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Publié parLucrece Dumortier Modifié depuis plus de 11 années
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Les « pédagogies actives » aujourd’hui et demain : quelle Ecole ?
Philippe Meirieu Genève - 16 mai 2006
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Introduction J’ai rencontré d’abord Freinet comme une « image », une « icône »… Puis, j’ai été amené, en travaillant sur ses textes, à percevoir les contradictions qui traversent son œuvre… J’ai observé, en particulier, à quel point tout son travail était structuré par la volonté de concilier la finalisation et la formalisation…
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Formaliser… pour permettre de vérifier les acquisitions et garantir à tous la maîtrise des savoirs… au risque de passer son temps à faire l’inventaire… Finaliser… pour faire émerger les savoirs dans la dynamique même du développement de l’enfant… au risque de faire l’impasse…
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Pour dépasser cette tension Freinet a imaginé plusieurs types de dispositifs…
la juxtaposition des activités obéissant aux deux logiques (correspondance, journal scolaire, enquêtes, d’un côté, « bandes enseignantes » de l’autre), l’articulation de ces logiques par le « conseil » au cas par cas, l’articulation de ces logiques par le système des brevets (brevets obligatoires et brevets facultatifs) ; cette formule permet de travailler sur le problème rémanent des « méthodes actives » : « Comment éviter que la prégnance de la finalisation n’entraîne l’exclusion des moins compétents ? »
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Cette réflexion sur Freinet m’a amené à penser la question pédagogique autrement…
à partir d’une analyse épistémologique des discours pédagogiques comme « catégorie littéraire », en observant comment ces discours témoignent des contradictions constitutives du projet d’éduquer, en cherchant comment les pédagogues, plus ou moins délibérément, ont tenté de dépasser ces contradictions par l’invention de dispositifs », en explicitant le statut « scientifique » original de ces dispositifs : créations bricolées pour faire exister dans la temporalité ce qui reste une aporie tant qu’on est dans l’idéologie.
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Mes hypothèses de travail développées dans La pédagogie entre le dire et le faire (Paris, ESF, 1995) et Faire l’Ecole, faire la classe (Paris, ESF, 2004) : Le discours pédagogique de l’Education nouvelle et des « méthodes actives » est traversé de contradictions… Ces contradictions sont fécondes dès lors qu’elles ouvrent un espace à l’invention qui permet de les dépasser…
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Une contradiction fondatrice du discours pédagogique :
« Tous les élèves peuvent apprendre » « On ne peut contraindre un élève à apprendre » Principe d’éducabilité Principe de liberté C’est en assumant la tension entre ces deux principes que l’action pédagogique se définit comme « construction, sans cesse à remettre en chantier, de situations permettant aux élèves d’engager leur liberté d’apprendre. »
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D’autres contradictions fondatrices du discours pédagogique :
On n’apprend bien que si l’on donne du sens à ce que l’on apprend en l’inscrivant dans un projet. L’apprentissage nécessite une démarche formalisée et suppose progressivité et exhaustivité. On ne peut enseigner qu’en s’appuyant sur ce que la personne est et sait déjà. On ne peut faire progresser un sujet qu’en l’aidant à transgresser le donné. Il faut s’appuyer sur l’intérêt des élèves. Il ne faut pas enfermer les élèves dans leurs préoccupations immédiates. Il faut aimer les enfants et entretenir avec eux des « bonnes relations ». Il faut aider les enfants à se dégager de toute forme de dépendance, y compris à notre égard. La punition est toujours un échec et il faut l’éviter. La punition est formatrice car elle permet « l’attribution » au sujet de ses propres actes. « On n’enseigne pas ce qu’on sait, mais ce qu’on est. » Il n’y a d’éducation que dans la transmission de savoirs qui dépassent ceux qui les transmettent.
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un projet politique permettant de « faire société »,
Un même modèle est possible pour penser, à la fois, l’acte d’apprendre et l’Ecole… Ce modèle articule : un projet politique permettant de « faire société », la volonté d’instruire et d’émanciper en même temps, des situations structurées et ouvertes à la fois, la prise en compte et la subversion du donné, des démarches permettant de s’impliquer et de progresser, l’institution de cadres qui favorisent l’émergence de sujets, la nécessité de son propre dépassement…
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1- Un projet politique permettant de « faire société »…
Des apprentissages qui donnent à l’enfant la possibilité d’entrer en relation avec l’altérité, d’entendre le point de vue de l’autre, de le prendre en compte pour accéder aux savoirs et élaborer le bien commun. Une Ecole qui rend possible l’exercice de la délibération démocratique en formant des hommes pour qui la recherche de la précision, de la rigueur, de la vérité, du bien commun l’emporte sur les rapports de force.
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Un projet politique permettant de « faire société »…
Mettre en œuvre des apprentissages centrés sur le conflit socio-cognitif : que les personnes aient assez de choses en commun pour pouvoir se parler et assez de différences pour avoir quelques chose à se dire. Pour promouvoir une Ecole qui accompagne l’enfant dans son développement indissociablement psychologique, intellectuel, social et politique : la capacité à articuler centration et décentration doit être au cœur de toute la démarche.
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2 - La volonté d’instruire et d’émanciper en même temps…
Une Ecole qui, en même temps, unit et libère les hommes : elle les unit en les faisant accéder à leur ressemblance ; elle les libère en leur donner les moyens de s’émanciper de la pression à la norme. Des apprentissages qui, dans le même mouvement, transmettent et émancipent, grâce à la démarche expérimentale et à la recherche documentaire.
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La volonté d’instruire et d’émanciper en même temps…
Mettre en œuvre des apprentissages visant des objectifs d’acquisition précisément identifiés, communs pour tous les élèves et qu’ils peuvent atteindre grâce à des dispositifs réflexifs. Pour promouvoir une Ecole capable de transmettre une véritable culture inscrite dans un processus d’universalisation et non d’imposition d’un universel a priori… La culture, en ce sens, libère et unit parce qu’elle relie l’individuel à l’universel.
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3 - Des situations structurées et ouvertes à la fois…
Des apprentissages finalisés par des tâches, structurées autour d’une activité mentale, effectués grâce à l’interaction des consignes et des matériaux, ouvrant sur d’autres apprentissages. Une Ecole finalisée par un projet collectif en devenir qui permet à chacun d’avoir une place sans y être enfermé.
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Des situations structurées et ouvertes à la fois…
Mettre en œuvre des apprentissages à partir de questions simples mais essentielles : Qu’est-ce que je veux que l’élève apprenne ? Pour cela, qu’est-ce que je veux que l’élève comprenne ? Pour cela, qu’est-ce qu’il doit faire mentalement ? Pour cela, qu’est-ce que je dois lui demander de faire concrètement ? Pour cela, qu’est ce que je dois lui fournir comme matériaux et consignes ? Et comment je peux le rendre conscient du processus que je viens de mettre en place avec lui ? Pour promouvoir une Ecole qui permette à chacun de découvrir qu’il peut apprendre ce qu’on lui propose… et des tas d’autres choses !
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4 - La prise en compte et la subversion du donné…
Des apprentissages où chacun s’appuie sur ce qu’il maîtrise déjà pour découvrir de nouveaux savoirs. Une Ecole où chacun est accompagné en fonction de ses besoins, sans être classé en fonction de sa « nature ».
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La prise en compte et la subversion du donné…
Mettre en œuvre des apprentissages… articulés sur les savoirs, OU les compétences, OU les capacités, OU les intérêts existants (OU et surtout pas ET), capables d’ouvrir à de nouveaux savoirs OU de permettre l’accès à de nouvelles compétences et de nouvelles capacités, OU de faire découvrir de nouveaux centres d’intérêt. Pour promouvoir une Ecole qui n’utilise les catégorisations de toutes sortes que comme des outils provisoires et permette une redistribution systématique des cartes.
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5 - Des démarches permettant de s’impliquer et de progresser…
Des apprentissages qui articulent systématiquement : « projet / obstacles / ressources / réinvestissement » Une Ecole centrée sur le dépassement de soi à travers l’élaboration exigeante de « chefs d’œuvres ».
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Des démarches permettant de s’impliquer et de progresser…
Mettre en œuvre des apprentissages qui incarnent au quotidien la dialectique « question / réponse », en garantissant : que les questions sont bien construites, que les réponses sont bien accessibles, que la dialectique entre les unes et les autres est bien identifiée comme telle. Pour promouvoir une Ecole qui écarte l’évaluation marchande et permette à chacun de s’investir dans un projet dont il puisse être fier et dont la réalisation fonctionnera comme archétype mental.
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6 - L’institution de cadres qui favorisent l’émergence de sujets …
Des apprentissages organisés qui articulent : 1) focalisation, 2) recherche, 3) formalisation. Une Ecole qui « institue », en structurant l’espace, le temps, les relations entre les personnes, pour sortir de l’indifférenciation et du chaos.
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L’institution de cadres qui favorisent l’émergence de sujets…
Mettre en œuvre des apprentissages qui prennent en compte les exigences anthropologiques de l’acte mental : rituels de passage, structuration de l’espace, symbolisation de l’activité, marquage de l’appartenance, césure permettant la rupture, etc. Pour promouvoir une Ecole qui diminue la tension afin de favoriser l’attention, qui permette aux sujets de se mettre en jeu… et en je.
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7- Un modèle qui porte les conditions de son dépassement…
Une Ecole qui sait préserver sa spécificité, tout en faisant circuler les savoirs entre elle et 1) la vie quotidienne, 2) le monde de la culture, 3) les réalités professionnelles. Des apprentissages qui permettent, en permanence, de faire l’aller-retour entre les contextes où ils s’effectuent et d’autres contextes.
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Un modèle qui porte les conditions de son dépassement…
Mettre en œuvre des apprentissages qui fassent, en permanence et dans les deux sens, des « ponts » entre les savoirs extérieurs et les modèles proposés en interne. Pour promouvoir une Ecole qui permette de relier… la famille et l’univers scolaire, l’école et la Cité, le sujet et le monde…
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Pour ne pas conclure… Être fidèle à la dynamique de l’Education nouvelle et des « méthodes actives », c’est se donner le droit de penser autre chose que l’existant, refuser de prendre les modalités pour les finalités et s’autoriser à inventer des nouvelles modalités pour incarner nos finalités.
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