Linguistique et monde du travail : linguistique, pathologie du langage et orthophonie TRAN Thi Mai Maître de Conférences et orthophoniste Institut d’Orthophonie, Faculté de Médecine Université de Lille 2 Paris X, le 15 janvier 2007
Pour la plupart d’entre nous, la langue imprègne notre quotidien et la maîtrise du langage revêt un caractère évident. Parler, lire ou écrire sont des activités naturelles et familières que nous effectuons de manière quasi automatique. Cette apparente simplicité masque une réalité complexe qui peut être appréhendée grâce à l’étude des troubles du développement du langage oral ou écrit (ex. : retard de langage, dysphasie, dyslexie) ou des troubles acquis du langage (aphasie, ).
La pathologie du langage constitue un des domaines d’application de linguistique et illustre les interactions possibles entre la linguistique et d’autres disciplines s’intéressant au langage. S’intéresser à la pathologie du langage suppose d’avoir des connaissances sur la langue (aspects linguistiques) mais aussi sur les processus mentaux mis en jeu dans les activité de production et de compréhension du langage (aspects psycholinguistiques) et sur l’organisation cérébrale de cette fonction cognitive spécifiquement humaine qu’est le langage (aspects neurolinguistiques).
La réflexion sur le langage et sur la langue, les outils développés en linguistique, en psycholinguistique et en neurolinguistique constituent des bases théoriques nécessaires aux cliniciens amenés à évaluer et à traiter les troubles du langage. Domaines de la linguistique appliquée : didactique des langues, lexicographie et pathologie du langage. Interactions entre théories et pratique clinique
Orthophonie Profession relativement jeune : premières écoles d’orthophonie dans les années 50 Loi du 10 juillet 1964 : création du premier diplôme national et statut légal de la profession d’orthophoniste Rôle en France de Suzanne Borel-Maisonny, phonéticienne et grammairienne de formation, à l’origine de la constitution de la discipline (collaboration dans les années 1925 avec des cliniciens, s’intéresse aux troubles développementaux du langage).
Après-guerre, intérêt pour la prise en charge des patients cérébroléses présentant des troubles acquis du langage (aphasie) : rôle de Blanche Ducarne de Ribeaucourt (La Salpetrière). Actuellement environ professionnels et 15 instituts de formation. L’orthophoniste peut intervenir à tous les âges de la vie chez des individus présentant des troubles des troubles du langage et/ou de la communication gênant leur insertion familiale, sociale, scolaire ou professionnelle.
Champ de compétence des orthophonistes L’orthophoniste est un professionnel de santé qui exerce sur prescription médicale et réalise des actes dans les domaines suivants (1) dépistage (2) bilan (3) éducation précoce et (4) rééducation. L’orthophoniste traite les troubles développementaux ou acquis, d’origine organique ou non et ceci à différentes période de la vie (chez le tout petit, l’enfant, l’adolescent, l’adulte, la personne âgée).
Chez le tout petit (puis chez l’enfant) : Dépistage auditif Éducation précoce et rééducation des divers handicap du jeune enfant qu’ils soient moteurs, sensoriels ou mentaux (IMC, surdité, trisomie 21…). Champs d’action : déglutition, alimentation, communication, langage, guidance parentale.
Chez l’enfant : Rééducation de la déglutition Rééducation du langage oral : Rééducation des troubles d’articulation Rééducation des retards de parole et/ou de langage Rééducation des dysphasies Rééducation des troubles de la phonation (divisions palatines, insuffisance vélaire, malformations…)
Rééducation des troubles du langage écrit (dyslexie, dysorthographie) Rééducation des troubles du calcul (dyscalculie) et du raisonnement logico-mathématique.
Chez l’enfant et/ou chez l’adulte Rééducation de la surdité Démutisation dans les surdités précoces Apprentissage de la lecture labiale, adaptation prothétique Rééducation ou conservation de la parole et du langage et de la voix dans les surdités acquises Rééducation du bégaiement Rééducation des troubles de la voix d’origine organique ou fonctionnelle
Rééducation des troubles de l’alimentation (dysphagies) Rééducation des troubles du langage et de la parole dans les atteintes neurologiques (aphasie ou dysarthrie)
Chez l’adulte : Rééducation de la voix oesophagienne et utilisation de prothèses phonatoires Maintien des fonctions de communication chez les personnes atteintes de maladies neurodégénératives.
Exercice professionnel Les domaines de l’orthophonie et les modes d’exercices sont variés Exercice salarié (hôpital, structure de soins, centre de rééducation…) Exercice libéral (prise en charge partielle par la sécurité sociale) Exercice mixte Profession jeune et majoritairement féminine.
Formation des orthophonistes L’orthophonie se situe à la croisée des chemins de plusieurs disciplines fondamentales : La linguistique La psychologie Les disciplines médicales : ORL, neurologie, psychiatrie, pédiatrie, gériatrie. La pédagogie Formation para-médicale (cursus sur 4 ans comprenant cours théoriques, TD, stages, rédaction d’un mémoire de fin d’études) dans des Instituts dépendant de Facultés de Médecine.
Formation professionnalisante Il existe en Belgique deux cursus différents : l’un davantage professionnel relativement proche de la formation française mais plus courte (graduat > école professionnelle > 3 ans) l’autre plus théorique (licence > université > 5 ans) avec accès à la recherche (doctorat) En France, enseignement dispensé à l’Université mais pas d’accès direct à la recherche (projet de réforme LMD)
Accès à la formation Être titulaire du bac ou d’un diplôme d’admission aux études universitaires Avoir satisfait l’examen d’entrée (numerus clausus) Ne pas présenter de troubles incompatibles avec l’exercice de la profession.
Apport de la linguistique à la pratique orthophonique Permet de se situer théoriquement et d’avoir une réflexion préalable sur la langue Fournit des repères sur le développement et le fonctionnement normal du langage (conditions et étapes de l’acquisition du langage) Contribue à la description fine des troubles et à l’élaboration de programmes thérapeutiques ciblés : identification des différents niveaux d’atteintes (phonétique, phonologique, lexical, morpho- syntaxique, pragmatique…).
Exemple de troubles développementaux du langage Troubles d’articulation et retard de parole chez l’enfant : dans le premier cas, c’est le niveau phonétique qui est concerné : l’enfant parvient pas produire correctement le phonème. dans le second, c’est le niveau phonologique qui n’est pas maîtrisé : le phonème peut être produit isolément mais pas dans certains contextes.
Exemple pour les troubles acquis du langage chez l’adulte L’aphasie de Broca et l’anarthrie pure : Dans l’aphasie de Broca le langage est atteint au niveau lexical (le patient cherche ses mots, a du mal à les articuler correctement) et syntaxique (il ne parvient pas à construire ses phrases). Des difficultés en lecture et en écriture sont associés aux troubles de l’expression orale Dans l’anarthrie pure, le patient ne cherche pas ses mots, ne présente pas de trouble syntaxique ni du langage écrit. Ses difficultés concernent la programmation et la réalisation articulatoire de la parole.
Apport de la pathologie du langage à la linguistique L’atteinte isolée de certains composants du langage permet de confirmer la pertinence des unités décrites par les linguistes. Les dissociations observables dans la pathologie peuvent constituer des arguments pour confirmer ou infirmer les modélisations du langage élaborées par les psycholinguistes.
Quelques références : Chevrié-Muller C. & Narbonna J. (1996), Le langage de l’enfant : aspects normaux et pathologiques, Paris, Masson. Kremer J.-M. & Léderlé E. (1991), L’orthophonie en France, Que sais-je?, Paris, PUF. Rondal J.A. & Seron X. (1999), Troubles du langage : bases théoriques, diagnostic et rééducation, Mardaga