M.A. BIGARD Service d’Hépatogastroentérologie CHU de NANCY Comment gérer au mieux la thérapeutique de la maladie de Crohn : un avis Evidence-Experience-Based M.A. BIGARD Service d’Hépatogastroentérologie CHU de NANCY
PLAN Les médicaments du futur Optimiser nos stratégies Nos moyens actuels et leurs résultats Les médicaments du futur Optimiser nos stratégies
Nos moyens actuels et leurs résultats
Quel est l’apport exact d’un médicament ? Expression en NNT = Number Needed to Treat Correspond au nombre moyen de sujets qu’il est nécessaire de traiter pour éviter un événement 1 DA (différence absolue des risques) Si DA = 0,10 NNT = 10 NNT =
Mésalazine – 5-ASA Pas d’efficacité en cas de poussée Pas d’efficacité pour le maintien d’une rémission induite médicalement Efficacité modeste pour prévention de la récidive post-opératoire après résection intestinale 6 essais : 1141 malades Réduction récidive : endoscopique 18% clinique 15% NNT incalculable NNT incalculable NNT = 5,5 NNT = 6,6
Corticoïdes : prednisone/solone Obtention de rémission d’une poussée - Posologie 0,5-0,75mg/kg/j Rémission vs placebo 60% vs 30% - Posologie 1mg/kg/j Rémission vs placebo 83% vs 38% NNT = 3 NNT = 2
Corticoïdes : budésonide Rémission poussées MC iléales modérées à moyennes A 12 semaines : 62% vs 40% NNT = 5
Corticoïdes Tolérance budésonide supérieure à celle de prednisone Effets indésirables - moins fréquents - moins graves - moins de réduction de la densité osseuse (-1,0% vs -3,84%)
Corticoïdes Prednisone : Budésonide : Maintien en rémission absence d’efficacité (essai NCCDS de 1979) Budésonide : 4 essais négatifs NNT incalculable NNT incalculable
Azathioprine Action trop lente pour traiter les poussées Maintien de la rémission à 1 an vs placebo Méta-analyse 67% vs 52% Mais effet dose réponse 2,5mg/kg/j NNT = 7 NNT = 5
Azathioprine Prévention de la récidive post-opératoire Méta-analyse versus placebo – 5-ASA Récidive clinique à 2 ans : -13% Récidive endoscopique à 1 an : (i2-i4) -15% NNT = 8 NNT = 7
Azathioprine Tolérance médiocre 28% des malades ont des signes d’intolérance (syndrome pseudo-grippal à S3, leucopénie 3%, Hépatotoxicité, pancréatite 3%) Un malade sur 4 arrête traitement dans deux premiers mois
Maintien de la rémission à 40 semaines vs placebo 65% vs 39% Méthotrexate Maintien de la rémission à 40 semaines vs placebo 65% vs 39% NNT = 4
Méthotrexate Intolérance 10% - 17% Attention aux pneumopathies Contraception ++ Voie S/C ou IM exclusivement 25mg/semaine initialement, réduction à 15mg/semaine souvent possible
Anti-TNF MC luminale Méta-analyse 16 études : 4244 malades Rémission à 4ème semaine : Différence avec placebo : 11% NNT = 9 NNT = 5 pour infliximab, 7 pour adalimumab, 10 pour certolizumab NNT = 9
Maintien de la rémission à 6 mois Différence avec placebo : Anti-TNF MC luminale Maintien de la rémission à 6 mois Différence avec placebo : 23% pour répondeurs 8% pour tous sujets inclus NNT = 4 NNT = 13
Anti-TNF MC fistulisée Méta-analyse 10 études : 776 malades Pas d’efficacité pour fermeture ou réduction > 50% des essais d’induction en double aveugle Efficacité seulement pour essais de maintien en rémission après induction en ouvert Différence avec placebo 16% NNT = 6
Anti-TNF Méta-analyse tolérance 21 études : 5356 malades Pas d’augmentation risque décès, malignité, infections sévères Dans essais cliniques 3-4% infections sévères et risque augmenté avec nombre d’IS Risque lymphome T hépatosplénique chez adultes jeunes recevant un IS
Anti-TNF Posent un problème important de tolérance - Infliximab : maladies « sériques », effets cutanés - Adalimumab : intolérance aux points d’injections, effets cutanés
Chirurgie Résection iléo-colique droite : Taux de récidive endoscopique : 50% à 6 mois Taux de récidive clinique : 50% à 3 ans Taux de réintervention : 50% à 20 ans Taux de 3ème intervention : 50% à 10 ans Proctocolectomie totale avec iléostomie définitive : 50% rechutes à 10 ans
Prévention de la récidive après résection intestinale Efficacité probable = arrêt du tabac, azathioprine limitée si elle existe = 5-ASA non démontrée = MTX, anti-TNF nulle = probiotiques
Les médicaments du futur
Sargramostim (GM-CSF) Activation et migration des leucocytes Bactéries Barrière épithéliale Teduglutide (GLP-2) Somatropin (GH) Th2 TNF-a IL-12 IL-1 Th1 Th17 Fontolizumab ABT-874 CNTO 1275 IL-6 IL-8 ABT-874 CNTO 1275 Atlizumab Apilimod Macrophage Lymphocytes T CD4+ Vizilizumab Daclizumab Basiliximab Abatacept PMN ICAM-1 Natalizumab MLN02 Alicaforsen CCX282-B Sargramostim (GM-CSF) Filgrastim (G-CSF) Somatropin (GH) Activation et migration des leucocytes Figure 1
4 cibles thérapeutiques principales A – Thérapie par cytokines Cibles : IL12/IL23 – IL6 – Interferon γ B – Blocage des cellules T Cibles : CD3 – CD4 – CD28 C – Molécules anti-adhésion Cibles : 41 - 47 intégrines – ICAM 1 D – Facteurs de croissance Cibles : épithélium intestinal
Les aléas du développement Blocage cellules T Visilizumab : pas d’efficacité (RCH - MC fistulisée) arrêt développement Daclizumab : pas d’effet arrêt Blocage activité ou différenciation cellules T Abatacept : AMM dans PR Phase III en cours Tocilizumab : phase III dans PR Fontolizumab : inefficace arrêt Apilimod : inefficace arrêt Facteurs de croissance Sargramostim : inefficace arrêt
Les aléas du développement Natalizumab (Tysabri®) anti 41 et 47 intégrines Essai initial négatif (1000 patients) Positif dans sous-groupe avec PCR élevée Essai phase III 500 patients avec PCR élevée Réponse S8-S12 48% vs 32% mais cas de leucoencéphalopathie progressive multifocale à virus JC AMM aux USA Refus en Europe
Les aléas du développement Certolizumab (Cimzia®) AMM aux USA Refus en Europe Motifs : Pas de différence de rémission avec placebo Pas d’essai randomisé de plus de 6 mois Sécurité d’emploi peut être inférieure (hémorragies)
Espoirs à court terme très limités Natalizumab® Seul médicament ayant prouvé une certaine efficacité dans maladie de Crohn Espoir dans MLNO2, anti 47 plus spécifique de l’intestin Espoir dans abatacept (Orencia®) bloquant la voie CD28. AMM dans PR après échec des anti-TNF
Optimiser nos stratégies
Identifier les patients à risque d’évolution sévère ? Difficile en pratique 3 facteurs identifiés par L. Beaugerie et al Corticothérapie au cours de la poussée initiale Age inférieur à 40 ans au diagnostic Lésions anopérinéales au diagnostic Pas d’apport des données biologiques
Introduire précocement les IS en cas de maladie sévère Fumeurs Début avant 18 ans Expression non inflammatoire Atteinte extensive du grêle et/ou du côlon Atteinte périnéale sévère
Prescrire plus souvent le méthotrexate En cas d’intolérance à l’azathioprine, essayer MTX plutôt que de recourir immédiatement aux anti-TNF Réponse rapide arrêt après 3 mois si échec
Ne pas interrompre un traitement efficace par IS Possibilité de rechute même après 8-10 ans d’IS Ne pas arrêter azathioprine pendant grossesse Ne pas arrêter pour infections bénignes à répétition
Ne pas oublier que nous n’avons que deux anti-TNF Ne pas changer trop vite de molécule Effets secondaires souvent gérables petites réactions à perfusion ou injection éruptions psoriasiformes Si perte de réponse, rapprocher perfusions/injections ou augmenter posologie
Éviter infliximab à la demande Risque plus élevé de chirurgie Possibilité de re-traitement par IFX aléatoire Développement d’anticorps anti-infliximab entraînant perte de réponse intolérance
Top-down vs step-up ? une question non résolue Essai publié 133 malades 102 suivis à 2 ans IS + IFX vs corticothérapie puis AZA puis IFX Pas de différence de rémission après 52 semaines mais schéma d’IFX à la demande Introduction IFX peut-être trop tardive
Le choix de l’anti-TNF de première intention pour MC luminale n’a pas d’influence Pas de comparaison face à face A 6 mois, taux de rémission de 20-30% et taux de réponse de 60% pour les deux molécules Tenir compte de la nécessité d’un effet rapide Prendre l’avis du malade +++
Augmenter la posologie avant de parler d’échec Infliximab : jusqu’à 10mg/kg toutes les 4 semaines Adalimumab : jusqu’à 40mg/semaine (tolérance 80mg/semaine inconnue)
Résultats de rotation mal connus Infliximab puis adalimumab = 20% de rémission (GAIN) Adalimumab puis infliximab = inconnu 3ème anti-TNF ? Bénéfice clinique initial dans 60% des cas mais 36 arrêts sur 67 patients à 20 semaines ! (intolérance 13, échec primaire 8, perte efficacité 15)
Savoir recourir à la chirurgie En cas de maladie limitée et sténosante En cas de survenue d’abcès En cas d’aggravation sous anti-TNF
Chez le malade jeune, penser à une monothérapie une fois la rémission obtenue Essai belge : pas de différence clinique à 2 ans chez malades ayant arrêté IS après 6 mois de IFX+IS vs malades ayant poursuivi l’IS mais infliximabémie plus basse Dans essais des anti-TNF : analyses post-hoc ne montrent pas de différence entre malades IS+ et IS-
Les experts aiment se contredire ! Dogme il y a 3-5 ans : Pas d’anti-TNF sans IS Dogme en 2008 : Arrêt des IS à 6 mois si rémission Dogme en 2009 ? Résultats Essai SONIC en octobre 2008 = IS vs IFX vs IS + IFX
La durée optimale d’un traitement par anti-TNF n’est pas connue Essais limités à un an avec certains suivis à 2 ans Étude belge 603 malades traités par IFX entre 1995 et 2007 : Bénéfice clinique soutenu dans 65% des cas après suivi médian de 4 ans Sevrage en corticoïdes dans 72% des cas
La durée optimale d’un traitement par anti-TNF n’est pas connue Réduction de recours à la chirurgie à un an (décalage ?) Réduction des hospitalisations Amélioration qualité de vie
En pratique, les anti-TNF c’est comme le mariage On se marie pour la vie mais ça s’arrête souvent avant (30-40% pour le mariage comme pour les anti-TNF)
Expérience personnelle MC luminale 311 malades 28 non répondeurs initiaux Épisodique Entretien Épisodique puis entretien Bénéfice clinique à long terme 68,9% 69,5% 45,2% Expérience personnelle MC luminale
Take home messages 1 - Médicaments de la MC limités aux corticoïdes, IS, anti-TNF. Intolérance fréquente avec ces 3 classes. 2 - Introduction rapide des IS encore trop rarement utilisée. 3 - Penser au MTX si intolérance à azathioprine. 4 - Épuiser les possibilités d’un anti-TNF avant de changer de molécule. 5 - Évaluer rapport bénéfice-risque de bithérapie chez sujet jeune. 6 - Savoir discuter chirurgie surtout si possibilité geste limité.