France à l’atelier d’Henri Mercher a joué un rôle important dans l’esthétique technique de mon travail. C’était un homme d’avant-garde qui utilisait de nouvelles matières et explorait de nouveaux univers. J’ai eu le privilège d’avoir accès à ses projets. L’enseignement que j’y ai reçu était généreux. Mon vieux-maître en dorure, Monsieur Roger Arnoult, m’a appris à regarder, à palper, à sentir la vraie mesure du bien fait. J’ai puisé mon inspiration en lisant les grands auteurs et les philosophes, en fréquentant les musées et les galeries d’art. Dorénavant, l’artisan formé « à la dure » chez un maître possédant peu de culture n’aura donc plus sa raison d’être, tant en ce qui a trait à la reliure qu’à toute autre forme de technique traditionnelle.

Les influences Mes maîtres Mon premier maître fut Simone Benoît Roy. C’est elle qui m’a transmis la passion de la reliure et du beau livre. Plus tard, mon passage en France à l’atelier d’Henri Mercher a joué un rôle important dans l’esthétique technique de mon travail. C’était un homme d’avant-garde qui utilisait de nouvelles matières et explorait de nouveaux univers. J’ai eu le privilège d’avoir accès à ses projets. L’enseignement que j’y ai reçu était généreux. Mon vieux-maître en dorure, Monsieur Roger Arnoult, m’a appris à regarder, à palper, à sentir la vraie mesure du bien fait. J’ai puisé mon inspiration en lisant les grands auteurs et les philosophes, en fréquentant les musées et les galeries d’art. Dorénavant, l’artisan formé « à la dure » chez un maître possédant peu de culture n’aura donc plus sa raison d’être, tant en ce qui a trait à la reliure qu’à toute autre forme de technique traditionnelle.

Les influences À travers l’histoire En 1923, l’école du Bauhaus parle d’un art sans préjugé hiérarchique, un art dans la vie. Visionnaire, son fondateur Gropius, reconnaissait l’importance du travail manuel et proposait une nouvelle culture pour l’homme et ses lieux de vie. Il proclamait un slogan tout à fait adapté à notre propos : « ART ET TECHNIQUE : une nouvelle unité, une unité garante de la qualité.»

Les influences À travers l’histoire En 1923, l’école du Bauhaus parle d’un art sans préjugé hiérarchique, un art dans la vie. Visionnaire, son fondateur Gropius, reconnaissait l’importance du travail manuel et proposait une nouvelle culture pour l’homme et ses lieux de vie. Il proclamait un slogan tout à fait adapté à notre propos : « ART ET TECHNIQUE : une nouvelle unité, une unité garante de la qualité.»

Les influences À travers l’histoire Kandinsky, un philosophe du début du siècle, visionnaire de la première heure, et artiste de l’avant-garde du XXe siècle, dans son livre « Du spirituel dans l’art … » nous décrit le beau en ces termes : « Est beau ce qui est beau intérieurement. » Et de l’artiste il dit : « Ce qui est nécessaire, c’est une liberté illimitée de l’artiste dans le choix de ses moyens. » Il a écrit ces propos en 1910. Ils sont si parfaitement actuels! C’est la vision que doit posséder l’artisan, l’artiste d’aujourd’hui.

Les influences À travers l’histoire Kandinsky, un philosophe du début du siècle, visionnaire de la première heure, et artiste de l’avant-garde du XXe siècle, dans son livre « Du spirituel dans l’art … » nous décrit le beau en ces termes : « Est beau ce qui est beau intérieurement. » Et de l’artiste il dit : « Ce qui est nécessaire, c’est une liberté illimitée de l’artiste dans le choix de ses moyens. » Il a écrit ces propos en 1910. Ils sont si parfaitement actuels! C’est la vision que doit posséder l’artisan, l’artiste d’aujourd’hui.

Les influences À travers l’histoire Hegel, dans son livre « Esthétique », démontre (et je cite) « que l’unité qui se réalise dans l’art entre la liberté et la nécessité, entre l’universel et le particulier, entre le rationnel et le sensible, ne se rencontre pas seulement dans l’esprit du créateur de l’œuvre d’art ou dans l’esprit de celui qui la contemple : cette unité se trouve aussi dans la réalité objective. » Il met en évidence que l’esthétique est indissolublement liée à l’histoire.

Les influences À travers l’histoire Hegel, dans son livre « Esthétique », démontre (et je cite) « que l’unité qui se réalise dans l’art entre la liberté et la nécessité, entre l’universel et le particulier, entre le rationnel et le sensible, ne se rencontre pas seulement dans l’esprit du créateur de l’œuvre d’art ou dans l’esprit de celui qui la contemple : cette unité se trouve aussi dans la réalité objective. » Il met en évidence que l’esthétique est indissolublement liée à l’histoire.

Les influences À travers l’histoire En 1977, à Paris, à la Bibliothèque Nationale de France, rue Richelieu, on présentait une exposition de Sonia et Robert Delaunay. On y exposait dix-sept reliures de Sonia Delaunay. Je cite un commentaire du catalogue publié à cette occasion : « Les reliures de Sonia Delaunay occupent une place primordiale dans l’histoire de la reliure. Leur facture est volontairement fruste, moins par nécessité matérielle que pour rompre avec le goût du « bien fait », du « fini » qui caractérisait les arts à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, à travers la simplicité du matériau, la prééminence du langage plastique. » Si les reliures de Sonia Delaunay appartiennent à l’histoire de l’art, elles occupent aussi une place primordiale dans l’histoire de la reliure. Il y avait donc déjà en 1913 une conscience vivante de la reliure « œuvre d’art »? À partir de ce moment, la reliure a fait vibrer mon âme.

La transmission du savoir Expertise et générosité En créant l’atelier La Tranchefile en 1979, j’ai choisi de transmettre mon savoir. Au cours des ans, de nombreux élèves ont appris un art et un savoir-faire. Beaucoup pratiquent cet art pour leur plaisir et quelques-uns parmi les plus doués ou les plus braves en ont fait leur métier. Ils volent de leurs propres ailes et c’est avec fierté que j’observe leur évolution. Des étudiants, pour la plupart boursiers, viennent de l’étranger pour parfaire leur formation, et à l’étranger, on m’invite à animer des ateliers. J’ai calqué sur mes maîtres ce réel plaisir de transmettre mes connaissances, autant dans l’échange et le partage des idées, que par les recherches et les défis. Cette transmission du savoir a participé à mon évolution artistique.

L’importance des commandes À l’importance des commandes, lot de tout métier bien fait qui satisfait l’utilitaire, l’artisan, signant le travail, doit imposer son style malgré les contraintes imposées par le client, qu’il s’agisse de l’esthétique de la demande ou du budget. L’atelier La Tranchefile offre depuis plus de trente ans des services de reliure à une large clientèle : collectionneurs, éditeurs, particuliers, institutions et entreprises. Ces clients sont fidèles et reviennent ponctuellement. Un climat de confiance s’est établi entre nous et ils me donnent le feu vert pour réaliser les commandes.

S’impliquer dans la communauté Il m’a semblé important, à une certaine époque de ma vie, de m’impliquer au sein de la communauté des relieurs du Québec consacrant quelques années à promouvoir cette association en tant que présidente. Plus tard, j’ai voulu élargir mes horizons en créant l’association internationale l’ARA, Les amis de la reliure d’art section Canadienne, et en organisant le Ve Forum international de la reliure. Un immense événement qui a rassemblé des relieurs de dix-sept pays et qui a fait rayonner la reliure québécoise. Ensuite, ce fut la création du groupe « AIR NEUF », association réunissant neuf relieurs amis de différents pays afin de penser, d’innover et de créer la reliure de demain. Neuf à partager nos connaissances, nos réflexions en ignorant les hiérarchies, en ouvrant les frontières et en recherchant le dialogue. C’était un AIR NEUF qui avait le vent dans les voiles.

Constat du passé En portant un regard plus large sur l’évolution des métiers d’art, au Québec, la transmission orale du savoir-faire est une réalité historique.   Il y a plus d’une dizaine d’années, l’École des Arts graphiques (CEGEP d’Ahuntsic) fermait le département de reliure qui offrait une formation en reliure industrielle et un survol des techniques de la reliure artisanale. Le CEGEP de Limoilou, qui offrait un programme de formation en reliure artisanale avec à la clé une attestation d’études collé- giales, a également retiré cette formation. À Montréal, les quelques tentatives de créer un atelier école sur le modèle du Centre des textiles contemporains de Montréal, du Centre des Métiers du Cuir et de l’Espace verre, ont été très vite découragées et cela par manque de collaboration du milieu. Un bilan qui inquiète et qui ne manque pas de mettre en péril ce métier d’art traditionnel d’une grande noblesse. Force est de constater que le milieu littéraire ainsi que celui des arts visuels sont souvent réticents à l’intervention du relieur, qui projette toujours cette image de l’artisan studieux et docile.

Influencer le métier L’artisan, au risque d’être contesté, se doit d’affirmer ses convictions, sachant qu’on ne dérange pas facilement l’histoire. Poursuivre courageusement, envers et contre tous, le travail de création, novateur et révolutionnaire même. Surmonter les obstacles ou peut-être à cause de ceux-ci, étonner, évoluer, scandaliser pour vivre passionnément son art. Satisfaire ce besoin qui brûle en soi de « créer sans limites ni contraintes ». Il est aussi important pour un artisan de montrer une image, une facture personnelle dans son travail.

Qu’est-ce qu’une œuvre d’art? Posons-nous la question, qu’est-ce qu’une œuvre d’art? J’insiste ici sur le fait que la reliure, au même titre que la peinture, la sculpture ou toute autre forme d’art, doit dépasser la technique, alors que traditionnellement l’artisan devait rester cantonné dans « le métier ». Le peintre choisit la toile blanche Le potier la terre Le tisserand le fil Le joaillier les métaux et les pierres   Et le relieur, lui, choisit le livre comme support à la création. Cela comporte de nombreuses contraintes pour le relieur : se soumettre au texte, au format, aux images, à la typographie, à la qualité de l’édition sans oublier l’émotion que provoque la lecture. Au-delà de l’objet, LA RELIURE se doit d’ajouter une nouvelle dimension à l’œuvre littéraire et d’être une sorte d’introduction au plaisir de lire.

Éloge du livre Le livre, lieu de rencontre de la lettre sur la fibre, de la main sur la page et du texte qui défile patiemment, mot après mot, page après page, est parfois l’image sensible et enveloppante qui fait vibrer les mots. La reliure, aboutissement d’émotions d’où surgissent les formes, les couleurs, transposition de la pensée au dessin puis à la réalisation de l’œuvre. Une sensibilité qui nous guide vers la découverte du livre, en nous donnant le sentiment de confort, de plaisir en même temps que de résistance au temps. Acte de création, gratuit et généreux, plein de séduction qui se fait complice de la tradition et de la modernité.

Vision de l’avenir En abordant la question de la présentation du livre en tant qu’objet, pourquoi ne pas imaginer de lui faire une nouvelle place, mieux appropriée, plus confortable, plus près de notre vie quotidienne! Le relieur peut alors se donner la liberté de déstabiliser les balises conventionnelles de la mise en scène en offrant au livre relié un dispositif qui stimule l’imaginaire et incite les regardeurs à voir autrement.

Vision de l’avenir En abordant la question de la présentation du livre en tant qu’objet, pourquoi ne pas imaginer de lui faire une nouvelle place, mieux appropriée, plus confortable, plus près de notre vie quotidienne! Le relieur peut alors se donner la liberté de déstabiliser les balises conventionnelles de la mise en scène en offrant au livre relié un dispositif qui stimule l’imaginaire et incite les regardeurs à voir autrement.

Vision de l’avenir Ce que je veux partager avec vous se veut une vision axée sur le futur de la reliure d’art. Dans un contexte où la technologie redéfinit le rapport à l’écrit et les pratiques de lecture, le rapport au livre lui-même, en tant qu’objet, est également en mutation, tout comme l’avenir de la reliure. En effet, la « dématérialisation » du livre à la faveur du numérique donne une nouvelle signification, une nouvelle valeur à l’œuvre de papier qu’il est depuis des siècles. Aussi est-il possible de redécouvrir le livre et de le mettre en valeur d’une façon tout à fait nouvelle. Le livre, devenu un objet commun à la faveur de l’imprimerie à l’échelle industrielle sera appelé à se singulariser alors que les « Reader » et les « Kindle » seront de plus en plus répandus.   Autrement dit, le livre va redevenir un objet d’exception, pour lequel la reliure d’art proposera une médiation plus que fertile. Porteur de la connaissance et de la mémoire, le livre ne mérite-t-il pas le meilleur?

Un hommage à notre Conseil des métiers d’art Je rends témoignage de l’effervescence qui secoue le domaine des métiers traditionnels grâce au Conseil des métiers d’art du Québec qui a su s’entourer de ressources diverses et compétentes depuis plus de vingt ans, accomplissant ainsi un travail magnifique en émancipant les métiers traditionnels en art noble et majeur. Aujourd’hui, ce colloque qui réunit un grand nombre d’artisans et de professionnels compétents en est la preuve.

Et le rêve n’est pas près de s’éteindre… Odette Drapeau Artiste du livre