Groupe de travail Lycée, 16 mai 2012

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Transcription de la présentation:

Groupe de travail Lycée, 16 mai 2012 L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale (Terminales L/ES) Pistes de réflexion et proposition de séquence Groupe de travail Lycée, 16 mai 2012 Cécile Vast, professeur d’histoire-géographie, collèges Jules Jeanneney (Rioz) et Clairs-Soleils (Besançon)

Extrait du « Bulletin officiel spécial n°8 » du 13 octobre 2011 « Le rapport des sociétés à leur passé » : réflexion sur le contexte, et les conditions (apaisées et/ou conflictuelles) dans lesquelles les différentes sociétés envisagent et construisent leur rapport au passé, en termes d’identité, de références culturelles et patrimoniales, d’usages politiques et mémoriels.

« Les mémoires : lecture historique » suppose d’introduire dans la problématique de la séquence une réflexion sur la distinction mémoire / histoire (objectifs différents de fidélité / vérité). Envisager les mémoires comme objet d’étude pour l’historien (cf. Pierre Nora, entre autres…)

« L’historien et les mémoires » : mener une réflexion sur diversité des mémoires sociales d’un événement et de leurs formes d’expression jusqu’à nos jours. Utilisation du pluriel (« mémoires » sociales, pluralité des expériences) préférée au singulier (« mémoire collective », notion floue) « Une étude au choix » : choix entre deux périodes historiques, la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) ou la guerre d’Algérie (1954-1962).  deux objets de nature différente, mémoire (fidélité) / histoire (vérité)  rôle et place du discours de l’historien face aux usages sociaux, politiques et mémoriels du passé, historiographie  l’historien et les témoins  les mémoires, objet d’histoire

Indications bibliographiques La question du rapport de la société française au souvenir de l’Occupation et de Vichy n’est pas neuve, elle est rapidement investie et fait l’objet d’écrits dès la Libération. Des essais venus d’horizons différents installent un certain discours sur le rapport des Français à leur passé proche (culpabilité, mauvaise conscience, ingratitude, difficulté à assumer le passé, etc.). Deux exemples, parmi d’autres : 1) Du côté des résistants, l’élitisme, l’amertume et le désenchantement inspirent l’idée d’une nation oublieuse et ingrate :  Jean Cassou, La mémoire courte, Éditions de Minuit, 1953 (réédité aux Mille et une Nuits, 2001)  Henri Michel, Quatre années dures, Grasset, 1945 (un « roman-témoignage » écrit par l’historien de la Seconde Guerre mondiale) 2) La littérature des hussards (Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent, Marcel Aymé) participe également à diffuser et populariser une certaine représentation (mauvaise conscience, veulerie, « résistantialisme »)  Marcel Aymé, Uranus, Gallimard, 1948  Roger Nimier, Les épées, Gallimard, 1948

Indications bibliographiques Stanley Hoffman, Essais sur la France. Déclin ou renouveau ?, Seuil, 1974 L’historien américain revient sur son enfance dans la France occupée et nuance l’image de l’attitude des Français proposée par le film Le chagrin et la pitié. Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Seuil, 1987 Dans cet ouvrage pionnier, Henry Rousso revient sur le caractère obsessionnel du souvenir de Vichy depuis la Libération, et avance quelques interprétations sur le rapport des Français à Vichy. La plus connue est celle du « résistancialisme » ou du « mythe résistancialiste » : les Français se seraient pensés résistants pour couvrir leur mauvaise conscience. Annette Wieviorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Plon, 1992 Une interprétation de la place respective et successive des mémoires des différentes formes de déportations (persécution et répression). Pour A. Wieviorka, au souvenir dominant de la déportation de répression, symbolisée par Buchenwald, succède à partir des années 1980 celui du génocide, symbolisé par Auschwitz. Robert Frank, « La mémoire empoisonnée » in AZÉMA (Jean-Pierre) et BÉDARIDA (François) [dir.], La France des années noires, Seuil, 1993 Article fondamental pour le sujet, qui reprend des articles antérieurs publiés depuis 1980 : il aborde la pluralité des mémoires de la Seconde Guerre mondiale, les acteurs et les vecteurs, le rôle des historiens, une chronologie fine et nuancée.

Indications bibliographiques Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, 1994 Le livre reprend les développements du Syndrome de Vichy et revient sur l’épisode Mitterrand, notamment. L’expression est passée à la postérité ! Pierre Laborie, « Historiens sous haute surveillance » in Esprit, janvier 1994 Une réflexion sur les rapports entre historiens et témoins, sur les difficultés à écrire une histoire sous le regard pressant des témoins. Jean-Marie Guillon, « La Résistance, cinquante ans et deux mille titres après » in GUILLON (Jean-Marie) et LABORIE (Pierre), Mémoire et Histoire : la Résistance, Toulouse, Privat, 1995 Un article, réduit ici aux mémoires de la Résistance et à son historiographie, en relation avec d’autres événements marquants de la SGM (Vichy, génocide, Occupation, etc.) Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, 1996 Antoine Prost consacre de nombreux chapitres au rôle social de l’historien, à la place de son discours confronté à d’autres usages du passé.

Indications bibliographiques Cahier spécial du journal Libération à propos de la table ronde organisée en mai 1997 à la demande des époux Aubrac http://www.liberation.fr/cahier-special/0101220489-special-aubrac-raymond-aubrac-et-si-les-historiens-nous-posaient-des-questions-samedi-17-mai-1997-a-liberation-lucie-et-raymond-aubrac-se-sont-confrontes-aux-questions-de-huit-historiens-a-propos-de-l Ensemble des discussions et des réactions : historiens de la Résistance (Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, Laurent Douzou, Henry Rousso, Maurice Agulhon) et témoins (Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Daniel Cordier, Jean-Pierre Vernant). Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, 2000 Ouvrage -difficile- d’un philosophe de la phénoménologie qui apporte une réflexion essentielle sur les rapports entre l’histoire et la mémoire. Paul Ricœur s’appuie sur de nombreux exemples empruntés à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, et commente les ouvrages des historiens cités précédemment. Pierre Laborie, Les Français des années troubles, Seuil, 2003 Un recueil d’articles précédé d’un long avant-propos essentiel : Pierre Laborie revient sur le rôle social de l’historien, les difficultés et les spécificités de l’histoire du « très contemporain » confronté à d’autres discours et d’autres usages du passé. Pieter Lagrou, Mémoires patriotiques et occupation nazie, Bruxelles, Complexe, 2003 Une comparaison européenne des mémoires de la Seconde Guerre mondiale par un historien belge.

Indications bibliographiques Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse, Seuil, 2005 Un essai d’historiographie sur l’écriture de l’histoire de la Résistance : place et rôle des acteurs-témoins, rôle central du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, renouvellement des questionnements historiques, place de l’histoire de la Résistance aujourd’hui. François Marcot [dir.], Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006 De très nombreux articles abordent la question des mémoires de la Résistance. Pierre Laborie, « Acteurs et historiens dans l’écriture de l’histoire de la Résistance » in DOUZOU (Laurent) [dir.], Faire l’histoire de la Résistance, Presses universitaires de Rennes, 2010 Des rappels épistémologiques très utiles sur les intentions divergentes des historiens et des acteurs dans l’écriture de l’histoire. Olivier Wieviorka, La mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres de la Libération à nos jours, Seuil, 2010 Une mise en perspective des politiques publiques de la mémoire, vue « d’en haut » (pouvoirs publics, acteurs politiques et associatifs), sans vraiment aborder la question des mémoires sociales.

Indications bibliographiques Guerre mondiale, guerre totale, Gallimard-Mémorial de Caen, 2010 Catalogue de la nouvelle exposition permanente du Mémorial de Caen avec des textes rédigés par Denis Peschanski, Pierre Laborie et Jean Quellien. Un chapitre sur « Mémoires et histoire » Pierre Laborie, Le chagrin et le venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues, Bayard, 2011 La première partie du titre est une référence évidente au film de Marcel Ophuls Le chagrin et la pitié. Avec les travaux d’Henry Rousso et de Robert Frank, c’est sans doute l’ouvrage à lire pour aborder le sujet : généalogie de la « vulgate » sur l’attitude des Français sous l’Occupation, impact, réception et usages du film Le chagrin et la pitié, regard critique sur les manuels scolaires, rôle des médias, place des historiens, retour et analyse de la table-ronde de Libération et de ses enjeux… Michèle Zancarini-Fournel et Christian Delacroix, La France du temps présent, 1945-2005, Belin (Histoire de France), 2010 Quelques exemples et quelques documents sur les questions mémorielles autour de la Seconde Guerre mondiale et des conflits coloniaux. Nicolas Beaupré, 1914-1945. Les grandes guerres, Belin, 2012 Un très gros, très lourd et très beau « pavé » pour aborder en toute sérénité le programme de première !!

Proposition de mise en œuvre Deux propositions à réaliser en 4-5 heures : Scénario 1 : sommatif 2) Scénario 2 : plus inductif, avec sujet d’études et mise en perspective

SCÉNARIO N°1 I - Histoire et mémoire : des fonctions et des objectifs différents Les mémoires  Elles se placent du côté de la fidélité, de l’affirmation identitaire, souvent liées aux événements traumatiques, elles expriment une singularité 2) L’histoire Une démarche d’interprétation, d’explication, de compréhension et d’intelligibilité, l’histoire se donne pour objectif la recherche d’une vérité, elle vise aussi à se libérer du passé (Lucien Febvre : « L’histoire est un moyen d’organiser le passé pour l’empêcher de trop peser sur les épaules des hommes »), « universalité » II - Un événement, plusieurs mémoires  Pluralité des mémoires et des expériences de la SGM (génocide, Vichy, occupation, résistance, prisonniers, soldats de 1940, etc.) Diversité des acteurs, des vecteurs, des expressions Diversité et périodisation des usages et discours sur le passé (voir article de R. Frank) III - L’historien face aux discours mémoriels et aux usages du passé Histoire est une construction et une interprétation Historiographie et débats historiographiques (plusieurs interprétations, exemple de Rousso-Laborie) Rôle social de l’historien, etc.

SCÉNARIO N°2 I - Sujet d’étude : Les comportements des Français sous l’Occupation, mémoires et histoire Objectif : montrer l’écart entre les discours mémoriels, souvent « réducteurs », reconstruits, singuliers, fractionnés, et les résultats du travail de l’historien Partir d’un jugement récurrent, d’une idée reçue, d’une « vulgate » ressassée sur les comportements des Français sous l’Occupation Analyse de l’entretien donné par Daniel Cordier à Libération le 11 avril 2012 à la suite du décès de Raymond Aubrac (voir diapo suivante) Qui parle ? (un témoin) D’où parle-t-il et qui est-il ? (fidélité à Jean Moulin, ancien résistant) Quelle mémoire de la SGM exprime-t-il ? (celle de la Résistance) Quelle est son interprétation de l’histoire ? Quel jugement porte-t-il (caractère minoritaire de la Résistance appuie l’idée d’une majorité de Français « attentistes ») Entreprendre un travail de déconstruction - décryptage de ce discours, apporter un éclairage historique, montrer l’écart entre ce que nous apprend le travail de l’historien et le discours mémoriel, les jugements rétrospectifs Confronter cet entretien avec un texte d’historien sur la réalité et la complexité des comportements. II - Mise en perspective : l’historien et les mémoires de la SGM  Reprise du plan en 3 parties vu précédemment : 1) Mémoires et histoire - 2) Un événement, plusieurs mémoires - 3) Le rôle de l’historien  Introduire d’autres documents, d’autres exemples de mémoire (génocide), d’autres supports (extraits de films)

Entretien de Daniel Cordier dans le journal Libération à la suite du décès de Raymond Aubrac, 11 avril 2012 : « Très peu de Français ont été courageux. Les Aubrac le furent » «Les gens n’aiment pas l’Histoire, ils aiment la petite histoire. Les choses à côté. Au jour même de la mort de Raymond Aubrac, les questions autour de son arrestation et de son évasion sont secondaires. On doit garder le souvenir d’un homme qui s’est admirablement conduit dans une époque où la majorité des Français a trahi la France. Je pense que c’est le moment de rappeler comment se sont comportés l’ensemble des Français. Combien étions-nous à Londres ? La première fois que j’ai vu le général de Gaulle, le 6 juillet 1940, nous étions tous en civils, à peine 2 500 dont 800 hommes de la Légion étrangère. Voilà exactement ce que représentait alors l’armée de De Gaulle, un mois après la signature de l’armistice. Tandis que "l’armée de l’Armistice" de Pétain était constituée de 100 000 hommes. Les Français ont été des lâches et très peu ont été courageux. Les Aubrac le furent. Et je tiens à les saluer aujourd’hui. »