Dénutrition, renutrition et morbi-mortalité : quelles évidences ? Dr Gilbert ZEANANDIN Unité de Support Nutritionnel Hôpital de l’Archet 2, CHU de Nice
Définitions Dénutrition : conséquences mesurables d’une situation où les apports nutritionnels ne couvrent pas les dépenses Malnutrition : inadéquation apports-besoins Marasme : déficit protéino-énergétique Kwashiorkhor : déficit protéique pur
Epidémiologie Très fréquente dans certaine régions du monde par carence d’apports alimentaires Peu connue dans les pays industrialisés mais également fréquente dans certaines situations
Les situations où la dénutrition est fréquente dans notre pays Toute maladie survenant chez l’enfant et la personne âgée Les maladies chroniques Cancer Maladies neurologiques, maladie d’Alzheimer Insuffisances cardio-respiratoires sévères Insuffisances rénales et hépatiques sévères Maladies digestives graves Maladies inflammatoires chroniques (polyarthrite rhumatoïde, …) SIDA … La personne âgée non malade
Prévalence de la dénutrition à l’admission chez 155 patients hospitalisés en médecine 62% 58% 45% Pourcentage de malades dénutris Naber et al. Am J Clin Nutr 1997
Prévalence de la dénutrition dans différents services d’un même hôpital Pourcentage des malades (%)
Prévalence de la dénutrition à l’hôpital Pourcentage des malades Nutrition Care Management Institute 1988
Causes de la dénutrition Les apports alimentaires sont insuffisants Les besoins sont plus élevés du fait des maladies ou des traitements L’absorption et le métabolisme des aliments sont perturbés
Les Problèmes nutritionnels à l’hôpital Les apports énergétiques et protéiques moyens sont inférieurs de 30 % aux besoins Selon les services et en moyenne, 30 à 40 % du plateau repas présenté au malade n’est pas consommé La dénutrition est le plus souvent ignorée des soignants et pas ou tardivement prise en compte 75 % des malades qui séjournent plus d’une semaine à l’hôpital perdent du poids La Nutrition artificielle n’est pas toujours bien utilisée Une éducation alimentaire n’est pas ou peu faite au malade pendant son hospitalisation
Apport énergétique spontané rapporté en Grande-Bretagne chez des malades hospitalisés Barton et al Clin Nutr 2000
Ingesta des malades au CHU de Nice Enquête de type un jour donné le 23/11/99 Quatre services hospitaliers étudiés (un par site) Recueil des ingesta de tous les malades hospitalisés présents aux trois repas ce jour là par une équipe de diététiciennes du CHU 2 malades sur 3 consomment moins de 1500 Kcal/jour 46% des malades ont des apports protéiques inférieurs à 1 g/kg/jour P<0.001
Conséquences de la dénutrition Diminution de la force musculaire : perte d’autonomie, alitement Alitement : infection Diminution de l’immunité : infection Augmentation de la morbidité et de la mortalité hospitalière (facteur indépendant) Impossibilité de mener les thérapeutiques efficaces jusqu’au bout du fait d’une mauvaise tolérance
La spirale de la dénutrition anorexie Perte de poids Coût des soins Qualité de vie Anorexie Dépression Perte de masse musculaire Catabolisme Dépression dysimmunité Cancer Infection Traumatisme Chirurgie Radiotherapie Chimiotherapie Etc.. Perte d’autonomie Infections Retard de cicatrisation Escarres chutes Décès
Risque de complications x 2 à 3 Risques de complications au cours de l’hospitalisation chez les patients dénutris à l’entrée en service de médecine en fonction du mode d’évaluation de la dénutrition Risque de complications x 2 à 3 Risque relatif de complication Naber et al. Am J Clin Nutr 1997
La dénutrition est un facteur de risque indépendant d’infection nosocomiale chez un malade hospitalisé Evaluation de la dénutrition par le NRI P=0,009 Pourcentage de malades avec une infection nosocomiale (%) La dénutrition sévère multiplie par 5 le risque de faire une infection à l’hôpital indépendamment des autres paramètres Schneider et Hébuterne Br J Nutr 2004
Dénutrition et coût hospitalier par groupe homogène de malades Robinson et al. JPEN 86
Le prix de la dénutrition 5.8 jours 5.4 jours Durée de séjour (jours) Nutrition Care Management Institute 1988
Valorisation d’un séjour hospitalier grâce au codage de la dénutrition Femme de 80 ans hospitalisée pour une fracture de l’extrémité supérieure du Fémur Trois situations Non dénutrie Dénutrition légère à modérée (E44.0) Dénutrition sévère (E43.0)
Quelques situations fréquentes à titre d’exemples Les cancers La période péri-opératoire La personne âgée
Prévalence de la dénutrition selon le type de cancer en 1980 Estomac n=3047 Pancréas CBNPC CBPC Côlon Hodgkin mauvais pronostic Prostate Sarcomes Hodgkin bon pronostic Sein LAM DeWys et al. Am J Med 1980
Nutricancer : Prévalence de la dénutrition en novembre 2005 La prévalence de la dénutrition était de 39% (38% chez les femmes et 40% chez les hommes) Elle était de 44.1% chez les malades hospitalisés et 27.7% chez les malades non hospitalisés Elle était de 22.7% chez les malades avec un cancer localisé, 44.3% chez les malades avec un cancer à évolution loco-régionale et 45.9% chez les malades avec un cancer métastatique n=1.903 Hébuterne et al. Clin Nutr 2006
Prévalence de la dénutrition en fonction du type de cancer en 2005 Pancréas 67% Oeso/estomac 60% Rein/vessie 52% ORL 49% Poumons 45% Gynéco 41% Colon/rectum 39% Hemato 34% Autres 39% Sein 21% Prostate 14% Hébuterne et al. Clin Nutr 2006
Perte de poids depuis le début de la maladie Prévalence de la dénutrition pour critère de perte de poids ≥5% au lieu de 10% : 54,6% (22% sévère, 37% modérée) Hébuterne et al. Clin Nutr 2006
Paramètres associés à la dénutrition Paramètres non associés à la dénutrition : Age : OR 1,00 (0,99-1,02) ATCD de chirurgie OR 0.85 (0,66-1,09) Paramètres associés à un risque plus élevé de dénutrition : Evolution loco-regionale OR 1,96 (1,42-2,70) Evolution métastatique OR 2,97 (2,14-4,12) ATCD de chimiothérapie OR 1,41 (1,05-1,89) ATCD de radiothérapie OR: 1,53 (1,21-1,92) Hébuterne et al. Clin Nutr 2006
Intérêt pronostique de la perte de poids avant la chimiothérapie chez des malades cancéreux DeWys et al. Am J Med , 1980
Dénutrition et survie au cours des LAL 43 enfants (≤ 15 ans) porteurs d’une LAL Même protocole de chimiothérapie Etude pronostique d’une dénutrition sévère Pas de prise en charge nutritionnelle Lobato-Mendizabal et al. Leuk Res, 1989
Explication ? Lobato-Mendizabal et al. Leuk Res, 1989
Confirmation Non dénutris Dénutris Lobato-Mendizabal et al. Rev Invest Clin, 2003
Pourquoi les malades qui ont un cancer mangent souvent moins ? Obstruction digestive liée à la tumeur Obstruction digestive liée au traitements troubles du goût, syndrome dépressif, déficits en micro-nutriments, troubles digestifs (diarrhée, vomissements), Hospitalisations répétées Troubles spécifiques du contrôle de l’appétit
Signaux périphériques Physiopathologie des troubles du contrôle de l’appétit chez le malade cancéreux Stimule la prise alimentaire Noyau arqué Hypothalamus postéro-ventral Signaux périphériques Insuline Ghréline Leptine CCK PYY Malonyl-CoA intracellulaire Faim NPY/AgRP IL1 IL6 TNF- + - Hypothalamus latéral et ventro-médian Orexine A Orexine B TRH POMC/CART + Satiété Inhibe la prise alimentaire Sérotonine NPY : neuropeptide Y AGRP : Agouti-related peptide POMC : pro-opiomelanocortin CART : cocaine and amphetamin regulated transcript TRH : thyrotropin-releasing hormone
Dysrégulation métabolique lié au cancer Adapté d’après Nitemberg et al Nutr Clin Metab 1997
Ravasco et al J Clin Oncol 2005
Nausées et vomissements Effet de la prise en charge sur l’état nutritionnel et la toxicité des traitements Anorexie grade 2 Etat nutritionnel normal Nausées et vomissements Grade 2 Ravasco et al J Clin Oncol 2005 Diarrhée grade 2
Quelques situations fréquentes à titre d’exemples Les cancers La période péri-opératoire La personne âgée
Etat nutritionnel et complications post-opératoires : une relation établie depuis longtemps
Pourcentage de malades Complications infectieuses Relation entre l’état nutritionnel, les complications infectieuses et la durée d’hospitalisation en chirurgie Pourcentage de malades Nombre de jours Nombre de jours passés à l’hôpital Complications infectieuses post-opératoires Baker et al. N Engl J Med 1982
Nutrition orale liquide standard post-opératoire : évolution pondérale Intervention Rana et al. Keele et al. Beattie et al. Admission S2 S4 S6 S8 S10 Perte pondérale (kg) Perte pondérale (%) Beattie et al Gut 2002
Supplémentation orale post-opératoire : résultats cliniques Pneumopathies Abcès de paroi Contrôle Supplément Rana et al. 2 Keele et al Beattie et al 6 Total 8 Contrôle Supplément Rana et al. 8 3 Keele et al 7 2 Beattie et al 4 Total 22 9
Effet de la renutrition orale liquide ou entérale précoce post-opératoire sur les complications post-opératoires après chirurgie digestive majeure pour cancer Niveau de preuve A Lewis et al Br Med J 2002
Immunonutrition entérale post-opératoire : résultats des méta-analyses Heys et al. Ann Surg 1999 :11 études, 1009 patients, réduction des complications infectieuses et de la DMS Beale et al. Crit Care Med 1999 : 12 études, 1482 sujets, réduction significative des infections, du nombre de jours de ventilation et de la DMS Heyland et al. JAMA 2001 : 22 études, 2419 patients, réduction des complications infectieuses MAIS résultat moins net chez les malades de réanimation comparativement aux malades en post-opératoire RR de complications post-opératoires 0,53 (0,42-0,68) : P=0,002. Niveau de preuve A
Arginine, acides gras n-3, nucléotides Immunonutrition pré vs. péri-opératoire au cours des cancers digestifs chez des malades non ou modérément dénutris Arginine, acides gras n-3, nucléotides Suppl orale pré-op (1L/j : 5 jours) Suppl orale pré-op + NE post op (1500 kcal/j) Contrôle Age 62,3 ± 12,3 65,6 ± 11,5 63,4 ± 11,9 IMC 24,5 ± 4,9 24,2 ± 4,5 23,8 ± 4,1 Perte de poids 2,4 ± 2,6 2,5 ± 2,7 2,3 ± 2,7 Type de cancer estomac/pancréas/ côlon 48/28/26 46/27/28 44/26/32 Gianotti et al. Gastroenterology 2002
Complications infectieuses post-opératoires Pré-op Péri-op Contrôle Abcès de paroi 7 11 Abcès abdominal 4 10 Pneumo- pathie 3 6 8 Infection urinaire 2 5 Septicémie P<0,05 Malades avec une complication infectieuse Gianotti et al. Gastroenterology 2002
Prise en charge nutritionnelle péri-opératoire Chirurgie à haute morbidité (≥20%) Oui Non Poids : -10% ou IMC < 18,5 ou albumine < 35 g/L ou SGA = C ou NRI < 83,5 Pas de prise en charge Poids hebdomadaire Non Oui Pas de dénutrition sévère Dénutrition sévère Renutriton pré-opératoire 7 à 14 jours avant l’intervention + nutrition artificielle post-opératoire Immunonutrition orale 5 jours avant la chirurgie Renutrition post-opératoire précoce standard Senesse, Schneider & Hébuterne Cancer Treatment Reviews 2008
Quelques situations fréquentes à titre d’exemples Les cancers La période péri-opératoire La personne âgée
La dénutrition protéino- énergétique du sujet âgé :une donnée méconnue A domicile 5 à 8% des personnes âgées A l’hôpital 20 à 75% des personnes âgées En soins de suite 30 à 60% des personnes âgées En maison de retraite 10 à 60% des personnes âgées
Les cas particulier de la personne âgée Perte progressive de masse musculaire avec l’âge (sarcopénie) du fait : De particularités métaboliques D’un apport en protéines souvent insuffisants (25% ingèrent moins de 1 g/kg/j) D’une activité physique insuffisante Troubles spécifiques du contrôle de l’appétit Troubles métaboliques Dénutrition plus rapide Moindre efficacité de la renutrition
Relations entre vieillissement, affection aiguë et état nutritionnel Prothèse de genou Pneumopathie Perte du conjoint Fracture du col du fémur 74 ans 76 ans 78 ans 80ans Vellas et al. Am J Clin Nutr 1992
Sarcopénie : perte involontaire de masse musculaire chez un sujet âgé bien portant “No decline with age is more dramatic or potentially more functionally significant than the decline in lean body mass. Why have we not given it more attention? Perhaps it needs a name derived from the Greek. I’ll suggest a couple: sarcomalacia or sarcopenia.” I.H. Rosenberg, Am J Clin Nutr 1989;50:1231-1233 Age: 25 ans IMC : 31.7 Surface musculaire: 398 cm2 Surface graisseuse: 6 cm2 (1.5%) Age : 65 ans IMC : 31.9 Surface musculaire : 292 cm2 Surface graisseuse : 53 cm2 (15.3%)
Prévalence de la sarcopénie aux USA : résultats de la NHANES III Hommes Détermination d’un indice de masse musculaire chez 14.818 adultes de plus de 18 ans dont 4.504 de plus de 60 ans Femmes Janssen et al J Am Geriatr Soc 2002
Conséquences fonctionnelles de la sarcopénie % des sujets de plus de 60 ans Les sujets qui ont participé à la NHANES 3 ont répondu à un questionnaire sur leur potentiels physiques. Risque de handicap et sarcopénie : x 1.5 à 3 chez la femme x 3.5 à 4.5 chez l’homme Janssen et al. J Am Geriatr Soc 2002
Rôle du muscle chez le malade catabolique acides aminés glutamine Système Immunitaire
Survie de malades obèses porteurs d’un cancer en fonction de leur masse musculaire HR 4·2 [2·4–7·2], p<0·0001) Prado et al. Lancet 2008
Prise en charge nutritionnelle de la PA : une méta-analyse 55 essais thérapeutique, 9,187 malades 74% des patients, 25 essais conduits à l’hôpital SNO : 175 à 1,000 kcal/j, 10 à 63 g/j de protéines, 10j à 18 mois Prise de poids : 2,13 (1,78-2,49) Morbidité : 0,72 (0,53-0,97) Risque de décès : 0,86 (0,74-1,00) Dénutris hospitalisés : 0,66 (0,49-0,90) Institutionnalisés non dénutris : 0,46 (0,25-0,86) Milne et al Ann Intern Med 2006
Algorithme de prise en charge nutritionnelle d’une personne âgée Algorithme différent selon le degré d’agression du malade
Conclusions La dénutrition est présente dans de nombreuses affections surtout chez les sujets âgés Elle retentit sur le pronostic de la maladie et ne permet pas à certains traitements d’être réalisés On peut affirmer que certains patients décèdent de la dénutrition induite par leur maladie ou par les traitements La prévention et le traitement de la dénutrition est indispensable et doit s’envisager dans une démarche médicale globale au même titre que le traitement de la douleur ou des troubles psychologiques
Les Journées Francophones de Nutrition à Brest