Les critiques de la morale. IVème partie
Morale et idéal Devant essayer de trouver un équilibre entre des pulsions opposées, recherchant une adaptation à la vie sociale, l’être humain est partagé entre des aspirations à une vie différente, idéale, et la réalité humaine, entre les caractères qu’il rêve de posséder et l’image qu’il a de lui-même. Feuerbach montre que l’homme place en Dieu toutes les vertus qu’il voudrait pour lui-même. En créant Dieu, l’homme crée aussi les conditions idéales au surgissement de la morale.
Morale et équilibre La première partie des Pensées de Pascal devait certainement s’intituler : «Misère de l’homme sans Dieu ». La conscience malheureuse de l’homme se développe lorsque qu’il aspire à l’infini et comprend dans le même mouvement toute la finitude de son être. Les critiques de la morale s’intéressent à l’être blessé, contrarié, diminué par le sentiment de la faute, de l’interdit.
Morale et passions de l’âme Spinoza rejette la morale établie qui diminue l’homme en lui inspirant de faux sentiments comme la crainte ou la honte, qui nuisent à l’être parce qu’ils l’empêchent d’approcher sa vraie nature. Mais si l’on s’intéresse à la cause d’un sentiment négatif, comme la tristesse, par exemple, si l’on observe vraiment ce qui le motive, celui-ci cesse d’être négatif. « Un sentiment qui est une passion cesse d’être une passion dès que nous nous en formons une idée claire et distincte. Un sentiment, à mesure qu’il nous est mieux connu, tombe de plus en plus sous notre puissance, et l’âme en pâtit de moins en moins. » Ethique V.
La morale chrétienne est souvent critiquée parce qu’elle impose la crainte du châtiment, des dogmes, et que, de cette façon, elle limite la raison, la réflexion de l’homme. « Tous les esclavages se tiennent ; et les hommes accoutumés à déraisonner sur les dieux, à trembler sous leurs verges, à leur obéir sans examen, ne raisonnent plus sur rien. » Jean Meslier Testament
Morale et liberté Spinoza précise la même idée dans des termes différents : « Qui est conduit par la crainte et fait le bien pour éviter le mal, n'est pas conduit par la Raison. » Baruch Spinoza Ethique IV, proposition 63 La critique essentielle que Spinoza adresse à la morale religieuse est que, dans la pratique morale ordonnée par la religion, l’homme n’est pas libre. Il est conduit par l’attrait de la récompense et son action est intéressée.
Si l’intérêt conduit l’action morale, il n’y a plus de liberté humaine. « C'est aux esclaves, non aux hommes libres, que l'on fait un cadeau pour les récompenser de s'être bien conduits. » Baruch Spinoza L’Ethique Mais qu’est-ce qui nous conduit à suivre les obligations de la morale?
Bergson s’intéresse à l’origine de la morale. Il y voit l’intériorisation de l’obligation. « L’obligation est inéluctablement présente dans toute société, dans toute vie humaine. Nous trouvons l’obligation au fond de notre conscience ». « Il est nécessaire qu’il y ait des obligations » « L’obligation envisagée comme (…) simple forme, sans matière (…) est ce qu’il y a d’irréductible, et de toujours présent encore, dans notre nature morale » Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932)
Une partie de la réflexion de Bergson sur la morale consiste en une critique des comportements établis. Selon lui, la « morale close » correspond à des habitudes sur lesquelles notre conduite se fonde et qui procèdent des exigences sociales. Nous apprenons à reconnaître des obligations comme si elles faisaient nécessairement partie de la vie : le respect de l’autorité et des interdictions des parents ou des enseignants, plus tard, le respect des ordres militaires.
Notre être est comme saturé d’interdits depuis si longtemps que nous ne savons plus comment les uns et les autres se sont imposés à nous. Ils semblent faire partie de nous-mêmes. «Le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l’humanité. Nous nous en apercevrions si ce souvenir n’était recouvert par d’autres, auxquels nous préférons nous reporter »
Nous avons pu remarquer que les critiques faites à la morale concernent, dans leur ensemble, les obligations qu’elle impose à l’homme et qui semblent l’asservir. Elles sont assez proches très souvent de la conception freudienne de la morale : pour le psychanalyste, la conscience morale est le résultat de l’intériorisation par l’homme des interdits, tabous, et autorités. La censure exercée par le surmoi règle nos comportements.