Le travail psychique de l’adolescence et quelques avatars Education nationale, Rennes, le lundi 4 mai 2009 “Comprendre les adolescents difficiles” Professeur Alain Lazartigues Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent CHU Brest JE 2535, UBO 1 1
Changements sociétaux Economique et technologique : (N)TIC, mondialisation La démocratie a pénétré dans la famille L’individualisme : les deux révolutions Le déclin de l’autorité, la montée du consensus comme norme idéale, la généralisation de la négociation et l’augmentation du rapport de force pour gérer les conflits dans la famille Le changement du cadre des genres : disparition de la complémentarité du masculin et du féminin Les médias dans la société et dans la famille : nouvelles sociabilités, nouveau rapport à l’absence, nouvelle présence (virtuelle)…. La temporalité : présent et immédiateté 2 2
Changements familiaux L’axe de l’alliance L’état s’est désengagé de l’alliance : le couple privatisé est devenu précaire en raison de la place centrale donnée aux affects trajectoire familiale, constellation familiale complexe, pluriparentalité Individualisme et amour dans le couple « libres ensemble » (de Singly), épanouissement recherché par le partenaire … L’axe de la filiation Juridique : renforcement de la filiation Socialement, la famille naît lorsque l’enfant paraît L’enfant et la filiation deviennent le seul point fixe de la famille Nouveau statut de l’enfant L’enfant du désir, rare, surinvesti, L’enfant du désir : pour soi, enfant roi, parfois tyran « Bébé est une personne » : l’enfant dès sa naissance est membre de notre société (avant, il fallait qu’il soit éduqué pour entrer dans la société) Convention des droits de l’enfant (1989) loi 4 mars 2002 l’intérêt de l’enfant est CENTRAL 3 3
Changements familiaux Genre et parentalité : deux problématiques Disparition du lien aux genres des fonctions maternelle et paternelle une fonction parentale, indépendante du genre, remplie par UN, ou DEUX parents, en général, de sexes différents, parfois de même sexe, ou par PLUS de 2 personnes (pluriparentalité), associant les soins, la proximité et la continuité relationnelle, la tendresse (fonction “maternelle”) et la fonction tierce (fonction « paternelle ») * Changement dans l’organisation des genres : PACS, bisexuels, trans le genre ne se vit plus par rapport à l’autre sexe (comme dans le monde moderne) D’où la question de la construction de l’identité sexuelle et des identifications offertes aux enfants : avoir deux « papas », deux « mamans », un papa qui est devenu « maman »… 4 4
Changements familiaux Les nouvelles coordonnées de la famille * Pour régler les relations entre personnes : Dans l’idéal, par le consensus (l’esprit démocratique a gagné aussi la famille et à un moindre degré l’école) Parfois, par le mode aléatoire : ce sont les relations entre “particules élémentaires” (Houellbecq) Le plus souvent le mode mosaïque avec le mode consensuel pour certains domaines (vacances, loisirs), le mode aléatoire pour les autres, avec parfois un domaine où persiste le principe d’autorité (parfois école, souvent les interdits de protection) Expression de l’individualisme En lieu et place de l’autorité qui est l’expression des nécessités et du pouvoir du collectif sur l’individu *La valeur centrale acceptée : l’hédonisme En lieu et place du devoir, expression des nécessités et du pouvoir du collectif 5 5
Changements familiaux Disparition des fondements de la fonction paternelle il n'est plus le chef de famille (1970) il n'est plus institutionnement le père des enfants de son conjoint : possibilité par la génétique de le contester La fonction tierce n’est plus nécessairement portée par le père ET les hommes doivent reconstruire l’identité de père Place croissante des médias auprès de l’enfant Très sous-estimée par les professionnels, peu explorée et utilisée dans les approches éducatives et thérapeutiques Fonction de Troisieme parent, contribuant à la présentation du monde à l’enfant, lui donnant des connaissances d’accès directes, des modèles de comportements et des valeurs (pour faire de lui un consommateur sous-corticalisé, mais avec aussi des éléments positifs) autonomisation plus grande et plus précoce : réduction du contrôle parental sur la sociabilité de l’enfant développement plus ou moins importants de réseaux de pairs : Facebook, MSN, Blogs, portables... - Développement d’un fonctionnement Autodidacte dans les apprentissages conséquences pour la transmission des savoirs, et donc pour les enseignants ! 6 6
Changements familiaux Problématique des âges de la vie Dans toute société, découpage de la vie en périodes spéciques : les âges de la vie (Archimboldo) * Les grands adolescents ont un statut d’adulte : pouvoir d’achat, sorties, vacances, liberté sexuelle (rapport sur la réforme des lycées de 06.09 : “les élèves sont de jeunes adultes”) Difficile d’exercer une autorité sur eux * L'adolescence s’étend : “adonaissants”, lolitas ET adolescence interminable (film Tanguy) * L'adolescence est un modèle pour tout adulte : on pourrait changer de métier, de conjoint, de lieu de vie toute sa vie... Les jeunes adules retardent les engagements (forcément limitants) sur un modèle adolescent, et sont peu désireux d’assumer leurs rôles parentaux, dont le rôle d’éducateur : dire non, imposer des modèles, des normes, des valeurs... 7 7
Changements dans la parentalité L’exercice de la parentalité Grande proximité affective parent-enfant Peu d’« interdit du toucher » (Anzieu) avec les nourrissons Pas de « non au non de l’enfant » vers deux-trois ans Soutien à l’expression pulsionnelle Peu de contraintes de socialisation (règles de civilité, manières de la table…) laissée aux institutions Défaut de la fonction pare-excitations +++ Soutien au fantasme de toute puissance du jeune enfant Environnement (en particulier médiatique, mais aussi parental) très excitant +++ Autonomisation précoce et liberté croissante d’accéder aux médias Réduction de la différenciation, de la transformation et de la maîtrise pulsionnelle, avec diminution de la force des instances Surmoi et Idéal du moi, comme des mécanismes de défense permettant de lutter contre l’angoisse et de mieux contrôler les pulsions. 8 8
Changements dans la parentalité Nouveaux enfants/nouveaux adolescents Actif, vif, peu inhibé, très explorateur, séducteur, pouvant être charmant, expert en jeux de consoles et d’ordi, une identité étendue grâce à plusieurs blogs, un portable, et ayant beaucoup de contacts sur MSN, mobile, presque toujours en mouvement… Intolérant à la frustration, facilement agressif, bruyant, peu respectueux des règles de civilité, pouvant utiliser l’autre, testant les limites de l’adulte, avec une sensibilité à la séparation, et une grande dépendance à l’environnement, aux réactions de l’entourage… Nouvelle personnalité de base A chaque société correspond une organisation de la personnalité, dite personnalité de base :adaptée aux exigences sociales spécifiques La société moderne (autorité, conflit, refoulement) personnalité névrotico-normale troubles névrotiques : anxiété, phobie, hystérie, TOC, inhibition La société contemporaine (individualisme, authenticité, spontanéité, clivage) personnalité narcissico-hédoniste troubles anxieux et dépressifs, perversion narcissique, psychopathie a minima 9 9
Adolescence et culture : Sociétés traditionnelles Le phénomène de l’adolescence n’a pas toujours existé Dans les sociétés traditionnelles, la pérennité de la société exige la Reproduction de l’ordre social de la génération en place la nouvelle génération se doit de reproduire cet ordre avec peu de changements D’où des rituels de passage L’adolescence comme période de transition, qui n’est ni l’enfance, ni l’âge adulte, n’existe pas dans la durée. 10 10
Adolescence et culture : Sociétés traditionnelles Peu après l’apparition de la puberté, des rituels de passage marquent d’une manière forte, le passage du statut d’enfant au statut d’adulte. Ces rituels associent métaphoriquement : L’abandon de l’enfance, et des liens de l'enfant avec le monde adulte, L'abandon du corps tranquille de l'enfance, L'abandon du statut d’enfant (protection, jeux, dépendance, assujettissement...), Au travers de la réussite à des épreuves exigées par le groupe, réalisées en présence du groupe, Dont certaines présentent des risques pour le corps et exigent un certain courage. Au terme de cette étape de transition, l'enfant entre dans le monde adulte et accède à son nouveau statut d'adulte. 11 11
Adolescence et culture : Sociétés traditionnelles Les rituels de passage ont des caractéristiques particulières. Ils sont Imposés par la société Mis en scène en présence de la communauté Ils laissent des traces (scarifications par exemple) Ils impliquent un lien voulu (mais pas souvent vécu de façon ambivalente) ET irréversible du sujet au groupe Une cérémonie qui sépare le temps d'avant du temps d'après, au terme de laquelle l'enfant va devenir un membre à part entière de cette société ==> Les caractéristiques de ces rituels les différencient des comportements souvent considérés comme des « rituels » d'adolescents (marquages du corps, participation à des concerts, prises de toxiques...) qui sont une expression de l'individualisme et autant de Solutions individuelles à différentes problématiques rencontrées par l'adolescent. 12 12
Adolescence et culture : L’Occident Changement d’une génération à l’autre adolescence En Occident, depuis les Temps modernes et, surtout, depuis l’installation de la Modernité, le CHANGEMENT est une valeur centrale (Baudrillard, Encyclopedia Universalis). Cela implique que les valeurs, les attitudes, les comportements et les pratiques sociales se transforment d’une generation a l’autre. L’exigence de changement entraîne l’apparition de l’adolescence Cette période est donc le temps donné à l’adolescent pour quitter les valeurs de ses parents et adopter les valeurs de sa génération, à partir des médias, des pairs, des rencontres… L’adolescence apparue au XIXe siècle, est devenue visible au début du XXe (première guerre mondiale). 13 13
Adolescence et culture : Particularités (2/3) Parallèle entre fonctionnement psychique de l'adolescent et valeurs de notre société. Il y a une proximité entre le processus de l'adolescence très marqué par l'économie pulsionnelle (émergence de la pulsion sexuelle) et les modalités archaïques de rapport au monde (grande dépendance, importance du corps et du regard de l'autre), et les cadres culturels actuels, qui soutiennent répétitivement les impératifs d'authenticité (être, devenir ce que l'on « est »), de spontanéité (stimulation des pulsions), et de satisfaction immédiate (« tout tout de suite ») en offrant une pluralité d'objets excitant les désirs (Pb de la dépendance). 14 14
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Adolescence et culture : Particularités (3/3) Des pulsions de moins en moins éduquées (orientées vers des modèles socialement valorisés de satisfaction - déplacement), domestiquées (maîtrise, formation réactionnelle), refoulées (mises dans l’inconscient), transformées (sublimation), avec corrélativement des instances psychiques de modulation pulsionnelle moins efficaces (Surmoi –interdits sociaux intériorisés, Idéal du moi – modèles sociaux valorisés et interiorisés, Moi – le pilote – plus faible) L’individualisme implique une privatisation du contrôle pulsionnel passage de la prééminence du contrôle social, extérieur ET intériorisé par l’éducation, au contrôle individualiste, interne, plus dépendant des mouvements pulsionnels “bruts” et encadré au niveau social par la multiplication des dispositifs matériels de contrôle (caméra, portiques, fouilles ...) et de comportements imposés (“gendarme couché”, chicanes sur la route...) Exemple du rapport à l’alimentation : Dans une société d'abondance avec une nourriture toujours disponible de façon pléthorique, où l'obésité n'est plus signe de valeurs positives (distinction sociale, santé, pouvoir, richesse), la privation alimentaire devient sous nos yeux un idéal négatif flamboyant (l'anorexie = maîtrise, rareté, refus de la dépendance...). Les adolescentes sont les premières victimes de ce paradoxe… Paradoxe majeur 16 16
Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Illustration des changements Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle personnalité de base Troubles Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest 17 17
Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle personnalité de base Troubles Un paradigme de notre société Le MacDo, une autre façon de vivre, pas une autre façon de manger ! “ Le MacDo est à la cuisine française ce que la pornographie est à l’érotisme ou ce que « La passion du Christ » de Mel Gibson est à « La passion selon saint Matthieu » de Pasolini. Le fondateur du MacDo disait qu'il n'introduisait pas une révolution dans la façon de manger, mais dans la façon de vivre : Il disait vrai Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest 18 18
Le MacDo, une nouvelle façon de vivre Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle personnalité de base Troubles Le MacDo, une nouvelle façon de vivre (triomphe de l’individualisme sur le collectif) 1. On mange quand on veut ! Temps Disparition de contrainte temporelle (ou presque) imposée par la société 2. Plus d’obligation de rester assis pendant le repas Espace Il y a l’aire de jeu, le cadeau, les écrans La contrainte de maîtrise motrice du corps est là-aussi réduite ! 3. On mange avec ses doigts (le plus souvent) Civilisation des mœurs (Norbert Elias) Réduction des contraintes d’apprentissage des manières de la table, l’éducation en est simplifiée ! Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest 19 19
Le MacDo, une nouvelle façon de vivre Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle personnalité de base Troubles Le MacDo, une nouvelle façon de vivre (triomphe de l’individualisme sur le collectif) 4. Les saveurs sont réduites Civilisation des moeurs La « culture » gastronomique du MacDo est simple et nécessite peu d’apprentissages ! Pas de nécessité de diversifier les goûts par l’éducation pendant l’enfance ! 5. On peut zapper ! Maturation des processus attentionnels On peut manger, jouer avec le cadeau, regarder la télévision, jouer dans l’aire de jeu réduction des contraintes portant sur la maîtrise attentionnelle Stimulation du zapping attentionnel de l’enfant ! 6. Convivialité réduite Individualisme L’expérience individualiste l’emporte sur l’expérience collective ! Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest 20 20
L’adolescence est la rencontre entre Le travail psychique de l’adolescence, et ses avatars pathologiques L’adolescence est la rencontre entre Une conjoncture (événements de vie, conflits conjugaux, famille, rencontres...) Une structure (personnalité, mécanismes de défense, force du moi, surmoi et idéal du moi, estime de soi...) Une histoire (relations précoces, fratrie, discontinuités du lien parental, événements de vie...) L’expressivité du travail psychique de l’adolescence, du processus de l’adolescence va dépendre des facteurs liés à ces trois domaines. Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest 21 21
Le travail psychique de l’adolescence Second processus* de separation-individuation Processus d'adolescence : construction de l’identité adulte (autonomie, sexualité) dans le mouvement simultané d’abandon des objets parentaux initiaux (travail de deuil et de séparation) et d’identification à de nouveaux objets (enseignants, acteurs, musiciens, héros…) permettant l’élaboration d’une nouvelle image de soi (individuation) et d’assumer les nouveaux rôles sociaux et les nouvelles possibilités. Au coeur du processus d'adolescence : le travail psychique de deuil et de remaniement des liens (associés à des affects dépressifs et à la peur de la dépendance à l’objet) et d'intégration d'un nouveau corps (qui peut faire peur par la sexualité, par sa force ==> TCA, marquage du corps), de nouvelles possibilités cognitives (accès à la pensée formelle), d'un nouveau statut social (droit de vote, liberté de mouvements...) *Premier processus de séparation individuation (0-6 ans) 0-2 ans séparation d’avec la mère et acquisition d’une identité de base par internalisation de l’objet maternel (imago maternelle) ; 2 ans – 6 ans : acquisition d’une identité sexuelle infantile par élaboration des deux grands complexes organisateurs de la psyché, le complexe de castration et le complexe d’Œdipe. Accès à une autonomie d’enfant (école, copains/copines, sports) et à une identité sexuelle infantile (sexualité infantile immature, sans orgasme, sans procréation, masturbation, objet d’amour incestueux, compréhension de la différence des sexes selon une logique phallique). 22 22
Le travail psychique de l’adolescence Travail psychique de deuil et de remaniement des liens Prise de distance à l’égard des imagos* intériorisées de l’enfance : Imagos tutélaires (parents archaïques) protectrices, ayant permis d’acquérir une sécurité intérieure et une identité de base Imagos oedipiennes (parents comme premiers objets du désir – parent de sexe opposé - et de rivalité – parent de même sexe) qui vont moduler la relation ultérieure à l’objet d’amour Afin d’accéder : à une autonomie d’adulte (en se dégageant des imagos tutélaires) et à des objets d’amour non incestueux (en se dégageant des objets d’amour incestueux) ayant dominé la sexualité infantile pour pouvoir exercer une sexualité épanouie (sexualité génitale, avec orgasme, avec procréation possible, satisfaction par le coït, objet d’amour pris hors de la famille, compréhension de la différence des sexes selon une logique de complémentarité) fondée sur une identité de genre mature. *Imago : prototype inconscient des personnages qui orientent électivement la façon dont le sujet appréhende autrui ; il est élaboré à partir des premières relations intersubjectives réelles et fantasmatiques avec l’entourage familial. (Vocabulaire de psychanalyse, Laplanche et Pontalis) 23 23
Le travail psychique de l’adolescence Travail psychique de deuil et de remaniement des liens PERTE : Travail de « deuil » lié au renoncement au corps « tranquille » de l’enfant en période de latence afin de pouvoir investir le nouveau corps, comme : Repère spatial ; Moyen d’expression symbolique de ses conflits ; Assise visible du narcissisme – station devant le miroir - ; Corps comme un des fondements de l’identité - étrangeté, bizarrerie souvent ressentie par l’adolescent face à son corps. Corps source de nouveaux désirs (sexualité) qui poussent l'adolescent vers l'autre (au moment où il va vers l'autonomie) et moyens de satisfaire ces nouveaux désirs. D'où la nécessité d'un travail psychique pour « élaborer » ces pertes et remaniements multiples porteurs de la promesse de l'autonomie et du pouvoir de l'adulte 24 24
Le travail psychique de l’adolescence Travail psychique de deuil et de remaniement des liens Fréquence de manifestations dépressives à l’adolescence (morosité, dépressivité, état dépressif) La morosité, la crise de cafard Problèmes dépressifs (affects dépressifs de durée brève) : 30 à 45 %, introduisant une continuité entre normal et dépression sévère (approche dimensionnelle versus approche catégorielle). La dépressivité, la crise anxio-dépressive, à prédominance féminine (2 pour 1), avec demande de soins psychiatriques plus élevée, plus grande fréquence des hospitalisations et des consultations en urgence. Symptômes dépressifs chez les adolescents (11-15 ans) : 18 % Filles : 25 % Garçons : 10 % EDM (épisode dépressif majeur) à l'adolescence : 4 à 8 % : 5 % en moyenne, prédominance filles à partir de 12-13 ans 25 25
Le travail psychique de l’adolescence INTEGRATION d'un nouveau corps (nouveaux repères spatiaux, nouvelles potentialités, nouveaux désirs) Découvertes du nouveau corps pubère, de ses caractéristiques, de ses limites, de ses exigences, de la nouvelle place qu’il a dans la relation à l’autre et dans le regard social porté sur l’adolescent, et nécessité d’intégration des mouvements pulsionnels liés à la sexualité génitale, permettant d’asseoir l’identité de genre Place centrale du corps dans le processus d'adolescence Corps étranger par sa forme nouvelle : un adolescent sur deux n'aime pas se regarder dans la glace ou se faire photographier. 11-20 ans : 12,4 % des garçons et 37,3 % des filles sont préoccupés par leur poids 41 % des garçons et 63 % des filles voudraient changer de poids Corps source de mouvements pulsionnels inquiétants (désirs, fringales, envie de dévorer..., de taper, de bouger...) Parmi les adolescents « maigres », seulement 50 ¨apprécient leur silhouette Parmi les adolescents « gros », seulement 25 % apprécient leur silhouette Corps identité : qui suis-je ? Stations devant le miroir... Corps vu par les autres, présenté aux autres (regards, désir des autres...) Corps instrument : scarifications pour se calmer, pour passer du malaise à la douleur, dans une régression de l'émotion à la sensation ; corps que l'on prend sous emprise (anorexie mentale), corps qui peut être une protection (obésité), corps aux besoins déniés (ascétisme), corps haï et maltraité (automutilations...) 26 26
Le travail psychique de l’adolescence INTEGRATION de nouveaux rôles sociaux, de nouveaux codes du monde des adultes Remaniement du lien a l’autre : Découverte de l’attirance pour l’autre sexe, recherche de l’objet d’amour génital Recherche de nouveaux liens d’attachement : ami(e)s, conjoint avec souvent la crainte de la dépendance et la menace d’envahissement ou d’intrusion par l’autre +++++ Fréquence des conduites à risque tests de limites : pas de mise en danger, arrêt conduite à risque après test OU recherche de sensations : mise en danger, escalade. Le lien à l’autre peut devenir menaçant Isolement/multiplication des relations. Difficultés du clinicien/enseignant pour trouver la « bonne distance ». 27 27
Le travail psychique de l’adolescence Quatre problématiques Problématique de l’investissement narcissique (repli des investissements sur soi, avec désintérêt à l’égard du monde extérieur, image grandiose de soi) versus investissement objectal (aller vers des objets d’amour extérieurs à la famille, vers le non familier, vers le social, vers la culture); Problématique de l’équilibre entre distance et proximité : l’objet d’amour est désiré, sa trop grande proximité excite et peut le rendre envahissant, voire persécuteur ++++ (dépendance très mal supportée à l’égard des objets d’amour, vécu de menace d’intrusion, de perte de liberté. Problématique de l’équilibre entre l’agir et la pensée, avec la tendance d’une place prépondérante de l’agir (forme d’expression de soi, manière de communiquer, moyen de catharsis, possibilité d’affirmation de soi…) sur la pensée. Problématique de l’efficacité des instances (Surmoi, Idéal du moi, force du Moi) face aux désirs (issus du Ca) et aux exigences/libertés sociales actuelles : hédonisme, arriver aux commandes de la société, assurer sa pérennité. 28 28
Mécanismes de défense spécifiques Le travail psychique de l’adolescence Mécanismes de défense spécifiques Intellectualisation : discussions sans fin des thèmes existentiels abstraits, avec une grande adhésion sans nuance à des théories philosophiques, politiques… permettant de tenir à distance les mouvements pulsionnels Ascétisme : refus de satisfactions corporelles, mode de vie austère, traduisant une tentative de mise à distance des désirs sexuels (masturbation et culpabilité liée à cette pratique) Clivage : mode archaïque défensif permettant d’échapper à l’ambivalence, se traduisant par des changements brusques d’opinion, de désirs contradictoires, sans que l’adolescent en perçoive le caractère contradictoire Projection persécutive : vécu d’un monde hostile et dangereux Mise en acte : protège du conflit intériorisé et de la prise de conscience de la souffrance ++++, peut envahir tout le champ (psychopathie, TCA). Elle entrave tout processus d’élaboration+++, entraînant une répétition des comportements 29 29
L’adolescence considérée comme une crise, mais… Le travail psychique de l’adolescence L’adolescence considérée comme une crise, mais… Les études longitudinales montrent que la majorité des adolescents ne présentent pas de troubles psychiatriques. On distingue entre 16 et 18 ans : Un groupe à croissance continue sans problème particulier : aucun problème particulier (26 % des jeunes, garçons : 32 %, filles : 19 %) Un groupe à croissance par vagues, plus enclin à la dépression et à la perte d’estime de soi : un à trois problèmes (60 % des garçons, 65 % des filles) Un groupe à croissance tumultueuse, avec dépression, anxiété, trouble du comportement, risque de TCA, et plus grande dépendance à l’égard des pairs : quatre problèmes ou plus (6 % des garçons, 14 % des filles). Problèmes : consommation régulière d’alcool, ivresses multiples, tabac, essai d’une drogue illicite, bagarres, troubles psychosomatiques et de l’humeur, troubles du sommeil, cauchemars, maux de tête, envie de vomir, envie de pleurer, idées dépressives et suicidaires, « nervosité ». 30 30
L’adolescence considérée comme une crise, mais… Le travail psychique de l’adolescence L’adolescence considérée comme une crise, mais… Pas de parallélisme entre des manifestations bruyantes éventuellement symptomatiques et la structure et les remaniements psychologiques sous- jacents++++++ L’ADOLESCENCE EST UN PROCESSUS, d’où la nécessité de bien évaluer le fonctionnement INTRAPSYCHIQUE Tout adolescent difficile ne relève pas de la psychiatrie, mais d’aménagements de l’étayage de son environnement familial, scolaire, social 31 31
Quand un adolescent ne va pas, il faut regarder : Le travail psychique de l’adolescence Quand un adolescent ne va pas, il faut regarder : 1 – Les remaniements psychologiques de l’étape développementale de l’adolescence et leurs conséquences (ils peuvent être à l’origine des troubles) : Intensité particulière du travail de deuil, Puberté un peu précoce, poussée sexuelle particulièrement forte… 2 - L’environnement familial, scolaire et social : Des événements de vie (déménagement, séparation parentale, deuil, traumatisme, accident…), des tensions familiales (conflits conjugaux, relations extra-conjugales, dépression maternelle ou paternelle…) souvent par leur cumul+++++ peuvent être à l’origine ou avoir favorisé l’apparition de la souffrance psychique repérée. 3 – Le développement précoce : Si on ne peut retrouver dans l’environnement de raisons de la souffrance ; L’examen minutieux de l’anamnèse permettra de repérer le plus souvent des difficultés des premières années (discontinuité du maternage, mère dépressive, carences diverses, deuil, séparation parentale, maltraitance…) à l’origine d’une fragilité narcissique qui éclate sous la poussée des remaniements nécessaires à l’adolescence. 32 32
Quand un adolescent ne va pas, il faut regarder : Le travail psychique de l’adolescence Quand un adolescent ne va pas, il faut regarder : 4 – Le travail psychique des parents : En miroir du travail de l’adolescence, les parents doivent modifier leur investissement psychique de leur enfant, leurs attentes, leurs relations à leur adolescent au fil du développement du processus de séparation-individuation qui le change. 5 – Les rencontres : L’adolescence est comme un passage de gué en groupe, on s’appuie sur les pairs, ceux traversant la même expérience L’adolescent est donc extrêmement dépendant du hasard des rencontres+++ La rencontre est souvent une ouverture (ami(e), amours, enseignant, éducateur…), elle peut être néfaste (produit, pervers, délinquant…). 33 33
Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle société Nouvelles normes Nouvelle éducation Nouvelle personnalité de base Troubles Rajeunissement de l’âge d’apparition des pathologies TS par pendaison à 6 ans Fugues en maternelle ... Troubles au niveau du corps Attaques du corps : scarifications, TS, conduites à risques (jeu du foulard...) ... Troubles au niveau des comportements TDAH (instabilité psychomotrice) TC (tr comportement) Anxiété et dépression Et Manifestations de lutte contre la dépression dont les ... Addictions Avec produit : cocaïne, héroïne, ectasie... Sans produit : jeux pathologiques, addiction à Internet, TCA (troubles des conduites alimentaires), addictions sexuelles, au travail... 34 34
Les limites des pratiques actuelles Les familles contemporaines Les prises en charge Les limites des pratiques actuelles Les cadres sociaux sont moins intériorisés, le rapport d‘autorité s‘estompe, voire disparaît, l‘efficacité des mots se réduit Difficulté à mettre en place, à faire accepter et à faire respecter le cadre psychothérapique (venir régulièrement, respecter et supporter la règle fondamentale de dire sans sélection ce qui passe par la tête, car il y a une perte de contrôle difficile à tolérer, avec un risque d‘envahissement par les affects dangereux ). Le lien à l‘autre est problématique, particulièrement en duel où la proximité relationnelle devient souvent trop excitante ou intrusive Difficultés à garder le lien quand il y a des frustrations, des exigences ou des objectifs lointains. La prévalence de l‘hédonisme (principe de plaisir) Le délai est mal supporté, la temporalité est réduite au présent, l‘introspection semble réduite Difficulté à supporter l‘ascèse et les frustrations parfois vives dans le travail d‘élaboration mentale (effet du principe de réalité) dont la réalisation devient problématique (plaisir de comprendre, épistémophilie) Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 35 35
Les familles contemporaines Les prises en charge Propositions : Cadres, groupes, approches comportementales et cognitives, accompagnement au plus près Importance Fondamentale de mettre en place et de garantir les CADRES (parents, école, foyer, hôpital de jour, consulations, éducateur, juge...) +++++ Importance du travail en réseau. On peut proposer une approche thérapeutique centrée sur le GROUPE (pas de rapport hiérarchique, transmission et soutien horizontaux), autour d‘une médiation par une activité (groupes thérapeutiques), permettant un soutien narcissique par le groupe, des appuis diversifiés (transfert latéral) mais non différencié sur un plan symbolique, un évitement de la relation duelle souvent vécue comme intrusive ou trop intense (importance de la dimension affective qui n‘est plus cadrée et contenue par le cadre symbolique) ; Approches éducatives, cognitives, comportementales, voire séjours de rupture Accompagnement au plus près (HAD, : hospitalisation à domicile, AEMO : mesure éducative en milieu ouvert, VAD : visites à domicile...), dans le concret ; Le tout permettant, Dans un deuxieme temps, d‘accéder à un travail d‘élaboration psychique dans un cadre plus classique Agir sur les comportements par les groupes pour pouvoir arriver a travailler sur l‘espace psychique. 36 36
L’adolescent difficile Un adolescent difficile est ... Quelqu‘un dont personne ne veut « patate chaude » Quelqu‘un qui fait souffrir, met en difficulté les institutions et les intervenants Un patient pour la psychiatrie, dixit les services sociaux, le foyer , les enseignants (?) ... Autres définitions ? Un adolescent difficile est d’abord ... un adolescent sur lequel on réfléchit dans le DIU adolescents difficiles (Brest, Rennes, Nantes) chaque année pendant 18 jours (9 modules de deux jours) Inscriptions ouvertes pour 2009-2010 Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 37 37
L’adolescent difficile Un adolescent difficile nécessite toujours ... Une réflexion étroite et permanente sur nos contre- attitudes : ce qu‘il provoque en nous de réactions affectives, fantasmatiques, comportementales... Et ce qu‘il induit au niveau institutionnel Une recherche de cohérence à l‘intérieur de chaque institution où il passe du temps ... Une gestion soigneuse, cohérente et humaine (sans compromission néanmoins) des conflits qu‘il provoque ... 38 38
L’adolescent difficile Un adolescent difficile... UN TRAVAIL EN RESEAU ++++++++++++ Ne nécessite pas toujours une prise en charge par la pédopsychiatrie Mais un travail de concertation entre les institutions Une cohérence de ce travail en réseau autour d‘objectifs clairs et partagés, d‘interventions complémentaires Une CONTINUITE dans la longue durée des interventions Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 39 39
L’adolescent difficile Un adolescent difficile... nécessite un difficile travail de collaboration entre Des institutions aux cultures bien différentes, Aux crises variées, Que l‘on méconnait souvent (moyens, missions exactes...) Le travail en réseau ne se décrète pas !!!!! Il se construit dans le respect mutuel , une grande ténacité et une nécessaire continuité au-delà des personnes qui changent Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 40 40
Travail de réseau : énergie, temps, continuité, cohérence L’adolescent difficile Travail de réseau : énergie, temps, continuité, cohérence Il s’agit de reconnaître les difficultés des partenaires, valider leur travail aussi, tout comme leurs compétences et leurs spécificités Travailler à l’émergence d’une culture de la complémentarité (pas de hiérarchisation des institutions) Nécessité d’une identité forte de chaque partenaire pour le travail en réseau ++++ Sans reconnaissance, pas de partenariat possible Tout cela demande de l’énergie, du temps et de la constance, de la continuité et de la cohérence++++ Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 41 41
L’adolescent difficile Travail de réseau : Durée/continuité/cohérence Durée : temporalité longue bien difficile, voire impossible à mettre en œuvre dans notre culture de la rapidité et de la brièveté - travail en réseau implique une temporalité longue comme perspective (développement de l’enfant, élaboration psychique, construction de la personnalité) un réseau de bonne qualité le permet ! Continuité : les ados difficiles dans la discontinuité (famille, prise en charge, institutions, ruptures multiples, zapping relationnel…) la difficulté du travail en réseau est de permettre une pensée commune, des élaborations à plusieurs qui permettent des passages d’une institution à l’autre dans la continuité, au-delà des séparations inhérentes au changement d’institution, au passage de l’adolescence. Cohérence : parler une langue commune, avoir une culture de la complémentarité et de l’altérité, pas seulement entre personnes, mais aussi entre institutions. Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 42 42
L’adolescent difficile Travail de réseau Nécessité de la confiance de la famille, du jeune dans les différents partenaires : exigence de continuité, de stabilité des partenaires, de durée, de cohérence Prises en charge sont individualisées Nécessité d’une confiance entre les différents partenaires : nécessité de se connaître, de la durée,de la stabilité des institutions et des professionnels Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 43 43
L’adolescent difficile Travail de réseau Soins/éducation : sanitaire/médico-social/social/EN Responsabilité/irresponsabilité du jeune : JDE, juge d’instruction la responsabilité renvoyant souvent à la sanction ; l’irresponsabilité, aux soins. répartition claire des fonctions en s’appuyant sur des partenaires, sur des institutions ayant une identité forte Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 44 44
L’adolescent difficile Travail de réseau : en résumé Nécessité de la cohérence des perspectives de prises en charge par les différentes institutions engagées dans l’intersectorialité Nécessité d’intervention dans la durée Nécessité de la continuité, au-delà des passages d’une institution à l’autre, au-delà des passages à l’acte des adolescents et des ruptures qu’ils provoquent ou induisent Nécessité de complémentarité Prises en charge individualisées et personnalisées Alain Lazartigues - Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent - CHU de Brest – UBO 45 45
Contact : alain.lazartigues@chu-brest.fr Références : Jeammet Philippe. Les destins de la dépendance à l'adolescence. Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence 1990 ; 38 : 4-5, 190-9. Jeammet Philippe. Dynamique de l'adolescence ». Encycl. Méd. Chir. (Elsevier, Paris) Psychiatrie, 37-213-A-20, 1994 : 14 p. Lazartigues Alain. Lazartigues Alain. Réflexion sur les droits de l’enfant, les couples contemporains et l’éducation nouvelle. La lettre de psychiatrie, juin 2006, numéro spécial congrès SFPEAD. Lazartigues A. « Nouvelles familles, nouveaux enfants, nouvelles pathologies » Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 55, 2007, 304-320 Marcelli Daniel. Enfance et psychopathologie. Paris : Masson, collection « Les âges de la vie » , 2006. Marcelli Daniel, Braconnier Alain. Adolescence et psychopathologie. Paris : Massion, collection « Les âges de la vie » ; 2000. Tisseron Serge. L’enfant au risque du virtuel. Paris : Dunod ; 2006. Tisseron Serge. Virtuel, mon amour : Penser, aimer, souffrir à l’ère des nouvelles technologies. Paris : Albin Michel ; 2008. 46 46