Nouveaux apports sur l’identification du Syndrome d’Ehlers-Danlos, son traitement et l’inclusion sociale en 2013 Professeur émérite Claude Hamonet Faculté de Médecine de Créteil, Université Paris-Est-Créteil (UPEC) Consultation Ehlers-Danlos, Hôtel-Dieu de Paris. Cliniques Universitaires Saint-Luc, UCL, 14 septembre 2013 Bruxelles. Journée d’éducation thérapeutique organisée par l’Association Apprivoiser le Syndrome d’Ehlers-Danlos (ASED) en collaboration avec le Pr. Daniel Manicourt Avec le support de la Fondation de France.
Une naissance difficile Le Syndrome (ou maladie) d’Ehlers-Danlos est l’expression clinique d’une atteinte du tissu conjonctif d’origine génétique, touchant la quasi-totalité des organes (80% environ des constituants d’un corps humain), ce qui explique la richesse de sa symptomatologie. La description initiale est le fait de deux dermatologues : Edvard Ehlers à Copenhague, en 1900, et Alexandre Danlos, à Paris, en 1908. De ces premières descriptions, initialement dominées par les signes cutanées, les médecins ont retenu, la présence d’une peau étirable, d’une part et d’une mobilité articulaire excessive, d’autre part.
Ehlers, excellent descripteur du SED (Copenhague, 15 déc 1900, sur un étudiant en Droit)
Une maladie génétique, sans gène, victime de la dépréciation de la Clinique dans la pratique médicale actuelle La symptomatologie qui conduit au diagnostic, est uniquement clinique, basée sur l’écoute de patient et de sa famille, l’examen clinique de la peau et des articulations. Il n’y a pas de test génétique disponible, ni de test biologique ou histologique fiable et spécifique. L’imagerie articulaire est d’aucune aide au diagnostic si ce n’est par sa négativité. Bref, pour la Médecine, très imprégnée de biologie et d’imagerie qui est le plus souvent celle pratiquée aujourd’hui, ces patients sont invisibles pour les médecins et intermittents pour les patients.
Connaître le risque artériel, le prévenir et le traiter, un nouveau progrès dans la maladie d’Ehlers-Danlos plutôt qu’une dramatisation abusive dans un contexte déjà difficile. Plus récemment, l’accent a été mis sur des manifestations artérielles graves (anévrysmes, dissections) dans le syndrome d’Ehlers-Danlos et largement diffusé dans les publications médicales internationales. Ce type de maladie d’Ehlers-Danlos reste exceptionnel mais a polarisé l’intérêt des médecins, certains voulant se mobiliser que pour ce type de syndrome, délaissant les formes de très loin majoritaires qui sont, de ce fait, vraiment orphelines. En fait les atteintes de la paroi des artères ne sont pas l’apanage des formes que l’on a qualifiées de «vasculaires», et doivent être dépistées systématiquement dans tous les syndromes d’Ehlers-Danlos pour être surveillées et, si besoin, traitées.
De la transmission familiale et du contexte génétique de la maladie d’Ehlers-Danlos. Le caractère génétique de la maladie ou syndrome d’Ehlers-Danlos, n’est discuté par personne. C’est d’ailleurs un des arguments majeurs du diagnostic clinique: la découverte de cas familiaux identiques dans la famille. La transmission, à l’exception de formes rarissimes, est autosomique et donc indépendante du sexe. Ce mode de transmission implique que les deux sexes sont concernés. Pourtant, nous avons observé deux particularités : la nette prédominance féminine et le non respect des lois de Mendel dans le mode de transmission.
De la prévalence (nombre de cas existants) de la maladie d’Ehlers-Danlos dans la population française. Le nombre de cas annoncé par les sites spécialisés est très nettement sous-estimé (quelques milliers de cas). En effet, à partir d’une seule consultation, nous avons identifié 1600 dossiers en une quinzaine d’année et reçu 850 personnes avec un SED, à l’Hôtel-Dieu de Paris en 2012. Le chiffre moyen des cas adressés par les médecins généralistes français qui ont appris à connaître les clés du diagnostic, à partir d’un premier patient que nous avons identifié, oscille entre 2 et 6. Le nombre de médecins généralistes inscrits au Conseil national de l’Ordre français est de plus de 100.000, dont 55.000 exercent exclusivement la Médecine générale selon la Caisse Nationale d’Assurance maladie. En combinant ces données, on arrive à un résultat qui se chiffre en centaine de milliers de personnes. C’est donc, aujourd’hui, un très important problème de santé publique pour les Français.
De l’interrogatoire et de l’examen clinique au diagnostic : six signes majeurs et l’argument familial font la preuve (Evidence based medicine) - Les douleurs (tout le corps est douloureux !) : articulaires et périarticulaires (98%), 82% cotées à 3 ou 4); musculaires (82%), abdominales (77%), thoraciques (71%), génitales (75%), migraines (84%), hyperesthésie cutanée (39%). Les douleurs articulaires sont les plus fréquentes. Les femmes souffrent plus que les hommes. - La fatigue (96%) - Les troubles proprioceptifs et du contrôle du mouvement (décrits par Ehlers le 15 décembre 1900, («ataxie »): pseudo-entorses (86%); luxations (90%). - L’hypermobilité, 97% - Les altérations de la peau : minceur (91%); fragilité (87%), vergetures (64%); retard de cicatrisation (85%). - Les hémorragies, décrites par Ehlers le 15 décembre 1900 (92%). - Le caractère familial (incluant les formes frustes, incomplètes ou partielles) : 97% des cas.
Regrouper tous les éléments cliniques et paracliniques liés à la maladie d’Ehlers-Danlos pour un diagnostic complet. (Résultats sur les 644 premiers cas). Manifestations gastro-intestinales : reflux gastro- oesophagien (80%), constipation (74%), ballonnements (70%). Manifestations respiratoires : dyspnée : (85%), « blocages » respiratoires avec sensation d’étouffement (65%). Manifestations bucco-dentaires: articulations temporo-maxillaires, (71%). Manifestations ORL: hyperacousie (89%), hypoacousie, voire surdité (57%), acouphènes: (69%), hyperosmie : (69%), vertiges : (80%) Manifestations ophtalmologiques : fatigue visuelle (86%), myopie (56%). Manifestations gynécologiques et obstétricales : règles abondantes (78%), accouchements difficiles (78%). Dysautonomie : frilosité (77%), sudations abondantes,(74%), pseudo syndrome de Raynaud (74%), accélérations du rythme cardiaque (66%), Manifestations vésicosphinctériennes: difficultés à uriner, envies pressantes. Manifestations cognitives : altération de la mémoire de travail (69%), S’ajoutent, parfois, des manifestations de dystonie (mouvements involontaires, tremblements…). Le diagnostic est tardif (21 ans, en moyenne, chez les femmes)
Synthèse sur le syndrome d’Ehlers-Danlos C’est une affection génétique à transmission autosomique touchant de façon diffuse mais variable l’ensemble du tissu conjonctif Ce n’est plus une « maladie rare » mais un syndrome fréquent méconnu, ignoré, voire refusé, dont le diagnostic est très tardif. Il n’y a pas de test génétique, le diagnostic repose sur les seuls signes cliniques. Il existe des traitements symptomatiques efficaces adaptés au SED qui apportent une amélioration, dès maintenant, appréciable. Ils s’inscrivent dans une conduite thérapeutique générale de précaution, de prévention, de connaissance des pièges diagnostics et d’éducation des personnes concernées et de leurs proches.
Cinq signes cliniques simples d’orientation Vous cognez-vous dans les portes les embrasures de portes ou les meubles ? (signe de la porte = trouble proprioceptif). Recevez-vous une sensation de décharge électrique lorsque vous saisissez la portière d’une voiture ou en touchant un objet métallique (caddy) ? (signe de la portière = peau fine et conduction électrique excessive). Mettez-vous des chaussettes le soir pour dormir ? (Signe de la chaussette = existence d’un pseudo syndrome de Raynaud avec pieds froids, très fréquent dans le syndrome d’Ehlers-Danlos, exprimant le désordre neurovégétatif du syndrome). Un équivalent : la bouillotte. Etes-vous handicapé ou gêné pour comprendre une conversation lorsque plusieurs personnes parlent à la fois ? (signe du brouhaha = dysacousie fréquente dans le SED et hyperacousie encore plus fréquente). Une idée pousse-t-elle une autre ? (Signe du coq à l’âne = trouble attentionnel).
Les objectifs du traitement 1- Soulager les douleurs. 2- Lutter contre la fatigue. 3- Retrouver un sommeil calme et réparateur. 4- Corriger les troubles proprioceptifs et redonner au corps ses sensations. 5- Supprimer les reflux gastro-oesophagiens. 6- Régulariser le transit intestinal. 7- Corriger la dysurie ou les urgenturies. 8- Corriger le manifestations ORL. 9- Agir sur la fatigue visuelle. 10- Rééduquer la mémoire, l’attention, la concentration, les désordres visuo-spatiaux. 11- Corriger les désordres neurovégétatifs (palpitations, sueurs, extrémités froides, frilosité, malaises…)
Les bases méthodologiques des traitements à partir de l’analyse du mécanisme des symptômes 1- La fragilité et la distensibilité des tissus (peau et muqueuses) 2- La non ou la mauvaise transmission des signaux par les capteurs vers les centres de régulation et de décision, ce qui concerne le système pyramidal, extrapyramidal et neurovégétatif. 3- La réactivité excessive et diffuse aux sensations douloureuses. 4- Des lésions intra cérébrales de fibres de liaison qui pourraient contribuer à expliquer : troubles du sommeil, troubles proprioceptifs, troubles de perception de l’espace, de mémoire de travail et d’attention. C’est à partir de ces données que l’on a essayé de structurer un traitement.
Les traitements 1- La Proprioception du tronc et des membres orthèses : ORTHESES PLANTAIRES, orthèses palmaires, de genou, de poignet, de coude, d’épaules Ceinture lombaire ou thoracique, colliers Orthèses rigides (Coques, corsets, attelles cruro-pédieuses, orthèses de marche classiques ou avec pièce de Hanche ou de Chignon, chaussures orthopédiques) VETEMENTS PROPRIOCEPTIFS / COMPRESSIFS.++++ Coussins, matelas, dosserets, oreillers mémoire de forme. Bas de contention, bandes Biflex. Kinésithérapie et kinébalnéothérapie proprioceptive 2- Proprioception respiratoire et oxygénothérapie++++ PERCUSSIONNAIRE (fréquence rapide : 700/minute) OXYGENOTHERAPE A DOMICILE, AU TRAVAIL ET A L’ECOLE, kinésithérapie respiratoire. 3- Traitements antidouleurs TENS, VERSATIS, INFILTRATIONS de lidocaïne, CHALEUR, flector, Masso-Kinésithérapie et kinébalnéothérapie,Tramadol, Acupan, Baclophène, lévocarnil, O2 (migraines), Injections de lidocaine, hypnose…orthèses, cures thermales, 4- Traitements anti-fatigue : O2++++, Lévocarnil. 5- Autres : gastro-intestinaux (oméprazole), vésico-sphinctériens (ditropan), orthophonie (mémoire, attention) orthoptie, cutanés, gynécologiques, ENDOCRINIENS. Vitamine D, fer.
Le pied et les orthèses plantaires :
Ceinture + vêtements.
Lombaskin & Elcross
Siège moulé pour un enfant
Orthèse de marche CDO : abandon du fauteuil roulant
Orthèse CDO à tracteur élastique
Orthèse CDO à tracteur élastique
Orthèse de fonction en Néofrakt
Orthèse de repos en Néofrakt
Orthèse de préhension en prêt à porter
Rééducation proprioceptive
Le système de santé, une cotte mal taillée pour le SED 1- Séparation adultes et enfants (difficile de suivre une famille), 2- Services de médecine et de chirurgie trop « spécialisés » sur un ou des organes. Découpages inadéquats pour le SED en orthopédie, rhumatologie, neurologie, maladies musculaires, centres de traitements de la douleur, orientation par maladies… 3- Prédominance diagnostique des examens complémentaires (IRM, immuno, allergo) sur la clinique , 4- Tendance catastrophique à psychiatriser : stress, dépression, hypomanie, syndrome somatomorphe ou bipolaire. 5- Un absent de taille pour une maladie « inventée » par leur spécialité : les dermatologues qui, pour la majorité, ne la connaissent plus. La Médecine Physique et de réadaptation avec son approche globale mais, là aussi, on « fragmente, on découpe le corps humain » (rééducation ortho, neuro, cardiaque, respiratoire…) Difficile de se « glisser » pour le SED qui, de plus, fait peur... L’apport de la médecine interne sera considérable mais implique une reconversion totale du regard porté sur cette maladie et l’inclusion des traitements nouveaux qui ont acquis droit de cité par leur efficacité.
Les embûches diagnostiques dans le syndrome d’Ehlers-Danlos La diversité des symptômes conduit à la situation suivante : 1- Le médecin connait le syndrome et va le discuter devant des manifestations, articulaires, digestives, respiratoires… 2- Le médecin ne le connait pas et on se retrouve dans la situation évoquée par Osler : « un médecin qui ne connait pas les livres est comme un marin qui s’embarque sans carte. Quant au médecin qui ne connait pas le malade, il vaut mieux qu’il ne prenne pas la mer »
Errances diagnostiques… 21 ans en moyenne ! Les diagnostics les plus souvent évoqués ou portés avant celui de Syndrome d’Ehlers-Danlos (Résultats d’une enquête, effectuée avec 118 personnes avec un syndrome d’Ehlers-Danlos.) Troubles « psychiques » (« c’est dans la tête » ou « hystérie » : 78 fois Maladie rhumatismale (sauf fibromyalgie): 47 fois Fibromyalgie : 42 fois Maladie neurologique : 41 fois (dont 16 fois Sclérose en plaque) Maladie de Marfan : 22 fois Syndrome des enfants battus : 19 fois Maladie de Crohn ou caeliaque : 18 fois L’asthme très souvent mais non chiffré dans cette enquête.
Les précautions élémentaires Risque hémorragique : pas d’anticoagulant ou d’antiagrégants, attention lors de la chirurgie et des endoscopies. Fragilité artérielle : pas de manipulation, pas de ponction artérielle. Fragilité tissulaire en général : attention aux sutures, éviter les PL. Inefficacité des anesthésiques locaux (chirurgie dentaire, péridurales).
Nodules, tumeurs, kystes, calculs et SED Des kystes et nodules peuvent se rencontrer dans le Syndrome d’Ehlers-Danlos : ovaires, thyroïde, foie, aisselles, creux poplité… Des calculs sont fréquents au niveau de la vésicule biliaire : il faut les enlever : risque d’infection et de perforation. L’échographie est systématique.
Le futur, les raisons de vivre 1 - Un objectif majeur : savoir identifier le SED du côté des médecins et du côté des organismes médico-sociaux mais aussi du public (attention à la stigmatisation). 2 - Un deuxième objectif parallèle : mieux soulager et traiter. 3 - La procréation : Intégrer les nouvelles données sur la transmission et prévenir les incidents de l’accouchement. 4 - Un espoir dans les traitements « futuristes » agissant sur gènes ou le collagène.