Les détroits stratégiques de l’énergie - FIG 2007 – Anne-Claire Poirson, Conseil économique de la Défense zone production énergétiques ≠ zone consommation > 50% de la production hydrocarbures est échangée, 80 % transitent par les mers et détroits (pétrolier et méthanier pour GnL) Transports énergétiques par voie maritime couvrent: USA : 50% besoins Europe : 70% France : 100% Certains détroits ou canaux sont qualifiés de « stratégiques » car : Permettent de raccourcir les trajets/délais (armateurs) Constituent souvent le seul point de sortie pour l’évacuation des marchandises Flux importants de ressources énergétiques qui transitent et sont considérées comme stratégiques Trafic maritime qui s’intensifie dans ces passages étroits Surveillance accrue du trafic maritime (voie privilégiée pour exportations de marchandises)
Les flux pétroliers, les détroits et les risques d’engorgement et d’étranglement (source AIE, 2004) 3 3,9 17,4 3,5 0,4 13 Globalement, il existe 4 détroits dans le monde dit « d’intérêt stratégique » pour le transit du pétrole et du gaz (Ormuz, Malacca, Bab El-Mandab,Bosphore,) et 2 canaux (Canal de Suez et de Panama) D’après la carte des flux pétroliers en 2004 et selon les données de l'AIE : 17,4 Mbj en provenance d'Iran et d'Arabie Saoudite empruntent chaque jour le détroit d'Ormuz. C’est le plus important passage stratégique du monde pour l’approvisionnement énergétique des Etats-Unis, de l'Europe et de l'Asie. 3,5 Mbj transitent par le détroit de Bab El-Mandab pour rejoindre le Canal de Suez (3,9 Mbj) vers le marché européen 3 Mbj de pétrole en provenance de Russie et des ex-républiques soviétiques empruntent le détroit du Bosphore. Enfin, séparant la Malaisie et l'Indonésie, le détroit de Malacca est "vital" pour l'acheminement du pétrole vers la Chine et le Japon. Selon l'AIE, les 13 Mbj qui traversent ce détroit représente 40% des échanges énergétiques mondiaux et 80% des importations énergétiques du Japon. C’est « une artère vitale pour l’économie japonaise » D’une moindre importance, la Canal de Panama permet le passage de 400 000 bj (mb/d)
Evolution des exportations pétrolières du Golfe transitant par les détroits et canaux Si l’on se concentre sur l’évolution des exportations pétrolières du Golfe d’ici 2030, on comprend que les détroits occuperont une place centrale et privilégiée pour l’exportation du pétrole de cette zone, par la mer. En 2004, un peu moins de la moitié des exportations pétrolières du Golfe emprunte les détroits stratégiques : 50 % par le détroit d’Ormuz et le tiers par Malacca Avec augmentation de la demande en pétrole d’ici 2030, il faudra s’attendre à une intensification des flux dans ces voies de passage. Selon scénario référence AIE (croissance constante jusqu’en 2030 équivalente à celle observée actuellement soit 2 Mbj), la part des exportations du Golfe qui transite par les détroits passera de 46% en 2004 au 2/3 en 2030. Par le détroit d’Ormuz : +30% du trafic entre 2004 et 2030 (point de sortie unique du Golfe persique, peu d’alternatives par voies terrestres ) Par le détroit de Malacca : +50% du trafic sous pression de la demande chinoise croissante Selon scénario dit « bas » (maitrise de la demande et recours à de nouvelles sources d’énergies), l’augmentation du trafic sera contenue, exceptée pour Malacca où les besoins de la Chine continueront de croitre. (Source : Anthony H. Cordesman, AIE, février 2007)
Les flux maritimes gaziers en 2003 (en Md m3/an) 14,1 3,9 33 2,8 ? Si l’on regarde à présent les flux gaziers, on constate : un trafic intense dans les détroits qui s’amplifie avec essor du GnL: Actuellement, GnL : 20% des exportations de gaz mondial. Taux de croissance du transport maritime gazier : 6% par an. Pourquoi essor GnL ? Transport plus sûr par voie maritime que terrestre (gazoduc) Le transport par gazoducs n’est pas approprié pour les longues distances Les capacités transportées par gazoducs n’atteignent pas celles du transport maritime Quels détroits principaux sont empruntés pour le transport du GnL ? Les mêmes que pour le transport du pétrole même si les zones de production sont différentes. Détails des flux par détroit : Ormuz : 33 Mds m3/an venant du Qatar et Iran pour Asie Bad El Mandab : 2,8 Mds m3/an pour remonter vers l’Europe via le Canal de Suez Bosphore : 3,9 Mds m3/an venant du Turkménistan et acheminé par gazoducs jusqu’aux ports turcs Gibraltar : 14, 1 Mds m3/an venant d’Algérie pour approvisionner les USA et l’Europe du Nord Malacca : ? On peut se demander alors quelles seraient les conséquences et les risques liés à l’augmentation du trafic énergétique maritime ? (Source Total, 2003)
Conséquences sur le trafic maritime : Essor du trafic maritime de l’énergie dans les détroits : Quelles conséquences ? Quels risques ? Conséquences sur le trafic maritime : Nécessité d’accroitre la taille de la flotte énergétique (nombre de tankers et capacité) Trouver des voies de passage alternative (détroit de la Sonde et Lombock en Asie, passage du Nord Ouest arctique) Accroitre la surveillance maritime Les risques majeurs : collisions/accidents dégradation environnementale d’engorgement des voies de passage plus grande vulnérabilité face aux menaces Augmenter le nombre et la capacité des bateaux pour répondre aux besoins : Capacité actuelle de la flotte pétrolière mondiale : 280 M de T Capacité actuelle de la flotte GnL mondiale : 23 M de m3 (¼ du gaz mondial exporté) Fin 2005 : 195 méthaniers d’une capacité de 19 000 à 145 000 m3, En 2006 : 60 méthaniers en construction dont certains d’une capacité de 217 000m3 Problématique plus complexe pour les méthaniers : Problème capacitaire : un méthanier ne contient que les 2/3 de l’énergie qu’un pétrolier de même taille Problème de coût : la transport du Gnl coûte 5 fois plus cher que celui du pétrole (coque plus résistante et isolante pour maintenir les températures basses nécessaires au transport du gaz liquéfié). Trouver des voies de passage alternatives : Ex : détroit de la Sonde et Lombock en Asie envisagés pour contourner Malacca Ex: La fonte des glaces arctiques, conséquence du réchauffement climatique, laisse entrevoir la possibilité de l’ouverture des passages du Nord-Est et du Nord-ouest entre l’Atlantique et l’Asie. Ces nouvelles routes maritimes, au nord de l’Alaska, raccourciraient considérablement les trajets effectués par les bâteaux, en évitant Panama ou Suez. Accroitre les moyens de surveillance maritimes des pays riverains Les risques majeurs de l’essor du trafic dans les détroits: Risques forts de collisions/accidents Risque de dégradation environnementale des côtes et des mers (ex: marée noire, dégazage etc.) Risque d’engorgement des voies de passage : Passages très étroits : largeur des détroits : Suez (365 m), le Bosphore (550m à 3km), Malacca (2,8 km au point le plus étroit), Ormuz (40km), Bab El-Mandab ( ) Nécessité d’aménagements des détroits/canaux ex: construction d’une 3ème écluse en cours dans le canal de Panama Concentration des flux énergétiques dans des espaces restreints les rend beaucoup plus vulnérables face aux menaces
La vulnérabilité des détroits face aux nouvelles menaces Proximité des zones de conflits (Israël, Irak, Iran etc.) Menaces étatiques (l’Iran et le détroit d’Ormuz ?) Piraterie maritime (Mer Rouge, Mer de Chine etc.) Terrorisme (Somalie, Yemen, Indonésie etc.) On constate une nette corrélation entre la situation géographique des détroits stratégiques et les zones de tensions ou zones dites « crisogènes » (conflits régionaux, acte de terrorisme ou piraterie). Proximité des zones de conflits et d’instabilité : 3 détroits stratégiques entourent la péninsule arabique, zone réputée plutôt instable Le Canal de Suez > conflit Israël-Palestine. Bad El Mandab Détroit d’Ormuz > guerre du Golfe + guerre en Irak ont fortement perturbé le trafic maritime dans ce détroit. Menace étatique : le détroit d’Ormuz Le blocus ou la fermeture du détroit d’Ormuz aurait des conséquences considérables sur le marché pétrolier (blocage de 17 Mbj). A la différence des autres détroits, le détroit d’Ormuz représente l’unique voie de sortie pour l’exportation par voie maritime du pétrole saoudien et du gaz iranien. Les moyens de transports terrestres ne suffiraient pas à l’évacuation totale de ces ressources (oléoduc saoudien Petroline ne peut transporter que 5Mbj contre 17Mbj pour Ormuz). On peut alors s'inquiéter de l'éclatement d'un conflit en Iran, qui contrôle ce détroit et pourrait envisager de fermer ce passage stratégique pour faire pression sur les Etats-Unis. La piraterie maritime : 239 actes de pirateries recensés en 2006 sur les mers du globe (Bureau maritime international). Les tankers sont régulièrement pris pour cibles notamment aux abords des détroits où le trafic est intense (réquisition des marchandises et revente sur marché noir). >Mer Rouge, Golfe d’Aden et Bab El-Mandab (21 attaques en 2006) >Mer de Chine, détroit de Malacca (11 attaques en 2006), côte indonésienne Globalement, on note une baisse des actes de pirateries depuis 2003 avec les mesures de sécurité renforcées prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (2001). Les actes de terrorisme en mer : On peut identifier plusieurs types de scénario : Ex : à l’encontre des voies de passage pour stopper le trafic et perturbuer le marché (ex: minage des détroits) Ex: à l’encontre des bateaux qui peuvent être pris pour cibles (attaques des bateaux, bateaux suicide) ou servir comme armes (explosion ou détournement d’un bâtiment contre des infrastructures côtières) Les attaques terroristes sont fréquentes dans les détroits et en augmentation inquiétante depuis 2001. Ex: côtes somaliennes et yéménites (USS Cole en 2000 et le pétrolier français Limburg en 2002), aux abords du détroit d’Ormuz (1980 : attentat par les Pasdarans contre un pétrolier français), près des côtes indonésiennes et en Mer de Chine aux abords du détroit de Malacca. Face à ces menaces, quelles sont les mesures de protection existantes et envisageables ?
Les outils de surveillance maritimes « classiques » - radars Quelles mesures nationales et internationales pour la protection des détroits ? Les outils de surveillance maritimes « classiques » - radars - outils d’aide à la navigation - satellites d’observation Les moyens militaires étrangers au service de la sécurité maritime des détroits - implantations de bases militaires proches des détroits - patrouilles maritimes communes et exercices conjoints - coopération pour la formation des militaires locaux (gardes-côtes) - coopération des services de renseignements Rappel sur le statut des détroits et canaux : Selon la Convention des Nations Unis sur le droit de la mer, le trafic maritime dans un canal est soumis à la règlementation juridique du seul pays qui le contrôle (Egypte pour le Canal de Suez, Panama). Le pays doit garantir une libre circulation des bateaux, assurer une surveillance du trafic et maintenir en état les infrastructures. En revanche, les détroits stratégiques sont régis par le droit international. Les détroits internationaux font partis des espaces maritimes annexés au territoire terrestre. Ce sont donc les Etats riverains qui exercent leur souveraineté sur ces passages. Ils sont tenus de coopérer pour en assurer la sécurité, ce qui a entrainer certaines frictions entre Etats. (Ex : détroit de Malacca est contrôlé par la Malaisie, Singapour et l’Indonésie) Les moyens classiques nationaux de sécurité utilisés : outils d’aide à la navigation pour éviter les accident/scollisions Radars pour détecter les embarcations suspectes ou des anomalies dans le trafic satellites pour observation des flux et détection Mais les enjeux liés à la sécurité des approvisionnements en énergie sont trop importants pour laisser les Etats riverains seuls assurer la sécurité des détroits. Et l’on constate une implication renforcée depuis 2001 des grandes puissances (France, Etats-Unis, Inde, Chine) et de leur moyens de défense. Moyens militaires L’intervention de moyens militaires étrangers dans ces espaces territoriaux ne peut se faire qu’avec accord du pays (ex: base militaire) ou dans le cadre de coopérations militaires. Implantation de bases militaires étrangères aux abords des détroits La proximité de ces bases par rapport aux détroits permet une surveillance efficace et une intervention rapide en cas de menace. > Les USA : base à Djibouti (Bab El-mandab), en Egypte (Canal de Suez), plusieurs en Arabie saoudite (Ormouz), base à Gouam (Mer de Chine et le détroit de Malacca) Depuis 2001 et la politique internationale de lutte contre le terrorisme, on observe un redéploiement accrue dans certaines zones « sensibles » en Asie du Sud Est avec 78 000 troupes navales et concentration forte en Indonésie (lutte contre piraterie/terrorisme) en Afrique de l'Est, dans le Golfe persique (Mer Rouge, Golfe d'Aden) dans l'Océan Indien. > Chine : multiplication de bases militaires dans les îles entourant le détroit de Malacca (« le collier de perles ») France : maintien des bases stratégiques héritées de la décolonisation. Djibouti assure en partie la sécurité du détroit de Bab El Mandab Coopération militaires maritimes: Les accords de coopération militaires permettent aux grandes puissances: 1/ de participer à surveillance maritimes des zones maritime qu’elles considèrent comme stratégiques pour leur approvisionnement en énergie + légitimer leur présence : manœuvres navales conjoints. Ex :patrouilles communes Inde/Etats-Unis dans le détroit de Malacca (2000 en 2002 contre 25 en 1998), Inde/Chine depuis 2003 dans l’Océan Indien et en Mer de Chine, mais aussi Japon /pays de l’ASEAN dans la mer de Chine. Ex : Dans le canal de Panama > manœuvres navales conjointes programmées entre Etats-Unis/qq pays d’Amérique latine (officiellement lutte contre l’immigration et trafic de drogues, mais également pour flux énergétiques) Coopération pour renforcer les capacités de surveillance (maritimes) des armées locales Ex : 300 0000 militaires d’Asie du Sud formés dans la base américaine d’Hawaï > contre le terrorisme Ex: base française de Djibouti forme les gardes côtes locaux Coopération renforcée depuis 2001 entre services de renseignements locaux et étrangers : échanges d’images satellites, transmission d’informations pour prévenir toute attaque ou toute menace. Conclusion: Globalement, les attentats de 2001 ont servi à justifier en partie l’implication de la politiques de défense dans le domaine de l’énergie. L’implication de moyens militaires dans les détroits montre bien le caractère stratégique de ces zones et rappelle que la sécurité de l’approvisionnement énergétique est une priorité pour les grandes puissances.